la plupart des praticiens et des chercheurs
contemporains s’accordent sur la plasticité
extrême de l’état hypnotique. Une bonne
moitié d’entre eux contestent en outre la
réalité de l’hypnose en tant que phénomène
psychophysiologique ayant des caractéris-
tiques stables et bien définies (6).
Parce qu’il n’accorde pas une importance
extrême à la docilité des patients aux sug-
gestions, l’hypnotisme ericksonien
modèle une forme d’hypnose dans
laquelle la spontanéité du patient est plus
grande, et dans laquelle la suggestibilité
n’est pas spectaculairement augmentée.
Mais l’hypnotisme ericksonien ne répudie
pas la suggestion : il recourt à des formes
épurées et modernisées de celle-ci, qui
sont souvent à la fois indirectes et non
directives : il ne faut pas confondre l’“indi-
rection” et la “non-directivité”. Cette der-
nière ne concerne que le style de la sug-
gestion. Il est possible de faire des
suggestions directes sur un mode non
directif ; par exemple : “Vous allez peut-
être sentir que votre corps est lourd, lourd,
il est possible que vous ayez envie de lais-
ser vos yeux se fermer tout seuls.” Les sug-
gestions de lourdeur des muscles et de fer-
meture “spontanée” des yeux restent
directes, même si le ton de commande-
ment autoritaire a disparu. Mais si l’hyp-
notiste suggère la sensation de lourdeur
des masses musculaires et l’envie de fer-
mer les yeux, c’est parce que ces phéno-
mènes font partie des signes prodromiques
de la relaxation, vaguement apparentée
dans l’expérience vécue à la somnolence.
Son vrai but, c’est de provoquer la relaxa-
tion. Comme dans la technique de Schultz,
on ne suggère pas directement la relaxa-
tion, mais des sensations qui ont de fortes
chances de faciliter la survenue de la
relaxation. Les suggestions dites indi-
rectes sont en fait des suggestions directes
portant sur des phénomènes dont la sur-
venue est susceptible d’entraîner la pro-
duction du résultat réellement recherché
par l’hypnotiste.
L’hypnothérapie ericksonienne
Les formes traditionnelles de l’hypnothé-
rapie accordaient une place centrale à
l’hypnose en raison de son pouvoir d’aug-
mentation de la suggestibilité. C’était évi-
dent dans l’hypnosuggestion classique, où
l’intervention thérapeutique consistait uni-
quement à administrer une suggestion
directe de guérison, d’amélioration, d’anal-
gésie ou de changement de comportement
à un patient préalablement hypnotisé. On
affirme habituellement que l’hypnothéra-
pie ericksonienne prend plus volontiers la
forme des suggestions indirectes. En réa-
lité, l’hypnothérapie ericksonienne n’hé-
site pas à recourir à des suggestions
directes lorsque cela peut être utile, notam-
ment en analgésie médicale ou dentaire, et
il arrive même parfois que la forme de
telles suggestions soit directive. Par
ailleurs, l’utilisation des suggestions indi-
rectes est systématique dans la pratique
ericksonienne de l’hypnotisme, elle est fré-
quente dans la psychothérapie erickso-
nienne non hypnotique, qu’on appelle par-
fois “hypnose sans hypnose”, mais elle est
exceptionnelle dans la pratique proprement
hypnothérapeutique d’Erickson et des
ericksoniens, qui préfèrent le recours aux
suggestions ouvertes (7) dont la forme
typique est la métaphore. Celle-ci prend
le plus souvent la forme d’un récit symbo-
lique qui évoque, sous forme déguisée, une
solution possible au problème auquel le
patient est confronté (8). Par exemple, le
thérapeute raconte longuement à une
patiente boulimique, après l’avoir hypno-
tisée, comment certains oiseaux nourris-
sent leurs petits en régurgitant dans leur
bec, et comment ils cessent de le faire
lorsque le temps est venu pour les oisillons
de se nourrir eux-mêmes (9). En quoi
s’agit-il d’une suggestion ? Le thérapeute
ne suggère rien : il se contente d’un récit
qui peut signifier – mais pas nécessaire-
ment – que les conduites de régurgitation
ne sont pas sous le contrôle de la volonté,
qu’elles commencent un jour et s’inter-
rompent spontanément un autre jour. Mais
le récit peut également signifier que les
oiseaux sont capables d’arrêter volontai-
rement leurs régurgitations dès qu’elles ne
sont plus utiles. Dans la suggestion
ouverte, c’est le patient qui choisit le sens
du message ambigu qui lui est adressé. Il
entend ce qu’il veut ou ce qu’il peut
entendre. En outre, à la différence des apo-
logues de la rhétorique classique, les méta-
phores ericksoniennes sont destinées à ne
pas être comprises consciemment par leur
destinataire (8). Elles ne s’adressent pas à
la conscience mais à l’inconscient entendu
dans une conception plus proche de Jung
que de Freud, comme un réservoir de res-
sources et comme une sorte de moi pro-
fond qui peut être crédité d’une sagesse
supérieure à celle du moi conscient. D’une
manière générale, les métaphores erickso-
niennes comparent implicitement le pro-
blème que le patient n’arrive pas à résoudre
à une tâche qu’il effectue sans difficulté et
qui nécessite une attitude ou une aptitude
analogues à celles dont il aurait besoin
pour résoudre son problème psychopatho-
logique. La suggestion ouverte peut être
comprise et acceptée par l’inconscient, qui
met alors en œuvre, à l’insu du moi
conscient, la solution suggérée… ou une
autre à laquelle l’hypnothérapeute ne s’at-
tendait pas.
La psychothérapie ericksonienne
non hypnotique, ou l’“l’hypnose
sans hypnose”
Erickson semble avoir souvent utilisé
l’hypnose de façon “informelle”, c’est-à-
dire sans l’annoncer aux patients et par-
fois sans que ces derniers s’en rendent
compte. Il a souvent recouru en outre aux
techniques développées dans le cadre de
l’hypnotisme et de l’hypnothérapie, telles
que la suggestion indirecte et la méta-
phore, dans le cadre d’une psychothéra-
pie prescriptive se passant de l’hypnose.
Il semble en effet qu’Erickson, en dépit
de son intérêt passionné pour l’hypnose,
ne l’ait pas systématiquement utilisée en
mise au point
Mise au point
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 1, janvier 2001
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