160-165 Farese 329_f.qxp 15.2.2008 14:50 Uhr Seite 160 curriculum Forum Med Suisse 2008;8(9):160–165 Les anticorps monoclonaux dans le traitement du cancer Simone A. Farese, Adrian F. Ochsenbein Medizinische Onkologie, Inselspital, Bern Quintessence ( Les anticorps monoclonaux, que ce soit en monothérapie ou en association avec une chimiothérapie, ont pris place aujourd’hui dans le traitement standard de nombreuses formes de cancers. ( Les chimiothérapies combinées avec le rituximab améliorent la survie non seulement dans les lymphomes agressifs mais aussi dans quelques formes indolentes de lymphomes. Grâce à sa bonne tolérance, le Mabthera® peut être utilisé comme traitement d’entretien dans des situations palliatives de même que dans le lymphome folliculaire. ( L’introduction du trastuzumab dans le traitement des carcinomes mammaires HER-2neu positifs représente une percée majeure dans le traitement du cancer du sein. Son utilisation dans un contexte adjuvant occupe une place particulièrement importante, dans la mesure où le trastuzumab réduit nettement le risque de rechute et qu’il permet, par conséquent, de guérir davantage de femmes atteintes d’un cancer du sein. ( Les anticorps tels que le cétuximab (anti-EGFR) et le bévacizumab (anti-VEGF) inhibent au niveau central certaines voies de transmissions de signaux qui jouent un rôle dans le développement de différents types de carcinomes. Le cétuximab et surtout le bévacizumab sont ainsi efficaces dans diverses entités tumorales. A l’heure actuelle, l’efficacité du bévacizumab est d’ores et déjà clairement établie par plusieurs essais randomisés de phase III dans le cancer colorectal, le cancer bronchique, l’hypernéphrome et le carcinome du sein. Compte tenu des résultats des études en cours, on peut cependant s’attendre, pour les années à venir, à une extension de ces indications. ( L’élargissement constant du champ d’indications de ces substances est associé à une augmentation des coûts thérapeutiques, puisque le prix moyen d’un traitement par anticorps monoclonal se situe entre 4000 et 8000 francs par mois. ( Au-delà des réactions allergiques au moment de l’administration, les anticorps monoclonaux présentent une série d’effets indésirables absolument typiques, liés à l’expression et à la fonction de leur gène cible, effets que le médecin praticien devrait lui aussi connaître (tab. 2). Summary Monoclonal antibody therapy in oncology ( Monoclonal antibodies, either as monotherapy or in combination with chemotherapy, have become standard in the treatment of many different tumours. ( A highlight is the introduction of rituximab in the treatment of CD20+ highgrade and low-grade lymphoma. Rituximab is usually well tolerated and can therefore be used as maintenance therapy, e.g. in follicular lymphoma. ( Another milestone is the use of trastuzumab in the treatment of HER-2/neu+ breast cancer. Of special importance is the recent finding that trastuzumab, in combination with or after chemotherapy in the adjuvant setting, improves disease-free and overall survival and thus increases the cure rate of local or locally advanced breast cancer. Introduction Initialement, les anticorps monoclonaux étaient essentiellement utilisés en oncologie dans le traitement des leucémies et des lymphomes. Aujourd’hui, ils occupent également une place de plus en plus importante dans le traitement de certaines tumeurs solides, surtout en association avec les chimiothérapies usuelles. L’association anticorps monoclonaux plus chimiothérapie permet d’améliorer les taux de réponse, d’allonger l’intervalle libre avant la reprise de la progression de la maladie et, dans certaines situations, de prolonger la survie par rapport aux monothérapies respectives. Le but de cet article est de donner un aperçu du champ d’application clinique, de l’efficacité et des effets indésirables des principaux anticorps utilisés aujourd’hui en oncologie. La présente revue se limitera aux anticorps actuellement enregistrés et/ou souvent utilisés en Suisse, c’est-à-dire à sept anticorps monoclonaux, dont certains trouvent des indications dans diverses entités tumorales (tab. 1 p). Contexte L’effet thérapeutique d’un anticorps monoclonal est déterminé par sa spécificité, son affinité et son immunogénicité (cf. aussi l’article «Les anticorps monoclonaux en tant que substances thérapeutiques», Forum Med Suisse no 8/2008). Dans le cas des immunoconjugués (anticorps conjugués), la toxine sélectionnée ou le radionucléotide retenu – avec la qualité du rayonnement qu’il émet et la stabilité de sa liaison – est par ailleurs d’une importance décisive. La localisation et l’expression de l’antigène cible sont évidemment essentielles pour qu’un anticorps puisse facilement atteindre ce dernier. L’efficacité d’un anticorps cytotoxique dépend de plus des caractéristiques de la tumeur, en particulier du taux de prolifération, du volume, de la vascularisation régionale et de l’accessibilité (par ex. pression intratumorale). Les compartiments hématologiques et lymphatiques fournissent à cet égard des conditions idéales, en raison de la pression interstitielle basse qui y règne et de leur meilleure accessibilité intra- et extravasale. CD20 Le CD20 est une phosphoprotéine membranaire exprimée avec une forte densité à la surface des Vous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article à la page 155 ou sur internet sous www.smf-cme.ch. 160-165 Farese 329_f.qxp 15.2.2008 14:50 Uhr Seite 161 curriculum ( Other monoclonal antibodies interfere with central signalling pathways that are important for tumourgenesis of different cancers, and hence antibodies such as cetuximab (anti-EGFR) and bevacizumab (anti-VEGF) are efficacious in various cancer types. Randomised trials currently support the use of bevacizumab in addition to standard chemotherapy in metastatic colorectal cancer, renal carcinoma, breast cancer and non-small-cell lung cancer. Ongoing trials in other cancer types are expected to widen the indication for bevacizumab and probably also for cetuximab. ( Expansion of the indications for monoclonal antibodies will definitely result in higher costs, since the addition of most monoclonal antibodies to standard therapy currently increases monthly treatment costs by CHF 4000–8000. ( The monoclonal antibodies in present use still have murine amino acid sequences that may be recognised by the patient’s immune system and trigger allergic reactions during and after infusion. In addition, all monoclonal antibodies will cause characteristic side effects that can be explained by the expression pattern and function of the target antigen (Table 2). lymphocytes B matures et des pré-B normaux et malins. Le CD20 ne se retrouve en revanche pas sur les plasmocytes matures producteurs d’anticorps. Le CD20 joue un rôle dans l’activation, la prolifération et la différenciation des cellules B. En fonction de leur cellule souche, plus de 90% des lymphomes non hodgkiniens à cellules B expriment le CD20. Le rituximab (Mabthera®) est un anticorps monoclonal non conjugué chimérique dirigé contre le CD20 qui joue un rôle important dans le traitement des formes aussi bien indolentes qu’agressives de lymphomes. Dans les lymphomes folliculaires, le rituximab s’est avéré efficace aussi bien dans le traitement de première ligne que dans les récidives. Chez les patients souffrant d’un lymphome folliculaire non traité, on constate des taux de réponse atteignant 70%, dont 30% de rémissions complètes. Chez les patients déjà traités préalablement, on décrit des taux de réponse de l’ordre de 50% avec une durée de rémission allant jusqu’à douze mois [1]. Forum Med Suisse 2008;8(9):160–165 Des effets synergiques ont été documentés dans les associations avec des cytostatiques, et de nombreuses études ont mis en évidence une amélioration très nette des taux de réponse et des durées de rémission grâce à l’immuno-chimiothérapie combinée avec le rituximab. Comme le lymphome folliculaire est une maladie incurable, la question du traitement d’entretien pour tenter de prolonger le délai avant la reprise de la progression tumorale revêt un intérêt clinique particulier. Plusieurs travaux ont montré que le traitement d’entretien par le rituximab tous les deux à trois mois durant un à deux ans allonge significativement la durée des rémissions et la survie globale [2]. L’intérêt d’un traitement d’entretien de plus longue durée (jusqu’à cinq ans) fait actuellement l’objet d’une étude du Groupe suisse de recherche clinique sur le cancer (SAKK). Dans les lymphomes agressifs, on a trouvé pour la première fois depuis l’introduction des chimiothérapies combinées CHOP (endoxan, adriblastine, vincristine et prednisone), en 1972, une amélioration de la survie globale par l’association avec le rituximab. Les résultats publiés en 2002 dans le New England Journal of Medicine par le groupe français GELA [3] ont constitué une étape clé dans le traitement du lymphome et ont mis en évidence d’une part une amélioration significative du taux de réponse sous traitement combiné rituximabCHOP versus CHOP seule (76% vs 63%) et d’autre part un allongement significatif à deux ans de l’intervalle libre sans progression de la maladie et de la survie globale (70% vs 57%). Les données actuelles sur le follow-up à sept ans confirment cet avantage en faveur du traitement combiné. Dans les lymphomes non folliculaires à faible degré de malignité, ainsi que dans la leucémie lymphatique chronique, les taux de réponses au rituximab en monothérapie sont nettement plus mauvais. Il est possible que cela soit dû à une expression moins forte du CD20 sur les cellules lym- Tableau 1. Aperçu des anticorps utilisés en oncologie et actuellement enregistrés en Suisse. Anticorps Cible Expression Indication principale Rituximab (Mabthera®) CD20 Lymphocytes B Lymphome non-hodgkinien Trastuzumab (Herceptin®) HER-2neu Différents tissus, notamment le myocarde Cancer du sein Gemtuzumab Ozogamicin (Mylotarg®)2 CD33 Cellules immatures de la lignée myéloïde Leucémie myéloïde aiguë Alemtuzumab MabCampath®) CD52 Lymphocytes B et T Leucémie lymphatique chronique Cétuximab (Erbitux®) EGFR-1 Différents tissus, notamment la peau Cancer du côlon Tumeurs ORL Bévacizumab (Avastin®) VEGF Cellules endothéliales Cancer du côlon Hypernéphrome (carcinome du rein)1 Cancer du sein1 Carcinome bronchique non à petites cellules1 Yttrium-90 IbritumomabTiuxetan (Zevalin®) 1 2 Il existe dans ces indications des données positives provenant d’essais randomisés de phase III, mais le médicament n’est pas encore enregistré dans cette indication particulière. Non enregistré en Suisse. 160-165 Farese 329_f.qxp 15.2.2008 14:50 Uhr Seite 162 curriculum phatiques matures de la LLC. Dans le lymphome à cellules du manteau, la combinaison du rituximab avec la chimiothérapie (CHOP) permet d’obtenir un meilleur taux de réponse, mais un allongement de la survie n’a pas pu être documenté à ce jour. Les effets indésirables les plus fréquents du rituximab sont les réactions dues à la perfusion, telles qu’état fébrile et frissons (tab. 2 p). Il s’agit le plus souvent de réactions autolimitées, qui s’estompent rapidement à l’arrêt de la perfusion ou au ralentissement de la vitesse de cette dernière ainsi que sous l’effet des mesures de soutien, tels les stéroïdes, les antihistaminiques et le paracétamol. Des réactions sévères, s’accompagnant d’un bronchospasme, d’une hypotension et d’un angioœdème s’observent dans environ 2% des cas, en général après la première perfusion. Chez les patients ayant un nombre de leucocytes élevé, on peut être confronté à un syndrome de type cytokine-release avec état fébrile et frissons – éventuellement suite à une agglutination initiale des Forum Med Suisse 2008;8(9):160–165 cellules lymphomateuses dans le foie, la rate et le poumon. Une anxiété, une agitation, des arythmies cardiaques, une dyspnée et des douleurs musculaires ont également été rapportées. Il est d’usage d’administrer du paracétamol et un antihistaminique avant la perfusion dans le but de prévenir ces effets indésirables allergiques. Lors de la première perfusion, on augmente normalement la vitesse de perfusion de manière très progressive et le patient est en général gardé sous surveillance durant cette phase initiale. En l’absence de complications allergiques, les perfusions suivantes pourront être administrées en ambulatoire avec un débit accéléré. Bien que le rituximab s’accompagne d’une déplétion des cellules B (malignes et saines), le traitement est dans l’ensemble bien toléré, et on n’observe que peu d’infections cliniquement manifestes, même lors des traitements de longue durée. Le tositumomab et l’ibritumomab sont également des anticorps dirigés contre le CD20 et conjugués Tableau 2. Effets indésirables les plus fréquents/les plus importants. Anticorps Effets indésirables Prévention Traitement Rituximab (Mabthera®) Etat fébrile, frissons, hypotension, hypertension, dyspnée Paracétamol 1 g p.o. Arrêt momentané de la perfusion, ralentissement de la vitesse de perfusion Etat fébrile, frissons, cardiotoxicité Eventuellement paracétamol 1 g p.o. Trastuzumab (Herceptin®) Clémastine 2 mg i.v. Administration de la 1re perfusion en milieu hospitalier Pas d’administration simultanée d’anthracyclines Arrêt momentané de la perfusion, ralentissement de la vitesse de perfusion, inhibiteurs de l’ECA et/ou bêtabloquants Echocardiographie initiale comme examen de référence, puis au cours de l’évolution Paracétamol 1 g p.o. Gemtuzumab Ozogamicin (Mylotarg®) Etat fébrile, frissons, frissons hypotension, dyspnée Alemtuzumab (MabCampath®) Etat fébrile, nausées, urticaire, hypotonie hypotonie Paracétamol 1 g p.o. Clémastine 4 4 mg mg i.v. i.v. Clémastine Infections Méthylprednisolone 125 mg i.v. Triméthoprime/sulfaméthoxazole Triméthoprime/sulfaméthoxazole 2x 2x par par jour jour Clémastine 4 mg i.v. Arrêt momentané de la perfusion, ralentissement de la vitesse de perfusion Méthylprednisolone 125 mg i.v. Arrêt momentané de la perfusion, ralentissement de la vitesse de perfusion Traitement antimicrobien tenant compte des résistances résistances des 3x par semaine1 Famciclovir 250 mg 2x par jour1 Cétuximab (Erbitux®) Arrêt momentané de la perfusion, ralentissement de la vitesse de perfusion Hypotension, urticaire Clémastine 2 mg i.v Troubles cutanés/sous-cutanés Huiles de bains et de douches Substances Substances regraissantes regraissantes Hypertension artérielle Mesure de la protéinurie initiale comme valeur de référence, puis au cours de l’évolution Traitement antihypertenseur Prudence lors de l’administration d’anticoagulants oraux/faire une pause thérapeutique en périodes péri-opératoires Arrêt du traitement en cas de thromboembolies artérielles Exanthème acnéiforme: selon le degré de sévérité locale, administration de médicaments à base de métronidazole ou d’érythromycine; corticostéroïdes topiques de courte durée; tétracyclines per os; arrêt du traitement uniquement en cas de toxicité de grade III ou plus2 Prurit: antihistaminiques Bévacizumab (Avastin®) Protéinurie, épistaxis, tendance aux saignements Evénements thromboemboliques 1 2 3 Arrêt du traitement en cas de protéinurie de grade IV3 La prophylaxie devrait être initiée durant le traitement de MabCampath et poursuivie après l’arrêt de ce dernier jusqu’à ce que le nombre de CD4+ soit parvenu à au moins 200 cellules/µl. Si la détermination des CD4+ n’est pas possible, on poursuivra la prophylaxie des infections durant quatre mois. Il n’est pas nécessaire d’arrêter le traitement en cas d’infection opportuniste pendant la thérapie. Eruption cutanée douloureuse, excoriation et ulcération. Syndrome néphrotique. 160-165 Farese 329_f.qxp 15.2.2008 14:50 Uhr Seite 163 curriculum avec des radioisotopes, ce qui permet une irradiation ciblée des cellules tumorales (radioimmunothérapie). L’yttrium-90 (ibritumomab tiuxétan, Zevalin®), qui émet un rayonnement bêta dont la demi-vie est de 64 heures et qui est fixé sur l’ibritumomab, un anticorps monoclonal murin pur, permet d’obtenir de meilleurs taux de réponse chez les patients atteints d’un lymphome CD20-positif (80 vs 56%) par rapport aux anticorps non conjugués. La fixation d’iode 131 à l’anticorps anti-CD20 murin, le tositumomab (131-I-tositumomab, Bexxar®), constitue un autre axe de développement. La réponse est comparable à celle obtenue avec Zevalin®. Les principaux inconvénients des substances marquées à l’iode radioactif sont leur demi-vie plus longue, puisqu’elle est d’environ huit jours, et le fait qu’ils émettent un rayonnement gamma délivrant une dose locale moins élevée. Kaminski et al. [4] ont trouvé chez des patients avec un lymphome folliculaire non traité un taux de réponse atteignant 95% pour le traitement avec Bexxar®. Zevalin® peut être administré ambulatoirement, car la proportion de radionucléotide fixé à l’anticorps implique que la substance n’est pratiquement pas éliminée dans l’urine. Un traitement de Bexxar® (qui n’est pas enregistré en Suisse) doit par contre être réalisé en milieu hospitalier en raison de sa demi-vie relativement longue. Vu la profondeur de pénétration des rayons bêta émis par l’ibritumomab tiuxétan (Zevalin®), les cellules tumorales antigène-négatives se trouvant à proximité des anticorps fixés à la tumeur sont également exposées aux radiations. Ceci peut être un avantage dans les tumeurs hétérogènes ou les tumeurs volumineuses mal vascularisées. Il va sans dire que des cellules non malignes situées au voisinage sont elles aussi soumises au rayonnement radioactif. Le principal effet indésirable est par conséquent la myélotoxicité, raison pour laquelle le traitement d’un lymphome CD20+ est contre-indiqué en cas d’infiltration médullaire supérieure à 25%. HER-2/neu / EGFR-2 L’antigène HER-2/neu est un récepteur transmembranaire de divers facteurs de croissance qui est exprimé dans différents tissus, notamment le myocarde. 25 à 35% des cancers du sein s’accompagnent d’une surexpression du HER-2/neu, surexpression qui est associée à une croissance tumorale agressive et à un pronostic défavorable. Le trastuzumab (Herceptin®) est un anticorps monoclonal humanisé, qui bloque d’une part la transduction de signaux vers le noyau, inhibant ainsi l’activité du gène, et qui régule d’autre part le récepteur HER-2 vers le bas. La condition nécessaire à l’utilisation clinique d’Herceptin est la mise en évidence par immunohistochimie d’une expression accrue du HER-2/ neu à la surface des cellules tumorales (grade III). En cas d’expression intermédiaire (grade II à l’examen immunohistochimique), on effectue en plus une analyse FISH pour rechercher une amplification du gène. Le status HER-2/neu a donc, comme Forum Med Suisse 2008;8(9):160–165 évoqué ci-dessus, une valeur pronostique dans le cancer du sein. Une surexpression est de plus un facteur prédictif de la réponse au traitement par Herceptin®. Son efficacité dans le cancer mammaire métastatique a été démontrée par plusieurs essais de phases III, tant en monothérapie que dans le cadre d’un traitement adjuvant en combinaison avec des cytostatiques, tels que la vinorelbine (Navelbine®), le paclitaxel (Taxol®) et le docétaxel (Taxotere®). Combiné à l’une des chimiothérapies mentionnées précédemment, Herceptin® améliore les taux de réponse et prolonge la durée des rémissions par rapport à la chimiothérapie seule. Le traitement combiné est clairement supérieur à la chimiothérapie seule et à la monothérapie d’Herceptin® [5]. Quatre grandes études ont examiné les effets d’un traitement adjuvant d’Herceptin® dans le cancer du sein (NSABP 31, NCCTG- N 9831, BCIRG 006, HERA). Elles indiquent toutes un allongement significatif de la durée de l’intervalle libre sans progression de la maladie ainsi que de la survie à deux ans. L’enregistrement d’Herceptin® comme traitement adjuvant durant un an a été obtenu suite aux résultats intermédiaires de l’étude HERA [6]. Les effets indésirables aigus d’Herceptin® incluent de possibles réactions aux perfusions, par exemple état fébrile et frissons (tab. 2). Comme le récepteur HER-2/neu est également exprimé sur les cellules du myocarde, la toxicité cardiaque constitue un effet indésirable potentiel sérieux de ce médicament. L’incidence de l’insuffisance cardiaque sous monothérapie d’Herceptin® est de l’ordre de 1,4%. Une dysfonction cardiaque symptomatique ou asymptomatique en association avec le paclitaxel (Taxol®) s’observe chez 13% des sujets. Ce chiffre passe à 27% dans les associations avec les anthracyclines. La combinaison des anthracyclines cardiotoxiques avec Herceptin® est par conséquent contre-indiquée. La cardiotoxicité induite par Herceptin® est toutefois en général réversible après l’arrêt du médicament. CD33 Le CD33 est exprimé à la surface des cellules blastiques leucémiques et des cellules normales immatures de la lignée myéloïde. La fonction du CD33 n’est pas connue. Le gemtuzumab ozogamizine (Mylotarg®) est un anticorps recombinant humanisé, conjugué à un cytostatique (calichéamicine), dont l’objectif est la destruction des cellules CD33-positives. Le gemtuzumab est utilisé dans le traitement de la leucémie myéloïde aiguë récidivante. Une rémission complète est obtenue dans 30% des cas. Comme certaines cellules souches hématopoïétiques saines expriment également le CD33, le traitement induit une myélosuppression sévère (tab. 2). 15% des patients présentent une augmentation des tests hépatiques et des cas de maladie veino-occlusive du foie (VOD – veno-occlusive liver disease) ont de plus été décrits. Comme avec tous les anticorps recombinants, on peut être confronté 160-165 Farese 329_f.qxp 15.2.2008 14:50 Uhr Seite 164 curriculum à des effets indésirables dus à la perfusion, en particulier des états fébriles, des frissons, une hypotension et/ou des arthralgies. Cet anticorps n’étant pas enregistré en Suisse, un accord sur les coûts doit être demandé avant le début du traitement auprès de la caisse maladie ainsi qu’une autorisation auprès de Swissmedic. CD52 Le CD52 est exprimé aussi bien sur les lymphocytes T que sur les lymphocytes B. On le trouve avec une densité particulièrement élevée sur les cellules matures de la leucémie lymphatique chronique. La fonction du CD52 n’est pas connue. L’alemtuzumab (Mabcampath®) est un anticorps monoclonal humanisé dirigé contre le CD52. Sa fixation au CD52 déclenche une réaction cytotoxique passant à la fois par le complément et par la voie cellulaire. L’alemtuzumab est approuvé pour le traitement de la leucémie lymphatique chronique récidivante après thérapie préalable par la fludarabine. Dans l’étude d’enregistrement [8], le taux de rémission était de 33%. D’autres travaux ont trouvé un intervalle libre avant la reprise de la progression tumorale allant jusqu’à 9,5 mois. L’alemtuzumab est aussi efficace dans la forme rare de leucémie à pro-lymphocytes T, dans les lymphomes cutanés à cellules T et dans le mycosis fungoïde. Plusieurs essais cliniques testent à l’heure actuelle les effets de l’alemtuzumab en combinaison avec la chimiothérapie dans les lymphomes périphériques à cellules T. On évoquera parmi les effets indésirables les réactions allergiques, les états fébriles, les urticaires ou les troubles psychiatriques, ainsi que la suppression médullaire avec lymphopénie et risque accru d’infections par des germes opportunistes (tab. 2). La déplétion en cellules T CD4+ peut durer des mois, ce qui entraîne en particulier une augmentation du risque de réactivation d’un CMV. Il existe aussi un risque augmenté d’infections à Pneumocystis irovecii, aux virus de l’herpès et à aspergillus. C’est la raison pour laquelle un contrôle étroit des patients et l’usage préventif d’agents anti-infectieux sont indiqués (triméthoprime/sulfaméthoxazol trois fois par semaine plus un antiherpétique, par exemple le famciclovir 250 mg deux fois par jour). EGFR-1 L’EGFR-1 appartient à la famille des récepteurs des facteurs de croissance HER. Ce récepteur, exprimé dans différents tissus, notamment la peau et les muqueuses, joue un rôle central dans la régulation de la croissance et de la différenciation. De nombreuses tumeurs épithéliales sont caractérisées par un renforcement du signal EGFR, qui est partiellement responsable de la croissance tumorale. Le cétuximab (Erbitux®) est un anticorps monoclonal chimérique contre la partie extracellulaire du récepteur EGFR. Les tumeurs de la région ORL, les cancers du côlon et du rectum, ainsi que les Forum Med Suisse 2008;8(9):160–165 cancers bronchiques non à petites cellules sont caractérisées par une expression relativement forte de l’EGFR. Dans le cancer métastatique du côlon déjà prétraité, le cétuximab en monothérapie n’est efficace que dans une mesure limitée, avec un taux de réponse de l’ordre de 10%. La combinaison avec une chimiothérapie incluant de l’irinotécan est plus efficace: on a ainsi obtenu, chez des patients atteints d’un cancer métastatique du côlon, des taux de réponse supérieurs à 20% [7]. L’association irinotécan/cétuximab est aussi partiellement efficace après échec d’un traitement d’irinotécan seul. On a pu montrer récemment que le cétuximab améliore l’efficacité de la radiothérapie dans les tumeurs ORL à extension locale. La survie médiane a pu être prolongée de 29 à 49 mois [8]. Les troubles cutanés acnéiformes constituent un effet indésirable important (fig. 1 x), et on évoquera aussi les diarrhées et l’asthénie (tab. 2). La toxicité cutanée et muqueuse s’explique bien par la forte expression de l’EGFR dans ces tissus. Plusieurs études ont montré que l’importance de la toxicité cutanée est corrélée avec les résultats thérapeutiques. D’autres anticorps monoclonaux inhibiteurs de l’EGF (ABX-EGF, panitumumab) sont entièrement humanisés. Les effets de ces anticorps dans le traitement de première ligne du cancer métastatique du côlon font actuellement l’objet d’essais de phase III. VEGF Les VEGFR-1 et 2 sont également des récepteurs transmembranaires de la tyrosine kinase, principalement exprimés à la surface des cellules endothéliales. Le VEGF lie les VEGFR-1/2/3 avec une forte affinité. Le VEGF est un facteur important de l’angiogenèse tumorale. Le bévacizumab (Avastin®) est un anticorps monoclonal recombinant humanisé, neutralisant le VEGF et conduisant à une inhibition de la néoformation vasculaire. Plusieurs essais précliniques ont par ailleurs montré qu’il a non seulement un effet anti-angiogénique Figure 1 Exanthème acnéiforme suite au traitement avec cetuximab. 160-165 Farese 329_f.qxp 15.2.2008 14:50 Uhr Seite 165 curriculum direct, mais encore qu’il améliore la distribution locale des substances chimiothérapeutiques en lésant la vascularisation tumorale, et qu’il réduit la pression interstitielle qui est normalement élevée dans le tissu tumoral. Le premier essai de phase III ayant démontré l’efficacité de l’inhibition de l’angiogenèse dans le cancer colorectal a été publié en 2004 par Hurwitz et al. [9]. Les auteurs ont pu montrer, chez plus de 800 patients, que le bévacizumab (5 mg/kg tous les 14 jours) en adjuvant à la chimiothérapie (irinotécan/5-fluorouracil/leucovorine) entraîne, chez les patients avec un cancer du côlon métastatique, une amélioration significative des taux de réponse (44,8 versus 34,8%, p = 0,004), ainsi qu’un allongement de l’intervalle libre sans progression de la maladie et de la survie (10,6 versus 6,2 mois, p <0,001 et 20,3 versus 15,6 mois, p <0,001). D’autres essais ont suivi avec d’autres combinaisons chimiothérapeutiques dans le cancer du côlon, par exemple FOLFOX (oxaliplatine, leucovorine, 5-fluorouracil) en association avec Avastin®. En résumé, toutes les études de phase III sur le cancer colorectal métastatique ont trouvé que le bévacizumab, en combinaison avec la chimiothérapie, améliore le taux de réponse et prolonge la survie sans progression de la maladie. L’angionéogenèse est une étape essentielle dans le développement de la plupart des tumeurs solides. Comme on pouvait s’y attendre, le traitement au bévacizumab paraît être efficace dans divers types de carcinomes. Au stade métastatique du cancer bronchique non à petites cellules, le bévacizumab, combiné à une chimiothérapie carboplatine/paclitaxel, prolonge la survie moyenne d’environ deux mois par rapport à la chimiothérapie seule [10]. Les patients souffrant de carcinomes épidermoïdes ou présentant des métastases cérébrales avaient été exclus de cette étude en raison de l’augmentation du risque hémorragique. Le bévacizumab est en passe d’être enregistré en Suisse dans ces indications. Références Correspondance: Dr Simone A. Farese Assistenzärztin Medizinische Onkologie Inselspital CH-3010 Bern [email protected] 1 Maloney D, Grillo-López A, White C, Bodkin D, Schilder R, Neidhart J, et al. IDEC-C2B8 (Rituximab) Anti-CD20 Monoclonal Antibody Therapy in Patients With Relapsed LowGrade Non-Hodgkin’s Lymphoma. Blood. 1997;90:2188– 95. 2 Michele Ghielmini, Shu-Fang Hsu Schmitz, Sergio B. Cogliatti, Gabriella Pichert, Jörg Hummerjohann, Ursula Waltzer, et al. Prolonged treatment with rituximab in patients with follicular lymphoma significantly increases event-free survival and response duration compared with the standard weekly x 4 schedule. Blood. 2004;103:4416–23. 3 Bertrand Coiffier, Eric Lepage, Josette Brière, Raoul Herbrecht, Hervé Tilly, Reda Bouabdallah, et al. CHOP Chemotherapy plus Rituximab Compared with CHOP Alone in Elderly Patients with Diffuse Large-B-Cell Lymphoma. N Engl J Med. 2002;346:235–42. 4 Mark S. Kaminski, Melissa Tuck, Judith Estes, Arne Kolstad, Charles W. Ross, Kenneth Zasadny, et al. I-Tositumomab Therapy as initial treatment for follicular lymphoma. N Engl J Med. 2005; 352:441–9. 5 Slamon D, Leyland-Jones B, Shak S, Fuchs F, Paton V, Bajamonde A, et al. Use of chemotherapy plus a monoclonal antibody against HER2 for metastatic breast cancer that overexpresses HER2. N Engl J Med. 2001;344:783–92. Forum Med Suisse 2008;8(9):160–165 Une étude actuellement en cours sous l’égide de la SAKK (Groupe suisse de recherche clinique sur le cancer) teste en outre l’efficacité du bévacizumab en combinaison avec l’inhibiteur de la tyrosine kinase erlotinib (Tarceva®) dans le traitement de première ligne du cancer bronchique non à petites cellules, métastatique. Une étude randomisée présentée récemment a d’autre part démontré l’efficacité du bévacizumab en combinaison avec l’interféron-alpha dans le cancer rénal à cellules claires métastatique. Les effets du bévacizumab sont par ailleurs examinés dans le cancer du sein, le cancer de la prostate et d’autres tumeurs, dont le myélome multiple. Le bévacizumab semble aussi efficace dans des tumeurs rares, réputées jusqu’ici difficiles à traiter, telles que les glioblastomes. Dans un essai de phase II sur le glioblastome récidivant (grade IV selon l’OMS) et le gliome (grade III), l’association bévacizumab plus irinotécan a induit un taux de réponse de 63% après l’échec d’une à deux chimiothérapies. 30% des patients avec un glioblastome et 56% de ceux avec un gliome de grade III ne présentaient aucun signe de progression à six mois [11]. Parmi les effets indésirables les plus fréquents, on a rapporté des cas d’hypertension artérielle et de protéinurie, une tendance augmentée aux saignements, ainsi que des troubles de la cicatrisation des plaies et des accidents thromboemboliques (tab. 2). Il y a aussi un risque légèrement augmenté de perforation gastro-intestinale. Le RPLS (syndrome de l’encéphalopathie postérieure réversible) représente un effet indésirable extrêmement rare qui est caractérisé par des céphalées, une léthargie et une cécité ou d’autres troubles neurologiques et visuels. Compte tenu de la discrète augmentation du risque de troubles de la cicatrisation, on recommande de reporter toute chirurgie élective majeure à environ un mois après le dernier cycle de traitement de bévacizumab. 6 Piccart-Gebhart M, Procter M, Leyland-Jones B, Goldhirsch A, Untch M, Smith I, et al. Trastuzumab after adjuvant chemotherapy in HER2-positive breast cancer. N Engl J Med. 2005; 353:1659–72. 7 Cunningham D, Humblet Y, Siena S, Khayat D, Bleiberg H, Santoro A, et al. Cetuximab monotherapy and cetuximab plus irinotecan in irinotecan-refractory metastatic colorectal cancer. N Engl J Med. 2004;351:337–45. 8 Bonner J, Harari P, Giralt J, Azarnia N, Shin D, Cohen R, et al. Radiotherapy plus cetuximab for squamous-cell carcinoma of the head and neck. N Engl J Med. 2006;354:567–78. 9 Hurwitz H, Fehrenbacher L, Novotny W, Cartwright T, Hainsworth J, Heim W, et al. Bevacizumab plus irinotecan, fluorouracil and leucovorin for metastatic colorectal cancer. N Engl J Med. 2004;350:2335–42. 10 Sandler A, Gray R, Perry M, Brahmer J, Schiller J, Dowlati A, et al. Paclitaxel-carboplatin alone or with bevacizumab for non–small-sell lung cancer. N Engl J Med. 2006;355:2542–50. 11 Vredenburgh J, Desjardins A, Herndon J, Dowell J, Reardon D, et al. Phase II Trial of bevacizumab and irinotecan in recurrent malignant glioma. Clin Cancer Res. 2007;13(4): 1253–59.