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Réhabilitation chirurgicale de la face paralysée
Surgical treatment of facial palsy
● B. Baujat*, D. Krastinova*, G. Franchi*, M. Jasinski*, F. Chabolle*
Résumé : La paralysie faciale constitue une disgrâce majeure, aux conséquences esthétiques mais aussi fonctionnelles,
psychologiques et sociales. Sa prise en charge au stade de l’urgence doit être rigoureuse, afin d’éviter des conséquences
oculaires désastreuses. Au stade séquellaire, une prise en charge globale du visage par une équipe multidisciplinaire permet de
restaurer une symétrie statique et dynamique et d’améliorer la qualité de vie des patients. À l’étage orbitaire, l’allongement
du muscle releveur de la paupière et l’armature de la paupière inférieure par un cartilage de conque permettent une protection
oculaire suffisante. À l’étage inférieur, la transposition du chef postérieur du muscle temporal permet de restaurer une
symétrie labiale et de réhabiliter le sourire. Enfin, le côté sain sera traité par kinésithérapie, afin de lutter contre son hypertonie
compensatrice, et par injections de toxine botulinique.
Mots-clés : Paralysie faciale - Chirurgie - Lambeau temporal.
Summary: Facial palsy has cosmetic consequences, but leads also to functional, social and psychological impairment. In
emergency, the protection of the ocular globe is the priority. At a sequel stage, a global management of the face by a multidisciplinary team allows to restitute a facial symmetry, both static and dynamic, and to improve the quality of life of the patients.
Protection of the ocular globe is performed using the lengthening of the levator palpebrae of the upper lid, and a graft of conchal
cartilage is used to treat the atonic lower eyelid. Reanimation of the lip is performed using the transposition of the posterior
half of the temporalis muscle. Physical therapy will concern the normal side, to correct the hypertonia, and the paralysed side.
Botulinic toxin will also help reduce the hypertonia of the normal side of the face.
Keywords: Facial palsy - Surgery - Temporalis muscle flap.
a paralysie faciale constitue une disgrâce majeure, tant
sur le plan esthétique que sur les plans fonctionnel,
psychologique et social. Sa prise en charge chirurgicale fait appel à des techniques de reconstruction de plus en plus
codifiées, dont les objectifs seront de protéger l’œil, de restaurer
une symétrie faciale statique et dynamique, et, in fine, d’améliorer la qualité de vie des patients.
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CONSÉQUENCES DE LA PARALYSIE FACIALE
À la partie inférieure de la face, la paralysie faciale provoque un
affaissement et une élongation des lèvres, un affaissement de
l’aile du nez, un effacement du sillon nasogénien et une chute de
la commissure labiale. La joue est creuse et flasque. L’installation d’une hyperactivité compensatrice du côté sain dévie la
pointe du nez et la crête philtrale. Ces déformations sont majorées par la mimique. Sur le plan fonctionnel, il peut exister une
gêne à l’alimentation, par accumulation d’aliments dans le sillon
* Service ORL, hôpital Foch, 40, rue Worth, 92150 Suresnes.
gingivojugal ou par morsures jugales lors de la mastication. Chez
le sujet âgé aux téguments distendus, l’incontinence salivaire
n’est pas rare. Ces anomalies sont d’autant plus marquées que la
paralysie est ancienne.
À l’étage orbitofrontal, la paralysie du muscle frontal entraîne la
ptose du sourcil, apportant un excès cutané à la paupière supérieure. L’asymétrie du front est accentuée par l’hypertonie du
muscle frontal du côté opposé à la paralysie.
La paralysie du muscle orbicularis oculi entraîne une inocclusion
palpébrale, une ascension du bord libre de la paupière supérieure
en ouverture des paupières (le muscle de Muller et le muscle levator palpebrae, innervés par le troisième nerf crânien, n’ont plus
d’antagoniste) et un relâchement de la paupière inférieure, qui
est atone. Il en résulte une lagophtalmie exposant l’œil aux traumatismes. Ce risque de lésion prédomine dans le cadran inférieur
de la cornée et est majoré par l’anesthésie de ce petit territoire
cornéen, dont la sensibilité est subordonnée au nerf facial. Une
kératite évoluera vers la cicatrisation avec taie cornéenne définitive ou vers la perforation cornéenne et la cécité. Les lésions
de la cornée sont responsables de violentes douleurs, très invali-
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dantes, rebelles aux antalgiques mineurs et qui peuvent être chroniques. L’évolution spontanée de la paupière inférieure hyperlaxe se fait vers l’ectropion et l’épiphora.
Au stade de paralysie faciale séquellaire, lorsque tout espoir de
récupération est abandonné, nous proposons une stratégie chirurgicale de réhabilitation de la face paralysée.
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amarrant les tarses entre eux est davantage piqué en interne sur
le tarse inférieur que sur le tarse supérieur.
PRISE EN CHARGE DE L’ÉTAGE ORBITAIRE
Lorsque la paralysie faciale se constitue, l’urgence est à la protection oculaire. Sur le plan médical, des larmes artificielles seront
utilisées régulièrement pendant la journée. Le soir, une application de pommade à la vitamine A précédera l’occlusion palpébrale nocturne. Pendant la journée, le port de lunettes de soleil
sera recommandé.
Le premier geste chirurgical à réaliser sera une tarsoraphie externe
asymétrique, visant à retendre la paupière inférieure : le point
À terme, la ptose de la paupière inférieure et son hyperlaxité
seront corrigées en l’armant grâce à un cartilage de conque,
déposé par une incision sous-tarsale entre le septum et le muscle
orbiculaire (figure 1). Cette technique permet de corriger le
scleral-show et de réduire significativement l’épiphora, l’ectropion, et l’occlusion palpébrale (1).
La rétraction de la paupière supérieure sera compensée par
l’allongement du muscle releveur : celui-ci est disséqué, puis sectionné. Un greffon d’interposition en fascia lata ou en aponévrose
temporale est inséré ; sa largeur sera de deux fois la longueur de
l’allongement palpébral espéré (figure 2). Cette technique a remplacé l’usage des plaques d’or : en effet, celles-ci finissent
constamment par s’extérioriser, laissant un muscle releveur
fibreux et hypertrophié qu’il sera extrêmement difficile de corriger ultérieurement. La toxine botulinique est une alternative à
ce geste chirurgical, mais elle est d’un usage moins contrôlable :
sa diffusion à la glande lacrymale entraîne une sécheresse
oculaire préjudiciable dans ce contexte. Une diplopie est également possible par diffusion au muscle droit supérieur.
Chez les personnes âgées pour qui une voie coronale serait trop
lourde, la ptose du sourcil peut être corrigée par une résection
cutanée suprasourcilière en ligne brisée. Sinon, la voie coronale
utilisée pour l’abord du muscle temporal (cf. infra) permettra de
réaliser un mask-lift (2) et une canthopexie externe, qui donnent
de très bons résultats dans cette indication.
L’ensemble de ces gestes devra toujours s’accompagner d’une
surveillance ophtalmologique rapprochée.
Figure 1. Armature de la paupière inférieure par cartilage de conque.
Figure 2. Allongement du muscle releveur de la paupière.
BILAN PRÉOPÉRATOIRE
Quelle que soit la technique employée, le bilan préopératoire
comporte :
– un bilan étiologique s’il y a lieu ;
– un bilan photographique comprenant des photographies de face
au repos et lors de la mimique : sourire, bouche ouverte, bouche
fermée plissée. Des photographies datant d’avant la paralysie
faciale sont également demandées au patient ;
– un électromyogramme lorsque le nerf facial n’a pas été interrompu de façon certaine afin de confirmer l’absence de processus de réinnervation ;
– un examen ophtalmologique comportant un examen à la lampe
à fente.
PRISE EN CHARGE EN URGENCE
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côté controlatéral), soit par une incision endobuccale (figure 3).
La voie d’abord coronale permet de réaliser dans le même temps
des myectomies frontales du côté sain et une canthopexie externe
afin de retendre la sangle palpébrale du côté paralysé.
PRISE EN CHARGE DU CÔTÉ CONTROLATÉRAL
L’hypertonie du côté sain sera prise en charge par la rééducation.
La toxine botulinique est particulièrement utile pour diminuer le
tonus des muscles grand et petit zygomatiques. On pourra également injecter de petites quantités de toxine au niveau des
muscles procerus, corrugator, frontal, depressor anguli oris, au
niveau des rides de la patte d’oie et du muscle carré du menton.
Même si le visage perd un peu de son expressivité, les patients
sont globalement très satisfaits. Le blocage de l’exocytose de
l’acétylcholine par la toxine au niveau de la plaque motrice est
définitif, mais l’effet est réversible par repousse axonale. L’effet
est maximal au bout de 2 à 4 semaines. On propose des séances
espacées de 3 à 6 mois. Au bout de cinq à dix séances, l’effet peut
devenir définitif.
CONCLUSION
Figure 3. Transposition du chef postérieur du muscle temporal.
RÉHABILITATION DU SOURIRE
De par sa proximité, sa fonction et son innervation par le nerf trijumeau, le muscle temporal constitue un matériau de choix pour
restaurer un tonus labial dynamique. De nombreuses techniques
ont été décrites dans la littérature (3-6). La transposition du
muscle temporal est la clé de voûte du traitement, qui devra par
ailleurs comporter la prise en charge du côté sain. La transposition du chef postérieur du muscle temporal est une technique
fiable, validée par notre équipe depuis de nombreuses années :
par voie coronale, le muscle temporal est exposé. Sa partie postérieure est libérée, le corps musculaire est incisé dans le sens des
fibres. L’arcade zygomatique est sacrifiée, un tunnel sous-cutané
jugal est réalisé. La partie distale du chef postérieur du muscle
temporal est amarrée au muscle orbiculaire des lèvres soit par
une incision au sillon nasogénien (lorsque celui-ci est marqué du
La réhabilitation de la paralysie faciale nécessite une prise
en charge pluridisciplinaire impliquant le chirurgien, l’ophtalmologue, le kinésithérapeute et le psychologue. C’est une entreprise longue, qui peut demander plusieurs interventions
chirurgicales.
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française d’ORL, oct. 2001.
Brèves Internet
● www.voireensemble.com
Conçu par l’association catholique La Croisade des aveugles, ce
site offre un confort de lecture aux malvoyants : affichage réglable
(taille des caractères, couleurs), rubriques identifiées par des sons
et des musiques. Encore à l’état de prototype, il propose nombre
de liens vers des sites d’emploi pour les handicapés et une liste
d’écoles spécialisées pour les déficients visuels. Outre la lecture
de dossiers thématiques, les internautes peuvent participer au
forum de discussion, et entrer ainsi dans l’ère numérique.
R. Marianowski
Voir aussi rubrique Internet p. 20-21
La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 287 - novembre 2003
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