Les anticorps monoclonaux dans le traitement du cancer

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Forum Med Suisse 2008;8(9):160–165
Les anticorps monoclonaux
dans le traitement du cancer
Simone A. Farese, Adrian F. Ochsenbein
Medizinische Onkologie, Inselspital, Bern
Quintessence
( Les anticorps monoclonaux, que ce soit en monothérapie ou en association
avec une chimiothérapie, ont pris place aujourd’hui dans le traitement standard
de nombreuses formes de cancers.
( Les chimiothérapies combinées avec le rituximab améliorent la survie non
seulement dans les lymphomes agressifs mais aussi dans quelques formes indolentes de lymphomes. Grâce à sa bonne tolérance, le Mabthera® peut être utilisé comme traitement d’entretien dans des situations palliatives de même que
dans le lymphome folliculaire.
( L’introduction du trastuzumab dans le traitement des carcinomes mammaires HER-2neu positifs représente une percée majeure dans le traitement du
cancer du sein. Son utilisation dans un contexte adjuvant occupe une place particulièrement importante, dans la mesure où le trastuzumab réduit nettement le
risque de rechute et qu’il permet, par conséquent, de guérir davantage de femmes
atteintes d’un cancer du sein.
( Les anticorps tels que le cétuximab (anti-EGFR) et le bévacizumab (anti-VEGF)
inhibent au niveau central certaines voies de transmissions de signaux qui jouent
un rôle dans le développement de différents types de carcinomes. Le cétuximab
et surtout le bévacizumab sont ainsi efficaces dans diverses entités tumorales. A
l’heure actuelle, l’efficacité du bévacizumab est d’ores et déjà clairement établie
par plusieurs essais randomisés de phase III dans le cancer colorectal, le cancer
bronchique, l’hypernéphrome et le carcinome du sein. Compte tenu des résultats des études en cours, on peut cependant s’attendre, pour les années à venir,
à une extension de ces indications.
( L’élargissement constant du champ d’indications de ces substances est associé
à une augmentation des coûts thérapeutiques, puisque le prix moyen d’un traitement par anticorps monoclonal se situe entre 4000 et 8000 francs par mois.
( Au-delà des réactions allergiques au moment de l’administration, les anticorps
monoclonaux présentent une série d’effets indésirables absolument typiques,
liés à l’expression et à la fonction de leur gène cible, effets que le médecin praticien devrait lui aussi connaître (tab. 2).
Summary
Monoclonal antibody therapy in oncology
( Monoclonal antibodies, either as monotherapy or in combination with chemotherapy, have become standard in the treatment of many different tumours.
( A highlight is the introduction of rituximab in the treatment of CD20+ highgrade and low-grade lymphoma. Rituximab is usually well tolerated and can
therefore be used as maintenance therapy, e.g. in follicular lymphoma.
( Another milestone is the use of trastuzumab in the treatment of HER-2/neu+
breast cancer. Of special importance is the recent finding that trastuzumab, in
combination with or after chemotherapy in the adjuvant setting, improves
disease-free and overall survival and thus increases the cure rate of local or locally advanced breast cancer.
Introduction
Initialement, les anticorps monoclonaux étaient
essentiellement utilisés en oncologie dans le traitement des leucémies et des lymphomes. Aujourd’hui, ils occupent également une place de plus
en plus importante dans le traitement de certaines
tumeurs solides, surtout en association avec les
chimiothérapies usuelles. L’association anticorps
monoclonaux plus chimiothérapie permet d’améliorer les taux de réponse, d’allonger l’intervalle libre avant la reprise de la progression de la maladie et, dans certaines situations, de prolonger la
survie par rapport aux monothérapies respectives.
Le but de cet article est de donner un aperçu du
champ d’application clinique, de l’efficacité et des
effets indésirables des principaux anticorps utilisés
aujourd’hui en oncologie. La présente revue se limitera aux anticorps actuellement enregistrés et/ou
souvent utilisés en Suisse, c’est-à-dire à sept anticorps monoclonaux, dont certains trouvent des indications dans diverses entités tumorales (tab. 1 p).
Contexte
L’effet thérapeutique d’un anticorps monoclonal
est déterminé par sa spécificité, son affinité et son
immunogénicité (cf. aussi l’article «Les anticorps
monoclonaux en tant que substances thérapeutiques», Forum Med Suisse no 8/2008). Dans le cas
des immunoconjugués (anticorps conjugués), la
toxine sélectionnée ou le radionucléotide retenu –
avec la qualité du rayonnement qu’il émet et la
stabilité de sa liaison – est par ailleurs d’une importance décisive. La localisation et l’expression
de l’antigène cible sont évidemment essentielles
pour qu’un anticorps puisse facilement atteindre
ce dernier. L’efficacité d’un anticorps cytotoxique
dépend de plus des caractéristiques de la tumeur,
en particulier du taux de prolifération, du volume,
de la vascularisation régionale et de l’accessibilité
(par ex. pression intratumorale). Les compartiments hématologiques et lymphatiques fournissent à cet égard des conditions idéales, en raison
de la pression interstitielle basse qui y règne et de
leur meilleure accessibilité intra- et extravasale.
CD20
Le CD20 est une phosphoprotéine membranaire
exprimée avec une forte densité à la surface des
Vous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article à la page 155 ou sur internet sous www.smf-cme.ch.
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( Other monoclonal antibodies interfere with central signalling pathways that
are important for tumourgenesis of different cancers, and hence antibodies such
as cetuximab (anti-EGFR) and bevacizumab (anti-VEGF) are efficacious in various cancer types. Randomised trials currently support the use of bevacizumab
in addition to standard chemotherapy in metastatic colorectal cancer, renal carcinoma, breast cancer and non-small-cell lung cancer. Ongoing trials in other
cancer types are expected to widen the indication for bevacizumab and probably also for cetuximab.
( Expansion of the indications for monoclonal antibodies will definitely result
in higher costs, since the addition of most monoclonal antibodies to standard
therapy currently increases monthly treatment costs by CHF 4000–8000.
( The monoclonal antibodies in present use still have murine amino acid
sequences that may be recognised by the patient’s immune system and trigger
allergic reactions during and after infusion. In addition, all monoclonal antibodies will cause characteristic side effects that can be explained by the expression pattern and function of the target antigen (Table 2).
lymphocytes B matures et des pré-B normaux et
malins. Le CD20 ne se retrouve en revanche pas
sur les plasmocytes matures producteurs d’anticorps. Le CD20 joue un rôle dans l’activation, la
prolifération et la différenciation des cellules B.
En fonction de leur cellule souche, plus de 90%
des lymphomes non hodgkiniens à cellules B expriment le CD20.
Le rituximab (Mabthera®) est un anticorps monoclonal non conjugué chimérique dirigé contre le
CD20 qui joue un rôle important dans le traitement des formes aussi bien indolentes qu’agressives de lymphomes. Dans les lymphomes folliculaires, le rituximab s’est avéré efficace aussi
bien dans le traitement de première ligne que dans
les récidives. Chez les patients souffrant d’un
lymphome folliculaire non traité, on constate des
taux de réponse atteignant 70%, dont 30% de rémissions complètes. Chez les patients déjà traités
préalablement, on décrit des taux de réponse de
l’ordre de 50% avec une durée de rémission allant
jusqu’à douze mois [1].
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Des effets synergiques ont été documentés dans
les associations avec des cytostatiques, et de nombreuses études ont mis en évidence une amélioration très nette des taux de réponse et des durées
de rémission grâce à l’immuno-chimiothérapie
combinée avec le rituximab. Comme le lymphome
folliculaire est une maladie incurable, la question
du traitement d’entretien pour tenter de prolonger
le délai avant la reprise de la progression tumorale revêt un intérêt clinique particulier. Plusieurs
travaux ont montré que le traitement d’entretien
par le rituximab tous les deux à trois mois durant
un à deux ans allonge significativement la durée
des rémissions et la survie globale [2]. L’intérêt
d’un traitement d’entretien de plus longue durée
(jusqu’à cinq ans) fait actuellement l’objet d’une
étude du Groupe suisse de recherche clinique sur
le cancer (SAKK).
Dans les lymphomes agressifs, on a trouvé pour
la première fois depuis l’introduction des chimiothérapies combinées CHOP (endoxan, adriblastine, vincristine et prednisone), en 1972, une amélioration de la survie globale par l’association avec
le rituximab. Les résultats publiés en 2002 dans
le New England Journal of Medicine par le groupe
français GELA [3] ont constitué une étape clé dans
le traitement du lymphome et ont mis en évidence
d’une part une amélioration significative du taux
de réponse sous traitement combiné rituximabCHOP versus CHOP seule (76% vs 63%) et d’autre
part un allongement significatif à deux ans de l’intervalle libre sans progression de la maladie et de
la survie globale (70% vs 57%). Les données actuelles sur le follow-up à sept ans confirment cet
avantage en faveur du traitement combiné.
Dans les lymphomes non folliculaires à faible degré de malignité, ainsi que dans la leucémie lymphatique chronique, les taux de réponses au rituximab en monothérapie sont nettement plus
mauvais. Il est possible que cela soit dû à une expression moins forte du CD20 sur les cellules lym-
Tableau 1. Aperçu des anticorps utilisés en oncologie et actuellement enregistrés en Suisse.
Anticorps
Cible
Expression
Indication principale
Rituximab
(Mabthera®)
CD20
Lymphocytes B
Lymphome non-hodgkinien
Trastuzumab
(Herceptin®)
HER-2neu
Différents tissus,
notamment le myocarde
Cancer du sein
Gemtuzumab Ozogamicin
(Mylotarg®)2
CD33
Cellules immatures
de la lignée myéloïde
Leucémie myéloïde aiguë
Alemtuzumab
MabCampath®)
CD52
Lymphocytes B et T
Leucémie lymphatique chronique
Cétuximab
(Erbitux®)
EGFR-1
Différents tissus,
notamment la peau
Cancer du côlon
Tumeurs ORL
Bévacizumab
(Avastin®)
VEGF
Cellules endothéliales
Cancer du côlon
Hypernéphrome (carcinome du rein)1
Cancer du sein1
Carcinome bronchique non à petites cellules1
Yttrium-90 IbritumomabTiuxetan (Zevalin®)
1
2
Il existe dans ces indications des données positives provenant d’essais randomisés de phase III, mais le médicament
n’est pas encore enregistré dans cette indication particulière.
Non enregistré en Suisse.
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phatiques matures de la LLC. Dans le lymphome
à cellules du manteau, la combinaison du rituximab
avec la chimiothérapie (CHOP) permet d’obtenir
un meilleur taux de réponse, mais un allongement
de la survie n’a pas pu être documenté à ce jour.
Les effets indésirables les plus fréquents du rituximab sont les réactions dues à la perfusion, telles
qu’état fébrile et frissons (tab. 2 p). Il s’agit le
plus souvent de réactions autolimitées, qui s’estompent rapidement à l’arrêt de la perfusion ou
au ralentissement de la vitesse de cette dernière
ainsi que sous l’effet des mesures de soutien, tels
les stéroïdes, les antihistaminiques et le paracétamol. Des réactions sévères, s’accompagnant
d’un bronchospasme, d’une hypotension et d’un
angioœdème s’observent dans environ 2% des
cas, en général après la première perfusion. Chez
les patients ayant un nombre de leucocytes élevé,
on peut être confronté à un syndrome de type
cytokine-release avec état fébrile et frissons – éventuellement suite à une agglutination initiale des
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cellules lymphomateuses dans le foie, la rate et le
poumon. Une anxiété, une agitation, des arythmies
cardiaques, une dyspnée et des douleurs musculaires ont également été rapportées. Il est d’usage
d’administrer du paracétamol et un antihistaminique avant la perfusion dans le but de prévenir
ces effets indésirables allergiques. Lors de la première perfusion, on augmente normalement la
vitesse de perfusion de manière très progressive
et le patient est en général gardé sous surveillance durant cette phase initiale. En l’absence de
complications allergiques, les perfusions suivantes
pourront être administrées en ambulatoire avec
un débit accéléré.
Bien que le rituximab s’accompagne d’une déplétion des cellules B (malignes et saines), le traitement
est dans l’ensemble bien toléré, et on n’observe
que peu d’infections cliniquement manifestes,
même lors des traitements de longue durée.
Le tositumomab et l’ibritumomab sont également
des anticorps dirigés contre le CD20 et conjugués
Tableau 2. Effets indésirables les plus fréquents/les plus importants.
Anticorps
Effets indésirables
Prévention
Traitement
Rituximab
(Mabthera®)
Etat fébrile, frissons,
hypotension, hypertension,
dyspnée
Paracétamol 1 g p.o.
Arrêt momentané de la perfusion,
ralentissement de la vitesse de perfusion
Etat fébrile, frissons,
cardiotoxicité
Eventuellement paracétamol 1 g p.o.
Trastuzumab
(Herceptin®)
Clémastine 2 mg i.v.
Administration de la 1re perfusion en milieu
hospitalier
Pas d’administration simultanée
d’anthracyclines
Arrêt momentané de la perfusion,
ralentissement de la vitesse de perfusion,
inhibiteurs de l’ECA et/ou bêtabloquants
Echocardiographie initiale comme examen
de référence, puis au cours de l’évolution
Paracétamol 1 g p.o.
Gemtuzumab
Ozogamicin
(Mylotarg®)
Etat fébrile, frissons,
frissons
hypotension, dyspnée
Alemtuzumab
(MabCampath®)
Etat fébrile, nausées, urticaire,
hypotonie
hypotonie
Paracétamol 1 g p.o.
Clémastine 4
4 mg
mg i.v.
i.v.
Clémastine
Infections
Méthylprednisolone 125 mg i.v.
Triméthoprime/sulfaméthoxazole
Triméthoprime/sulfaméthoxazole 2x
2x par
par jour
jour
Clémastine 4 mg i.v.
Arrêt momentané de la perfusion,
ralentissement de la vitesse de perfusion
Méthylprednisolone 125 mg i.v.
Arrêt momentané de la perfusion,
ralentissement de la vitesse de perfusion
Traitement antimicrobien tenant compte
des résistances
résistances
des
3x par semaine1
Famciclovir 250 mg 2x par jour1
Cétuximab
(Erbitux®)
Arrêt momentané de la perfusion,
ralentissement de la vitesse de perfusion
Hypotension, urticaire
Clémastine 2 mg i.v
Troubles cutanés/sous-cutanés
Huiles de bains et de douches
Substances
Substances regraissantes
regraissantes
Hypertension artérielle
Mesure de la protéinurie initiale comme valeur
de référence, puis au cours de l’évolution
Traitement antihypertenseur
Prudence lors de l’administration d’anticoagulants oraux/faire une pause thérapeutique en
périodes péri-opératoires
Arrêt du traitement en cas de thromboembolies
artérielles
Exanthème acnéiforme:
selon le degré de sévérité locale, administration de
médicaments à base de métronidazole ou
d’érythromycine; corticostéroïdes topiques de courte
durée; tétracyclines per os; arrêt du traitement
uniquement en cas de toxicité de grade III ou plus2
Prurit: antihistaminiques
Bévacizumab
(Avastin®)
Protéinurie, épistaxis, tendance
aux saignements
Evénements
thromboemboliques
1
2
3
Arrêt du traitement en cas de protéinurie de grade IV3
La prophylaxie devrait être initiée durant le traitement de MabCampath et poursuivie après l’arrêt de ce dernier jusqu’à ce que le nombre de CD4+ soit parvenu à
au moins 200 cellules/µl. Si la détermination des CD4+ n’est pas possible, on poursuivra la prophylaxie des infections durant quatre mois. Il n’est pas nécessaire
d’arrêter le traitement en cas d’infection opportuniste pendant la thérapie.
Eruption cutanée douloureuse, excoriation et ulcération.
Syndrome néphrotique.
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avec des radioisotopes, ce qui permet une irradiation ciblée des cellules tumorales (radioimmunothérapie). L’yttrium-90 (ibritumomab tiuxétan,
Zevalin®), qui émet un rayonnement bêta dont la
demi-vie est de 64 heures et qui est fixé sur l’ibritumomab, un anticorps monoclonal murin pur, permet d’obtenir de meilleurs taux de réponse chez les
patients atteints d’un lymphome CD20-positif (80
vs 56%) par rapport aux anticorps non conjugués.
La fixation d’iode 131 à l’anticorps anti-CD20 murin, le tositumomab (131-I-tositumomab, Bexxar®),
constitue un autre axe de développement. La réponse est comparable à celle obtenue avec Zevalin®. Les principaux inconvénients des substances
marquées à l’iode radioactif sont leur demi-vie
plus longue, puisqu’elle est d’environ huit jours,
et le fait qu’ils émettent un rayonnement gamma
délivrant une dose locale moins élevée. Kaminski
et al. [4] ont trouvé chez des patients avec un lymphome folliculaire non traité un taux de réponse
atteignant 95% pour le traitement avec Bexxar®.
Zevalin® peut être administré ambulatoirement,
car la proportion de radionucléotide fixé à l’anticorps implique que la substance n’est pratiquement pas éliminée dans l’urine. Un traitement de
Bexxar® (qui n’est pas enregistré en Suisse) doit
par contre être réalisé en milieu hospitalier en raison de sa demi-vie relativement longue.
Vu la profondeur de pénétration des rayons bêta
émis par l’ibritumomab tiuxétan (Zevalin®), les cellules tumorales antigène-négatives se trouvant à
proximité des anticorps fixés à la tumeur sont également exposées aux radiations. Ceci peut être un
avantage dans les tumeurs hétérogènes ou les tumeurs volumineuses mal vascularisées. Il va sans
dire que des cellules non malignes situées au voisinage sont elles aussi soumises au rayonnement radioactif. Le principal effet indésirable est par conséquent la myélotoxicité, raison pour laquelle le traitement d’un lymphome CD20+ est contre-indiqué
en cas d’infiltration médullaire supérieure à 25%.
HER-2/neu / EGFR-2
L’antigène HER-2/neu est un récepteur transmembranaire de divers facteurs de croissance qui est
exprimé dans différents tissus, notamment le
myocarde. 25 à 35% des cancers du sein s’accompagnent d’une surexpression du HER-2/neu,
surexpression qui est associée à une croissance
tumorale agressive et à un pronostic défavorable.
Le trastuzumab (Herceptin®) est un anticorps monoclonal humanisé, qui bloque d’une part la transduction de signaux vers le noyau, inhibant ainsi
l’activité du gène, et qui régule d’autre part le récepteur HER-2 vers le bas.
La condition nécessaire à l’utilisation clinique
d’Herceptin est la mise en évidence par immunohistochimie d’une expression accrue du HER-2/
neu à la surface des cellules tumorales (grade III).
En cas d’expression intermédiaire (grade II à l’examen immunohistochimique), on effectue en plus
une analyse FISH pour rechercher une amplification du gène. Le status HER-2/neu a donc, comme
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évoqué ci-dessus, une valeur pronostique dans le
cancer du sein. Une surexpression est de plus un
facteur prédictif de la réponse au traitement par
Herceptin®.
Son efficacité dans le cancer mammaire métastatique a été démontrée par plusieurs essais de phases III, tant en monothérapie que dans le cadre
d’un traitement adjuvant en combinaison avec des
cytostatiques, tels que la vinorelbine (Navelbine®),
le paclitaxel (Taxol®) et le docétaxel (Taxotere®).
Combiné à l’une des chimiothérapies mentionnées
précédemment, Herceptin® améliore les taux de
réponse et prolonge la durée des rémissions par
rapport à la chimiothérapie seule. Le traitement
combiné est clairement supérieur à la chimiothérapie seule et à la monothérapie d’Herceptin® [5].
Quatre grandes études ont examiné les effets d’un
traitement adjuvant d’Herceptin® dans le cancer
du sein (NSABP 31, NCCTG- N 9831, BCIRG 006,
HERA). Elles indiquent toutes un allongement significatif de la durée de l’intervalle libre sans progression de la maladie ainsi que de la survie à deux
ans. L’enregistrement d’Herceptin® comme traitement adjuvant durant un an a été obtenu suite aux
résultats intermédiaires de l’étude HERA [6].
Les effets indésirables aigus d’Herceptin® incluent de possibles réactions aux perfusions, par
exemple état fébrile et frissons (tab. 2). Comme
le récepteur HER-2/neu est également exprimé
sur les cellules du myocarde, la toxicité cardiaque
constitue un effet indésirable potentiel sérieux de
ce médicament. L’incidence de l’insuffisance cardiaque sous monothérapie d’Herceptin® est de l’ordre de 1,4%. Une dysfonction cardiaque symptomatique ou asymptomatique en association avec
le paclitaxel (Taxol®) s’observe chez 13% des sujets. Ce chiffre passe à 27% dans les associations
avec les anthracyclines. La combinaison des anthracyclines cardiotoxiques avec Herceptin® est
par conséquent contre-indiquée. La cardiotoxicité induite par Herceptin® est toutefois en général réversible après l’arrêt du médicament.
CD33
Le CD33 est exprimé à la surface des cellules blastiques leucémiques et des cellules normales immatures de la lignée myéloïde. La fonction du CD33
n’est pas connue.
Le gemtuzumab ozogamizine (Mylotarg®) est un
anticorps recombinant humanisé, conjugué à un
cytostatique (calichéamicine), dont l’objectif est la
destruction des cellules CD33-positives.
Le gemtuzumab est utilisé dans le traitement de
la leucémie myéloïde aiguë récidivante. Une rémission complète est obtenue dans 30% des cas.
Comme certaines cellules souches hématopoïétiques saines expriment également le CD33, le
traitement induit une myélosuppression sévère
(tab. 2). 15% des patients présentent une augmentation des tests hépatiques et des cas de maladie
veino-occlusive du foie (VOD – veno-occlusive liver
disease) ont de plus été décrits. Comme avec tous
les anticorps recombinants, on peut être confronté
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à des effets indésirables dus à la perfusion, en particulier des états fébriles, des frissons, une hypotension et/ou des arthralgies. Cet anticorps n’étant
pas enregistré en Suisse, un accord sur les coûts
doit être demandé avant le début du traitement
auprès de la caisse maladie ainsi qu’une autorisation auprès de Swissmedic.
CD52
Le CD52 est exprimé aussi bien sur les lymphocytes T que sur les lymphocytes B. On le trouve
avec une densité particulièrement élevée sur les
cellules matures de la leucémie lymphatique
chronique. La fonction du CD52 n’est pas connue.
L’alemtuzumab (Mabcampath®) est un anticorps
monoclonal humanisé dirigé contre le CD52. Sa
fixation au CD52 déclenche une réaction cytotoxique passant à la fois par le complément et par
la voie cellulaire.
L’alemtuzumab est approuvé pour le traitement
de la leucémie lymphatique chronique récidivante après thérapie préalable par la fludarabine. Dans l’étude d’enregistrement [8], le taux
de rémission était de 33%. D’autres travaux ont
trouvé un intervalle libre avant la reprise de la
progression tumorale allant jusqu’à 9,5 mois.
L’alemtuzumab est aussi efficace dans la forme
rare de leucémie à pro-lymphocytes T, dans les
lymphomes cutanés à cellules T et dans le mycosis fungoïde. Plusieurs essais cliniques testent à
l’heure actuelle les effets de l’alemtuzumab en
combinaison avec la chimiothérapie dans les
lymphomes périphériques à cellules T.
On évoquera parmi les effets indésirables les
réactions allergiques, les états fébriles, les urticaires ou les troubles psychiatriques, ainsi que la
suppression médullaire avec lymphopénie et risque accru d’infections par des germes opportunistes (tab. 2). La déplétion en cellules T CD4+ peut
durer des mois, ce qui entraîne en particulier une
augmentation du risque de réactivation d’un CMV.
Il existe aussi un risque augmenté d’infections à
Pneumocystis irovecii, aux virus de l’herpès et à
aspergillus. C’est la raison pour laquelle un contrôle
étroit des patients et l’usage préventif d’agents
anti-infectieux sont indiqués (triméthoprime/sulfaméthoxazol trois fois par semaine plus un antiherpétique, par exemple le famciclovir 250 mg
deux fois par jour).
EGFR-1
L’EGFR-1 appartient à la famille des récepteurs des
facteurs de croissance HER. Ce récepteur, exprimé
dans différents tissus, notamment la peau et les
muqueuses, joue un rôle central dans la régulation
de la croissance et de la différenciation. De nombreuses tumeurs épithéliales sont caractérisées par
un renforcement du signal EGFR, qui est partiellement responsable de la croissance tumorale.
Le cétuximab (Erbitux®) est un anticorps monoclonal chimérique contre la partie extracellulaire
du récepteur EGFR. Les tumeurs de la région ORL,
les cancers du côlon et du rectum, ainsi que les
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cancers bronchiques non à petites cellules sont caractérisées par une expression relativement forte de
l’EGFR.
Dans le cancer métastatique du côlon déjà prétraité, le cétuximab en monothérapie n’est efficace
que dans une mesure limitée, avec un taux de réponse de l’ordre de 10%. La combinaison avec une
chimiothérapie incluant de l’irinotécan est plus
efficace: on a ainsi obtenu, chez des patients atteints d’un cancer métastatique du côlon, des taux
de réponse supérieurs à 20% [7]. L’association
irinotécan/cétuximab est aussi partiellement efficace après échec d’un traitement d’irinotécan seul.
On a pu montrer récemment que le cétuximab améliore l’efficacité de la radiothérapie dans les tumeurs ORL à extension locale. La survie médiane
a pu être prolongée de 29 à 49 mois [8].
Les troubles cutanés acnéiformes constituent un
effet indésirable important (fig. 1 x), et on évoquera aussi les diarrhées et l’asthénie (tab. 2). La
toxicité cutanée et muqueuse s’explique bien par
la forte expression de l’EGFR dans ces tissus. Plusieurs études ont montré que l’importance de la
toxicité cutanée est corrélée avec les résultats thérapeutiques.
D’autres anticorps monoclonaux inhibiteurs de
l’EGF (ABX-EGF, panitumumab) sont entièrement
humanisés. Les effets de ces anticorps dans le traitement de première ligne du cancer métastatique du
côlon font actuellement l’objet d’essais de phase III.
VEGF
Les VEGFR-1 et 2 sont également des récepteurs
transmembranaires de la tyrosine kinase, principalement exprimés à la surface des cellules endothéliales. Le VEGF lie les VEGFR-1/2/3 avec une
forte affinité. Le VEGF est un facteur important de
l’angiogenèse tumorale. Le bévacizumab (Avastin®) est un anticorps monoclonal recombinant
humanisé, neutralisant le VEGF et conduisant à
une inhibition de la néoformation vasculaire. Plusieurs essais précliniques ont par ailleurs montré
qu’il a non seulement un effet anti-angiogénique
Figure 1
Exanthème acnéiforme suite au traitement avec cetuximab.
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direct, mais encore qu’il améliore la distribution
locale des substances chimiothérapeutiques en
lésant la vascularisation tumorale, et qu’il réduit
la pression interstitielle qui est normalement élevée dans le tissu tumoral.
Le premier essai de phase III ayant démontré l’efficacité de l’inhibition de l’angiogenèse dans le
cancer colorectal a été publié en 2004 par Hurwitz et al. [9]. Les auteurs ont pu montrer, chez plus
de 800 patients, que le bévacizumab (5 mg/kg
tous les 14 jours) en adjuvant à la chimiothérapie
(irinotécan/5-fluorouracil/leucovorine) entraîne,
chez les patients avec un cancer du côlon métastatique, une amélioration significative des taux
de réponse (44,8 versus 34,8%, p = 0,004), ainsi
qu’un allongement de l’intervalle libre sans progression de la maladie et de la survie (10,6 versus 6,2 mois, p <0,001 et 20,3 versus 15,6 mois,
p <0,001). D’autres essais ont suivi avec d’autres
combinaisons chimiothérapeutiques dans le cancer du côlon, par exemple FOLFOX (oxaliplatine,
leucovorine, 5-fluorouracil) en association avec
Avastin®. En résumé, toutes les études de phase III
sur le cancer colorectal métastatique ont trouvé
que le bévacizumab, en combinaison avec la chimiothérapie, améliore le taux de réponse et prolonge la survie sans progression de la maladie.
L’angionéogenèse est une étape essentielle dans
le développement de la plupart des tumeurs solides. Comme on pouvait s’y attendre, le traitement
au bévacizumab paraît être efficace dans divers
types de carcinomes. Au stade métastatique du
cancer bronchique non à petites cellules, le bévacizumab, combiné à une chimiothérapie carboplatine/paclitaxel, prolonge la survie moyenne d’environ deux mois par rapport à la chimiothérapie
seule [10]. Les patients souffrant de carcinomes
épidermoïdes ou présentant des métastases cérébrales avaient été exclus de cette étude en raison de l’augmentation du risque hémorragique.
Le bévacizumab est en passe d’être enregistré en
Suisse dans ces indications.
Références
Correspondance:
Dr Simone A. Farese
Assistenzärztin Medizinische
Onkologie
Inselspital
CH-3010 Bern
[email protected]
1 Maloney D, Grillo-López A, White C, Bodkin D, Schilder R,
Neidhart J, et al. IDEC-C2B8 (Rituximab) Anti-CD20 Monoclonal Antibody Therapy in Patients With Relapsed LowGrade Non-Hodgkin’s Lymphoma. Blood. 1997;90:2188–
95.
2 Michele Ghielmini, Shu-Fang Hsu Schmitz, Sergio B. Cogliatti, Gabriella Pichert, Jörg Hummerjohann, Ursula Waltzer,
et al. Prolonged treatment with rituximab in patients with
follicular lymphoma significantly increases event-free survival and response duration compared with the standard
weekly x 4 schedule. Blood. 2004;103:4416–23.
3 Bertrand Coiffier, Eric Lepage, Josette Brière, Raoul Herbrecht, Hervé Tilly, Reda Bouabdallah, et al. CHOP Chemotherapy plus Rituximab Compared with CHOP Alone in Elderly Patients with Diffuse Large-B-Cell Lymphoma. N Engl J
Med. 2002;346:235–42.
4 Mark S. Kaminski, Melissa Tuck, Judith Estes, Arne Kolstad,
Charles W. Ross, Kenneth Zasadny, et al. I-Tositumomab
Therapy as initial treatment for follicular lymphoma. N Engl J Med. 2005; 352:441–9.
5 Slamon D, Leyland-Jones B, Shak S, Fuchs F, Paton V, Bajamonde A, et al. Use of chemotherapy plus a monoclonal antibody against HER2 for metastatic breast cancer that overexpresses HER2. N Engl J Med. 2001;344:783–92.
Forum Med Suisse 2008;8(9):160–165
Une étude actuellement en cours sous l’égide de
la SAKK (Groupe suisse de recherche clinique sur
le cancer) teste en outre l’efficacité du bévacizumab en combinaison avec l’inhibiteur de la tyrosine kinase erlotinib (Tarceva®) dans le traitement
de première ligne du cancer bronchique non à petites cellules, métastatique.
Une étude randomisée présentée récemment a
d’autre part démontré l’efficacité du bévacizumab en combinaison avec l’interféron-alpha dans
le cancer rénal à cellules claires métastatique. Les
effets du bévacizumab sont par ailleurs examinés
dans le cancer du sein, le cancer de la prostate et
d’autres tumeurs, dont le myélome multiple. Le
bévacizumab semble aussi efficace dans des tumeurs rares, réputées jusqu’ici difficiles à traiter,
telles que les glioblastomes. Dans un essai de
phase II sur le glioblastome récidivant (grade IV
selon l’OMS) et le gliome (grade III), l’association
bévacizumab plus irinotécan a induit un taux de
réponse de 63% après l’échec d’une à deux chimiothérapies. 30% des patients avec un glioblastome
et 56% de ceux avec un gliome de grade III ne présentaient aucun signe de progression à six mois
[11].
Parmi les effets indésirables les plus fréquents,
on a rapporté des cas d’hypertension artérielle et
de protéinurie, une tendance augmentée aux saignements, ainsi que des troubles de la cicatrisation
des plaies et des accidents thromboemboliques
(tab. 2). Il y a aussi un risque légèrement augmenté
de perforation gastro-intestinale. Le RPLS (syndrome de l’encéphalopathie postérieure réversible) représente un effet indésirable extrêmement
rare qui est caractérisé par des céphalées, une léthargie et une cécité ou d’autres troubles neurologiques et visuels.
Compte tenu de la discrète augmentation du risque
de troubles de la cicatrisation, on recommande
de reporter toute chirurgie élective majeure à environ un mois après le dernier cycle de traitement
de bévacizumab.
6 Piccart-Gebhart M, Procter M, Leyland-Jones B, Goldhirsch A,
Untch M, Smith I, et al. Trastuzumab after adjuvant chemotherapy in HER2-positive breast cancer. N Engl J Med. 2005;
353:1659–72.
7 Cunningham D, Humblet Y, Siena S, Khayat D, Bleiberg H,
Santoro A, et al. Cetuximab monotherapy and cetuximab plus
irinotecan in irinotecan-refractory metastatic colorectal
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8 Bonner J, Harari P, Giralt J, Azarnia N, Shin D, Cohen R, et
al. Radiotherapy plus cetuximab for squamous-cell carcinoma of the head and neck. N Engl J Med. 2006;354:567–78.
9 Hurwitz H, Fehrenbacher L, Novotny W, Cartwright T,
Hainsworth J, Heim W, et al. Bevacizumab plus irinotecan,
fluorouracil and leucovorin for metastatic colorectal cancer.
N Engl J Med. 2004;350:2335–42.
10 Sandler A, Gray R, Perry M, Brahmer J, Schiller J, Dowlati A,
et al. Paclitaxel-carboplatin alone or with bevacizumab for
non–small-sell lung cancer. N Engl J Med. 2006;355:2542–50.
11 Vredenburgh J, Desjardins A, Herndon J, Dowell J, Reardon
D, et al. Phase II Trial of bevacizumab and irinotecan in recurrent malignant glioma. Clin Cancer Res. 2007;13(4):
1253–59.
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