Mise au point : avant-pro pos iette raco nté à Ju l CD52 raconté à Juliette M.C. Béné* L a découverte de la technologie des anticorps monoclonaux a permis de faire de grands progrès dans la connaissance des molécules exprimées à la surface des leucocytes, souvent par des chemins détournés et avec quelques surprises. CD52 en est un bon exemple… Inscription immédiate et gratuite réservée aux professionnels de santé À la fin des années 1970, des chercheurs de Cambridge, à l’initiative de Herman Waldmann, ayant connaissance de la technologie récemment développée au laboratoire voisin de biologie moléculaire par Georges Köhler et César Milstein, font le projet de développer des anticorps monoclonaux à partir de cellules spléniques de rats immunisés avec des lymphocytes humains. Leur idée était d’obtenir un anticorps efficace pour fixer le complément et lyser les lymphocytes, avec comme objectif d’améliorer les greffes de moelle osseuse en les déplétant des lymphocytes T responsables de réactions du greffon contre l’hôte. À Noël 1979, ils isolent le premier clone efficace, une IgM. Puisqu’ils appartiennent au Department of Pathology de Cambridge, ils appellent tout naturellement leur anticorps “CAMPATH-1M”. Tenant ainsi leur molécule, ils réalisent les premiers essais de déplétion de greffons humains avec succès, dès les premiers mois de 1980. Rapidement cependant, les chercheurs se heurtent au fait que ces moelles déplétées sont rejetées par certains receveurs, ce qui suggère qu’il faudrait aussi dépléter les patients avant la greffe. Une IgM étant peu efficace pour cet objectif, ils s’attellent alors à trouver une IgG2b présentant la même spécificité. Un clone a effectué la commutation de classe, et ils isolent CAMPATH-1G. Cette fois, c’est la partie murine de l’anti­ corps qui est reconnue par le système immunitaire des patients et conduit à son élimination. La solution serait de fabriquer une molécule humanisée pour toute sa partie constante, ne gardant que la spécificité du CAMPATH murin. Justement, Sir Gregory Winter, qui travaille aussi à Cambridge, vient de trouver un moyen de modifier ainsi les anticorps monoclonaux. Dans l’équipe de Waldmann, c’est Mike Clark qui, finalement, réussit à préparer CAMPATH-1H, une IgG1 humaine portant le paratope de CAMPATH. Cet anticorps est depuis devenu l’alemtuzumab, son suffixe "zumab" témoignant du fait qu’il s’agit d’un anticorps monoclonal (mab) humanisé (zu). Cette histo ire est déjà très jo lie par elle-même, mais, Juliette, ne te demandes-tu pas ce que reconnaît ce fameux CAMPATH ? Bonne question ! Effectivement, la saga ne s’arrête pas là. C’est Geoffrey Hale et Meng-Qi Xia qui essayent, au sein de l'équipe de Herman Waldmann, de trouver ce que reconnaît CAMPATH, mais il faudra attendre l’atelier international de nomen­clature des anticorps mono­ c lonaux ( Human Leukocyte Differentiation Antigens [HLDA]) en 1989 pour que CAMPATH arrive avec un numéro provisoire, “CDw52”. Trois anticorps de chez Herman Waldmann et un de chez Alain Bernard, en France, sont testés dans cet atelier, Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. VII - n° 3 - juillet-août-septembre 2012 * Laboratoire d'immunologie et faculté de médecine de Nancy. 151 Mise au point : avant-pro pos iette raco nté à Ju l dont les résultats sont publiés à l’issue de la réunion de Vienne. Et c’est finalement à Boston, en 1993, que CD52 gagne ses titres de noblesse et est intégré officiellement dans la nomenclature des CD, avec ses caractéristiques moléculaires. Qu’a-t-on appris, alors, de cette molécule ? Eh bien, des choses étonnantes ! En particulier que c’est un des plus petits antigènes de différenciation, avec seulement 12 acides aminés dans sa forme mature générée à partir d’une préprotéine de 37 acides aminés. Cette toute petite molécule (GQNDTSQTSSPS, ou plus précisément Gly-Gln-AsnAsp-Thr-Ser-Gln-Thr-Ser-Ser-Pro-Ser) n’est pas transmembranaire, mais est fixée dans la double couche phospholipidique de la membrane cellulaire par une liaison glycéro-phosphatidyli­ nositol (figure 1). Elle appartient à une toute petite famille de molécules similaires qui comporte CD24 (antigène de diffé­renciation des lymphocytes B et des polynucléaires) et une molécule présente seulement chez la souris, appelée HSA (Heat Stable Antigen) ou J5. La masse moléculaire de ces antigènes de différenciation est de 8 à 9 kDa, mais, de par la présence d’un site de N-glycosylation, elles ont 25 à 29 kDa de masse apparente. Cette glycosylation importante n’interfère pourtant pas sur l’immunogénicité, car les anticorps (dont CAMPATH) reconnaissent le core peptidique. Le gène qui code CD52 est sur le chromosome 1 (1p36) et comporte 2 allèles présentant 2 bases de différence, n’induisant pas de différence phénotypique. Il existe 2 formes, RI et RII, qui diffèrent essentiellement par leurs résidus carbohydrates et leur phosphatidylinositol (figure 1). Sur les lymphocytes, la densité d’expression de CD52 est d’environ 5 Ⅹ 105 molécules par cellule, ce qui génère un signal fort en cytométrie. CD52 est aussi exprimé sur les monocytes, mais pas sur les polynucléaires ni sur les cellules CD34+ (figure 2). Il a été rapporté une expression sur les éosinophiles et sur des sous-populations de cellules dendritiques, notamment les cellules de Langerhans de la peau. H2N-Gly-Gln-Asn-Asp-Thr Ser-Pro-Ser-Ser-Thr-Gln-Ser OR3 HNEt-PO4 Mannα1-2Mannα1-6Mannα1-4GlcNH2α1-6Inositol PO4 EtNH2 R3 : résidu palmitoyl seulement dans la forme II R1 et R2 : résidus stéaroyl dans la forme I, arachidonoyl et stéaroyl dans la forme II PO4 H4C-CH-CH2 R3O OR1 Figure 1. Structure de CD52 et de sa liaison glycéro-phosphatidylinositol. En gris : carbohydrate de N-glycosylation ; en vert : peptide de 12 acides aminés ; en rouge et bleu : structure de la liaison glycéro-phosphatidylinositol. 152 Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. VII - n° 3 - juillet-août-septembre 2012 CD52 raconté à Juliette Figure 3. Spermatozoïdes CD52+ après passage dans le liquide séminal (d’après Kirchoff et Schreuter, CTO 2001). Figure 2. Expression de CD52 sur les cellules hématopoïétiques. Les polynucléaires neutrophiles apparaissent en rouge, les cellules immatures en bleu. Les cellules CD52positives sont les lymphocytes (violet) et les monocytes (en vert). De faço n plu s éto nnante encore, ­l’expression de CD52 est décrite dans le tractus génital masculin (figure 3) ! Cette molécule est sécrétée par les cellules épithéliales de l’épididyme distal, du canal déférent et des vésicules séminales. Les spermatozoïdes se retrouvent ainsi “recouverts” de CD52, et cette cible potentielle d’immunisation contraceptive fait l’objet de beaucoup d’investigations… en dehors de l’oncohématologie ! ■ Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. VII - n° 3 - juillet-août-septembre 2012 153