F A C E À F A C E . . . ... avec Antoine F. Carpentier * sur les syndromes neurologiques paranéoplasiques Les syndromes neurologiques paranéoplasiques sont des pathologies rares, mais que l’on évoque volontiers devant un malade au diagnostic difficile. Comment faire un tel diagnostic ? Les syndromes neurologiques paranéoplasiques sont effectivement rares, et leur incidence est évaluée à moins de 1 % des patients cancéreux. Les principaux cancers pourvoyeurs sont les lymphomes et les cancers gynécologiques, testiculaire ou pulmonaire à petites cellules. En fait, le cancer n’est pas encore connu lors de l’apparition des troubles neurologiques dans plus de la moitié des cas. Je retiendrai comme arguments cliniques orientant vers un syndrome paranéoplasique : – un tableau neurologique subaigu, évoluant de façon sévère, sans franche rémission et contrastant avec la normalité de l’imagerie neurologique. Certains syndromes, comme le syndrome de Lambert-Eaton, l’encéphalite limbique, la neuronopathie sensitive ou le syndrome cérébelleux subaigu sont particulièrement évocateurs, même s’ils restent non spécifiques ; – l’existence d’un cancer découvert avant ou dans les deux ans suivant l’apparition de troubles neurologiques en l’absence d’une atteinte métastatique, infectieuse, toxique ou métabolique ; – une amélioration du tableau neurologique lors de la mise en rémission du cancer, ce qui est rare mais très évocateur. Précisons que ces trois arguments n’ont qu’une valeur d’orientation et ne sont pas nécessairement présents chez un patient atteint de syndrome neurologique paranéoplasique. En fait l’outil diagnostique principal est la détection d’anticorps antineuronaux circulants dans le sérum du patient. Ces anticorps dirigés contre un antigène commun à la tumeur et au système nerveux sont en effet très spécifiquement associés aux syndromes paranéoplasiques. Leur absence n’élimine cependant pas le diagnostic, puisque, chez la moitié des patients environ, aucun anticorps n’est détecté par les techniques habituelles. Quels sont les principaux anticorps à rechercher ? Les plus fréquents sont les anticorps anti-Hu et anti-Yo. Dans les syndromes anti-Hu, l’atteinte débute volontiers par une neuropathie sensitive pure (59 % des cas), un syndrome cérébelleux (17 %), une encéphalite limbique (10 %) ou une dysautonomie (5 %). L’atteinte neurologique s’étend ensuite de façon subaiguë pour réaliser un tableau de neuronopathie sensitive ou * Service de neurologie, Fédération Mazarin, GH Pitié-Salpêtrière, Paris. La lettre du neurologue - n° 6 - vol. IV - décembre 2000 d’encéphalomyélite diffuse. Le cancer sous-jacent est trois fois sur quatre un cancer du poumon à petites cellules, mais d’autres cancers, comme les carcinomes prostatiques, sont possibles. Les anticorps anti-Yo sont associés à un syndrome cérébelleux subaigu, et le cancer responsable est dans la moitié des cas un cancer de l’ovaire, dans l’autre moitié un cancer gynécologique ou mammaire. Le syndrome cérébelleux n’est pas toujours isolé, et une atteinte associée du tronc cérébral et/ou une neuropathie est possible. Moins courants sont les anticorps antiTr, anti-CV2, anti-Ri et antiamphyphysine. Les anticorps anti-Tr se voient surtout chez les hommes atteints d’un syndrome cérébelleux et d’une maladie de Hodgkin. Les anticorps anti-CV2 s’associent à une atteinte diffuse de l’encéphale et du cervelet avec ou sans neuropathie, et les cancers responsables sont généralement thoraciques, en particulier le cancer du poumon à petites cellules. Les anticorps anti-Ri se voient dans les tableaux d’opsoclonus-myoclonus (mouvements involontaires conjugués des deux yeux), généralement associés à un carcinome mammaire. On pensait il y a peu encore que les anticorps antiamphiphysine étaient spécifiquement associés à un syndrome de l’homme raide (Stiff-man syndrome), mais ils peuvent également être détectés dans les encéphalomyélites paranéoplasiques. Quels sont les anticorps récemment décrits ? La liste des anticorps antineuronaux s’allonge chaque année. Au cours de l’année 1999, deux nouveaux anticorps ont été identifiés : les anticorps anti-Ma et anti-Ta. Le clonage des antigènes reconnus par ces anticorps a permis l’identification d’une nouvelle famille de protéines neuronales, dont la fonction précise reste à déterminer. Cette famille compte plusieurs protéines (de Ma1 à Ma3). Les anticorps anti-Ma reconnaissent Ma1 à 3, les anticorps anti-Ta reconnaissent Ma2. Ainsi, une publication rapporte le cas de 10 patients anti-Ta présentant une encéphalite limbique ou une rhombencéphalite associée à un cancer testiculaire découvert entre 6 mois avant ou 36 mois après le début des troubles neurologiques. Le sérum de tous ces patients reconnaissait la protéine Ma2 (Ta) exprimée par leur tumeur et le nucléole des neurones. De même, 4 patients dont le sérum réagissait avec Ma1 et Ma2 (anticorps anti-Ma) présentaient une atteinte du tronc cérébral et un cancer. Enfin, cette année, une publication rapporte la découverte d’anticorps dirigés contre les récepteurs au glutamate de type 1 (GluR1) chez 2 patients porteurs d’une maladie de Hodgkin et présentant un syndrome cérébelleux paranéoplasique. L’utilité clinique de ces nouveaux anticorps est incontestable, puisqu’ils permettent d’affirmer l’origine paranéoplasique d’un syndrome neurologique, mais reste limitée dans le cas des anticorps 311 F A C E À anti-Ma, car ceux-ci sont associés à de multiples cancers et ne permettent pas d’orienter avec précision la recherche du cancer sousjacent. En outre, leur fréquence respective reste à déterminer. En pratique, que faut-il préciser sur la demande ? Plusieurs laboratoires effectuent les recherches d’anticorps antineuronaux. Il importe d’en choisir un qui vérifie de façon systématique la positivité observée en immunohistochimie par une technique de Western-Blot ou d’ELISA. Sur le plan pratique, chaque laboratoire a ses modalités précises. Dans le nôtre, par exemple, il suffit d’envoyer à température ambiante par Chronopost 2 à 3 centimètres cubes de sérum. Le sérum est systématiquement testé en immunohistochimie sur coupe de cerveau de rat. La demande doit être accompagnée de renseignements sur le tableau clinique et sur le cancer sous-jacent, afin d’orienter la recherche des anticorps et de permettre des regroupements clinico-sérologiques ultérieurs. La recherche des anticorps anti-Ta et anti-Ma se fait par une technique particulière et doit être justifiée. Nous ne faisons pas la recherche d’anticorps anticanaux calciques voltages-dépendants, puisque l’EMG fait de façon fiable le diagnostic de syndrome de Lambert-Eaton. Devant un patient présentant un syndrome paranéoplasique mais sans cancer retrouvé, jusqu’où faut-il pousser les investigations carcinologiques ? La spécificité des anticorps est excellente, c’est-à-dire que lorsqu’un anticorps est retrouvé, un cancer sous-jacent est présent dans presque la totalité des cas. Parfois ce cancer est si petit qu’il n’est pas décelable par les investigations paracliniques usuelles, qu’il faut alors répéter tous les 3 à 6 mois pendant au moins 2 ans. Le type d’anticorps antineuronal retrouvé dans le sérum du patient permet d’orienter cette recherche. Ainsi, les anticorps anti-Hu et anti-CV2 sont associés aux cancers du poumon à petites cellules, les anti-Yo aux cancers gynécologiques (en particulier ovariens), les anti-Ri aux carcinomes mammaires, les anti-Ta aux cancers du testicule, les anti-Tr ou les anti-GluR1 à la maladie de Hodgkin. Si, malgré des investigations répétées, aucun cancer n’est retrouvé, une exploration chirurgicale (en particulier une laparotomie exploratrice dans le cas des anti-Yo) ou un PET-scan thoracique, dont la sensibilité semble supérieure au scanner thoracique hélicoïdal, doivent être discutés. F A C E . . . patients présentant une encéphalomyélite paranéoplasique antiHu et un cancer (généralement un cancer du poumon à petites cellules), le seul facteur prédictif de stabilisation neurologique était la mise en rémission complète de la tumeur. Certains syndromes paranéoplasiques présentent aussi une sensibilité particulière aux traitements immunosuppresseurs, aux immunoglobulines intraveineuses ou aux plasmaphérèses. Il s’agit surtout du syndrome de Lambert-Eaton, de l’opsoclonus paranéoplasique et parfois du syndrome de l’homme raide (Stiff-man syndrome). Le syndrome de Lambert-Eaton bénéficie également de drogues spécifiques, comme la 3,4-diamino-pyridine. En dehors de ces cas particuliers, même si les traitements immunomodulateurs ou immunosuppresseurs sont peu ou pas efficaces, il est légitime d’essayer systématiquement une corticothérapie à fortes doses pendant quelques jours. Au total, l’efficacité globale des thérapeutiques actuelles est faible, et le syndrome neurologique reste dans la plupart des cas la cause du décès. La mise au point de nouveaux protocoles visant à contrôler efficacement ces syndromes paranéoplasiques est d’actualité. Quelles sont les perspectives actuelles dans ce domaine ? La pathogénie des syndromes neurologiques paranéoplasiques reste inconnue, même s’il existe de forts arguments pour l’attribuer à un désordre immunologique. L’étude de la réponse immune est indispensable pour mieux appréhender la prise en charge de ces patients et adapter les traitements immunomodulateurs. La responsabilité de la réponse immune cellulaire cytotoxique est de plus en plus documentée au cours des syndromes paranéoplasiques, excepté dans le syndrome de Lambert-Eaton où les anticorps circulants jouent un rôle physiopathologique démontré. L’étude des épitopes reconnus est en cours et débouchera peut-être sur des thérapies très spécifiques. L’autre axe de recherche majeur est la découverte de nouveaux anticorps circulants, puisque l’ensemble des anticorps connus ne permet le diagnostic de syndrome paranéoplasique que dans la moitié des cas. L’identification de nouveaux anticorps passe par la centralisation régionale ou nationale des données cliniques des patients et de leur sérums, afin de procéder à des regroupements cliniques et à l’étude comparative de leur sérums. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Antoine JC, Honnorat J. Anti-neuronal antibodies and central nervous system diseases : contribution to diagnosis and pathophysiology. Rev Neurol 2000 ; 156 : 23-33. 2. Carpentier AF, Le Forestier N, Delattre JY. Le syndrome de Lambert-Eaton. La Comment traiter de tels patients ? Sur le plan de la prise en charge thérapeutique, le principal espoir repose sur la découverte de la tumeur et de sa mise en rémission complète. Ainsi, dans une série rétrospective de 51 312 lettre du neurologue 2000 ; 2 : 105-7. 3. Dalmau JO, Posner JB. Paraneoplastic syndromes. Arch Neurol 1999 ; 56 : 405-8. 4. Keime-Guibert F, Graus F, Broet P et al. Clinical outcome of patients with anti-Hu-associated encephalomyelitis after treatment of the tumor. Neurology 1999 ; 53 : 1719-23. 5. Voltz R, Gultekin SH, Rosenfeld MR et al. A serologic marker of paraneoplastic limbic and brain-stem encephalitis in patients with testicular cancer. N Engl J Med 1999 ; 340 : 1788-95. La lettre du neurologue - n° 6 - vol. IV - décembre 2000