juin 2009, l’année 2010 doit être l’occasion de remettre à plat
notre système de retraite, en n’éludant aucune question ni,
surtout, aucune solution.
Compte tenu de l’effet amplificateur de la crise sur la
dégradation des comptes de la branche vieillesse et de
l’urgence à agir, la modification des paramètres actuels est,
j’y insiste, inévitable.
Nous connaissons bien les différentes manières d’agir sur le
pilotage du système par répartition, mais je crois utile de les
rappeler pour la clarté de notre débat.
La première consisterait à réduire le montant des pensions
de retraite. J’exclus d’emblée ce scénario, car il reviendrait à
abaisser le niveau de vie des retraités, dont nous savons qu’il
est déjà, pour certains d’entre eux, peu élevé. Je le répète,
puisque l’on me fait quelquefois dire le contraire : il est exclu
de réduire le montant des pensions de retraite !
La deuxième solution repose sur une hausse des cotisations
de retraite. Elle a le mérite de la simplicité, mais, à moins que
l’augmentation ne soit compensée par une diminution équiva-
lente d’autres cotisations, elle présenterait deux inconvénients
majeurs : d’une part, elle pèserait évidemment sur la compé-
titivité des entreprises et donc sur l’emploi ; d’autre part, elle
aboutirait à taxer plus fortement les jeunes générations que les
précédentes, ce qui affaiblirait encore davantage la solidarité
intergénérationnelle.
La troisième solution, qui a été privilégiée jusqu’à présent,
est l’allongement de la durée de cotisation nécessaire pour
bénéficier d’une retraite à taux plein. Comme le prévoit
déjà la loi de 2003, cette durée sera de quarante et une
annuités en 2012. Doit-on désormais la porter à quarante-
deux, voire à quarante-trois annuités ? Cela paraît assez
légitime compte tenu de l’allongement parallèle de l’espérance
de vie. Toutefois, avant d’emprunter cette voie, il faut garder à
l’esprit que l’allongement de la durée de cotisation ne produit,
en réalité, que des effets limités sur l’âge effectif de départ en
retraite. Ainsi, le recul de l’âge moyen de départ en retraite
résultant de la réforme de 2003 ne serait que d’environ deux
mois et demi dans le secteur privé et d’environ un an et demi
dans la fonction publique, selon les premières conclusions du
COR, le Conseil d’orientation des retraites.
En revanche, un quatrième levier pourrait permettre
d’obtenir des résultats plus significatifs. Il consisterait à
repousser l’âge légal de départ à la retraite. En France, je le
rappelle, cet âge a été abaissé à soixante ans en 1983. Or, ce
qui, à l’époque, avait été présenté et vécu comme un progrès
social entre aujourd’hui en contradiction avec les évolutions
démographiques en cours. L’espérance de vie ne cessant
d’augmenter, la période consacrée au travail au cours d’une
vie est de moins en moins longue. En 1960, on passait près
des trois quarts de sa vie au travail, aujourd’hui, on y consacre
la moitié seulement. La logique voudrait donc, vous en
conviendrez, que l’on repousse l’âge légal de départ en
retraite, comme l’ont fait plusieurs de nos voisins européens.
Cependant, l’activation de ce levier se heurte à deux obsta-
cles de taille : le premier est le taux d’emploi des seniors, le
second est la pénibilité, sujets sur lesquels je vais maintenant
m’attarder.
Nous le savons, pour le déplorer, la France présente
malheureusement l’un des taux d’emploi des seniors –il
s’agit des personnes âgées de cinquante-cinq ans à soixante-
quatre ans –les plus bas des pays développés : il est aujour-
d'hui de 38 %. Cette singularité résulte des politiques publi-
ques menées des années soixante-dix jusqu’à la fin des années
quatre-vingt-dix. Au nom de la sauvegarde de l’emploi, notre
pays a choisi la voie du partage du travail en incitant les
salariés les plus âgés à partir en préretraite pour laisser la
place aux plus jeunes. Avec la multiplication des mesures
d’âge –dispositifs de préretraite, mises à la retraite
d’office –, les seniors ont fini par être considérés comme
inemployables. La politique de cessation anticipée d’activité
des travailleurs âgés est devenue une véritable « culture de la
sortie précoce », partagée par l’ensemble des acteurs du
marché du travail. Elle a entraîné une spirale d’effets
pervers, dont la dépréciation et l’inactivité des seniors me
paraissent être les plus graves.
Fort heureusement, cette tendance est en train de s’inverser.
Je tiens, à ce stade, à saluer les efforts entrepris par le Gouver-
nement, notamment à l’occasion de la loi de financement de
la sécurité sociale de 2009.
Permettez-moi de rappeler, monsieur le président, que, en
2006, lorsque vous exerciez des responsabilités gouvernemen-
tales, vous aviez mis en œuvre une série de dispositions visant
à favoriser l’emploi des seniors, lesquelles, on peut le dire,
n’avaient pas suscité un enthousiasme délirant de la part des
partenaires sociaux ! Ils vous avaient laissé bien seul…
M. le président. On peut parler de délire contenu !
(Sourires.)
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Très contenu ! J’en ai été
le témoin. Une réaction de cette nature doit être assez décon-
certante lorsqu’on est en charge de telles responsabilités, mais
vous en étiez alors au début de la concertation sur ce sujet. Les
dispositions qui ont alors été mises en place ont depuis été
amplifiées par les gouvernements suivants, jusqu’à en arriver
au PLFSS de 2009.
De réelles avancées en matière d’emploi des seniors ont eu
lieu, que ce soit grâce à la libéralisation du cumul emploi-
retraite, à la revalorisation de la surcote, à l’aménagement de la
mise à la retraite d’office ou, très récemment, à la conclusion
d’accords dans les entreprises. S’il est encore bien évidemment
trop tôt pour dresser le bilan de ces mesures, les premiers
résultats sont encourageants : la mobilisation pour l’emploi
des seniors est en marche.
Je pense néanmoins qu’il est indispensable, dans le contexte
économique actuel, de la confirmer et même, bien évidem-
ment, de l’amplifier. La crise ne doit pas servir d’alibi pour
revenir aux mauvaises pratiques d’éviction des seniors afin
d’ajuster les effectifs des entreprises ou d’éviter des licencie-
ments économiques.
M. Guy Fischer. Cela continue !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. J’en reviens maintenant
au lien entre emploi des seniors et âge de départ à la retraite.
La question du relèvement de l’âge de départ à la retraite
doit en effet s’apprécier au regard de la situation de l’emploi
des seniors, car, comme je l’ai déjà dit, reporter l’âge de la
retraite ne conduit pas mécaniquement à un recul équivalent
de l’âge de cessation d’activité. Une récente étude sur le sujet
montre ainsi que l’âge auquel les personnes cessent définiti-
vement d’être en emploi et celui auquel elles liquident un
premier droit à la retraite ne coïncident que rarement. Les
Français arrêtent de travailler en moyenne un an et demi avant
de prendre leur retraite. Entre-temps, ils sont en invalidité, en
préretraite ou, malheureusement, au chômage.
SÉNAT –SÉANCE DU 12 JANVIER 2010 5