Premier étage du Centre hospitalier
de Centre-Bretagne : l’unité de soins
palliatifs. Michael, retraité anglais,
installé à Saint-Gelven depuis une
douzaine d’années, et le docteur
Régine Le Berre discutent comme en
franglais rudimentaire devant le
secrétariat. L’homme semble un peu
perdu ; depuis cinq semaines, sa
femme est hospitalisée dans le ser-
vice. La fin approche. Il dit attendre
« le coup de téléphone ».
Du rire aux larmes
« Comment vous vous sentiriez à ma
place ? », bégaie-t-il, les yeux pleins
de larmes, avant de se reprendre.
« Je vais passer au supermarché pour
mon repas de ce soir mais avant ça,
je passerai à la banque. On gagne à
tous les coups avec le distributeur »,
tente-t-il de blaguer. « Je vais aussi
acheter de la nourriture pour notre
chatte. Elle passe ses journées à tour-
ner autour de la maison. Elle cherche
mon épouse ». Retour des sécrétions
lacrymales.
Michael et sa femme n’ont pas eu
d’enfant mais « des centaines » :
profs retraités, ils sont en contact,
« via Facebook ou par e-mail », avec
nombre de leurs anciens élèves. Pour
seule « vraie » famille, Jeff, beau-
frère de Michael, qui ne peut venir en
France, faute de passeport à jour - il
pourra finalement en obtenir un en
urgence grâce à une attestation de
l’hôpital.
Au fond du couloir, Geneviève,
83 ans, de Merdrignac, discute, instal-
lée dans un canapé avec Colette et
Bernard, bénévoles de l’association
« Jusqu’à la mort accompagner la
vie » (Jalmalv), qui rend deux fois par
semaine visite aux malades comme
aux familles. Les bénévoles
connaissent bien Geneviève, c’est la
troisième fois qu’Eugène, son « bel
homme », 93 ans, est admis aux
soins palliatifs.
Tout ce petit monde papote, déam-
bule, blague beaucoup, passe de
chambre en chambre selon les
humeurs et la forme de chacun. Et les
patients ont l’embarras du choix à
l’heure de décider à qui ils souhaitent
se confier parmi la trentaine d’inter-
venants, médecins, psychologues,
aides-soignants, infirmiers, béné-
voles ou encore aumônier. « D’une
personne à l’autre, ce n’est jamais
pareil. On ne sait jamais si on va sor-
tir sur une mer d’huile ou prendre un
grain », raconte l’aumônier catho-
lique, Jean-Michel Passard. « Et par-
fois on sort les rames… », embraye
Bernard.
Chaque interlocuteur
est une nouvelle clef
« Ici, on ne soigne pas une rate, un
poumon ou un foie. On soigne mon-
sieur untel et sa famille, avec des
résultats », reprend l’aumônier.
Chaque interlocuteur est une nou-
velle clef pour soulager les souf-
frances et il ne s’agit pas que de
remèdes médicamenteux. « On ne
vient peut-être pas à bout de toutes
les souffrances mais on fait un bout
de route ensemble », résume-t-il.
Ensemble : avec les patients, avec
l’ensemble des accompagnants, avec
les familles. L’aumônier a définitive-
ment le sens de la métaphore : « On
est sur la ligne de crête d’une vie,
qu’ils cherchent à résoudre quand ils
arrivent en butée. Ceux qui appellent
ça le couloir de la mort n’ont rien
compris ! »
« Je ne guérirai jamais mais ma
vie peut-être prolongée »
Dans sa chambre ensoleillée, Jean,
80 ans, passe ses journées à lire la
presse, entre les visites de son
épouse et les coups de fils de proches
- « il n’y a pas grand-chose à la télé »,
se justifie-t-il presque. Après avoir été
opéré d’une tumeur et une chimio
qui « marchait pas mal », il a été vic-
time d’un infarctus. « Depuis sep-
tembre, j’ai un peu fait tous les ser-
vices de l’hôpital », souffle-t-il en
recevant son injection de corticoïde.
« Je vais bien, je ne souffre de nulle
part. C’est déjà une bonne
chose. Quand on m’a dit que j’allais
en soins palliatifs, je me suis dit
"c’est la fin", pourtant j’ai l’impres-
sion de ne pas avoir fini. Je ne guéri-
rai jamais, je le sais. Je me rends bien
compte que tout n’ira pas pour le
mieux mais en étant ici, ma vie peut-
être prolongée. Je vais essayer d’en
profiter encore ! J’ai eu la chance
d’avoir déjà eu 30 ans de retraite »,
sourit l’ancien employé de la RATP,
qui devrait prochainement pouvoir
rentrer chez lui. « Quand je suis arri-
vé et qu’on m’a proposé un verre de
cidre, je me suis dit "ça y est, c’est la
cigarette du condamné". En réalité,
ici on fait tout pour nous arranger ; si
je ne veux pas faire ma toilette le
matin, je peux aussi bien la faire au
milieu de la nuit ! ».
Gâteaux
et bouteille de pétillant
Dans le couloir, branle-bas de com-
bat : une dame s’apprête à souffler
sa 80ebougie : deux gâteaux, bou-
teille de pétillant. Tout le service est
en joie. La grand-mère aussi. On est
effectivement bien loin du « couloir
de la mort ». Christine Carroy, aide
soignante, se souvient d’un patient
jeune, récemment décédé, dont les
enfants qui jouaient dans le couloir
mettaient un joyeux bazar. « Quel
bonheur de voir autant de vie dans le
service ! » Tout sauf une anomalie
car dans un endroit dit de « fin de
vie », il s’agit encore de vie, jusqu’au
bout, et qu’elle soit la plus heureuse
possible comme le présente le
Dr Régine Le Berre : « Les soins pallia-
tifs, c’est se poser, mettre les choses
au clair et inventer des projets : c’est
la vie ! Même si le temps qui reste
n’est pas défini. »
« Même si c’est un service l’on
meurt beaucoup, il y a beaucoup de
vie », assure le Dr Régine Le Berre : en
tout juste six mois d’ouverture, le ser-
vice compte en effet environ 90 décès
pour une centaine d’admissions.
Autant de deuils à observer, aussi
pour les soignants, qui se refusent à
accueillir un nouveau patient aussitôt
le précédent parti. « Avant d’être des
malades, ce sont des personnes avec
leurs singularités. C’est très important
de se souvenir que c’est un lieu de
soins mais surtout un lieu de vie. Il y a
un savoir-faire médical, c’est une
chose, mais en soins palliatifs il s’agit
beaucoup de savoir-être ».
Dans ce service pas tout à fait clas-
sique du CHCB, même les relations
entre professionnels semblent origi-
nales : « Chacun est dans ses fonc-
tions mais on ne sent pas la hiérar-
chie », explique Christine Charroy,
aide soignante. « On peut se per-
mettre d’interpeller le médecin et lui
dire "là, ça ne va pas". Il y a une vraie
philosophie de soin avec beaucoup de
complicité » et tous les intervenants
sont unanimes : « il n’y a pas de pro-
priété de l’accompagnement mais une
équipe médicale avec des relais. S’il y
a un "flop", on passe la main »,
témoigne Bernard, bénévole à Jal-
malv.
« Il y a un cadre… il faut aussi en sor-
tir. Être créatif, imaginer des possibles
et apporter aux personnes le petit
plus qu’ils sont en droit d’avoir, ce qui
fait que ça passe », renchérit le Dr Le
Berre. « On se pose beaucoup de ques-
tions, sur ce qui est éthique, utile,
bienveillant, pas néfaste… Et on s’au-
torise nous aussi à pleurer ! ».
Christine Charroy et ses collègues ont
même créé une association nommée
Hemera, dont l’aide soignante est la
présidente. Hemera s’engage pour
améliorer l’accueil et l’accompagne-
ment des familles et patients au quoti-
dien (aménagement des espaces
famille, « petits plus », etc.) mais aus-
si pour documenter les pratiques en
soins palliatifs.
t
Contact
Association Hemera, au secrétariat de
l’unité de soins palliatifs,
tél. 02.97.79.01.45.
La phrase
Ce sont les âges des plus jeune et
plus vieux patients accueillis dans
l’unité de soins palliatifs depuis
son ouverture, il y a six mois.
« Entrer dans
l’unité de soins
palliatifs, c’est se
poser, mettre les
choses au clair et
inventer des
projets : c’est la
vie ! Même si le
temps qui reste
n’est pas défini ».
Dr. Régine Le Berre
Dr. Le Berre : « On se pose beaucoup de questions »
Colette (à gauche), bénévole de Jalmalv et Geneviève, dont l’époux est hospitalisé,
discutent au fond de l’unité. La parole et l’écoute représentent une grande part du
travail aux soins palliatifs.
Justin Daniel Freeman
Au centre hospitalier de
Centre-Bretagne à
Noyal-Pontivy, un petit
service accueille les
personnes atteintes de
maladies graves,
évolutives voire
terminales : l’unité de
soins palliatifs. Une
trentaine
d’accompagnants sont
chaque jour confrontés à
la mort mais aussi aux
interrogations du dernier
souffle. « C’est la vie », y
sourit-on, les yeux parfois
embués, essayant à tout
moment de soulager les
corps comme les âmes.
Soins palliatifs. Un service plein de vie
37 et 95
Branle-bas de combat dans l’unité de soins palliatifs : une patiente s’apprête à souffler sa 80ebougie. Le Dr Le Berre (à gauche) et tout le service se démènent pour
fêter l’événement.
PONTIVY. ACTUS
12 Mardi 10 mars 2015 Le Télégramme
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