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mise au point
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 1, janvier 2001
C’est principalement le
psychiatre américain Mil-
ton H. Erickson (1901-
1980) qui est à l’origine du
renouveau que l’hypnose a
connu outre-Atlantique
depuis une quarantaine
d’années. À en croire cer-
tains auteurs, l’hypnose
ericksonienne serait tota-
lement différente de
l’hypnose traditionnelle,
à laquelle ils l’opposent
point par point. Alors que
l’hypnose traditionnelle
se confondrait avec la suggestion, impli-
querait la soumission et la dépendance du
sujet ou du patient, l’hypnose erickso-
nienne minimiserait le rôle de la sugges-
tion et serait caractérisée par une libéra-
tion de l’inconscient du sujet hypnotisé,
qui deviendrait capable d’initiatives indé-
pendantes de toute suggestion extérieure.
L’hypnose ericksonienne est-elle aussi
radicalement opposée à l’hypnose tradi-
tionnelle que certains de ses tenants l’af-
firment ?
Avant d’aller plus loin, relevons que le
terme “hypnose” est ambigu. Il peut dési-
gner, selon le contexte, trois réalités fort
différentes : la première est un état men-
tal particulier, que les Anglo-Saxons
appellent souvent “transe” ; il serait judi-
cieux de réserver le mot hypnose pour
désigner cet état. Le terme “hypnose”
désigne aussi l’ensemble des procédés
techniques utilisés par le praticien pour
provoquer cet état chez son patient ; on
aurait avantage à utiliser le terme hypno-
tisme pour désigner cette technique.
Enfin, “hypnose” désigne également une
psychothérapie, généralement brève (une
dizaine de séances), dans laquelle l’état
d’hypnose est provoqué pour être utilisé
à des fins thérapeutiques, et qu’il vau-
drait mieux appeler hypnothérapie.
J’emprunte ces distinctions terminolo-
giques au grand spécialiste de la psy-
chologie expérimentale de l’hypnose,
André Weitzenhoffer (1), et j’emprunte à
Thierry Melchior (2) le néologisme hyp-
notiste (calqué sur l’anglais hypnotist)
pour distinguer les scientifiques spécia-
listes de l’hypnotisme des hypnotiseurs
de spectacle. Ces précisions terminolo-
giques vont nous aider à mieux évaluer
l’originalité d’Erickson aux trois niveaux
pertinents : en tant que théoricien de
l’hypnose, en tant qu’hypnotiste et en tant
qu’hypnothérapeute.
L’originalité de la conception erick-
sonienne de l’hypnose est très probable-
ment liée aux particulari-
tés personnelles de Mil-
ton Erickson. Paralysé
pendant son adolescence
en raison d’une polio-
myélite, il s’est absorbé
dans des états mentaux
particuliers, au cours des-
quels il imaginait inten-
sément les mouvements
qu’il ne pouvait plus
effectuer.
Lorsqu’une certaine
motricité lui est revenue,
il a pensé que c’était un
effet de cette motricité imaginée qu’il a
considérée, sans doute à juste titre,
comme une forme d’autohypnose.
Telle serait l’origine d’un intérêt pour
l’hypnose qui était déjà très prononcé,
alors que le jeune Erickson était encore
étudiant (3).
La conception
ericksonienne de l’hypnose
Erickson était totalement convaincu à la
fois de l’existence d’un état hypnotique
sui generis et du caractère naturel, spon-
tané, banal et familier de cet état. Il pen-
sait que l’hypnose n’était qu’une accen-
tuation des phénomènes spontanés
d’absorption dans une rêverie, qui sur-
viennent fréquemment chez la plupart
des personnes. Qu’il m’arrive pendant
une réunion de penser à quelque chose de
préoccupant ou d’intéressant, et voici que
j’abstrais mon attention de ce qui se fait
et se dit autour de moi. En un certain sens,
je continue de le percevoir : qu’on aborde
un sujet qui m’importe ou m’intéresse et
je “reviens sur terre” instantanément.
Mais je risque de ne pas avoir enregistré
Le renouveau récent de l’hypnose clinique s’accompagne
souvent d’une volonté d’opposer radicalement la nou-
velle hypnose ericksonienne à l’hypnotisme médical tradi-
tionnel. Au-delà de l’aspect excessif de telles affirmations,
on s’efforce ici de préciser quels sont réellement les princi-
paux traits distinctifs de l’hypnose telle qu’elle est conçue et
utilisée par le courant ericksonien : relative séparation des
notions d’hypnose et de suggestion, utilisation préférentielle
des suggestions indirectes et des suggestions ouvertes,
“hypnose sans hypnose”.
* Professeur de psychologie clinique à
l’université de Paris X-Nanterre, ancien
vice-président de l’Institut Milton Erickson
de Paris, membre du Groupement pour
l’étude des applications médicales de
l’hypnose (GEAMH).
Mise au point
L’hypnose ericksonienne :
mythes et réalités
J.M. Petot*
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ce qui s’est dit pendant cette sorte
d’“absence”. Cette expérience illustre ce
qu’Erickson appelle la “transe com-
mune”, ou “transe quotidienne” (every-
day trance) (4). Comme ces absences
arrivent fréquemment aux passagers des
transports en commun et même aux
conducteurs de véhicules qui, sur un tra-
jet familier, conduisent parfois de façon
automatique, non consciente, on parle
également d’“hypnose des autoroutes”
(highway hypnosis). L’hypnose n’est aux
yeux d’Erickson que l’approfondisse-
ment et la stabilisation de cette “transe
commune”. Cette transformation est faci-
litée par l’intervention d’un hypnotiste
qui accompagne, encourage et relance le
double mouvement de concentration et
d’absorption dans l’imaginaire et de
retrait d’attention aux afférences percep-
tives. Cette conception de l’hypnose
n’exclut pas la suggestion, mais elle ne
lui reconnaît pas la place centrale que lui
attribuaient les théories antérieures. Les
suggestions de l’hypnotiste facilitent
l’approfondissement de la transe com-
mune en transe hypnotique ; la suggesti-
bilité augmente chez la plupart des per-
sonnes lorsqu’elles sont hypnotisées.
Mais il s’agit pour Erickson d’un aspect
contingent de la transe, qui peut faire
défaut, et non d’un phénomène central
constituant l’essence même de l’hypnose.
L’hypnotisme ericksonien
Cette conception originale de l’hypnose
entraîne un hypnotisme nouveau, carac-
térisé par sa souplesse et par la variété des
procédés utilisés pour induire l’état
d’hypnose chez les patients (4). L’hyp-
notisme thérapeutique traditionnel utili-
sait des formules passe-partout que les
praticiens connaissaient par cœur et réci-
taient à leurs patients, dans lesquelles
l’injonction de “dormir” était presque
toujours présente et le plus souvent répé-
tée avec insistance. L’hypnotisme scien-
tifique contemporain procède encore
ainsi pour des raisons de standardisation
des conditions d’expérimentation. Une
telle méthode s’accompagne souvent
d’un style autoritaire, lié au fait que la
plupart des “hypnotistes” pensent que
l’hypnose est un état essentiellement pas-
sif, qui entretient un rapport de consub-
stantialité avec la suggestion, elle-même
conçue en termes de soumission du
sujet aux injonctions de l’hypnotiste.
Les hypnotistes ont longtemps cru que cet
état mental était une forme de sommeil,
jusqu’à ce que les progrès de l’électro-
physiologie montrent que l’hypnose est
un état de veille calme (5). Pour Erickson,
l’hypnose tient plus du rêve au sens large,
incluant le rêve éveillé, que du sommeil.
Dès le début, il a cherché à développer
des méthodes d’hypnotisation fondées
sur l’encouragement de l’évocation
d’images mentales, qu’elles soient ima-
ginaires ou remémorées. En demandant
aux sujets de se souvenir d’une expé-
rience agréable ou intéressante, en lais-
sant revenir les moindres détails, il faci-
litait la survenue d’une absorption dans
le souvenir accompagnée d’une diminu-
tion de l’attention portée à l’environne-
ment présent. Lorsque des “phénomènes
hypnotiques” (généralement moteurs ou
sensoriels : fixité du regard, catalepsie
partielle ou totale, mouvement “involon-
taire” d’un bras ou d’une main, halluci-
nation auditive, kinesthésique ou cœnes-
thésique) commençaient à se manifester,
il les “ratifiait” en les décrivant et en pro-
diguant ses encouragements. Une
variante de cette méthode, qui estompe
les limites entre la réalité rêvée et la réa-
lité perçue, consiste à demander au sujet
de se concentrer sur un organe ou une
fonction physiologique et à induire l’hyp-
nose en suscitant, par des suggestions
indirectes, la production automatique et
involontaire d’un phénomène dont la sur-
venue surprend le sujet et le convainc
qu’il se trouve dans un état mental parti-
culier. Les hypnotistes ericksoniens
veillent à toujours travailler “sur mesure”,
à s’adapter aussi finement que possible
aux réactions individuelles de leurs
patients. Passionné par l’exploration des
phénomènes hypnotiques, Erickson avait
fini par penser que tout être humain pos-
sède les ressources intérieures lui per-
mettant d’entrer en hypnose, et donc que
tout un chacun est hypnotisable à condi-
tion que le praticien sache trouver et
mobiliser ces ressources. Cette convic-
tion féconde s’est malheureusement
dégradée chez certains épigones en un
dogme déraisonnable selon lequel tout le
monde est hypnotisable à condition d’uti-
liser les techniques ericksoniennes sup-
posées infiniment supérieures aux tech-
niques traditionnelles.
Existe-t-il une hypnose
ericksonienne ?
La conception ericksonienne de l’hyp-
nose diffère donc de la conception tradi-
tionnelle. Mais on peut également consta-
ter que l’hypnose ericksonienne diffère
réellement de l’hypnose traditionnelle, je
veux dire que l’état d’hypnose induit par
l’hypnotisme ericksonien présente cer-
taines différences avec l’état induit par
l’hypnotisme traditionnel. Parce que
l’hypnotisme ericksonien est beaucoup
moins ouvertement directif, plus centré
sur l’expérience intérieure des patients et
fait appel à des ressources intérieures
inconscientes, il modèle un état hypno-
tique plus indépendant et en un certain
sens plus actif, dans lequel le patient se
sent autorisé à s’absorber dans des rêve-
ries ou des souvenirs spontanés, à oublier
l’hypnotiste et à ne pas obéir à des sug-
gestions. La suggestibilité est donc moins
évidente que dans les états hypnotiques
induits selon des techniques tradition-
nelles. On pourrait s’en étonner : si l’hyp-
nose était un état psychophysiologique
bien défini, possédant une signature
électrophysiologique spécifique, comme
le sommeil lent ou le sommeil para-
doxal, on ne voit pas pourquoi la manière
dont il est déclenché affecterait ses pro-
priétés intrinsèques. Mais précisément,
mise au point
Mise au point
la plupart des praticiens et des chercheurs
contemporains s’accordent sur la plasticité
extrême de l’état hypnotique. Une bonne
moitié d’entre eux contestent en outre la
réalité de l’hypnose en tant que phénomène
psychophysiologique ayant des caractéris-
tiques stables et bien définies (6).
Parce qu’il n’accorde pas une importance
extrême à la docilité des patients aux sug-
gestions, l’hypnotisme ericksonien
modèle une forme d’hypnose dans
laquelle la spontanéité du patient est plus
grande, et dans laquelle la suggestibilité
n’est pas spectaculairement augmentée.
Mais l’hypnotisme ericksonien ne répudie
pas la suggestion : il recourt à des formes
épurées et modernisées de celle-ci, qui
sont souvent à la fois indirectes et non
directives : il ne faut pas confondre l’“indi-
rection” et la “non-directivité”. Cette der-
nière ne concerne que le style de la sug-
gestion. Il est possible de faire des
suggestions directes sur un mode non
directif ; par exemple : “Vous allez peut-
être sentir que votre corps est lourd, lourd,
il est possible que vous ayez envie de lais-
ser vos yeux se fermer tout seuls.” Les sug-
gestions de lourdeur des muscles et de fer-
meture “spontanée” des yeux restent
directes, même si le ton de commande-
ment autoritaire a disparu. Mais si l’hyp-
notiste suggère la sensation de lourdeur
des masses musculaires et l’envie de fer-
mer les yeux, c’est parce que ces phéno-
mènes font partie des signes prodromiques
de la relaxation, vaguement apparentée
dans l’expérience vécue à la somnolence.
Son vrai but, c’est de provoquer la relaxa-
tion. Comme dans la technique de Schultz,
on ne suggère pas directement la relaxa-
tion, mais des sensations qui ont de fortes
chances de faciliter la survenue de la
relaxation. Les suggestions dites indi-
rectes sont en fait des suggestions directes
portant sur des phénomènes dont la sur-
venue est susceptible d’entraîner la pro-
duction du résultat réellement recherché
par l’hypnotiste.
L’hypnothérapie ericksonienne
Les formes traditionnelles de l’hypnothé-
rapie accordaient une place centrale à
l’hypnose en raison de son pouvoir d’aug-
mentation de la suggestibilité. C’était évi-
dent dans l’hypnosuggestion classique, où
l’intervention thérapeutique consistait uni-
quement à administrer une suggestion
directe de guérison, d’amélioration, d’anal-
gésie ou de changement de comportement
à un patient préalablement hypnotisé. On
affirme habituellement que l’hypnothéra-
pie ericksonienne prend plus volontiers la
forme des suggestions indirectes. En réa-
lité, l’hypnothérapie ericksonienne n’hé-
site pas à recourir à des suggestions
directes lorsque cela peut être utile, notam-
ment en analgésie médicale ou dentaire, et
il arrive même parfois que la forme de
telles suggestions soit directive. Par
ailleurs, l’utilisation des suggestions indi-
rectes est systématique dans la pratique
ericksonienne de l’hypnotisme, elle est fré-
quente dans la psychothérapie erickso-
nienne non hypnotique, qu’on appelle par-
fois “hypnose sans hypnose”, mais elle est
exceptionnelle dans la pratique proprement
hypnothérapeutique d’Erickson et des
ericksoniens, qui préfèrent le recours aux
suggestions ouvertes (7) dont la forme
typique est la métaphore. Celle-ci prend
le plus souvent la forme d’un récit symbo-
lique qui évoque, sous forme déguisée, une
solution possible au problème auquel le
patient est confronté (8). Par exemple, le
thérapeute raconte longuement à une
patiente boulimique, après l’avoir hypno-
tisée, comment certains oiseaux nourris-
sent leurs petits en régurgitant dans leur
bec, et comment ils cessent de le faire
lorsque le temps est venu pour les oisillons
de se nourrir eux-mêmes (9). En quoi
s’agit-il d’une suggestion ? Le thérapeute
ne suggère rien : il se contente d’un récit
qui peut signifier – mais pas nécessaire-
ment – que les conduites de régurgitation
ne sont pas sous le contrôle de la volonté,
qu’elles commencent un jour et s’inter-
rompent spontanément un autre jour. Mais
le récit peut également signifier que les
oiseaux sont capables d’arrêter volontai-
rement leurs régurgitations dès qu’elles ne
sont plus utiles. Dans la suggestion
ouverte, c’est le patient qui choisit le sens
du message ambigu qui lui est adressé. Il
entend ce qu’il veut ou ce qu’il peut
entendre. En outre, à la différence des apo-
logues de la rhétorique classique, les méta-
phores ericksoniennes sont destinées à ne
pas être comprises consciemment par leur
destinataire (8). Elles ne s’adressent pas à
la conscience mais à l’inconscient entendu
dans une conception plus proche de Jung
que de Freud, comme un réservoir de res-
sources et comme une sorte de moi pro-
fond qui peut être crédité d’une sagesse
supérieure à celle du moi conscient. D’une
manière générale, les métaphores erickso-
niennes comparent implicitement le pro-
blème que le patient n’arrive pas à résoudre
à une tâche qu’il effectue sans difficulté et
qui nécessite une attitude ou une aptitude
analogues à celles dont il aurait besoin
pour résoudre son problème psychopatho-
logique. La suggestion ouverte peut être
comprise et acceptée par l’inconscient, qui
met alors en œuvre, à l’insu du moi
conscient, la solution suggérée… ou une
autre à laquelle l’hypnothérapeute ne s’at-
tendait pas.
La psychothérapie ericksonienne
non hypnotique, ou l’“l’hypnose
sans hypnose”
Erickson semble avoir souvent utilisé
l’hypnose de façon “informelle”, c’est-à-
dire sans l’annoncer aux patients et par-
fois sans que ces derniers s’en rendent
compte. Il a souvent recouru en outre aux
techniques développées dans le cadre de
l’hypnotisme et de l’hypnothérapie, telles
que la suggestion indirecte et la méta-
phore, dans le cadre d’une psychothéra-
pie prescriptive se passant de l’hypnose.
Il semble en effet qu’Erickson, en dépit
de son intérêt passionné pour l’hypnose,
ne l’ait pas systématiquement utilisée en
mise au point
Mise au point
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 1, janvier 2001
20
pratique clinique : les deux tiers des
patients répertoriés par O’Hanlon et
Hexum (10), qui ont recensé, classé et ana-
lysé la totalité des cas cliniques exposés
dans les écrits d’Erickson, ont été traités
sans hypnose. Ces thérapies consistaient
généralement en la prescription d’une
tâche sans rapport apparent avec le pro-
blème du patient. Cette prescription était
faite après un ou plusieurs entretiens, qui
permettaient à Erickson d’écouter le
patient, de deviner ce qu’il cachait et
d’observer ce que révélaient ses attitudes
et son comportement non verbal. Ces
prescriptions, le plus souvent des sugges-
tions indirectes, ont inspiré Jay Haley et
sont à l’origine des techniques de la thé-
rapie brève du groupe de Palo Alto et de
tout le courant “systémique” qui en
découle. Dans certains cas, la prescription
est remplacée par une véritable manipu-
lation qui nécessite le recours à des com-
pères et à une mise en scène complexe.
Ainsi, un monsieur âgé un peu guindé
vient consulter pour une phobie des
ascenseurs qui date de plusieurs décen-
nies mais devient vraiment gênante depuis
qu’il a du mal à monter des escaliers. Au
cours de l’entretien, Erickson apprend que
son angoisse phobique n’est pas détermi-
née par le simple fait de se trouver dans
une cabine d’ascenseur, mais bien par le
mouvement ascendant de cette cabine. Il
remarque en outre que la dignité du
patient s’accompagne d’une grande
réserve et d’une extrême pruderie, ce qui
lui inspire la mise en scène suivante.
Après s’être assuré de la complicité de la
“liftière”, Erickson amène le patient dans
l’ascenseur d’un immeuble élevé. La
cabine s’arrête entre deux étages et Erick-
son annonce au patient que la jeune et
jolie liftière souhaite l’embrasser, ce que
cette dernière confirme. Submergé par
l’indignation, le patient exige que la lif-
tière remette l’ascenseur en marche. La
scène se reproduit à plusieurs reprises
avec certaines variations, qui ont toutes
en commun d’obtenir le même résultat :
le patient exige que la liftière fasse mon-
ter l’ascenseur. Il s’est donc activement
exposé à la situation phobogène, mais
dans une tentative d’échappement à une
situation qui lui paraissait encore pire. La
mise en scène a la même structure qu’une
suggestion indirecte : le patient est placé
dans une situation qui l’oblige à surmon-
ter l’angoisse phobique. On nous assure
que le symptôme disparut après cet épi-
sode (11). Une des caractéristiques de l’ap-
proche psychothérapeutique d’Erickson est
donc d’utiliser, dans des psychothérapies
qui ne recourent pas à l’hypnose, tout un
ensemble de procédés inspirés des tech-
niques spécifiques qu’il avait développées
dans le cadre de l’hypnotisme et de l’hyp-
nothérapie. C’est sans doute l’aspect le
plus intéressant de ce qu’on a parfois
appelé “l’hypnose sans hypnose” (12) :
l’état hypnotique n’est pas considéré
comme un ingrédient nécessaire de la thé-
rapie, mais on utilise largement les tech-
niques ericksoniennes de l’hypnotisme et
de l’hypnothérapie pour provoquer direc-
tement ou indirectement des comporte-
ments souhaités.
Le principe d’utilisation
et le souci d’efficacité
Cet épisode illustre aussi ce qu’on appelle
souvent l’approche utilisationnelle :
Erickson utilise à des fins thérapeutiques
les particularités, habitudes, traits de
caractère ou attitudes typiques de ses
patients. Dans le cas qu’on vient de citer,
il suscite, grâce à la pruderie du patient,
un besoin chez lui de fuir les avances de
la jeune femme. Le principe d’utilisation
est sans doute le principal apport clinique
de Milton Erickson. Il inspire la plupart
des démarches typiquement erick-
soniennes dans les trois domaines que
sont l’hypnotisme, l’hypnothérapie et la
psychothérapie sans hypnose.
L’hypnotisme ericksonien est-il supérieur
à l’hypnotisme traditionnel ? Aucune
étude contrôlée ne permet de l’affirmer
(13), mais les techniques ericksoniennes
ont progressivement infiltré la pratique
de la plupart des hypnothérapeutes,
même quand ils ne se disent pas erick-
soniens. L’hypnothérapie ericksonienne
est-elle supérieure à l’hypnothérapie tradi-
tionnelle ? Faute de recherches compara-
tives fiables, nul ne peut l’affirmer. Les rares
données disponibles permettent de suppo-
ser que l’efficacité de l’hypnothérapie
ericksonienne diffère peu de celle des
autres thérapies brèves.
Références
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2. Melchior T. Créer le réel. Paris : Seuil, 1998.
3. Malarewicz JA, Godin J, Milton H. Erickson,
de l’hypnose clinique à la psychothérapie straté-
gique. Paris : ESF, 1986.
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7. Erickson MH, Rossi EL. Les formes indirectes
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thérapeutique et d’hypnose ericksoniennes
1994 ; 23 : 4-12.
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Hypnotic Suggestions and Metaphors. New
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10. O’Hanlon WH, Hexum AL. Thérapies hors
du commun (trad. fr.). Bruxelles : Satas, 1998
(édition originale : 1990).
11. Haley J. Un thérapeute hors du commun :
Milton H. Erickson (trad. fr.). Paris : Epi, 1984
(édition originale : 1973) : 355-7.
12. Malarewicz JA. La stratégie en thérapie ou
l’hypnose sans hypnose de Milton H. Erickson.
Paris : ESF, 1988.
13. Hammond DC. Are indirect suggestions
superior to direct suggestions ? American
Society for Clinical Hypnosis Newsletter
1987 ; 26 : 3.
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