politis

publicité
I Semaine du 17 au 23 septembre 2009 I n°1068 I
politis.fr
Politis
Politis
POLITIQUE
Le Front de gauche,
jusqu’où ?
L’ARMÉE DU CRIME
Vivre
et résister
Un dossier
autour du film
de Robert
Guédiguian
M 03461 - 1068 - F: 3,00 E
3:HIKNOG=VUXUUZ:?l@a@g@i@k;
EUROPE
José Bové
au Parlement
FRANCE TÉLÉCOM
Floués
jusqu’au désespoir
SOCIÉTÉ
Paroles
de prisonniers
NORD-SUD
L’accaparement
des terres
SOMMAIRE
L’ÉVÉNEMENT
FAGET/AFP
EUROPE
« José Bové,
à Bruxelles,
ils vont lui
mettre une
cravate ! »
Pages 4 et 5
POLITIQUE
GAUCHE. Le Front de gauche,
jusqu’où ? Pages 6 et 7
ÉCONOMIE
avec le sociologue
Vincent de Gaulejac.Page 8
À CONTRE-COURANT. « Sarkoshow à la Sorbonne », par
Jean Gadrey. Page 9
AGRICULTURE. Faut-il revenir
aux quotas laitiers ? Page 10
RETRAITES. Drôle d’égalité
hommes-femmes… Page 11
Charleville-Mézières,
la ville de pantins.
Pages 24 et 25
LITTÉRATURE. « La Vérité sur
Marie », de Jean-Philippe
Toussaint Page 25
BANDE DESSINÉE. Aktion Mix
Comix Commando. Page 26
HOMMAGE. Willy Ronis,
l’homme qui fixait le hasard.
Page 26
MÉDIAS
TÉLÉVISION. « Justice
à Vegas », de Rémy Burkel.
Page 27
IDÉES / DÉBATS
TROIS ESSAIS
sur la guerre
d’Algérie et les
premières
années de
l’Indépendance. Pages 28 et 29
TRIBUNE. « 577 députés
et 367 burqas », par Sylvie
Tissot. Page 30
DE BONNE HUMEUR. Chronique
de Sébastien Fontenelle.
AFP
ENTRETIEN
CULTURE
THÉÂTRE.
SOCIÉTÉ
PRISON.
« Je commençais
une longue apnée ».
Docu radio. Pages 12 et 13
ÉCOLOGIE
NORD-SUD.
La course aux
terres ne faiblit pas. Page 14
CHANGER D’ÈRE. « Marées
vertes : fermer le robinet
à nitrates ! », par Bernard
Rousseau. Page 15
MONDE
IRAN.
Le trouble jeu de
la France. Page 16
Page 31
RÉSISTANCES
AGRICULTURE.
Les marchés,
pas le marché ! Page 32
LE POINT DE VUE
DES LECTEURS
Pages 34 et 35
Couverture : Pierre Milon
Valentine Guédiguian
STEPHANIE BRAUNSCHWEIG
DOSSIER
L’ARMÉE
DU CRIME
Vivre et résister.
Entretien
avec Robert
Guédiguian.
Pages 18 à 22
LA SEMAINE PROCHAINE DANS POLITIS
LA
2I
POLITIS
PRIVATISATION DE
I 1 7 septembr e 2 00 9
LA POSTE
ÉDITORIAL
PAR DENIS SIEFFERT
Cornélien
O
En politique,
il y a toujours
un « court
terme ». Voilà
donc le choix
cornélien qui
s’offre aux
dirigeants
du PCF :
un calcul
électoral à la
petite
semaine,
ou l’Histoire.
n me pardonnera l’audacieuse
métaphore qui suit, mais en
contemplant le paysage à
gauche, je ne peux
m’empêcher de penser à ces
dilemmes cornéliens qui ont fait les délices
de nos études. Un certain romantisme en
moins puisque, dans notre petit théâtre, la
froide raison politique a tendance à
remplacer les passions amoureuses. Mais,
au fond, la tragédie est la même.
Et, comme chez Corneille, c’est le
personnage le plus fragile qui est le plus
convoité. En l’occurrence, un parti
communiste chancelant, qui aurait le rôle
de Chimène au milieu de deux
prétendants jaloux : le Parti de gauche et
le Parti socialiste. Ou, si vous préférez,
Rodrigue et Don Sanche (et tant pis si la
distribution laisse poindre de ma part une
préférence…). Une âme accommodante
envisagerait bien un ménage à trois ; notre
Chimène, elle-même, n’y verrait
apparemment aucun inconvénient. Mais
ce serait compter sans l’intransigeance des
prétendants. Et puis ce scénario nous
ferait franchement sortir de l’univers
cornélien pour nous plonger dans le
vaudeville. Il est donc temps de redevenir
sérieux et de dépasser les apparences pour
tenter de comprendre cette raison
politique à l’instant évoquée.
En vérité, l’appel lancé vendredi par
Marie-George Buffet à un « front de
gauche élargi au Parti socialiste » n’est pas
aussi unitaire que les mots le laissent
supposer. Les dirigeants communistes
savent très bien que Jean-Luc Mélenchon
et ses amis n’ont pas l’intention de
retourner dans le giron de ce PS qu’ils
viennent de quitter. Ce serait contredire
l’acte courageux de rupture qu’ils ont
accompli il y a moins d’un an.
Les communistes n’ignorent pas non plus
qu’en faisant les yeux de Chimène au PS,
ils brisent toute possibilité d’alliance avec
le Nouveau Parti anticapitaliste d’Olivier
Besancenot. Et ils mettent en fâcheuse
posture la toute jeune Fédération, qui
regroupe les Communistes unitaires
(partisans, eux, du « pôle de radicalité »),
les Alternatifs et les collectifs antilibéraux.
C’est en fait l’idée même d’un pôle
antilibéral qui vacille, puisque celle-ci se
fonde sur une analyse critique du
glissement libéral du PS. On aperçoit bien
les raisons évidentes de la direction du
PCF. Les quelque 185 conseillers
régionaux communistes pèsent de tout
leur poids dans cette offre de rabibochage
avec le parti de Martine Aubry. Ceux-là
rêvent d’un accord avec le PS dès le
premier tour des régionales de mars
prochain qui, espèrent-ils, faciliterait leur
réélection. Mais on voit aussi les limites
de ce calcul. Il ne s’agit pas seulement de
conservatisme pour l’appareil du PC,
mais d’une réaffirmation d’allégeance de
toute la gauche au PS. C’est sacrifier au
court terme la perspective d’une
recomposition. L’ennui, en politique, c’est
qu’il y a toujours un « court terme ».
Voilà donc le choix cornélien qui s’offre
aux dirigeants du PCF : un calcul
électoral à la petite semaine, ou l’Histoire,
même avec une petite majuscule. La
question est politique au plus haut point.
À quoi sert un conseiller régional
ultraminoritaire ? Au compte de quelle
politique se feraient de telles alliances ? Et
quel espoir avons-nous de faire bouger les
lignes si toute recomposition est soumise
à l’élection qui vient ?
Il ne s’agit donc pas seulement des
régionales, mais d’un choix stratégique sur
le long terme. À cet égard, le score du
Front de gauche aux européennes est
prometteur. C’est assurément de ce côté, et
dans ce cadre, qu’une histoire différente
peut s’écrire aujourd’hui. La Fédération
semble prête à faire le bon choix. D’autant
plus que les anathèmes qui pesaient sur
elle à la veille des européennes sont
aujourd’hui à peu près levés. Cette
recomposition, synonyme à nos yeux de
constitution d’une autre gauche, n’a
évidemment rien à voir avec un nouveau
Meccano politique. Il ne s’agit pas d’un
jeu d’alliances. Il est question ici de doter
durablement nos concitoyens
d’instruments politiques nouveaux au
moment où ils en ont le plus besoin.
Une offre qui peut aussi permettre aux
Verts d’avoir un autre choix que de suivre
l’entremetteur Cohn-Bendit dans son
opération MoDem. Et tenter, demain, de
nombreux militants socialistes. Les
enjeux, politiques, sociaux,
environnementaux, sont donc
considérables. Les communistes ont eu
sous les yeux ce week-end un sondage en
grandeur nature. Six cent mille personnes,
dit-on, à la Fête de l’Humanité. Un
record ! Et un regain d’espoir pour un
parti qui, avec la stratégie du Front de
gauche aux européennes, a arrêté une
longue hémorragie électorale. Il ne nous a
pas semblé, au fil des débats, que cette
population, souvent jeune, était venue
pour consacrer un retour aux vieilles
lunes. Face à un choix réellement
cornélien, la direction du PCF ne doit pas
décevoir l’espoir qu’elle a elle-même
suscité. Un retour en arrière serait bien
dramatique, sinon « tragique ».
P.-S. : Nos Assises commencent à prendre forme. Voir page 7.
Retrouvez l’édito en vidéo sur www.politis.fr
1 7 sept embre 2 00 9 I P O L I T I S I 3
.Ce mercredi, les eurodéputés devaient se prononcer
.Cette semaine marque aussi
.Comme José Bové, bien décidé
L’ÉVÉNEMENT EUROPE
« José, à Bruxelles, ils vont lui
n n’avait jamais vu autant
de monde au marché paysan de Montredon ! Pour
le dernier de l’année, en
cette fin août, il y a bien
là deux mille visiteurs, dont beaucoup sont aussi des acheteurs. Deux
mille dans ce hameau de 19 habitants perché sur le vaste causse du
Larzac. Pour la plupart, des paysans
et des amis, plus quelques touristes,
cherchant la bonne chère et venus
voir le « héros » local. Car voilà l’événement ! José Bové, l’homme de
Montredon, s’apprête à quitter, au
moins le temps d’un mandat, son
exploitation pour entamer une autre
vie au Parlement européen. En attendant de partir pour Bruxelles, il fait
griller à la demande, comme chaque
année depuis vingt ans, les saucisses
et les côtes de mouton du plateau,
vendues directement du producteur
au consommateur. La règle du marché paysan, bio et équitable, évidemment. Dans les groupes grignotant et achetant, beaucoup soupèsent
les chances du militant de résister à
la pression et à l’inertie bruxelloises.
Entre doute, espoir, scepticisme, propos amicaux et questions inquiètes.
C’est un peu la chanson de Barbara :
« Dis, quand reviendras-tu ? »
Venue de Limoges pour le fromage
et pour l’ambiance, comme à chaque
fin d’été, Yvette, postière, se demande
« ce qu’il va faire là-bas. Ils vont le
broyer, le casser, lui faire accepter
n’importe quoi, lui faire oublier qu’il
est un militant, lui mettre une cravate ! ». La cravate. Ou la métaphore
de la cravate, symbole de récupération. Des inquiétudes que ne partage
pas le mari d’Yvette, instituteur, qui
explique à leurs fils, dont c’est la première visite, quelles fermes ont été
restaurées et quelles maisons promises
aux tirs de l’armée par les projets d’extension du camp militaire des
années 1970 ont échappé à la destruction annoncée. Lui veut croire
que « la force des vieilles pierres sera
avec lui ». Tout en admettant que son
objection n’est pas vraiment politique
mais affective et subjective : « Mais,
bon, quand on regarde ce groupe de
maisons que j’ai connues encore
presque en ruines, on a tendance à
O
4I
POLITIS
I 1 7 septembr e 2 00 9
croire que la lutte politique peut déplacer des montagnes, et que les gens d’ici
sauront le rappeler à la raison s’il
s’égare en chemin. » Autour des visiteurs, sous un soleil qui fait oublier
combien l’hiver peut-être rude sur
cette butte, tous les habitants – chacun à sa tâche – s’affairent comme si
rien ne changeait. « D’ailleurs, vous
nous emmerdez avec vos questions, il
n’y a aucune raison pour qu’ici la vie
change. Tout le monde doit se souvenir que Montredon, quand nous
nous sommes progressivement installés, n’était plus qu’un hameau abandonné, tant les habitants y étaient pauvres, tant la vie y était dure. Nous
lui avons donné un élan paysan et politique qui survivra à Bové, qui nous
survivra. Parce que nous regardons
toujours loin du Larzac. »
Dans la foule, un couple anglais
cherche à comprendre comment il
est possible de vivre toute l’année
« dans un trou pareil », et demande
« si c’est pour la télé » que Bové et
deux de ses amis s’enfument autour
du barbecue. On leur explique que
la télé n’est pas là et que ce sont des
paysans qui organisent leur fête.
Pour eux « et
José Bové et son
équipe ont décidé pour vivre ».
« La preuve,
symboliquement
glisse Bové, que
de faire
le territoire franfonctionner leur
çais peut et doit
permanence
être reconquis
européenne à
par une autre
Montredon.
agriculture pour
et par des paysans. » Les visiteurs
d’un jour, comme Joël, monté de Millau, insistent sur l’avenir : « Et Montredon dans tout ça ? » « Pas de problème, explique Bové, je reviendrai
chaque semaine, j’habite toujours
José Bové s’apprête à quitter son exploitation de Montredon pour le
Parlement européen. C.-M. VADROT
ici. » « Il y a longtemps que nous
et le hameau existons par nousmêmes, le moustachu n’est que l’un
d’entre nous », commente un voisin,
légèrement irrité.
Le journal Gardarem lou Larzac
continuera donc de paraître ; la
librairie, de vendre des bouquins
militants et d’annoncer les manifs ;
et les paysans, d’élever leurs brebis,
même s’ils n’alimentent plus les caves
de Roquefort. Parce que, comme les
autres sur le plateau, ils ont conquis
leur indépendance, appris à se passer des intermédiaires et à vendre
directement leurs produits.
Léon Maillé, paysan militant voisin
de Montredon, partie prenante de
toutes les luttes (qui lui ont valu deux
fois la prison), confirme avec le sourire que la vie continue, que tout va
bien dans le meilleur des mondes et
que les traditions d’entraide se perpétuent. Il le prouve en venant de
chez lui, étrennant sa récente retraite,
pour réparer la serrure de la maison de Marie, qui gère le gîte rural
du hameau. Là où sont entreposées
les archives du journal du Larzac.
Mieux ! Montredon va devenir
« hameau de l’Europe ».
Plutôt que de s’installer à la ville,
Béziers ou Montpellier, José Bové et
son équipe, deux anciens de la Confédération paysanne, ont décidé symboliquement de faire fonctionner leur
permanence européenne ici. Dans
une vieille maison en cours de rénovation. Pendant cinq ans, Anne
Lacouture, troisième assistante du
député, travaillera depuis le hameau.
« Ce n’est pas Montredon qui part
à Bruxelles, mais l’Europe qui s’installe chez nous, commentent ses
habitants, plutôt satisfaits. Les visiteurs de José, les délégations, pourront voir ce qu’est la réalité rurale et
paysanne française. Surtout en hiver.
Et on pourra leur expliquer comment fonctionne la Société civile des
terres du Larzac, qui a également ses
bureaux ici. »
Le dernier marché de l’été s’achève
comme d’habitude par un concert,
près de ces maisons de pierres aux
toits de lauze qui ont résisté à tant
d’épreuves.
_Claude-Marie Vadrot
sur la reconduction de Barroso à la tête de la Commission européenne.
la rentrée pour les petits nouveaux du Parlement européen.
à faire entendre ses valeurs dans une institution si libérale.
LE PROGRAMME DE BARROSO
Verbatim
mettre une cravate ! »
Ouvrir le marché…
Nous avons retenu ces trois extraits significatifs
des «Orientations politiques pour la prochaine
Commission», véritable programme de José
Manuel Barroso, président sortant de la
Commission européenne, candidat à sa propre
succession.
« Pour l’Europe, l’heure de vérité a sonné. Elle
doit répondre à une question décisive. Voulonsnous diriger, façonner la mondialisation en nous
fondant sur nos valeurs et nos intérêts – ou
allons-nous laisser l’initiative à d’autres et
accepter qu’ils orientent le cours des
choses? […] L’Union européenne étant depuis
près de 60 années un laboratoire pour la
coopération supranationale transfrontalière,
c’est tout naturellement qu’elle se pose en
champion de la gouvernance mondiale […].
Lors de la première session du Parlement européen après les élections européennes, le 14 juillet.
FAGET/AFP
Les députés européens devaient reconduire mercredi le très libéral José Manuel
Barroso à la présidence de la Commission européenne.
Le second tour des européennes
près une première session en juillet,
DÉCRYPTAGE Le collège qu’il préside cumule des pouvoirs
législatifs, exécutifs et judiciaires puisque la
qui tenait plus de la prise de fonction,
Commission est à l’initiative des lois, exécute les
José Bové a retrouvé, comme ses
budgets et est en charge de la surveillance et de
nouveaux collègues, l’hémicycle strasbourgeois
l’application du droit. Son élection constitue aussi un peu le
lundi. C’est là que se tiennent, une fois par mois, les
second tour des européennes puisque c’est au lendemain de
sessions plénières du Parlement européen (PE). Les
celles-ci, et en tenant compte de leur résultat, que les chefs
groupes politiques sont désormais constitués et les
d’État et de gouvernement des Vingt-Sept choisissent un
commissions pourvues. Au sein de celles-ci, le travail
candidat. M. Barroso était celui des libéraux conservateurs,
parlementaire, fait d’examens, de discussions et
qui forment le groupe le plus important du PE. Mais pour
d’amendements sur les directives et règlements proposés
obtenir une majorité, il devait aller chercher des voix aupar la Commission a déjà commencé. Mais, pour l’heure, ce
delà de sa famille politique. Avant d’être auditionné par tous
n’est pas à ces travaux législatifs qu’était consacrée la
les groupes politiques, il leur a présenté, dans un document
session plénière de ce mois.
d’une cinquantaine de pages, des « orientations » capables
Avant de se consacrer à « l’ordinaire » de leur mandat, les
eurodéputés devaient dire s’ils acceptaient ou non de
de « dégager un consensus parmi l’ensemble des forces
reconduire José Manuel Barroso à la présidence de la
pro-européennes ». Chacun peut juger, à la lecture des
Commission européenne. Ce vote, prévu le 16 septembre, est
extraits publiés ci-contre de la nature néolibérale de ce
l’un les plus importants de la mandature pour laquelle les
consensus. Et de la responsabilité des élus qui apportent
citoyens des 27 pays membres de l’Union européenne ont
leur suffrage à un tel programme. Parmi eux, combien de
élu, le 7 juin, 736 députés. Les règles institutionnelles
« socialistes » européens ? C’était, lundi, la principale
inscrites dans les traités font en effet du président de la
inconnue d’une élection donnée pour acquise.
Commission européenne l’homme le plus influent de l’Union.
_Michel Soudais
A
Les politiques européennes doivent produire des
résultats pour les citoyens. C’est ainsi que nous
comblerons le fossé entre la réalité de
l’intégration européenne et les perceptions de la
population. […] Par le passé, les institutions et
les États membres de l’UE ont souvent échoué à
faire comprendre ce que l’action européenne
signifiait concrètement pour les citoyens: quels
avantages les Européens tirent-ils du marché
unique, de l’ouverture des marchés et de la
régulation dans les secteurs de l’énergie ou des
télécommunications, de la politique de la
concurrence ou des fonds structurels? […]
La Commission continuera de se montrer
implacable dans sa défense du marché unique
en tant que clé de voûte des traités et fera tout
ce qui est en son pouvoir pour le défendre car il
offre la meilleure garantie d’une prospérité à
long terme. L’expérience de l’année dernière a
montré une fois de plus que le marché unique est
le roc sur lequel est bâtie la croissance
européenne. Mais il faut aussi le moderniser
pour lui permettre de répondre aux exigences de
l’économie de demain. […] Je veux que la
prochaine Commission adopte une approche
plus systématique et intégrée, par exemple au
moyen de son initiative de surveillance du
marché, le but étant de donner une nouvelle
impulsion au marché intérieur et d’en faire, une
fois encore, le moteur de l’économie
européenne. Nous pouvons faire davantage pour
ouvrir le marché aux services financiers,
notamment aux services financiers de détail, au
commerce électronique, aux services
environnementaux et aux services aux
entreprises. […]»
Document complet:
http://ec.europa.eu/commission_barroso/
president/index_fr.htm
1 7 sept embr e 200 9
I
POLITIS
I 5
POLITIQUE
FÊTE DE L’HUMA L’élargissement de l’alliance initiée aux européennes par le PCF, le Parti de gauche et la
Gauche unitaire fait débat. Et cela dépasse le seul enjeu des régionales.
Le Front de gauche jusqu’où ?
a gauche a fait sa rentrée politique, le week-end dernier, à
La Courneuve. Plus que les
années passées, la foule était au
rendez-vous de la Fête de l’Humanité.
Une affluence populaire exceptionnelle : les organisateurs annoncent
600 000 visiteurs sur les trois jours,
qui ont envahi les travées dès vendredi
après-midi, attirés bien sûr par la tête
d’affiche des concerts, Manu Chao,
vedette du premier soir et d’un public
jeune et rebelle. Mais le peuple de
gauche qui se pressait dans les travées était aussi avide de discussions
et de débats. En attente de solutions
face à la crise, de perspectives politiques « à gauche » et surtout d’unité.
Un mot souvent scandé dans les débats
par des auditoires attentifs et exigeants.
L
Déjà un slogan, révélateur d’une aspiration, dont les contours restent à définir.
Sur la fête, où la Fédération, le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), le
Parti de gauche (PG) et la Gauche
unitaire (GU), quatre formations apparues depuis l’an dernier, avaient pignon sur rue. Également Lutte
ouvrière, qui n’avait jamais obtenu
de stand jusque-là. Cette volonté du
PCF d’« ouvrir grandes les portes et
les fenêtres » a toutefois des limites.
Et l’on pouvait voir des cohabitations
bien improbables, comme celle qui
faisait se côtoyer, avenue Louis-Aragon, le stand du Pôle de renaissance
communiste en France (PRCF) et
celui, plus modeste, de Terra nova, la
droitière « fondation progressiste ».
Si la volonté d’unité s’affichait aussi
fortement dans les allées de La Courneuve, tous les responsables politiques croisés s’accordent à penser
que c’est l’un des
acquis du Front
de gauche. Il a
C’est sur les
relations du Front « enclenché une
de gauche avec le dynamique » et
« redonné aux
PS que la
controverse a pris militants communistes l’envie d’en
forme.
découdre », nous
explique-t-on.
Comme elles s’y étaient engagées au
lendemain des européennes, les formations politiques qui composaient
cette alliance ne songent d’ailleurs
aucunement à y mettre un terme.
« Fou serait celui qui prendrait la res-
Jean-Luc Mélenchon, Marie-George Buffet et Christian Picquet lors de la Fête de l’Humanité. MEDINA/AFP
6I
POLITIS
I 1 7 sept embr e 2 009
ponsabilité de briser l’espoir qui
commence à se lever dans le pays »,
avertit Christian Picquet (GU).
Lors d’un débat sur le stand du Parti
de gauche avec ce dernier et Jean-Luc
Mélenchon auquel participaient
aussi Pierre-François Grond de l’exécutif du NPA et Jean-Jacques Boislaroussie (Alternatifs), Pierre Laurent,
numéro deux du PCF, l’a dit sans détour : « Le choix de construire le
Front de gauche n’est pas un choix
de circonstances pour le Parti communiste, c’est un choix durable dans
notre esprit. Nous sommes déterminés à poursuivre dans ce chemin-là
sans aucune ambiguïté. » Mais si
tous s’entendent pour le pérenniser
et l’élargir, les modalités de cet élargissement sont âprement discutées.
POLITIQUE
Nos « Assises pour
le changement »
Les assises pour le changement se tiendront les 7 et 8novembre à la Bourse du
travail de Saint-Denis. Accueil, le samedi à
partir de 9h. Début des travaux à 10h.
Conclusion, le dimanche à 16h. Nous proposerons cinq tables rondes qui mettront
en présence intellectuels et acteurs politiques de l’autre gauche. Les thèmes permettront d’aborder les principales questions qui se posent aujourd’hui: quelles
mesures pour une autre répartition des richesses? Comment associer impératifs
écologiques et sociaux? Changer les comportements. L’autre gauche en Europe.
Quelle stratégie politique?
La définition de ces thèmes est encore
provisoire. Nos lecteurs peuvent suggérer
d’autres formulations, voire d’autres thèmes
d’ici au 15octobre.
Précision: il ne s’agit pas là d’une
manifestation qui s’inscrit directement dans
le cadre de l’Appel de Politis. Plusieurs
courants, invités pour les 7 et 8novembre,
ne l’ont pas souhaité, n’étant pas euxmêmes signataires. Il n’en reste pas moins
que ces Assises poursuivent, à nos yeux, le
même objectif que l’Appel: œuvrer dans le
sens de la plus large unité de l’autre gauche,
antilibérale, et favoriser cette unité par la
recherche de convergences sur quelquesunes des grandes questions de notre
époque. Il s’agira d’un échange, que nous
espérons le plus fécond possible. Autrement
dit, dans le respect de la diversité des
analyses et des choix de chacun.
_D. S.
Et c’est sur les relations du Front de
gauche avec le PS que la controverse
a pris forme.
Avant toute décision sur sa stratégie
aux régionales, le PCF souhaite organiser sept ateliers thématiques sur le
projet, ouverts à toutes les formations
politiques de la gauche, PS compris.
Pour Marie-George Buffet, qui en a
exposé l’objectif, en présence de JeanLuc Mélenchon, Christian Picquet,
Cécile Duflot (Verts), Claude Bartolone (PS), Arlette Laguiller et Nathalie Arthaud (LO), lors de la
traditionnelle réception que la direction du PCF organise sur la fête pour
les personnalités politiques, syndicales et associatives, ce « débat
d’idées » doit « permettre l’émergence d’un projet à gauche » et voir
quelles majorités sont possibles à
gauche. « En fonction de ce qui se
sera passé dans ces ateliers », le PCF
décidera de sa position aux régionales explique-t-elle, tout en souhaitant qu’ils soient coorganisés avec ses
partenaires du Front de gauche.
Si la Gauche unitaire n’y est pas hostile, le Parti de gauche n’entend pas
être associé à la recherche d’une
« plateforme partagée » avec le PS. Il
fait remarquer que les thèmes retenus sont suffisamment larges et peu
clivants pour que ces ateliers montrent plus de convergences que de divergences. Les sept retenus sont :
argent, démocratie, nouveau mode
de développement, Copenhague et
climat, services publics et rôle de
l’État, école et formation, alternatives à la marchandisation du
« temps libéré ». De fait, lors d’une
visite très médiatisée, dimanche
matin, sur la fête, Martine Aubry a
accepté, sans réticence aucune, d’y
participer. « La priorité, c’est le rassemblement de la gauche (...), tous
les socialistes sont d’accord là-dessus », a assuré la maire de Lille à
Mme Buffet.
Le désaccord entre le PCF et le PG
sur ces ateliers traduit une divergence
stratégique sur les objectifs du Front
de gauche. Le premier est enclin à
modifier le centre de gravité de la
gauche par la négociation et le rapport de force, quand le second prône
plus volontiers la compétition électorale et la confrontation politique
avec le PS. « Le Front de gauche n’a
pas vocation à combattre une partie
de la gauche, a déclaré Patrick
Le Hyaric, sur la grande scène de la
fête. Il a vocation à permettre la défaite de la droite en ressourçant la
gauche, toute la gauche. » Au
contraire, pour Jean-Luc Mélenchon, le Front de gauche ayant vocation à « conquérir le leadership à
gauche », il « n’est pas élargissable
au PS ». Mais peut l’être au NPA,
qui « a d’ores et déjà changé ».
Le président du Parti de gauche, qui
concluait le débat organisé sur son
stand, a insisté sur la nécessité pour
le Front de gauche de « passer devant
[le PS] au moins une fois dans une région », pour « voir s’il acceptera de
se désister », suscitant de vifs applaudissements, jusque dans l’allée
Louise-Michel, où se massaient des
centaines de personnes. Appelant le
Front de gauche à avoir « de l’ambition », il a estimé que celui-ci était un
des « protagonistes » du « bras de
fer » qui se joue entre les tenants
d’une gauche recentrée et ceux qui,
en Allemagne, en Irlande ou en Amérique latine, travaillent à faire ressurgir une gauche de transformation
sociale et écologique.
_Michel Soudais
Retrouvez le blog de Michel Soudais
sur www.politis.fr
PS Tout à leur réforme interne, les socialistes veulent
oublier les fraudes du passé.
Silence, on rénove
HUGUEN/AFP
oin de polémiques inutiles.
Samedi, les socialistes
s’étaient entendus pour ne pas
évoquer les soupçons de triche
qui entachent l’élection de leur Première secrétaire. Pourtant, il a bien
été question des modalités des scrutins internes dans le projet de rénovation dont discutait leur conseil
national. À cette étape, il s’agissait
seulement de lancer un chantier
prévu pour durer jusqu’en juin 2010.
Et de s’accorder sur les cinq questions à mettre en débat, les militants
devant se prononcer sur celles-ci lors
d’une consultation militante le
1er octobre.
La première, qui est aussi la plus
médiatisée, porte sur l’ouverture des
primaires aux « citoyens qui souhaitent le changement ». Mais aussi,
si les militants PS l’acceptent, aux
formations de gauche qui souhaiteraient y participer. Dans ce cas, certains, comme Bernard Poignant,
maire de Quimper, craignent déjà
que le vainqueur puisse ne pas être
un socialiste et demandent à la direction du PS d’apporter des garanties
qu’il ne pourra jamais en être ainsi.
Autre crainte : les candidats déchus
respecteront-ils les résultats ?
Comme Martine Aubry s’y était
engagée à La Rochelle, les adhérents
du PS sont aussi invités à mettre
fin au cumul des mandats en inscrivant dans les statuts du PS l’objectif du mandat parlementaire
F
unique à partir de 2011. Une question secondaire les interroge sur l’opportunité de « limiter à trois les mandats successifs des présidents
d’exécutifs locaux ». Un sujet sensible qui est loin de faire l’unanimité
parmi les élus. Dans un dernier
baroud, ces derniers, François Rebsamen en tête, tentent de justifier
le cumul pour les… sénateurs.
Autres questions : le PS doit-il appliquer la « parité totale » dans toutes
ses instances et aux législatives, et
faire preuve de volontarisme pour
assurer « la représentation des diversités de la société française » ? Doitil se doter d’une « charte d’éthique »
et d’une commission ad hoc pour
veiller à ce que « la loyauté et les
obligations envers le parti » soient
respectées ?
Enfin, afin de parvenir à « une démocratie interne aboutie », la direction
souhaite réformer le mode de désignation des dirigeants socialistes. La
polémique suscitée par le livre des
journalistes Antonin André et Karim
Rissouli, Hold-up, arnaques et trahisons (éd. du Moment), peut y pousser, mais rien de clair n’est mentionné
pour assurer la fiabilité des votes. En
revanche, la rénovation projetée
envisage des simplifications et facilités d’adhésion. Une mesure qui,
comme les primaires, aura pour
conséquence d’ouvrir le PS à tous les
vents de l’idéologie dominante.
_Michel Soudais (avec Antoine Vezin)
1 7 sept embr e 200 9
I
POLITIS
I 7
ÉCONOMIE
ENTRETIEN Après le 23e cas de suicide d’un salarié de France Télécom, le sociologue Vincent de Gaulejac*
analyse cet aveuglement forcené des élites dirigeantes face à la souffrance au travail.
« Floués jusqu’au désespoir »
Politis | Claude Guéant,
secrétaire général de l’Élysée,
comme le directeur des
ressources humaines de France
Télécom, a estimé récemment
qu’on ne peut réduire les 23
suicides de salariés « à un
problème d’organisation » du
travail. Quelle est votre
réaction ?
Vincent de Gaulejac | C’est typique
de la réaction des DRH, mais aussi,
au-delà, des directions d’entreprises
confrontées à ce type de problème,
et de la classe dirigeante. Même dans
les partis politiques on retrouve cette
occultation des liens qui peuvent
exister entre la montée de la souffrance et de la violence au travail
et ce que les élites appellent la modernisation, la réforme, les nécessités de
s’adapter à la globalisation.
Le discours de la direction de France
Télécom est le même chez les dirigeants de Renault, après ce qui s’est
passé à Guyancourt, chez les responsables de la police, face à ce qui
se passe dans les commissariats, et
chez les responsables administratifs
de la santé, par rapport à la situation de l’hôpital. On pourrait citer
aussi le Pôle emploi, les prisons, l’université et d’autres entreprises
publiques comme la RATP, la SNCF,
La Poste.
Nous voyons un clivage entre ceux
qui sont sur le terrain, comme les
médecins, les psychologues, les assistants sociaux, les travailleurs qui
vivent cette tension, et les responsables qui sont loin du terrain et développent des prescriptions sans se
préoccuper de leurs conséquences.
Jusqu’à quelles extrémités faudrat-il arriver pour faire cesser cette surdité hallucinante et cette volonté des
élites de ne pas voir ce problème ?
Le cas de France Télécom est-il
un phénomène nouveau ?
Non. J’ai écrit le Coût de l’excellence
pour dénoncer les nouvelles formes
de management dans les multinationales au début des années 1990.
Il y a dans ce livre le témoignage d’un
employé d’IBM qui s’est suicidé et
a laissé une explication pour montrer les liens qui peuvent exister entre
le travail et son suicide. C’était un
cas isolé. Ce qui est frappant
8I
POLITIS
I 1 7 sept embr e 2 009
taire jusqu’à demander sa radiation
au Conseil de l’ordre, sous prétexte
que ce médecin sortait de ses attributions.
Mettez-vous en cause un
modèle de gestion du
personnel dans des entreprises
comme France Télécom ?
Des salariés de France Télécom sont rassemblés le 10 septembre en mémoire
d’un de leurs collègues qui s’est suicidé en juillet à Marseille. POUJOULAT/AFP
aujourd’hui, c’est l’accélération du
phénomène et le fait de mettre en
scène son suicide. Faute de pouvoir
parler, de pouvoir mettre en mots
la souffrance, les employés l’expriment par le passage à l’acte.
Comme il y a une surdité et un aveuglement par rapport à la violence au
travail, c’est comme s’il fallait mettre en scène quelque chose de spectaculaire pour qu’enfin on soit
entendu, pour qu’enfin on prenne en
compte le problème. D’une certaine
façon, ces salariés disent quelque
chose qui dépasse leur propre destin
personnel.
Il est surprenant de n’avoir
que peu d’études sur ce
phénomène…
Il en existe, mais elles ne sont pas diffusées. Le Centre de prévention du
suicide est très sensible à cette question parce qu’il se rend compte que
la tentative de suicide et le lien avec
le travail sont de plus en plus évoqués
par les personnes qui viennent les voir.
Quantitativement, on n’arrive pas à
chiffrer ces cas parce que le suicide
est toujours lié à des affaires personnelles et qu’il est aussi multifactoriel.
Mais mettre en avant les problèmes
personnels, c’est vouloir nier l’ensemble des facteurs qui entraînent
le suicide, notamment le fait que les
difficultés au travail interviennent
comme un facteur accélérateur.
En outre, les personnes habituées
à prendre en charge le suicide, c’està-dire les médecins et les psychologues, n’ont pas la formation et les
outils théoriques qui permettent de
faire le lien entre les difficultés liées
aux transformations de l’organisation du travail et les problèmes personnels. Souvenez-vous aussi de ce
médecin du travail d’IBM qui, l’année dernière, a écrit à sa direction et
souligné la montée de l’hyperstress
sur un site de l’entreprise. La réaction de la direction a été de le faire
Absolument. Les salariés sont mis
dans des obligations de résultats chiffrées sans que soient pris en compte
les moyens nécessaires pour les
atteindre. Ils se sentent totalement
instrumentalisées. Ils n’arrivent plus
à donner du sens à ce qu’ils font et
aux conflits qu’ils vivent dans leur
rapport au travail. Ces nouvelles
formes de gestion du personnel et de
management mettent les salariés
dans des injonctions paradoxales.
On exige d’eux une mobilisation psychique intense. Lorsque les contreparties attendues, comme la reconnaissance, n’arrivent pas, ils se
sentent floués jusqu’au désespoir.
Les salariés expriment une souffrance et un
malaise
psychique, l’angoisse
C’est l’entreprise
de ne pas être à la
qui devrait être
hauteur, de ne pas
un facteur de
être performant.
développement
Ils intériorisent
de l’humain,
une image négaet non l’inverse.
tive d’eux-mêmes
et, surtout, la
perte de sens. Car
on leur impose mobilité et flexibilité
sans leur expliquer pourquoi. Transformer l’humain en ressources au
service des objectifs de l’entreprise,
c’est faire du « moi » de chaque individu un capital qu’il faut faire fructifier. C’est l’instrumentaliser par
rapport à une finalité qui est le développement de l’entreprise.
C’est l’entreprise qui devrait être un
facteur de développement de l’humain, et non pas l’humain un facteur du développement de l’entreprise. Ce renversement est
caractéristique de « l’idéologie gestionnaire » à laquelle adhèrent les
élites dirigeantes.
_Propos recueillis par Thierry Brun
* Vincent de Gaulejac a publié, entre autres, la
Société malade de la gestion, éditions du Seuil, 2005,
et le Coût de l’excellence, éditions du Seuil, 1991,
réédité en 2007 (avec Nicole Aubert).
SOCIAL
À CONTRE-COURANT
PAR JEAN GADREY
Professeur émérite à l’université Lille-I.
Sarko-show
à la Sorbonne
FAGAN/IMAGE SOURCE
SANTÉ Le protocole d’accord visant à « moderniser »
la médecine du travail inquiète praticiens et syndicats.
Diagnostic très réservé
endredi 11 septembre, une
jeune salariée de France Télécom se donnait la mort en se
jetant par la fenêtre de son
bureau. Le même jour, dans la plus
totale indifférence médiatique, se
décidait l’avenir de la médecine du
travail. Un avenir bien sombre car,
après huit mois de négociations entre
partenaires sociaux, le protocole
d’accord visant à « moderniser »
les services de santé au travail (SST)
apparaît décevant, voire régressif. Il
a déclenché l’ire de nombreux médecins du travail et l’inquiétude des syndicats, qui pourraient refuser de
signer le texte. Même la CFDT s’est
dite insatisfaite malgré quelques
avancées. Le Medef, lui, a plébiscité
un texte « extrêmement novateur ».
Mais, alors que le Canard enchaîné
et Rue89 avaient révélé fin 2007 les
détournements de fonds destinés aux
SST par des Medef locaux, le patronat s’est bien gardé d’aborder la
question du financement. « On se
doutait que les pratiques incestueuses
entre les baronnies locales du Medef
et les SST ne cesseraient pas du jour
au lendemain, explique Jean-François Naton, conseiller confédéral
CGT, nous étions prêts à procéder
par étapes. Mais nous avons pu
constater que le Medef ne voulait pas
bouger d’un iota ! »
Si rien ne change quant à l’opacité de
gestion des SST, le texte porte en
revanche un coup fatal à l’autonomie
de la médecine du travail. Il entérine
V
ainsi la présence majoritaire des
représentants du patronat dans les
conseils d’administration des SST.
Au prétexte de compenser la désertification de la profession (un quart
des 6 500 médecins du travail partiront en retraite d’ici à cinq ans), les
visites médicales seraient espacées
de trois ans, voire plus, contre
deux ans actuellement. Entre-temps,
des infirmiers, sous l’autorité du chef
d’entreprise, réaliseraient des entretiens médico-professionnels.
« L’espacement des consultations va
éloigner les médecins du travail de
la réalité de l’entreprise, craint Yusuf
Ghanty, du collectif des médecins
du travail de Bourg-en-Bresse. Plus
personne n’aura une vue d’ensemble de la souffrance des salariés, ou
même des risques physico-chimiques
dans l’entreprise ! La médecine du
travail est mise dans le formol alors
même qu’on attend 100 000 morts
de l’amiante. »
Le collectif Sauvons la médecine du
travail, qui a lancé un appel signé
par plus de 500 médecins du travail,
évoque lui aussi une décimation programmée dans leurs rangs. Et qui
serait « utilisée comme un levier pour
justifier une remise en cause totale
de la prévention des risques professionnels en proposant une organisation basée sur la démédicalisation ». Drôle de conception à l’heure
où la santé au travail s’impose
comme un enjeu de santé publique.
Nicolas Sarkozy a retenu trois grands principes du développement durable:
récupération, réutilisation et recyclage. Il les applique essentiellement… aux idées des
autres. Cela lui assure de petits succès médiatiques à court terme, autre chose étant
ce qu’il en fait dans la durée. On l’a bien vu avec le quasi-torpillage de l’idée d’une taxe
sur l’énergie, très souhaitable si elle est progressive dans le temps, taxant aussi
l’électricité, d’emblée articulée avec des investissements réorientant la production, et
liée à un projet de fiscalité plus juste. Aucune de ces conditions n’est remplie avec la
minable taxe focalisée sur le seul carbone. On peut penser qu’il en ira de même après
le show que le Président vient de faire à la Sorbonne le 14septembre au début d’une
journée consacrée à la présentation du «rapport Stiglitz» sur de nouveaux indicateurs
de progrès, de bien-être et de soutenabilité.
L’idée: elle a été récupérée au Grenelle de l’environnement, où elle était portée par des
acteurs de la société civile depuis longtemps impliqués. Réutilisation orientée: la
réalisation du rapport a été confiée à un groupe d’experts internationaux (plus de 90%
d’économistes, plus de 90% d’hommes) sans dialogue avec la société civile, dans une
conception surannée de l’expertise «indépendante» (semblable à la fameuse
indépendance de la BCE). Recyclage partiel: les résultats ne manquent pas d’intérêt,
car c’est sans doute la première fois qu’un tel cénacle remet fortement en cause la
domination du sacro-saint PIB et de la mesure de la croissance vue comme symbole
de progrès. Cela peut avoir un impact positif. Cela fait quand même dix ans que
d’autres (Dominique Méda, Patrick Viveret…) l’ont écrit en France!
Mais, du fait même que ces experts ont travaillé en chambre, certaines
propositions restent marquées par un économisme qui aurait pu être évité avec une
méthode et une composition plus ouvertes. Penser, par exemple, que le
développement durable d’un pays peut être mesuré par un indicateur synthétique où
tout est exprimé en monnaie, y compris le patrimoine de ressources naturelles ou les
risques climatiques (en oubliant en route la dimension sociale
et la dimension démocratique de la soutenabilité) est un pur
mirage et une usine à gaz à côté de laquelle la mesure du PIB
est un modèle de perfection et de clarté…
Rien ne changera,
ni pour le modèle de Àun moment où quelques économistes un peu plus lucides,
dont Paul Krugman, nous expliquent que les économistes
société ni pour ses
(pas tous, mais beaucoup…) sont en déroute avec leurs
nouveaux repères,
modèles sophistiqués et coupés du réel, on ne trouve rien de
si la société civile
mieux que de ressortir de la boîte à outils un abominable
ne se met pas en
modèle néoclassique «d’optimisation intertemporelle»
mouvement
comme voie de construction d’un indicateur de soutenabilité
coordonné.
politiquement inutile et bourré de choix arbitraires. Pourquoi
faire simple quand on peut faire compliqué? Peut-être pour
conserver envers et contre tout le monopole de l’expertise.
Mais la grande question qui se pose désormais est celle du passage des rapports
et des discours aux actes. Quand, comment et avec qui va-t-on bâtir ces nouveaux
repères d’un progrès partagé et durable, et lesquels? Comment seront-ils
effectivement utilisés comme boussoles de politiques impulsant la «grande
réorientation», par exemple comme fondements d’autres critères de convergence
en Europe?
Silence radio du Président sur ces questions clés! En revanche, de pleines brouettes
d’envolées lyriques, du genre: « Nous sommes dans une époque où la question
centrale de la politique est celle du modèle de développement, du modèle de société,
celle de la civilisation dans laquelle nous aspirons à vivre»… et bla-bla, et bla-bla.
Rideau de fumée opaque à base de grands mots empilés et mal recyclés.
Rien ne changera, ni pour le modèle de société ni pour ses nouveaux repères, si la
société civile (syndicats, associations, territoires, etc.) ne se met pas en mouvement
coordonné. En s’appuyant sur tout ce qui existe, et qui est riche, y compris le rapport
Stiglitz et le rapport du Conseil économique et social, dans lesquels il y a du grain à
moudre, et en exigeant la mise en place de processus démocratiques, du local à
l’international.
_Pauline Graulle
1 7 sept embr e 200 9
I
POLITIS
I 9
ÉCONOMIE
AGRICULTURE La crise du lait est la conséquence de la libéralisation de la production. Toutefois, selon la
Confédération paysanne, une grève n’est pas souhaitable, car elle pourrait conduire à des faillites.
Faut-il revenir aux quotas laitiers ?
es médias affolent les foules en
se demandant si le pays va
connaître une pénurie de lait,
du fait de la grève de certains
producteurs. Ce qui fait enrager Philippe Collin, porte-parole de la Confédération paysanne : « Il n’existe aucun
risque de pénurie puisque le lait de
consommation ne représente que 3
ou 4 % de la production. Il n’existe
pas plus de risque pour le lait frais que
pour le pasteurisé. Le reste se vend en
briques de lait UHT de longue conservation, et l’essentiel va à la transformation industrielle. Il serait préférable
d’analyser les causes de la crise, liée
à une libéralisation de la production
et du commerce, et d’examiner la
situation de beaucoup de producteurs.
Faire la grève, cela signifie jeter dans
les égouts ou dans les fosses à lisier :
c’est spectaculaire, mais cela n’améliorera guère l’image des paysans. »
L’agriculteur reconverti en bio
explique que la Confédération soutient le mouvement, « mais n’appelle
pas à une “grève du lait”, inefficace
puisque les industriels de l’agroalimentaire ont des réserves et peuvent
se fournir ailleurs. Notamment en
Nouvelle-Zélande et en Australie, qui
exportent les deux tiers de leur production sous forme de poudre de lait
et de beurre utilisés par les usines de
transformation. Et l’Union européenne dispose d’un stock de
400 000 tonnes de beurre qu’elle peut
mettre sur le marché pour aider les
industriels à résister au mouvement. »
Car un problème échappe à beaucoup
de citadins : les vaches ne peuvent pas
faire grève, et il faut les traire tous
les jours.
Ancien porte-parole de la Confédération et producteur de lait bio dans
la Manche, François Dufour avance
une autre explication à la situation
actuelle. Il rappelle qu’il y a deux ans
les producteurs ont applaudi la suppression des quotas, qui constituait
une forme de régulation, et qu’ils ont
essayé individuellement de s’en sortir et d’écraser les autres. Constatant
les dégâts de ce libéralisme, ils redeviennent partisans d’une modération de la production. « À cette
époque, dit François Dufour, à la
Confédération, nous avons dénoncé
le danger, appelé à une maîtrise de
la production. Les producteurs nous
L
10 I
POLITIS
I 1 7 sept embr e 2 009
Les producteurs ont organisé un don de lait pour informer le public. DANIAU/AFP
ont répondu, avec le soutien de la
FNSEA : “Circulez, il n’y a rien à
voir, on ne bride pas un marché qui
s’ouvre.” Aujourd’hui, ils comprennent, mais trop tard. Ils doivent
faire face à une véritable hécatombe
qui n’a rien à voir avec la crise économique et tout à voir avec le libéralisme débridé. Les quotas, ce
n’était pas mirobolant, mais cela
équivalait à une sorte de droit antidélocalisation. »
Comment on étrangle les producteurs
Le nombre des producteurs de lait se
situe en France autour de 90000. Ils
produisent et livrent en moyenne, seuls
ou en groupement d’exploitation agricole
en commun (Gaec), 280000 litres de lait
par an. Le prix moyen payé en septembre
est de 270euros la tonne. Ce prix a été
souvent inférieur au cours des derniers
mois. Pour qu’un éleveur puisse se verser
un salaire légèrement supérieur au Smic,
le prix devrait être compris, selon les
régions et selon l’alimentation des
animaux, entre 330 et 440euros la tonne,
compte tenu du fait qu’un agriculteur doit
payer lui-même ses charges sociales, qui
absorbent environ 40% du prix de vente.
En favorisant la production de lait « hors
sol », avec des animaux nourris au maïs
et au soja, la FNSEA, le gouvernement
français et l’Union européenne
condamnent une autre production de lait,
plus rentable pour le paysan mais plus
dispersée, celle qui se base sur le
pâturage et la culture de plantes
fourragères comme la luzerne.
Pour être efficace, étant donné les
réserves et les approvisionnements à
l’étranger de l’agroalimentaire, une grève
devrait être de très longue durée, et donc
aboutir, comme en rêve la FNSEA, à la
disparition de nombreuses exploitations,
acculées à la faillite.
Et l’on s’étonnera, après, que le milieu
paysan français souffre d’un taux si élevé
de suicides…
_C.-M. V.
Quand il parle d’hécatombe, Dufour
se réfère à la disparition des petites
et moyennes exploitations. Il a participé à une enquête pour le compte
du Conseil économique et social de
sa région et a été
effaré d’entendre
« Nous avons déjà les « fonctionperdu 80 % des
naires » de l’Office
du lait lui expliexploitations
quer qu’un prolaitières depuis
ducteur sur deux
1984 », explique
devrait disparaître
François Dufour.
d’ici à 2013. D’où
sa colère : « Nous avons déjà perdu
80 % des exploitations laitières depuis
1984, année de la mise en place des
quotas, et on nous dit maintenant qu’il
faut faire encore plus de chômeurs,
puisqu’on ne sait pas où et comment
les reclasser. La FNSEA, avec les pouvoirs publics, a poussé à l’installation
de robots de traite qui fonctionnent
jusqu’à quatre fois par jour. Résultat,
les vaches ne sortent plus manger
d’herbe et sont nourries avec du maïs
et du soja OGM brésilien. »
Une autre conséquence, pour François Dufour, est que, « sans la petite
protection juridique des quotas, la
production du lait est peu à peu
transférée dans le Maghreb et en
Europe orientale. Là-bas, comme de
plus en plus souvent en France, s’organise une production de lait “hors
sol”, production à la fois standardisée, polluante et délocalisée. Les
vaches ne savent plus ce qu’est
l’herbe, ne ruminent plus : des
machines à pisser le lait, dont l’organisme est rapidement détruit ». Et
les surfaces enherbées, y compris dans
les zones de marais, vont être transformées en terres à maïs pour alimenter, en Normandie, les deux
usines d’agrocarburant de Rouen.
Dans son exploitation de la Manche,
François Dufour, avec sa modeste production de 320 litres en bio, prouve
qu’une autre agriculture est possible,
puisque le prix de son lait est à la hausse
et qu’il réussit à en vivre, car la
demande de ce produit est en augmentation constante depuis quelques
années. Avec la luzerne, dont il prévoit une cinquième fauche en octobre.
_Claude-Marie Vadrot
Retrouvez le blog de Claude-Marie Vadrot
sur www.politis.fr
ÉCONOMIE
RETRAITES Le ministre du Travail, Xavier Darcos, a bouclé sa réforme des retraites des mères de famille du
privé. Elle suit un mouvement général aggravant les inégalités subies par les femmes.
Drôle d’égalité hommes-femmes…
Des femmes assistent aux débats sur la réforme des retraites de 2003, qui avait déjà revu à la baisse la MDA des mères
fonctionnaires. Cette fois, les trimestres attribués aux mères pourront être partagés avec les pères. MULLER/AFP
e dossier de la réforme des
retraites des mères de famille
du privé est ficelé. L’empressement du gouvernement n’est
pas seulement dû à l’arrêt de la Cour
de cassation contestant le principe
d’une majoration de durée d’assurance pour enfant (MDA) aux seules
femmes, au nom de l’égalité hommesfemmes. Cette volonté de revoir ce
système destiné aux femmes, pénalisées par des carrières plus courtes
et des salaires moins élevés que ceux
des hommes, s’inscrit dans un
contexte d’économies drastiques.
Le gouvernement souhaite agir avant
le « rendez-vous » de 2010, qui lancera une nouvelle réforme de l’ensemble du système des retraites par
répartition. Il s’agit aussi de tuer
dans l’œuf un mouvement naissant
contre les inégalités, alors que se
prépare, pour le 17 octobre, une
manifestation pour les droits des
femmes. Xavier Darcos a invoqué la
jurisprudence de la Cour de cassation pour annoncer la réforme de
ce dispositif dès le mois d’octobre, en
l’inscrivant dans la loi de financement
de la Sécurité sociale pour 2010.
Un scénario connu: le Premier ministre, François Fillon, a expliqué qu’il
L
voulait s’inspirer de la réforme réalisée en 2003 pour les mères fonctionnaires qui ont vu leur MDA
revue à la baisse (deux trimestres
au lieu de quatre). Le gouvernement
dispose aussi d’un boulevard pour
ficeler un projet de texte avant le
débat parlementaire prévu en octobre. Les partenaires sociaux ont
validé le 10 septembre les propositions de la CFDT, de FO, de la CFE-
Les orientations
retenues
Lors d’une réunion du conseil
d’administration de la Caisse nationale
d’assurance vieillesse(Cnav), le
10septembre, une majorité d’organisations
syndicales et patronales ont retenu le
principe de quatre trimestres « attribués à
la mère au titre de la grossesse, de
l’accouchement et de la maternité». Quatre
autres trimestres « de majoration de durée
d’assurance au titre de l’éducation du jeune
enfant» relèveront du « libre choix des
parents», à compter de l’entrée en vigueur
de la loi. « Àdéfaut de choix du couple, les
quatre trimestres sont attribués à la mère»,
précise la Cnav.
CGC et du Medef, au cours d’un
conseil d’administration de la Caisse
nationale d’assurance vieillesse
(Cnav), très proches des intentions
gouvernementales. La MDA serait
ainsi scindée en deux parties (voir
encadré) et remettrait en cause la
majoration maximale actuelle de
huit trimestres (deux ans).
« La proposition soumise au CA s’inscrit dans une logique ne satisfaisant
pas à l’intérêt des mères de famille,
puisque son application se traduirait par une dégradation de leurs
droits. D’autre part, cette proposition ouvrirait la voie à de nombreux
contentieux et conduirait à un changement de nature des MDA », estime
la CGT, qui a apporté son soutien
à la manifestation du 17 octobre. La
CFTC et plusieurs associations familiales sont aussi opposées à la division de la MDA et souhaitent la
maintenir dans son intégralité en
liant juridiquement cette compensation à l’accouchement au lieu de
l’éducation des enfants.
Reste à savoir si le projet concocté
au ministère du Travail tient la route
juridiquement. Car la mise en cause
des retraites des mères de famille va
contre l’avis du Conseil constitu-
tionnel d’août 2003, qui a
« confirmé le bien-fondé de l’attribution de la MDA aux seules
mères », a rappelé la CGT. « Supposons qu’avant la fin de cette année
une loi supprime ces majorations
accordées aux femmes. Cette loi
pourrait être, devrait même être,
contestée et condamnée pour discrimination à
l’égard
des
Les deux tiers des femmes », ont
écrit
dans
salariés à bas
le Monde (du
revenus sont des
femmes, ce qui se 11 septembre)
Antoine Lyontraduit par des
Caen, directeur
droits à retraite
d’études
à
de plus en plus
l’EHESS,
et
réduits.
Hélène MasseDessen, avocate au Conseil d’État
et à la Cour de cassation.
Au-delà de cet aspect juridique, la
réforme remet au premier plan des
inégalités sociales qui touchent particulièrement les femmes. La
retraite des mères de famille est un
miroir grossissant des inégalités
entre hommes et femmes. Dans son
rapport préparatoire à la future
« concertation avec les partenaires
sociaux sur l’égalité professionnelle
entre les femmes et les hommes »,
Brigitte Gresy, de l’Inspection générale des affaires sociales, a dressé
un constat édifiant. Selon ce rapport, l’activité féminine ne progresse plus depuis les années 1990,
et les femmes sont surreprésentées
parmi les emplois non qualifiés (60 %). Le taux de chômage des
femmes est supérieur à celui des
hommes, et la précarité est plus
grande : en 2007, 31 % des femmes
étaient à temps partiel pour un
salaire mensuel moyen de
926 euros. Les deux tiers des salariés à bas revenus sont ainsi des
femmes, ce qui se traduit par des
droits à retraite de plus en plus
réduits. Les précédentes réformes
des retraites ont particulièrement
pénalisé les femmes. Rien n’est fait
pour inverser cette tendance.
_Thierry Brun
Retrouvez le blog de Thierry Brun
sur www.politis.fr
17 sept embr e 2 00 9
I
POLITIS
I 11
SOCIÉTÉ
PRISON La première nuit en détention, puis la dernière. Joseph Beauregard a recueilli une poignée de témoignages
qui racontent ce moment bref et long à la fois. Des nuits initiatiques qui soulignent la violence de toute incarcération.
« Je commençais une longue apnée »
prends la réalité. Je ne sais plus où
sont mes affaires, je suis incapable
de ranger, de réfléchir, d’avoir deux
idées cohérentes. La nana avec moi,
dans ma cellule, est obligée de ranger mes affaires. C’est comme si on
m’avait mis une camisole, je suis
incapable de coordonner mes mouvements. Je me souviens d’avoir
laissé cette petite nana qui se vidait
de son sang. Elle avait des règles qui
n’en finissaient pas, alors qu’en prison, en général,
on a toutes nos
règles en même
C’est là une suite
temps, elles se
de paroles
tarissent en même
recueillies,
temps. » Un tarisvoix étranglées,
sement de la vie
cognées au
caveau, semblant pour beaucoup
de femmes. « La
sorties d’outrelaisser là m’a
tombe.
donné l’impression d’un abandon, de casser un
truc d’amitié. C’est elle qui m’a dit
vas-y ! » Un autre souvenir demeure :
elle avait emprunté un stylo à une
autre détenue. Elle a refusé de quitter la prison tant qu’elle n’avait pas
rendu ce stylo.
ouillant dans les mémoires,
Joseph Beauregard signe une
série documentaire radiophonique sur ces heures précises de
la première nuit en prison, et de la dernière. Ces heures qui marquent un
avant et un après. Entre deux mondes.
Un temps suspendu. Une première
nuit initiatique, tétanisée ; une dernière, suée d’espoirs et d’angoisses.
Beauregard avait déjà réalisé des documentaires radio sur l’univers carcéral
(Bracelet électronique ; Jour de parloir), un autre, filmé, Des hommes en
cavale (Arte). C’est là une suite de
paroles recueillies, un reportage
sonore exacerbé, avec ses voix étranglées, cognées au caveau, semblant
sorties d’outre-tombe. Ici, l’outretombe se nomme Fleury-Mérogis,
Melun, Bois-d’Arcy ou Fresnes.
Ce sont des témoignages brefs, incisifs. Qui disent l’arrachement ou la
déchirure, la dépression entre les
murs, le dépouillement physique et
affectif des détenus, des mots qui rendent compte d’incarcérations sans
réinsertions, de survie en milieu hostile. Un ruban de détails agrippés à
la mémoire, sans fard derrière les
barreaux.
F
en 1978, pour du shit, parce qu’un
juge estime que c’est « le bon endroit
pour décrocher de la came ». La première nuit, « tout se mélange. C’est
un magma d’émotions qui déstabilise et fait mal. Jusqu’au fond des
tripes ». Au matin, l’impression qui
domine est celle « d’un caisson
métallique ». Impossible de respirer. « Je commençais une longue
apnée. Tout est oppression. C’est
une écume des jours, avec la pièce
qui se referme sur soi. » Reste aussi
en mémoire « cette misère, silencieuse, insidieuse, de gens qui se taisent, subissent ou hurlent, et jamais
personne pour répondre aux
appels ».
Sa dernière nuit se passe aussi à
Fleury-Mérogis. Elle a déjà une trentaine d’années. Il est presque minuit.
« Je ne m’y attendais pas. On m’appelle à l’interphone. On me dit : “Préparez votre paquetage !” » Elle croit
à une mauvaise blague. « Je deviens
complètement idiote quand je com-
12 I
POLITIS
I 1 7 sept embr e 200 9
JOSEPH BEAUREGARD
CATHERINE Elle entre en taule
HAFED Il a 16 ans, en juin 1976,
quand il entre en prison pour la première fois. À Fleury-Mérogis.
Accueilli en pleine nuit par « les
aboiements des surveillants » et
placé seul en cellule. « J’ai pensé que
j’avais enfin ma chambre. Ça a été
une espèce de soulagement. Je m’y
suis trouvé bien. Je n’ai pas vu que
la porte ne s’ouvrait pas de l’intérieur. J’ai évidemment vu des barreaux, un lit en ferraille… Je me suis
fait piéger parce que je suis entré
dans une espèce de film où enfin
j’avais ma chambre, mon indépendance. J’ai pu allumer une cigarette
que j’avais taxée au dépôt. Le piège,
c’est que j’ai fait l’association entre
la liberté et la prison. Je m’y suis
trouvé bien, avant que le piège ne se
referme. »
Dans cette première nuit, il commence par « une branlette ». C’est
une manière de marquer son territoire. « Si je peux bander et jouir ici,
je pourrai le faire dans n’importe
quel autre lieu au monde. » Il jouit
avant d’être réveillé par le bruit, « le
fait qu’il ait ouvert la porte avec cette
violence-là. Le son m’est passé par
la plante des pieds, concrètement,
l’impression qu’on m’ouvrait le foie,
les poumons ». C’est seulement à ce
moment qu’il comprend qu’il est en
prison, et « pas dans une chambre
d’accueil ».
Sa dernière nuit en prison est à
Fresnes. Il a 47 ans. C’est une nuit
de fou rire parce qu’il devait sortir la veille. Il a refusé pour des « raisons bêtement matérielles ». Laisser ses effets personnels à ses amis,
selon « la coutume carcérale. Qui
mes chaussures, qui mon ordinateur, qui mes bouquins ». Il
demande au surveillant chef de pouvoir laisser ses objets à tel et untel.
Un « sourire ironique » comme
réponse. « On leur donnera,
comme on dit à un jeune comédien
qui passe une audition : “On vous
écrira.” » Il choisit donc de rester
un jour supplémentaire. Il sait que
la loi autorise à tout indigent de rester une nuit de plus en prison. Il
passe sa dernière journée à léguer
son « héritage ». Parce que « la fraternité vaut bien la liberté ». C’est
ça, son fou rire et sa bonne humeur
de la dernière nuit, sans manger,
parce qu’il a aussi distribué sa batterie de cuisine.
SOCIÉTÉ
HUGO À l’orée des années 1970.
À Fleury-Mérogis. Hugo a 16 ans.
Il est « anxieux, angoissé » quand
il débarque. « La prison était neuve,
on essuyait pratiquement les
plâtres. » On lui enlève alors toutes
ses fringues personnelles, slip et
chaussettes, « pour une tenue pénale,
où y a jamais rien à sa taille ». Il
allume la radio fixée au mur. Et commence à tourner en rond. Avec interdiction de s’asseoir sur son lit. En
pyjama. À 21 heures, extinction des
feux. Rien à faire, sinon gamberger, s’interroger. Combien de temps
encore ? Un temps qui ne s’écoule
pas, qui s’étire. « La ronde, le surveillant qui fait claquer l’œilleton,
la lumière qui s’allume, un œil et
quelqu’un qui vous regarde. »
Ultime nuit en prison à Melun, un
1er avril. Après une récidive. Hugo
vient de tirer quinze ans. Il est en paix
avec lui-même. « Tu te demandes
comment ça va se passer. Tes relations avec les femmes, avec les gens,
comment tu vas pouvoir gérer les
situations conflictuelles. Tu n’as plus
du tout le même état d’esprit. Mais
quand tu sors, ça ne se passe jamais
comme tu l’as rêvé. Comment je vais
gérer mon travail, comment ça va se
passer. Y a plein de choses. Comment
je vais gérer ma vie sociale, ma vie
sur le plan financier, parce que c’est
pas rien. Quand tu sors, la plupart
du temps, quand t’as fait une grande
peine, tu sors une main devant, une
main derrière. C’est pas avec le peu
d’argent, ton pécule, que tu vas pou-
voir faire bombance. Il y a une putain
de trouille à aller dehors. Là, on t’enlève tout sens des responsabilités,
pendant des années, on t’infantilise
au maximum, on ne t’a préparé à
rien à la sortie. » De la toute première nuit à la dernière, il s’est passé
presque quarante ans. « Je rentre,
je suis un gosse, je ressors, je suis
presque un vieillard. »
DJEMEL Il a 17 ans, en 1982,
quand il entre à la prison de Boisd’Arcy. Épuisé par les gardes à vue
et les dépôts. « Des matelas, des
draps, un lit, une armoire. » Il est
rassuré. Mais pas moyen de trouver
le sommeil. « On entend des clés,
des œilletons qui s’ouvrent, c’est
monstrueux. Les chasses d’eau, c’est
un truc d’enfer, surtout quand elles
sont déréglées et que la ferraille tape
sur la ferraille. Clac ! Clac ! Clac ! »
Puis le gueulement des matons, à
7 heures, « debout là-dedans, avec
une espèce d’énergie négative ».
La dernière nuit se déroule à FleuryMérogis, en 1995, après une peine
de vingt-quatre mois, « après un
chantage aux grâces ». Prévenu seulement la veille et placé en cellule
dite « libérable ». Il laisse l’essentiel
de ses affaires aux copains, sans quoi
on est appelé « le clochard ». Dans
l’après-midi qui précède la nuit,
« c’est l’angoisse terrible du greffier,
jusqu'à 17 h 30, 18 h, parce que
s’il vous appelle, ça veut dire que
vous allez resigner pour quelques
mois supplémentaires. Vous pas-
sez donc tout l’après-midi à prier
tous les saints qu’on ne vous appelle
pas au greffe ». Puis dans la nuit,
ça discute, ça joue aux cartes jusqu’à
l’aube, jusqu’à ce que le « crabe »
(le surveillant) vienne vérifier que le
paquetage est correctement préparé.
SALIM « C’est en 1989, à FleuryMérogis. J’étais encore mineur.
Quand j’entends prison, je suis
tendu. Je n’arrive pas à pleurer […].
Il y a un lit soudé au mur, une petite
armoire, des barreaux aux fenêtres,
un lavabo. » Quelques timbres lui
sont donnés. De quoi écrire. Ça va
mieux quand un voisin qui tape au
mur prend des nouvelles. « Je suis
très sensible au bruit. Ce qui raisonne encore dans la tête, ce sont les
détenus qui tapent aux portes, ça
peut être pour un mal de dents, pour
une détresse, pour n’importe quoi.
Ce sont des cris qui font mal mais
qui te rendent plus fort. T’apprends
comme un légionnaire apprendrait
à la guerre. »
Quatorze ans plus tard, Salim vit sa
dernière nuit d’incarcération. Il a
maintenant 37 ans. Il a récidivé. « Je
n’ai plus droit à l’erreur. J’ai tout
mis en place pour que, lorsque je
sors, je sache si je vais tourner à
gauche, à droite, ou aller tout droit.
Je sais que je ne fréquenterai plus
mon entourage, que la vie est devant
moi. » La dernière semaine, « tout
est serré à l’intérieur ». À 6 h 30,
le paquetage est prêt. « Là, vous
vous sentez quelqu’un qui va revivre.
La loi pénitentiaire
fait marche arrière
Promise en juillet2007, la loi pénitentiaire
est à nouveau débattue à partir de ce
15septembre à l’Assemblée. Ministre de la
Justice et garde des Sceaux, Michèle
Alliot-Marie s’est déjà prononcée sur
certains volets essentiels. Elle s’est dite
opposée à l’aménagement des peines
(bracelet électronique, semi-liberté et
travail d’intérêt général) pour les
récidivistes condamnés à moins de deux
ans. Elle revient aussi sur le principe de
l’encellulement individuel, pourtant
réaffirmé par le Sénat en mars dernier, voté
en 2000 et toujours assorti d’un moratoire.
Le Sénat avait avancé quelque peu, d’un
pas, vers l’humanisation. Avec MAM, la loi
s’apprête à reculer de deux pas.
On se demande qui va vous chercher devant la porte. On ne se promenait pas en liberté, on va le découvrir. Tu ne sais pas comment tu vas
être reçu de l’autre côté. On s’est
fait une famille en prison, un
deuxième monde, comme si t’avais
quitté la Terre. T’as peur. »
_Jean-Claude Renard
Ma Première Nuit en prison ; ma dernière nuit en
prison, Radio Nova, diffusion jusqu’au 25 septembre,
du lundi au vendredi, à 8 h 20 et à 18 h 20. Également
en podcast sur novaplanet.com
17 sept embr e 200 9
I
POLITIS
I 13
ÉCOLOGIE
NORD-SUD Il est difficile de cerner l’ampleur réelle du phénomène récent d’appropriation de terrains cultivables
dans les pays du Sud. Mais des études font fortement douter du bénéfice que ceux-ci pourraient en tirer.
La course aux terres ne faiblit pas
À Madagascar, plus de 2 millions d’hectares ont été affectés en quatre ans à des investisseurs étrangers. TRAVERT/AFP
ob conseille d’investir
dans des régions peu
peuplées, disposant de
ressources et d’un climat propices à la culture du riz. »
Bob, c’est Zeigler, directeur général du très important Institut international de recherche sur le riz (Irri),
financé en partie par la Banque mondiale. Et ses auditeurs, de hauts émissaires saoudiens œuvrant pour un
plan de production de nourriture à
grande échelle sur des terres étrangères, et destinée à être rapatriée dans
leur pays. Une stratégie adoptée par
plusieurs pays en déficit agricole
important – notamment dans le
Golfe et en Extrême-Orient –, après
la crise des prix alimentaires de 2008,
qui les a déstabilisés (1). L’Irri parle
de projets avec Foras, une structure
qui aurait déjà acquis 500 000 hectares au Sénégal et 200 000 autres
au Mali pour produire du riz pour
l’Arabie Saoudite.
Tout cela figure dans un compte
rendu de mars dernier, une pépite
dénichée sur le site de l’Irri par l’association Grain (2) pour la sauvegarde de la biodiversité planétaire.
« Nous aussi avons été saisis par des
opérateurs désireux de “valoriser”
B
«
14 I
POLITIS
I 1 7 sept embr e 2 009
des terres. Nous avons décliné, ce
n’est pas notre rôle », tranche Patrick
Caron, directeur scientifique du
Cirad.
L’institut français de recherche agronomique pour les pays du Sud réunissait, le 3 septembre dernier, des
dizaines de chercheurs de plusieurs
pays pour tenter de cerner les
contours réels de cette course à la
terre, d’une ampleur considérable
depuis deux ans. Entre 15 et 20 millions d’hectares récemment accaparés ou en négociation, en Afrique
et en Asie principalement, selon l’Institut international de recherche sur
les politiques alimentaires (Ifpri).
Paul Mathieu, spécialiste du dossier
à la FAO, estime quant à lui le chiffre
de 30 millions d’hectares « probablement très sous-estimé » pour la
seule Afrique subsaharienne ces dernières années.
« Attention aux effets d’annonce. En
Thaïlande, on parle de 4,4 millions
d’hectares convoités, seulement
1,5 % a été attribué », dit Harris
Selod, qui participe à une large étude
de la Banque mondiale. Les résultats
sont attendus fin 2009. Premières
indications : les grosses opérations
concernent bien l’alimentation mais
aussi les agrocarburants, la foresterie
et le piégeage de CO2. Le profil des
investisseurs est très variable, et il s’agirait, à 60 %, de… nationaux. « Ne
s’agit-il pas, souvent, de spéculateurs ?,
interroge Alain Karsenty, économiste
au Cirad. La terre est devenue un
excellent placement… »
Treize des 34 millions d’hectares du
Mozambique font ainsi l’objet de
candidatures ! Une partie est déjà
occupée par des populations… Submergé, le pays a décrété un moratoire sur les attributions. L’Éthiopie
« offre » 1,6 million d’hectares
« vierges », et bientôt 1,1 million de
plus. « Environ 8 400 investisseurs
ont déjà reçu une licence pour intervenir !, indique Paul Mathieu. Il
paraît évident qu’il y aura de la déforestation à la clef… » Un pays que
les chercheurs indépendants de l’International Institute for Environment and Development (IIED) ont
investigué (3), avec le Ghana, le
Mali, le Soudan et Madagascar.
« On constate une activité considérable dans ces pays, commente
Lorenzo Cotula, chercheur à l’IIED.
Plus de 2 millions d’hectares affectés en quatre ans, avec un accroissement constant du nombre de
projets et de leur superficie. » Dans
cette étude, les investissements étrangers dominent : Asie, pays du Golfe
mais aussi Union européenne
– « pour 70 %, à Madagascar ! » –
, où l’entreprise sud-coréenne Daewoo a finalement échoué dans sa
tentative de capter 1,3 million d’hectares à la suite du renversement du
gouvernement. Et des opérateurs
privés à 90 %, « mais derrière, il y
a fréquemment des gouvernements
en appui ». L’IIED a réussi à se procurer quelques contrats. Curiosités :
« Contrairement aux secteurs minier
ou pétrolier, ils sont en général très
peu spécifiques, bien qu’il s’agisse
souvent de baux à long terme. L’un
d’entre eux, pour une concession de
99 ans, tenait en deux pages ! »
Les contreparties financières pour
l’usage des terres sont souvent faibles, voire nulles : les investisseurs
s’engagent à créer des infrastructures, des emplois, etc. La transparence est absente, et les populations
locales sont peu consultées. Varun,
société indienne qui convoite à
Madagascar 465 000 hectares déjà
occupés aux trois quarts par des villageois, a ainsi organisé leur
« consultation » à sa main, expose
André Teyssier, chercheur au Cirad.
« Varun a suscité la création de
13 groupes d’interlocuteurs ! Je vois
mal le processus aller à son terme,
d’autant que les contreparties, pour
les familles, sont bien insuffisantes… »
Des opérations « gagnant-gagnant » :
tel est pourtant le maître mot de leurs
promoteurs. Certains chercheurs tentent de voir dans ces investissements
une chance de faire décoller des rendements agricoles désespérément
insuffisants en Afrique. Mais au
regard de la litanie des « risques »
(déjà effectifs) – corruption, expulsion de populations, paupérisation,
emplois fugaces, baisse des ressources alimentaires, etc. –, le verdict de l’ultime table ronde du colloque du Cirad est unanime : ils n’y
croient pas.
_Patrick Piro
(1) Voir Politis n° 1029.
(2) www.grain.org
(3) Voir www.iied.org, « publications », puis chercher
« land grab » (avec la FAO et le Fida).
ÉCOLOGIE
CHANGER D’ÈRE
BERNARD ROUSSEAU
Administrateur à la fédération
France nature environnement (FNE).
Marées vertes : fermer
le robinet à nitrates !
CROCK/AFP
RESSOURCES Un rapport des Amis de la Terre s’alarme
de la surconsommation de matières premières.
Ces pays pillards
orêts et végétaux, minerais et
métaux, énergies fossiles, etc. :
ce sont 60 milliards de tonnes
de matières premières
consommées chaque année, soit
50 % de plus qu’il y a trente ans.
Pour certaines, comme le gaz, le
nickel, les sables et graviers, la croissance est de 40 à 60 % sur la seule
dernière décennie. C’est ce que révèle
le rapport « Overconsumption ? Our
use of the world’s natural ressources (1) », publié pour le premier
Forum mondial sur les ressources,
qui s’est tenu en Suisse les 15
et 16 septembre, à l’initiative de chercheurs indépendants défendant une
réduction radicale de la ponction des
ressources (2).
Le fossé entre les continents est spectaculaire : dans les pays industrialisés, un habitant ponctionne en
moyenne dix fois plus de ressources
que dans un pays pauvre : 90 kg par
jour pour un Nord-Américain, la moitié pour un Européen et seulement
10 kg pour un Africain.
Il ne s’agit plus de consommation
« locale » depuis longtemps. Une part
considérable de ces tonnages est
extraite dans le Sud pour être exportée. Et l’Europe est en tête du classement mondial avec une balance
importation-exportation positive de
près de 8 kg par personne et par jour,
alors que les pays du Sud sont exportateurs nets d’environ 2 kg par personne et par jour. Avec une pression
grandissante : l’extraction de ces ressources, plus rares, plus difficiles à
exploiter, fréquemment situées dans
des zones protégées, ne génère pas que
F
des impacts environnementaux. Elle
« est souvent source de violations des
droits humains et de conditions de travail dégradées », souligne le rapport.
Plus préoccupant peut-être : l’amélioration de l’efficience de l’économie
n’y fait rien. En trente ans, la quantité de ressources nécessaires à l’augmentation d’un point de PNB a certes
diminué de 30 %, mais la ponction
totale n’a été ralentie en rien, dopée
par la croissance de la consommation.
Quelles seraient les conséquences d’un
« laisser-faire » ? Réponse du rapport :
en 2030, 100 milliards de tonnes de
matières consommées par an, des tensions exacerbées, car nombre de ressources atteignent leur pic d’extraction, avec une concentration des
derniers gisements dans un nombre
restreint de pays. Et la compétition
lésera encore plus qu’aujourd’hui les
pays pauvres.
Or, des mesures décisives peuvent être
prises à court terme dans les pays
riches, soulignent les auteurs : augmenter le prix des ressources, récompenser les économies, accroître l’efficacité des procédés, recycler à
outrance… Selon Friedrich SchmidtBleek, l’un des initiateurs du Forum
mondial sur les ressources et directeur
de l’institut Facteur 10, plus de 90 %
des ressources naturelles, en moyenne,
finissent en déchets avant que les biens
ne parviennent sur le marché…
_Patrick Piro
(1) Les Amis de la Terre Europe et Autriche,
Sustainable Europe Research Institute (Seri,
Vienne). Voir site www.amisdelaterre.org/Nouveaurapport-surconsommation.html
(2) www.worldresourcesforum.or
Il aura fallu qu’un cheval trouve la mort fin juillet, empoisonné par les
émanations d’algues vertes en décomposition, pour que le gouvernement semble
s’émouvoir de l’ampleur du phénomène des marées vertes sur les côtes bretonnes.
Et, début septembre, on apprenait qu’un ouvrier chargé du déblayage des algues
était décédé brutalement, à la même période, peut-être en raison de son exposition
à leurs émanations.
Ces marées vertes ne sont qu’un aspect du phénomène d’eutrophisation des eaux,
qui se manifeste par le développement de très grandes quantités de végétaux. En
mer, ce sont principalement les ulves qui forment les marées vertes, mais aussi les
algues phytoplanctoniques, dont certaines sont toxiques et ruinent la
conchyliculture. Dans les eaux douces, prolifèrent certaines variétés de
phytoplancton ou de végétaux enracinés, la compétition tournant souvent à
l’avantage des algues, dont certaines sont toxiques, comme les algues bleues.
À l’origine de ces explosions végétales : les nitrates et les phosphates, éléments
nutritifs en excès. Le ministère de l’Agriculture avait calculé que l’excédent de
nitrates, rejeté en mer, représentait plus de 700 000 tonnes d’azote par an !
L’agriculture y contribue aux trois quarts… En Bretagne, les déjections animales sont
la source principale de cette pollution: 55 % de la production de porcs y est
concentrée sur 6 % de territoire national !
Et pourtant… Il y a trente ans déjà, l’Agence de l’eau Loire-Bretagne se rendait
aux Pays-Bas et au Danemark pour apprendre comment élever proprement des
cochons. Pour quels résultats ? Les plans et dispositifs se sont succédé en vain : le
Programme de maîtrise des pollutions d’origine agricole
(PMPOA) de 1993 – financé à 70 % par l’argent public, et
Il s’agit bien
imposé aux agences de l’eau ! –, puis le PMPOA 2, les
d’affronter
programmes « Bretagne eau pure » 1, 2, etc. Bien souvent,
de véritables usines à gaz, et pratiquement sans résultats,
les retombées
sous la pression de l’augmentation des effectifs de porcs,
de cinquante
de volailles, de bovins : une situation dénoncée en
permanence par les associations, la Cour des comptes, la
années d’une
presse, etc.
politique
Dès 1992, conséquence de la « directive nitrates », sont
délimitées les « zones vulnérables » à la pollution par les
agricole
nitrates d’origine agricole : celles qui alimentent en eau des
nappes souterraines où les rivières présentent des teneurs
maximaliste.
en nitrates très élevées (proches ou supérieures à 50 mg/l).
Depuis, nous en sommes à la quatrième révision de ces
zones, qui représentent aujourd’hui plus de la moitié du
territoire national. En Loire-Bretagne, leur surface est
passée de 52 % à 54 % – une mesure édifiante de l’efficacité des politiques de lutte
contre la pollution agricole !
Dernière tentative avant faillite : l’entrée « en vigueur » en 2010, pour le
compte de la directive-cadre sur l’eau (DCE), de dispositions vraiment bien peu
contraignantes pour réduire les nitrates…
Alors, le Premier ministre s’est déplacé en Bretagne, après la mort du cheval, pour
annoncer que l’État allait financer le ramassage des algues là où elles présentent un
risque pour la santé. Ce que faisaient déjà les communes : bel effort ! Et là où il n’y a
pas de risque avéré, que fera-t-on ? On attendra quelques années que la couche
d’algues soit plus épaisse !
Le curatif, il en faut certes, mais la solution au problème des algues passe par la
réduction drastique des émissions de nitrates à la source. Si l’on en croit Chantal
Jouanno, secrétaire d’État à l’Environnement, « L’État assume pleinement ses
responsabilités maintenant. » Un espoir ?
Mais que fera-t-il de plus qu’auparavant ? Du passé faire table rase, avec des millions
de cochons et d’animaux installés, et l’utilisation intensive d’engrais ? Il s’agit bien
d’affronter les retombées de cinquante années d’une politique agricole maximaliste.
On souhaite bien du plaisir à la future commission interministérielle de lutte contre la
prolifération des algues vertes, à patauger dans les algues et le lisier bretons.
17 sept embr e 2 0 09
I
POLITIS
I 15
LES ÉCHOS
MONDE
Aurel à l’attaque!
IRAN. Paris pousse dangereusement au crime, alors
que les États-Unis font encore le pari du dialogue.
FAGET/AFP
Trouble jeu français
ne rencontre entre les responsables iraniens et les
grandes puissances doit avoir
lieu le 1er octobre, vraisemblablement en Turquie. À l’ordre du
jour, évidemment, le dossier nucléaire.
Devraient y participer Javier Solana,
pour l’Union européenne, et Saïd Jalili,
négociateur de l’Iran. Mais aussi des
représentants des États-Unis, de Russie, de Chine, de Grande-Bretagne,
d’Allemagne et de France. Interrogé
sur la possibilité de sanction au cas où
l’Iran refuserait toujours de soumettre son programme nucléaire à une
supervision internationale, M. Solana
a répondu que les grandes puissances
n’avaient pas abandonné leur stratégie de « double approche ».
L’expression est particulièrement édifiante. « Double approche » signifie
évidemment que les grandes puissances proposent « d’aider » l’Iran à
se doter sous contrôle international
d’une énergie nucléaire civile, tout en
menaçant Téhéran de nouvelles sanctions en cas de refus de supervision
internationale. La classique politique
de la carotte et du bâton. Ce qui est
étonnant dans cette affaire, c’est que
c’est la France qui incarne le plus « le
bâton », alors que les États-Unis de
Barack Obama privilégient nettement
l’hypothèse du dialogue. Cela fait aussi
partie de la « double approche », mais
qui reflète sans aucun doute une divergence réelle.
Le ministre français des Affaires étrangères voudrait torpiller la rencontre
du 1er octobre qu’il ne s’y prendrait
pas autrement. Il multiplie en effet les
déclarations pour faire savoir que la
France « n’attend pas grand-chose »
de ce rendez-vous. De son côté, Pierre
U
16 I
POLITIS
I 1 7 sept embr e 2 009
Lellouche, secrétaire d’État aux
Affaires européennes, en rajoute en
affirmant : « On ne peut pas rester
dans cette situation très longtemps, il
faut probablement mettre la pression
sur les Iraniens. » D’ores et déjà, at-il déclaré, la situation du nucléaire
en Iran est « inquiétante pour la stabilité ». En toile de fond de cette « double approche » entre la France et les
États-Unis, il y a la position d’Israël.
Sans doute pour créer un autre abcès
de fixation au moment où un début
de pression s’exerce sur lui à propos
de la colonisation, Israël plaide pour
une option militaire. Une option
extrêmement dangereuse, y compris
pour l’économie mondiale, dans une
région à très forte densité pétrolière.
La divergence entre Benyamin Netanyahou, qui pousse au conflit ouvert,
et Barack Obama, partisan du dialogue, est aujourd’hui patente. Pour
Israël, l’enjeu est de rester la seule
puissance nucléaire de la région. La
France de MM. Kouchner et Lellouche semble coller aux intérêts
israéliens. La semaine dernière déjà,
Bernard Kouchner avait fait chorus
avec Israël pour accuser le directeur
de l’Agence internationale à l’énergie
atomique, Mohammed el-Baradei,
de dissimuler des documents prouvant l’engagement de l’Iran dans la
voie du nucléaire militaire. Celui-ci
s’était déclaré « consterné ». L’histoire ne dit pas si la stabilité que souhaite Pierre Lellouche est celle qui permet à Israël de poursuivre la
colonisation de la Cisjordanie et de
Jérusalem-Est. Ni quelle gigantesque
instabilité résulterait d’une guerre
contre l’Iran…
_Denis Sieffert
En Sarkozie
Converti à Stiglitz
Taxe copie carbone
Nicolas Sarkozy a dénoncé lundi la
« religion du chiffre» et plaidé pour un
changement de la mesure des progrès
économiques et sociaux.
Plus fort encore, le chef de l’État, qui
s’exprimait à l’occasion de la réception
du rapport de la commission de mesure
de la performance économique
et du progrès social, dirigé notamment
par le prix Nobel Joseph Stiglitz, a
pourfendu un système fondé sur les
«moyennes» :
« La moyenne, c’est une façon de ne
jamais parler des inégalités» et de « la
religion du marché, qui, par principe, a
raison», a-t-il osé dire. On sait
désormais à qui l’on doit l’instauration du
bouclier fiscal: aux statisticiens
obnubilés par la «moyenne». Merci
Sarko!
D’où viennent ces 17 petits euros la tonne
de CO2 adoptés par la taxe carbone, sans
effet sur le climat alors que les experts
proposaient 32 euros? D’une moyenne,
sur deux ans, du prix de la tonne de CO2
sur le marché européen des quotas
d’émission, créé en 2005 pour les
industries les plus polluantes. Alors que
Bruxelles visait la tonne à 30 euros
environ, elle cotait 25 euros en
août 2008 : c’est qu’on a encore distribué
trop de quotas aux entreprises! Puis la
crise économique, ralentissant l’activité, a
fait chuter le prix. La tonne valait 14 euros
en août… montant souhaité par Fillon. Et
rien n’a été dit sur la progressivité de la
taxe. Pour cause. Voilà bien la conception
sarkozyenne des politiques publiques:
une copie carbone des conditions dictées
par le marché.
en 2 mots
La bévue d’Aubry
« Pour qu’il n’y ait plus de vote qui puisse prêter à contestation», Martine Aubry avait
évoqué, samedi, dans le Nord, la mise en place en juin 2010 d’« un grand fichier au
niveau national». Elle s’est vite fait moucher. Philippe-Xavier Bonnefoy, ancien
président du bureau national, lui a rappelé, dans la presse, lundi, que le fichier national
des adhérents du PS « existe depuis 2005». Ce fichier, dit Rosam, est « l’outil de
référence permettant d’établir la liste électorale pour les votes internes du PS ». Ce que
ne dit pas M.Bonnefoy, c’est que ce fichier qui permet d’établir la liste électorale du
parti était désapprouvé, voire refusé, par les chefs et petits chefs des fédérations du
Nord et du Pas-de-Calais. Martine Aubry ne s’adressait peut-être qu’à eux.
Krivine doublé sur sa gauche
Que n’a-t-il pas dit là, «le camarade Alain Krivine» ? Il a osé affirmer dans le Nouvel Obs
(facteur aggravant) que l’ancien préfet de police Maurice Grimaud était « un type
bien». « Nous ne voyons pas l’intérêt de s’épancher dans la presse bourgeoise sur les
éventuelles qualités humaines d’un chef des forces de répression», lui rétorquent
vertement les animateurs de la tendance «Claire» du NPA. Voilà qui est «clair» en
effet. On est toujours le bourgeois de quelqu’un. Ajoutons que les mêmes, qui ont
décidément le sens de la nuance, ne veulent pas entendre parler de la moindre
déclaration commune du NPA avec le PCF, et même avec le PG. Comme ça, on est
tranquille!
Verdict colonial
Olivier Besancenot(NPA), José Bové(Europe Écologie), Élie Domota(LKP) et Cécile
Duflot(Verts) avaient demandé lundi soir à Paris la libération immédiate de Gérard
Jodar, président du syndicat indépendantiste calédonien USTKE. Sans être
entendus par la cour d’appel de Nouméa, qui, le lendemain, a décidé le maintien en
détention du syndicaliste et d’une peine d’emprisonnement de neuf mois fermes. Une
lourde peine alors que les actions de blocage menées par des syndicalistes ou
d’autres dans les transports aériens, routiers ou ferroviaires en métropole et en
Guadeloupe n’ont pas suscité de telles condamnations. Mais, en NouvelleCalédonie, on y ajoute la peine coloniale…
là-bas
Silvio, le peuple et la liberté de la presse
En cas
clos,
délais
à vue
de pandémie, avec les procès à huis
le juge unique, l’augmentation des
de détention provisoire et la garde
sans avocat, ce sont les libertés
qui vont être grippées !
sens de «l’humour» si
particulier, personne n’en
doutait…
LU
Circulez, il n’y a rien à voir !
C’est à peu de chose près ce
que nous dit la Licra à propos
de la sortie raciste de Brice
Hortefeux. Pour le président
de l’étonnante «Ligue contre
le racisme et
l’antisémitisme», Patrick
Gaubert, ex-député européen
UMP, «l’affaire est close».
Il l’a fait savoir dans un
communiqué à l’AFP. Pas
même question d’excuses de
la part du ministre, puisque,
nous dit la Licra, «il n’a à
aucun moment mentionné
une quelconque origine».
Alors qu’il posait en
compagnie d’un jeune homme
d’origine algérienne, Brice
Hortefeux avait lâché :
«Quand il y en a un, ça va.
C’est quand il y en a beaucoup
qu’il y a des problèmes.»
Le piquant dans cette affaire,
c’est que la Licra a annoncé
qu’elle se portait partie civile
contre le préfet Girot de
Langlade, récemment
débarqué par Hortefeux pour
avoir, selon certaines
sources, déclaré lors d’un
contrôle à Orly : «Il n’y a que
des Noirs ici.» Quand il n’y en
a qu’un, ça va…
ENTENDU
THYS/AFP
ici
D’OLIVIER BRISSON
VU
Après la Licra (cf.ci-contre)
et une grande partie de
notre droite nationale,
toujours si tolérante envers
son prochain, surtout s’il est
maghrébin, c’est au tour
d’Hervé Morin de voler au
secours de Brice Hortefeux.
Après avoir entendu les
« regrets face à une
polémique inutile et
injuste» de son collègue de
l’Intérieur, prononcés
devant les représentants du
Conseil français du culte
musulman lors du dîner de
rupture du jeûne de
ramadan, le ministre de la
Défense a ainsi déclaré
mardi matin, sur BFM-TV,
« très bien connaître Brice
Hortefeux» et savoir « à
quel point cet homme est
pétri d’humanisme». Après
son passage remarqué au
ministère de l’Immigration
et au vu, désormais, de son
Hervé Morin –encore lui–
veut rentabiliser
l’engagement français en
Afghanistan. Argumentant
sur RMC contre un «départ
précipité» des troupes
françaises (pour lui, tout
départ serait évidemment
«précipité»), le ministre de la
Défense a surtout fait valoir
nos efforts financiers,
évalués à 450millions
d’euros, contre 300millions
en 2007. «Si nous partons,
a-t-il ajouté, nous ferons de
l’Afghanistan la base du
terrorisme.» Un argument
étrange et réversible.
Étrange: l’intervention n’a-telle pas précisément été
décidée en 2001 par George
Bush parce que l’Afghanistan
était déjà, à ses yeux, une
«base du terrorisme»?
Et réversible, parce qu’il ne
semble pas que l’intervention
des troupes de l’Otan
aboutisse à autre chose qu’à
renforcer les talibans et les
terroristes, perçus par une
grande partie de la population
comme résistant à une
occupation étrangère.
la rencontre des chefs d’État du G20 les 24 et 25 septembre. Intitulé
Prescience européenne
« Paradis fiscaux : à quand la fin des petits arrangements entre
SOLARO/AFP
Il y a quelque temps, Silvio Berlusconi unifiait la droite
italienne dans une formation intitulée le «Peuple de la
Liberté» (sic). Mais ce sont surtout ses multiples
aventures sexuelles (avec des call-girls, sur fond de
fêtes cocaïnisées) et des rumeurs de liaison avec une
jeune Napolitaine mineure qui ont défrayé la
chronique. Depuis plusieurs semaines, désirant faire
la lumière sur ces (chaudes) affaires, la Repubblica
lui pose quotidiennement dix questions, auxquelles le
séducteur Silvio refuse de répondre. Après avoir «invité» les industriels italiens à ne
plus acheter de publicités dans ce journal, il vient maintenant de l’attaquer en justice
(tout comme l’Unità et le Nouvel Obs) pour avoir osé publier ces questions et réclame un
million d’euros de dommages-intérêts! En défense de la liberté de la presse,
la Repubblica a mis en ligne une pétition qui a déjà recueilli 350000 signatures. Sans
doute le (vrai) «peuple de la liberté» !
L’Union européenne avait décidé, bien avant la faillite de Lehmann Brothers, de
faire de 2010 l’année de la lutte contre la pauvreté. Et dire que certains accusent
encore les dirigeants de l’UE de n’avoir pas vu venir la crise et son cortège de
licenciements et de précarité…
150 000
le chiffre
C’est le nombre de sociétés off-shore qui se créent chaque année dans
les paradis fiscaux, indique un dossier d’Oxfam-France, publié avant
amis ? », ce document indique que rien n’a été fait pour supprimer les
mécanismes contournant aisément toute obligation de transparence.
17 sept embr e 2 0 09
I
POLITIS
I 17
.En évoquant le combat de ces hommes « aux noms dif
.Le film de Robert Guédiguian relate les
.De la France des
DOSSIER L’ARMÉE DU CRIME
VIVRE
ET RÉSISTER
lus de cinquante ans après la publication du poème
de Louis Aragon, mis en musique par Léo Ferré,
Robert Guédiguian a réalisé un film s’inspirant des
faits d’arme de Missak Manouchian et de ses
compagnons. Le choix du titre, l’Armée du crime,
est un programme. Car si cette appellation est due à l’origine
aux oppresseurs, qui l’apposèrent sur la fameuse « Affiche
rouge », celle-ci devint très rapidement le symbole de la
résistance des étrangers en France. L’œuvre splendide de
Guédiguian est tout dans ce renversement de sens. Juvénile,
généreux, rayonnant, l’Armée du crime est un film ensoleillé,
comme saisi d’une pulsion vitale.
Pourtant, rien n’y est gommé : l’antisémitisme, l’anticommunisme
et le sadisme de la police française couchée aux pieds des nazis,
l’abjecte propagande vichyssoise diffusée par la radio française, la
peur et le désespoir provoqués par les rafles, et, bien sûr, l’odeur
de la mort. Celle qu’on reçoit, mais celle aussi que donnent ces
P
jeunes gens en colère. « Il suffit que la haine soit assez vivante,
pour qu’on puisse en tirer quelque chose, une grande joie, non pas
d’ambivalence, non pas la joie de haïr, mais la joie de vouloir
détruire ce qui mutile la vie », a écrit Gilles Deleuze dans une
phrase qu’on croirait sortie de l’Armée du crime.
Robert Guédiguian signe une tragédie. Avec des héros portés par
l’exigence de leur idéal qui les conduit vers un destin assumé. Mais
ces héros, pris dans leur quotidien, ne sont ni lointains ni abstraits.
Par l’intelligence de son scénario, la tension de sa mise en scène et
la qualité de ses interprètes (Simon Abkarian, Virginie Ledoyen,
Grégoire Leprince-Ringuet, Robinson Stévenin, Adrien Jolivet,
Lola Naymark et beaucoup d’autres), l’Armée du crime s’offre
aux spectateurs d’aujourd’hui non seulement comme un spectacle
vibrant et inspiré, mais aussi comme une invitation à partager
l’esprit de justice, de liberté et de résistance. S’affirme ici une
certaine idée du cinéma. Il y en a de moins bonnes.
_Christophe Kantcheff
« Une capacité plus grande à s’indigner »
Robert Guédiguian a voulu faire un film populaire, susceptible
d’attirer ceux qui ne connaissent pas cette histoire. Et ce sans
éluder la violence de cette époque.
POLITIS I Dans le film, la violence
est montrée sans fard. Les coups de
feu claquent distinctement, les
explosions sont fortes… Diriez-vous
que, de ce point de vue, vous avez
fait un film réaliste ?
Robert Guédiguian I Je ne sais pas si l’adjectif « réaliste » convient. Je dirais que je
travaille avec le cinéma comme il est aujourd’hui : le public est habitué – trop sans
doute – à voir la violence, dans des films
d’action notamment. Il est habitué à un
certain son de coup de feu, à une certaine
image d’explosion, etc. C’est une forme de
18 I
POLITIS
I 1 7 sept embr e 2 009
langage et, si l’on ne respecte pas ces codeslà, le public a l’impression de ne pas comprendre. C’est comme si on lui parlait dans
une langue étrangère. Je crois donc que, si
l’on veut atteindre le public, on est obligé
de se poser ce type de questions. C’est
pourquoi, dès le début du projet, on s’était
dit avec mes coscénaristes, Gilles Taurand
et Serge Le Péron, et mon producteur, Dominique Barneaud, qu’on écrirait ce film
en respectant les règles d’un langage cinématographique compréhensible par un
large public. C’est la guerre, donc il y a des
coups de feu, des bombes qui explosent,
des scènes de torture… Ou, comme on disait dans les années 1950, de l’aventure, de
l’amour et de l’action !
C’était une volonté de départ de faire un
film populaire, grand public, pas seulement pour les gens qui connaissent déjà
cette histoire, mais au contraire pour tous
ceux qui n’en ont jamais entendu parler. Il
fallait montrer que cette époque était violente, évidemment du côté des oppresseurs, dans la manière dont ils torturaient,
fusillaient, déportaient et exterminaient,
mais aussi du côté des résistants, en montrant que cette violence les effrayait euxmêmes. C’est ce que je montre dans la
scène où Manouchian revient sur les lieux
de l’attentat qu’il vient de commettre en
lançant une grenade sur un groupe de soldats allemands, qui sont déchiquetés. Je
voulais qu’on comprenne que la violence
est également terrible pour ceux qui la
ficiles à prononcer », le cinéaste nous parle discrètement de notre époque.
faits d’armes du groupe Manouchian durant la Seconde Guerre mondiale.
Sarkozy, Besson, Hortefeux, dure aux immigrés et dénuée de projet.
donnent. Manouchian, au départ, n’aurait
jamais voulu tuer quelqu’un. Ce sont les
circonstances historiques qui l’ont amené à
le faire. Ensuite, du point de vue cinématographique, c’est une question de dosage.
Je voulais surtout dépasser la manière dont
on montre en général la violence au cinéma depuis vingt ou vingt-cinq ans, c’està-dire comme un jeu.
Vous ne cachez pas votre volonté de
faire « œuvre pédagogique ». Cela
signifie-t-il, pour un film historique
et politique, faire passer au second
plan les considérations
dramaturgiques ?
Évidemment non. L’idéal est de trouver la
solution pour qu’il n’y ait aucune contradiction entre les deux termes. C’est pourquoi j’ai parfois préféré contrevenir à
l’exactitude historique plutôt qu’aux règles
du récit, d’où la petite note à la toute fin du
film [où Robert Guédiguian prévient qu’il
a modifié certains points de la chronologie
pour la cohérence du scénario, NDLR]. Il
ne s’agit pas de contresens ou de contrevérités, mais je crois que, dans un film historique, il faut d’abord respecter les règles
fondamentales de la dramaturgie. Par
exemple, l’arrestation d’Henri Krasucki a
eu lieu près de neuf mois auparavant par
rapport à ce qui est dans le film : il n’est
donc pas parti avec Simon Rayman la
main dans la main. En revanche, ils se
sont effectivement retrouvés à Auschwitz,
où Krasucki a veillé sur le jeune Simon
(qui n’avait que 15 ans) comme sur un
petit frère, et ils ont survécu tous les deux,
libérés par l’Armée rouge à la fin de la
guerre. Ce point-là dans le film est donc
faux historiquement parlant, mais il est en
même temps juste.
Il y a dans le film certaines scènes
de torture très dures, à la différence
de beaucoup de films où l’on entend
plutôt des cris derrière une porte.
Comment avez-vous décidé jusqu’à
quel point montrer la torture ?
Je crois que si l’on filme une scène de torture, il faut le faire de telle manière qu’elle
soit irregardable, ce qui est un paradoxe
puisqu’on fait a priori des images pour
qu’elles soient regardables. Il faut donc être
suffisamment court pour que ce soit supportable, c’est-à-dire qu’au moment où le
spectateur a envie de tourner la tête pour
ne pas regarder cette image, celle-ci soit
déjà passée. C’est une affaire de dosage au
montage. Je crois que le film le plus intéressant de ce point de vue, c’est Salo ou les
120 jours de Sodome de Pasolini, qui a fait
un film entier totalement irregardable.
C’est prodigieusement intéressant, mais
personne n’a envie d’aller voir Salo. Pasolini y pose magistralement la question de
la violence au cinéma.
Dans la scène où Manouchian
regarde les Allemands déchiquetés
par sa grenade, apparaît le
personnage de Dupont, le
responsable des FTP et son supérieur
hiérarchique. Son sourire semble
alors signifier qu’il a réussi à faire
franchir le pas à Manouchian, qui
auparavant se refusait à tuer.
Dupont est un peu « l’œil » du Parti
communiste. Vous le représentez
comme plutôt implacable…
« L’armée du
crime » : cette
appellation
apposée sur
la fameuse
Affiche rouge
devint
rapidement
le symbole de
la résistance
des étrangers
en France.
STEPHANIE BRAUNSCHWEIG
Souvent, les gens me disent qu’ils trouvent
ce type pas sympathique, mais, pour ma
part, je ne le trouve pas antipathique. Je
crois que c’est une vision quelque peu angélique. C’est simplement un chef. Les généraux ou les colonels ne sont pas souvent
sympathiques. La guerre se fait avec des
17 sept embr e 2 0 09
I
POLITIS
I 19
DOSSIER L’ARMÉE DU CRIME
Tous ces personnages sont jeunes, un
peu « tout fous » avant d’être pris en
main par l’organisation des FTP. Estce que, selon vous, il y a des
conditions particulières qui font que,
eux, sont passés à la lutte armée ?
Et cela pourrait-il se reproduire
aujourd’hui ?
J’ai voulu les montrer au départ dans leur
vie quotidienne, avec leur famille, au lycée,
faisant du sport, ou avec leur petite amie,
pour les rapprocher de nous, et montrer
qu’ils auraient eu une vie très différente si
tout cela n’était pas arrivé. Mais j’ai toujours pensé qu’il y a des conditions particulières qui appartiennent à chacun d’entre
eux qui font qu’ils ont eu une capacité plus
grande à s’indigner et à passer à la lutte
armée. Ils sont alors devenus des êtres magnifiques parce qu’ils ont continué à penser
que l’humanité pouvait être un jour réconciliée. Toutes leurs dernières lettres traduisent en effet ce rêve et sont très
étonnantes de ce point de vue : écrites à la
veille de leur exécution, elles sont très optimistes. Ils imaginent tous que, dans un
avenir proche, le monde entier ira beaucoup mieux. Ils meurent presque heureux,
le devoir accompli, et ils en sont fiers !
Quant à savoir si cela pourrait exister aujourd’hui, j’en suis absolument certain si
– et seulement si – l’oppression prenait à
nouveau des formes extrêmes. Quand le
peuple passe à la lutte armée, c’est qu’il
est torturé, massacré. Si cela arrivait, je
suis sûr qu’il y aurait des gens qui se révolteraient de la même manière. Mais si
eux se sont révoltés, c’est d’abord parce
que tous avaient déjà vécu, chez eux, l’oppression. Ce sont des Juifs, des Arméniens, des Espagnols, des Italiens, des
Hongrois, des Polonais, etc. Et, surtout,
ils sont tous politisés : Krasucki est responsable des Jeunesses communistes, Elek
en est membre, son père a le Capital dans
sa bibliothèque, et sa mère a connu Bela
Kun [fondateur du PC hongrois, NDLR].
Ils ont tous été pourchassés, leurs parents
ont été arrêtés et sont venus en France
pour fuir des dictatures. Ils sont donc particulièrement conscients, plus que d’autres, de ce qui est en train d’arriver à la
France. Et c’est cette conscience-là, aiguë,
qui est pour moi l’un des grands enseignements de cette histoire.
_Propos recueillis par Olivier Doubre
20 I
POLITIS
I 1 7 sept embr e 20 09
Humainement héroïques
Guédiguian nous rappelle que ces hommes aux noms étrangers
sont « morts pour la France », mais seulement celle de leurs idéaux.
ls s’appelaient Manouchian, Rayman,
Elek, Bangic, Patriciu, Alfonso et ils sont,
comme dit le poème d’Aragon, « morts
pour la France ». Le film de Robert Guédéguian commence comme ça, par la longue
énumération de ces patronymes arméniens,
juifs, polonais, hongrois, espagnols, roumains, ponctuée par ces quatre mots qui sonnent ici comme l’hommage ambigu du vice
à la vertu. Car la France que ces jeunes gens
ont rejointe – eux ou leurs parents –, celle
pour laquelle ils vont mourir, n’est guère plus
qu’un mythe au moment où se noue leur destin. En vain cherche-t-on, à cet instant de
l’histoire, la France des Droits de l’homme,
de la Révolution, la France orgueilleuse
qui prétend dépasser son nationalisme dans
l’universalité de ses principes, au point qu’elle
peut, sans aspérités, se confondre avec les
idéaux communistes et internationalistes.
Elle n’existe plus que dans l’imaginaire de
ces jeunes résistants « aux noms difficiles
à prononcer ». La France réelle que nous
montre Robert Guédiguian est aux antipodes : elle a les traits impavides et la coiffure gominée du commissaire David, personnage glacial qui reçoit sans honte les
compliments de la Kommandantur, dont les
tortionnaires SS « auraient des leçons à recevoir » de la police française.
C’est la France de l’abject inspecteur Pujol
(extraordinaire Jean-Pierre Darroussin !),
dénonciateur zélé et pervers, capable de
toutes les turpitudes pour s’attirer les
faveurs d’une jeune Juive dont il exploite
I
grossièrement la naïveté. C’est la France
de Joseph Darnand, fondateur de la Milice
et membre honoraire de la SS. C’est celle
de la rafle du Vel d’hiv, à laquelle un Obersturmfuhrer rend un hommage empoisonné.
Ce chassé-croisé entre des Français qui ne
sont plus la France et cette France mythique
incarnée par des « étrangers » est évidemment une invitation à méditer sur la vanité
des nationalismes. Bien sûr, les héros ne viennent pas de nulle part. Manouchian, l’Arménien, Rayman et Krasucki, les Juifs polonais,
Ces hommes ont Alfonso, l’Espagnol, portent
en commun de tous en eux les stigmates
vouloir dépasser d’une histoire. Le génocide
la tragédie des des Arméniens dans la Turorigines et des quie du début du XXe sièappartenances cle, l’antisémitisme en
Europe de l’Est, la guerre
dans une foi
indestructible d’Espagne. Mais ils ont surtout en commun de vouloir
en l’avenir.
dépasser la tragédie des origines et des appartenances dans une foi indestructible en l’avenir. Discrètement, Guédiguian nous parle de notre époque. De la
France de MM. Sarkozy, Besson et Hortefeux, qui ne fait guère rêver notre jeunesse
et qui est le cauchemar des immigrés. Il nous
dit surtout notre absence de projet. Trou
béant dans notre imaginaire. Car c’est cette
articulation entre l’indignation et l’espoir
qui fait agir les héros de l’Affiche rouge.
Mais qu’on ne se méprenne pas. Si le propos politique – au meilleur sens du terme –
STEPHANIE BRAUNSCHWEIG
soldats, qui sont commandés par des chefs.
Et les chefs sont durs. C’est drôle de penser
que, du côté des résistants, il n’y avait pas
de hiérarchie. De Gaulle, Brossolette ou
Frenay, de l’Armée secrète, n’étaient pas
des rigolos, et l’armée de la Résistance,
qu’elle soit communiste, gaulliste ou autre,
était une véritable armée : ce sont tous des
militaires avec des soldats qui vont au
front et des généraux qui donnent des
ordres. C’est comme cela !
Sur les traces d’une comète
STEPHANIE BRAUNSCHWEIG
Le roman d’Alain Blottière a pour narrateur un cinéaste qui réalise un film de fiction sur Thomas Elek, du groupe Manouchian.
est omniprésent dans le film de Guédiguian,
il est audible parce qu’il traverse des personnages authentiques. Guédiguian a su avec
brio déjouer le piège que lui tendait son sujet :
comment éviter le manichéisme quand la
réalité est elle-même manichéenne, que les
héros sont sans taches ? Et les salauds de
vrais salauds ? Comment suggérer le sursaut
de conscience de Pujol, vu de dos, par le seul
mouvement des épaules qui se voûtent au
sortir de la salle des tortures ?
C’est que le film de Guédiguian est d’abord
une tranche de vie. L’histoire de jeunes gens
qui veulent vivre. Aucun d’entre eux ne veut
se priver des plaisirs de son âge. Marcel Rayman ne renonce ni à son amour pour la jeune
Monique, ni aux compétitions de natation,
ni à emmener partout avec lui son jeune frère,
au mépris des consignes. C’est la belle histoire de Missak Manouchian et de Mélinée.
L’Armée du crime, c’est aussi cela : la chronique de leur jeunesse ordinaire, de leur rébellion spontanée, inorganisée, désorganisée.
De leur difficile intégration au groupe des
Francs-tireurs et partisans de la MOI (Maind’œuvre immigrée). Jamais ces jeunes gens
ne sont des soldats de plomb. L’indiscipline
est leur perpétuelle tentation. Leur rapport
à la violence et à la mort – celle de leurs
victimes – ne cesse d’être douloureux.
Manouchian (superbe Simon Abkarian),
le non-violent, vacille un instant devant les
corps de soldats allemands mutilés par la
grenade qu’il vient de lancer sur leur passage. Les héros, c’est toujours plus tard,
quand l’histoire est dite.
C’est aussi la chronique du vieux Paris,
de ces petits artisans et commerçants du
XIe arrondissement, juifs pour la plupart,
de ces parents, qui savent et qui ravalent
leur inquiétude quand les enfants rentrent
au milieu de la nuit. Et, en toile de fond,
le tableau d’une douce France, légère
comme une chanson de Trenet, suave
comme la voix de Jean Tranchant. Tout un
peuple avec, au premier plan, ceux que
Guédiguian veut montrer aux générations
d’aujourd’hui, pour ce qu’ils ont été, et
peut-être plus encore pour ce qu’ils ont
espéré. Eux ne reviendront pas. Mais leurs
rêves, peut-être.
_Denis Sieffert
ne coïncidence. Le roman d’Alain Blottière paraît au moment où sort le film
de Robert Guédiguian sans que les
deux hommes n’aient eu préalablement
connaissance du projet de l’autre. Or, non
seulement le Tombeau de Tommy porte sur
Thomas Elek, mais il raconte l’histoire d’un
cinéaste réalisant un film de fiction sur celui
que l’Affiche rouge a ainsi désigné : « Juif
hongrois 8 déraillements » ! Rapprocher
les deux œuvres est évidemment tentant,
où l’on constate, par exemple, que, les deux
auteurs ayant puisé aux mêmes sources documentaires, certaines séquences du scénario
livrées dans le roman (et donc tournées par
le cinéaste fictif) se retrouvent, à peu de chose
près, dans l’Armée du crime.
Mais le Tombeau de Tommy doit être
d’abord considéré comme une œuvre à
part entière pour en mesurer l’ambition
singulière. Sa complexité narrative est particulièrement frappante. Alain Blottière
mêle trois temporalités par la voix du cinéaste, son narrateur. Celle du jeune Thomas Elek, au profil tranchant : orgueilleux,
intrépide, intransigeant, éprouvant pour sa
U
Des étrangers
dans la Résistance
Les FTP-MOI, Francs-Tireurs et partisans-Maind’œuvre immigrée (du nom de la section du PCF
encadrant les ouvriers étrangers), passent peu à
peu à la lutte armée –comme le reste de la
Résistance communiste– à partir de l’invasion de
l’URSS par l’Allemagne nazie le 22juin 1941.
Immigrés d’Europe de l’Est, souvent juifs, italiens
ou espagnols antifascistes, ils sont parmi les
résistants les plus actifs et les plus efficaces de la
région parisienne. Ainsi, le groupe dirigé par le
poète arménien Missak Manouchian accomplit,
entre juin1942 et novembre1943, près de
230 actions contre l’occupant nazi et de nombreux
collaborateurs. Son plus haut fait d’armes est
l’exécution, mi-novembre 1943, du général SS
Julius Ritter, l’un des principaux responsables du
Service du travail obligatoire (STO). La plupart de
ses membres sont arrêtés fin 1943 par les
Renseignements généraux et affreusement
torturés par ces policiers français, avant d’être
livrés aux Allemands. Ceux-ci décident alors
d’utiliser leur arrestation à des fins de propagande
avec la fameuse «Affiche rouge», en voulant
assimiler la Résistance aux étrangers et aux Juifs.
Ils sont fusillés au Mont-Valérien le 21février 1944.
_O. D.
Thomas Elek,
au profil
tranchant :
orgueilleux,
intrépide,
intransigeant
MÉMORIAL DE LA
SHOAH/CDJC
mère, elle-même résistante, un amour exclusif ; celle du scénario en train d’être
tourné ; et celle de son jeune interprète, Gabriel, un pari du cinéaste, car le garçon,
rencontré dans la rue, n’avait jamais fait
l’acteur. Ces trois fils agissent les uns sur les
autres comme des jeux de miroir, le point
de rencontre étant le cinéaste lui-même, à
la recherche du délicat équilibre entre la
réalité historique, les enjeux artistiques et
les réactions de son comédien.
Car il y a au cœur du livre une interrogation
sur l’effet que peut avoir aujourd’hui la trajectoire fulgurante de Thomas Elek. Devant
la caméra, Gabriel se révèle un Thomas
Elek criant de vérité, mais il s’en imprègne
si violemment qu’il est submergé par lui. Et
c’est ici peut-être, au-delà des nombreux
croisements entre le roman et le film (les
deux cinéastes, le fictif et Robert Guédiguian, partagent ainsi un certain nombre de
questions esthétiques), que les deux œuvres
se séparent nettement. L’identification à un
héros « parfait » est un enjeu qui concerne
autant la littérature que le cinéma. Mais estelle possible ? À la différence de l’Armée du
crime, qui joue sur la familiarité de ses personnages, qui deviennent ainsi des héros
« accessibles », le Tombeau de Tommy
montre comment un jeune homme d’aujourd’hui se consume en pénétrant dans
l’intimité de la comète Thomas Elek. Ce qui
rend bien sûr d’autant plus intense le roman
d’Alain Blottière, tout en en renforçant sa
dimension désespérée.
_Christophe Kantcheff
Le Tombeau de Tommy, Alain Blottière, Gallimard, 218 p.,
16,50 euros.
À écouter : Alain Blottière et Robert Guédiguian se
rencontreront dans Projection privée, l’émission de Michel
Ciment sur France Culture, le 26 septembre de 13 h 30 à 14 h 30.
17 sept embr e 2009
I
POLITIS
I 21
DOSSIER L’ARMÉE DU CRIME
« Plus grand que soi »
Le comédien Simon Abkarian, nourri dans son enfance des récits
de la résistance arménienne, explique comment il a appréhendé
le rôle de Manouchian, dont il fait admirablement résonner la parole.
anouchian, Simon Abkarian le
connaît depuis toujours. Il fait partie de ces hommes dont son père,
préoccupé par le fait de la lutte armée,
lui a beaucoup parlé, et qui a évidemment
sa place au Panthéon des Arméniens.
« Pour mon père, raconte l’acteur, dont
le propre père était un survivant du génocide, ce qui faisait le lien entre ceux qui
avaient choisi la résistance, qu’elle fût irlandaise, française, sud-américaine ou arménienne, c’était d’être digne de son titre
d’homme, de pouvoir rendre des comptes
à sa conscience, c’est-à-dire à la génération suivante, quitte à en mourir. »
Simon Abkarian a été élevé avec ces exemples-là pour horizon. Alors, quand il a fallu
incarner Missak Manouchian, ne s’est-il
pas senti écrasé ? « Un tel personnage, il faut
le désacraliser et l’amener dans son quotidien. Cela passe par le jeu, mais j’y suis
allé avec délicatesse, sans préparation particulière, sinon en travaillant sur le scénario, avec Robert Guédiguian et mes partenaires, et en m’imprégnant des décors, qui
nourrissent l’imaginaire. J’avais besoin
d’être le plus léger possible. » S’il lui fallait ne pas être impressionné par la stature
du personnage, Simon Abkarian a dû aussi
STEPHANIE BRAUNSCHWEIG
M
écarter les effets de « proximité » avec certaines situations. Quand, par exemple, il
s’est retrouvé entouré de figurants arméniens qu’il connaissait tous, habillés de leurs
costumes des années 1940, et qu’il s’est mis
à parler en arménien. « J’ai dû effacer les
émotions qui m’ont traversé à ce momentlà, car elles n’étaient pas celles de Manouchian, mais celles d’Abkarian. Il faut éviter la confusion. Parce qu’essayer
d’interpréter un personnage, surtout
quelqu’un comme Manouchian, c’est plus
grand que soi. Ce qui est important, c’est
la transcendance dans le jeu. »
Simon Abkarian ne dit pas qu’il a « interprété » Manouchian, mais qu’il a « essayé
de l’interpréter ». Ce n’est pas une figure
de style ou de la fausse modestie. Pour
lui, tout geste artistique est tentative. « Rien
ne doit être fini, fermé, sinon, c’est la mort
qui guette. »
Écouter parler Simon Abkarian de la manière dont il a appréhendé le personnage de
Manouchian, c’est entrer avec lui dans les
arcanes de son art. Ce rôle cristallise toutes
les questions essentielles que cet acteur exigeant ne manque pas de se poser. Ainsi de
la différence à incarner une personne ayant
existé ou un personnage de pure fiction.
22 I
POLITIS
I 1 7 sept embr e 200 9
« Au bout du compte, c’est la même chose.
Parce que l’idéal, ce serait de réussir à faire
entièrement disparaître les origines, réelles
ou non, de chaque personnage pour pouvoir être dans le présent du jeu, afin que ce
que l’on donne soit vivant et charnel. » Plus
encore, il se sent investi d’une semblable
responsabilité face à Hamlet ou face à Manouchian. « Cela signifie que je suis porteur de l’humanité de quelqu’un dans tout
son spectre. Dans le cas de Manouchian et
de ses compagnons, il y a évidemment des
enjeux d’ordre politique, philosophique, à
propos de l’engagement, par exemple. »
Parce qu’il a une très haute idée du métier
d’acteur (mot qu’il préfère à celui de comédien, parce qu’il aime le mot « to act » qui
signifie autant « agir » que « jouer »), il
en vient à dire qu’à un moment donné ce
qu’il appelle « les considérations d’acteur »
ne suffisent plus. « C’est très facile de se
laisser enfermer dans l’espèce de blockhaus
de la technicité, de la fonctionnalité de l’acteur, plutôt que de s’ouvrir à son universalité, à son humanisme », explique-t-il.
Lui qui a travaillé sur les planches avec
Ariane Mnouchkine au Théâtre du soleil,
qui est passé à la mise en scène, qui a écrit
une pièce magnifique, Pénélope ô Pénélope (publiée aux éditions Actes Sud), sait
l’importance du sens des mots à dire aux
acteurs. « Mais la parole est de moins en
moins pratiquée de manière vaste et profonde. Du coup, la pensée est courte et
se réduit à la question du succès. Et on
se retrouve en tant qu’acteur, si l’on est
vieillissant, et plus encore si l’on est une
femme, coincé entre la porte du succès
et la porte de sortie. »
Simon Abkarian n’ignore pas pour autant
le poids des contraintes financières qui
pèsent sur le cinéma. « Je souhaite que les
films soient vus, bien sûr, mais pas à n’importe quel prix. Je veux pouvoir me reconnaître dans ce que je fais. » Mais garder
le cap n’est pas toujours facile. Le nom de
Robert Guédiguian, avec lequel il a aussi
tourné le Voyage en Arménie, figure sur sa
boussole, avec celui de quelques autres
cinéastes (Sally Potter, Karim Dridi, Cédric
Klapisch…) qui l’aident à se resituer.
« Robert Guédiguian ouvre l’espace pour
que soit dite l’histoire des hommes. Ce n’est
pas quelqu’un qui encombre, ni l’acteur
ni le spectateur. Il permet à chacun de se
taire, libre de toute peur, et de faire en sorte
que la parole qui est au service de celui
qu’on essaie d’incarner puisse être
délivrée. »
Dans l’Armée du crime, celle de Manouchian résonne admirablement.
_C. K.
CULTURE
THÉÂTRE
La ville de pantins
n croit à tort que la capitale française de la marionnette est Lyon, grâce à la
pérennité de ce diable de
Guignol qui défie – un peu
mollement, avec l’âge et le conformisme ambiant – les gendarmes et
les bons bourgeois. Cette capitale
est, en réalité, Charleville-Mézières,
petite ville des Ardennes qui vit naître un autre contempteur de la société
bien-pensante, Arthur Rimbaud.
À Charleville, tel Pinocchio, chaque
marionnette ne dort jamais que d’un
œil, pour rebondir en cas d’urgence
spectaculaire. La cité abrite pas
moins de deux établissements consacrés à l’enseignement de cet art et
à la recherche, l’École nationale
supérieure des arts de la marionnette
(Esnam) et l’Institut national de la
marionnette, tous deux dirigés par
Lucile Bodson. Sans parler d’une
Union internationale de la marionnette qui a quitté Prague, où elle était
née, pour venir s’installer au bord
de la Meuse.
Le Festival mondial des théâtres de
marionnettes, qui commence cette
semaine, met, bien évidemment, le
feu aux poudres. Pendant dix jours,
les lieux de spectacle se multiplient.
Certains se sont installés sous les
arcades de la place Ducale. D’autres
s’implantent en d’autres points de
la ville. Cent trente-huit compagnies
sont les invitées officielles, mais il
y a plus de cent équipes qui viennent
se montrer dans le off. D’après les
organisateurs, c’est la plus grande
manifestation du genre au monde.
En tout cas, se faire connaître à
Charleville est impératif pour bien
des artistes. Et voir les spectacles est
aussi urgent pour bien des spectateurs : du Japon et d’ailleurs arrivent à la comptabilité de grosses
réservations. Au dernier moment,
on refusera du monde.
Ce festival est en train de changer.
Il a longtemps porté la marque de
son créateur, le passionné et infatigable Jacques Félix, mort l’an dernier. Son fils, Jean-Luc Félix, a pris
la présidence de l’association, les
Petits Comédiens de chiffons, qui
gère la manifestation. Mais la direction est désormais entre les mains
d’une nouvelle venue, Anne-Françoise Cabanis, connue dans le métier
O
24 I
POLITIS
I 1 7 sept embr e 20 09
Le festival de
Charleville-Mézières
célèbre les marionnettes
du monde entier. Un
genre bien ancré dans
les thèmes d’aujourd’hui.
pour avoir mené des entreprises de
moindre importance et à présent
confrontée à cet événement de
grande ampleur.
DR
Anne-Françoise Cabanis aimerait bien
utiliser un autre terme que « marionnettes », peut-être un peu restrictif
par rapport à l’évolution de ce style
de théâtre. C’est pour cela que la
mention « théâtre de marionnettes »
tente d’ouvrir la porte dans l’intitulé
du festival. « L’expression utilisée
ne dépeint pas tout à fait la richesse
de ce type dramatique, dit AnneFrançoise Cabanis. Il y a quelque
chose de négatif et de lié à un mauvais imaginaire enfantin, quelquefois, dans ce mot de marionnette.
Mais il sous-entend la notion de
manipulation. Cela, c’est bien, car
cela implique une idée de subversion
inhérente. En France, le “théâtre
d’objets” semble être devenu une
spécificité, avec le succès de compagnies comme Turak, de Michel
Laubu. Mais, le plus souvent, les
équipes mêlent les moyens d’expression. Le véritable renouveau,
partout dans le monde, c’est l’espace,
la conquête de l’espace. Certains
conservent le castelet, d’autres le font
éclater. C’est-à-dire que, parallèlement à un renouveau esthétique
énorme et à des langages variés
comme le fil, la gaine, le manipulateur visible, etc., toutes les échelles
sont possibles. Surtout, à la différence d’un certain théâtre, nous
sommes toujours
clairs, jamais
L’équipe
élitistes. »
québécoise du
Sous-Marin jaune Pour rendre visible ce renouveau,
présente les
Anne-Françoise
« Essais »
Cabanis a freiné
de Montaigne.
la politique de
mosaïque
en
usage avant elle.
Plutôt que de
prendre
une
équipe dans cent pays, elle a préféré
des gros plans sur un nombre limité
de nations. La France reste très représentée car l’école de Charleville a
formé tellement d’artistes que le genre
connaît une véritable expansion dans
l’Hexagone. On verra des compagnies très repérées : Massimo Schuster, Luc Amoros, Beau Geste de
Dominique Boivin, Jean-Pierre Lescot, Turak, le théâtre du Mouvement,
Roland Shön… Plus un hommage
à un grand disparu, Jacques Chesnais, mort en 1971.
Pour l’étranger, le coup de projecteur
est mis sur six pays. D’abord, la
Corée : « Le genre se renouvelle làbas sous l’influence de qui se fait ici,
dit Anne-Françoise Cabanis. On
reste dans la métaphore de la tradition, mais les artistes intègrent des
objets et des histoires d’aujourd’hui. » Puis le Québec : « Làbas, ils travaillent en dehors des traditions et des a priori. Je vous assure
que l’équipe du Sous-Marin jaune,
qui vient présenter une vision très
vidéo et technologique des Essais de
Montaigne, est aussi talentueuse que
Robert Lepage. » Ensuite, le Chili :
« On aimera ce que fait Jaime Lorca,
qui était l’un des grands artistes de
LITTÉRATURE
la fameuse Troppa, mais aussi ces
petites boîtes que les artistes ouvrent
et animent au coin des rues. »
Place aussi aux Belges : « La Belgique est un des grands pays de la
marionnette, côté wallon comme
côté flamand. Mossoux-Bonté vient
avec une petite forme étonnante. »
Et place aussi aux Italiens, surtout
aux représentants du Piémont :
« Dix compagnies vont faire
connaître le Guignol du Piémont,
Gianduja, qui est au moins aussi
facétieux et insolent que le mythe
lyonnais. »
Bien entendu, les surprises peuvent
venir d’autres pays. La directrice
du festival place ainsi très haut le
‘t Magisch Theatertje des Pays-Bas,
qui, avec Cantos animata, prolonge
le style lyrique du Figurentheater,
et le Thalias Kompagnons d’Allemagne, qui joue à un rythme fou
la Flûte enchantée et double la vision
du spectateur par les angles imprévus d’un filmage vidéo. Mais peuton tout signaler ? Il faut quand même
saluer la venue de la troupe iranienne
Yase Tamam, composée de trois
marionnettistes femmes.
Pour l’avenir, Anne-Françoise Cabanis
a de nouveaux objectifs, si les nombreuses tutelles qui l’aident continuent leur appui financier. Le festival avait lieu tous les trois ans, il
pourrait se transformer en biennale.
Cela obligera l’équipe organisatrice
à se battre encore davantage pour
les visas des invités « Cela devient
de plus en plus difficile de faire venir
en France des artistes, déplore la
directrice du festival. Les
contraintes sont de plus en plus
grandes, et les services officiels ne
prennent pas en compte le statut
d’artiste. On nous demande des
choses hallucinantes ! »
Par ailleurs, les collaborations pourraient se développer en Europe par
le canal des régions : « Nous avons
œuvré avec le Piémont cette année.
Nous continuerons ainsi, de région
à région, à travers l’Europe. »
Mais la marionnette ne reste-t-elle
pas sur ses nuages, indifférente au
monde où nous vivons ? « Ce n’est
pas vrai, réplique Anne-Françoise
Cabanis. Les grandes questions sont
là : l’immigration, le racisme, le chômage, la crise, la famille décomposée, les enfants esseulés. Ce théâtre
se politise, même si ce n’est pas assez
à mon goût. »
_Gilles Costaz
Festival mondial des théâtres de marionnettes,
Charleville-Mézières, 03 24 59 94 94, du 18 au 27
septembre.
Comme dans un rêve
a Vérité sur Marie est le troisième
« tome » d’un cycle romanesque
que Jean-Philippe Toussaint a
entamé avec Faire l’amour et poursuivi avec Fuir (1). Mais, pour ceux
qui ne connaîtraient pas l’univers de
l’écrivain, précisons qu’il ne peut s’agir
d’une suite feuilletonesque, ni même
d’une suite tout court. Un exemple :
Faire l’amour s’ouvre sur l’indication
d’une saison, « Hiver », Fuir sur
« Été » – mais son action se déroule
avant celle de Faire l’amour –, et, histoire de brouiller les pistes, la Vérité
sur Marie sur « Printemps-Été ».
Inutile de dire, par conséquent, que
la Vérité sur Marie peut se lire indépendamment des deux autres, même
si ce serait se priver des jeux de correspondances entre les trois romans,
qui tournent autour de la séparation
difficile de Marie et du narrateur,
séparation dont celui-ci donne la
raison dans Faire l’amour : « Il y
avait ceci, dans notre amour, que
même si nous continuions à nous
faire plus de bien que de mal, le peu
de mal que nous nous faisions nous
était devenu insupportable. »
Mais moins encore que les deux précédents ce roman-ci ne s’attarde sur
l’évolution des relations du couple
désuni. Marie et le narrateur sont
d’ailleurs peu souvent en présence
l’un de l’autre, sauf à la fin du roman,
sur l’île d’Elbe. On a surtout l’impression qu’à partir de ce fil narratif, assez relâché et on ne peut plus
classique, Jean-Philippe Toussaint
travaille des motifs, et que dans ces
motifs il cherche à puiser ce qu’il
appelle « l’énergie romanesque »,
qu’il définit ainsi : « Ce quelque chose
d’invisible, de brûlant et quasiment
électrique, qui surgit parfois des
lignes immobiles d’un livre. Cette
énergie romanesque qu’on trouve
par exemple au plus haut point chez
Faulkner, cette électricité qui fait légèrement écarquiller la pupille au gré
de la lecture, indépendamment de
l’anecdote et de l’intrigue ».
Dans la Vérité sur Marie, Jean-Philippe Toussaint atteint souvent son
but. Par exemple, au long des pages
extrêmement saisissantes où il met
en scène un cheval de compétition
échappant à ses maîtres alors qu’on
s’apprête à l’installer dans les soutes
d’un avion, à l’aéroport de Tokyo.
Le cheval appartient à l’homme qui
est alors l’amant de Marie, que le narrateur nomme Jean-Christophe de
L
Avec « la Vérité sur
Marie », Jean-Philippe
Toussaint propose un récit
hypnotique doté d’une
formidable énergie
romanesque.
une pluie de déluge, voulant rejoindre
au plus vite l’appartement de Marie,
ou, avec celle-ci, au volant d’une voiture, quand ils foncent sur les chemins
de l’île d’Elbe envahis par le feu. Les
rideaux de pluie répondent à la densité du brouillard de fumée, la déformation du paysage urbain impressionne autant que l’hostilité soudaine
des éléments naturels. Il y a là quelque
chose du prodige.
Il n’est pas anodin que le narrateur
G., tous deux s’étant rencontrés au évoque fréquemment les pouvoirs
Japon. Mais là n’est pas l’essentiel. de l’imagination ou les possibilités
L’essentiel, c’est l’intensité que Jean- du rêve, et leur capacité à toucher
Philippe Toussaint parvient à insuf- « la quintessence du réel, sa moelle
fler aux images d’un pur-sang fou- sensible, vivante et sensuelle, une
gueux et apeuré qui s’évanouit dans vérité proche de l’invention, ou
la nuit noire et la pluie battante, sur jumelle du mensonge, la vérité
le tarmac de l’aéroport de Tokyo. idéale ». La Vérité sur Marie est un
Images enténébrées et quasi fantas- roman hypnotique, qui allie poésie
tiques d’une force de la nature livrée contemplative et extase onirique. Un
à elle-même, à la fois musculeuse et genre de drogue douce, dont on ne
gracile, qui font penser aux chevaux se refusera pas l’addiction.
enfiévrés que Géricault a peints et
_Christophe Kantcheff
sculptés. Ces instants volés de liberté
sont comme la fugace résurgence de La Vérité sur Marie, Jean-Philippe Toussaint, Minuit,
puissances archaïques dans un uni- 205 p., 14, 50 euros.
vers ultra-sophistiqué, l’animal étant (1) Les deux romans sont simultanément réédités
la collection de poche des éditions de Minuit,
sorti par surprise de la modernité de dans
« Double ». Faire l’amour y est accompagné d’une
l’aéroport avant de devoir la réinté- postface de Laurent Demoulin (159 p., 6 euros), et
grer. Le moment où Jean-Christophe Fuir d’un entretien entre Jean-Philippe Toussaint et
de G. réussit à capturer
son éditeur chinois, Chen Tong (185 p., 6,80 euros).
son cheval, sans autres
recours que ses mains
Jean-Philippe Toussaint fait vibrer la langue. SANTANDREA
ouvertes et la douceur de
sa voix, est tout aussi
éblouissant.
On échangerait cette
« énergie romanesque »là contre (presque) toute
la rentrée littéraire, celle
du moins qui tourne de
média en média comme
autant
d’exhibitions
foraines, ces Beigbeder,
Nothomb et consorts, ou
ces pensums qui nous
racontent, sans écriture
mais en 700 pages (!), les
années 1960. Jean-Philippe Toussaint est, lui, un
artiste qui fait vibrer la
langue, avec un rien de
flegme narquois et un sens
aigu du rythme, des couleurs et des résonances.
De la même manière, l’auteur fait le récit d’une
course éperdue sans visibilité, que ce soit, au début
du roman, quand le narrateur traverse Paris sous
17 sept embre 2 009
I
POLITIS
I 25
CULTURE
BANDE DESSINÉE
HOMMAGE
L’homme qui fixait
le hasard
Le monstre à cent mains
Représentant de la photo
humaniste, Willy Ronis a
tiré le rideau.
n dit qu’un photographe serait un
peintre à qui il manquerait les pinceaux. La formule pourrait s’appliquer à Willy Ronis, décédé ce vendredi 11 septembre, dont l’œuvre,
en noir et blanc, est celle d’un paysagiste et d’un portraitiste. Né en
1910 à Paris d’un père venu
d’Odessa, en Ukraine, et d’une mère
lituanienne, Willy Ronis a vécu ses
premières rencontres artistiques au
Louvre, devant les peintres Flamands
du XVIIe siècle. Sans doute parce que
c’était la vie quotidienne, des bistrots, des scènes de rue et d’intérieur.
Chez Bruegel, il saisit l’organisation
des personnages dans l’espace, et la
lumière chez Rembrandt. Voilà pour
les influences, auxquelles s’ajoute la
rigueur du contrepoint de Bach.
Ronis a d’abord suivi les traces de son
père, proprio d’un studio de photographie. À la mort de celui-ci, en
1936, il revend la boutique, devient
reporter. Il tire des portraits à domicile, croque des paysages pour les
administrations, avant de travailler
pour Life, des journaux de mode,
Regards, magazine du parti communiste, dont il est proche, et
l’agence Rapho. Avec Doisneau,
Boubat, Izis et Sabine Weiss, il sera
l’un des plus importants représentants de la photo humaniste. Son
credo : fixer le hasard. Ce sont des
parties de cartes, des amoureux, un
déjeuner de famille, une pétanque,
des manifestations, des grèves, la
condition ouvrière et surtout des
images de Belleville et de Ménilmontant, gavés d’habitants, de
ruelles, de devantures… Toute une
poésie vivante (comme en témoignait
son exposition, cet été, à Arles), qui
vaut bien plus que les clichés réducteurs calés dans la nostalgie.
O
Cette créature symbolisant l’art abstrait a des dizaines de géniteurs.
n connaît la naissance de Vénus.
Voici celle de l’art abstrait vue
par Aktion Mix Comix Commando : une créature reptilienne, entre
grenouille et Godzilla, bien calée sur
une moto, prête à tout démolir. Cette
créature est d’autant plus monstrueuse
que ses membres, faits de papier et de
plastique, ont été gravés, coupés, collés, et qu’elle n’a pas un géniteur mais
des dizaines. Car la bande dessinée
Plan Nine contre l’art abstrait (1) est
une œuvre collective, réalisée cet été
à Fillols, village des Pyrénées. Pendant une semaine, enfants et adultes,
néophytes ou professionnels du dessin – Willem, Menu, Fortemps et
consorts – ont empoigné des gouges,
ont gravé du lino. Non sans se blesser… Et pour convoquer plus encore
sang et inspiration, deux films d’horreur passaient en boucle, la Créature
du lagon noir et Plan Nine from
Outer Space.
À la tête du Commando, on trouve
Thierry Van Hasselt, cofondateur et
artiste des éditions Fremok, ainsi que
Richard Bawin, linograveur fou – plus
d’un mètre carré par jour –, chanteur des Won Kinny White et par ailleurs trisomique. C’est de leur rencontre qu’est né Aktion Mix Comix
Commando. Leur premier travail en
commun, Cœur de Lyon, donne le la.
Inspiré des films cultes de Richard,
grand amateur de Jean-Claude Van
O
26 I
POLITIS
I 1 7 sept embr e 20 09
AKTION MIX COMIX COMMANDO
Thierry Van Hasselt lance
Aktion Mix Comix
Commando, un atelier de
bande dessinée collective.
Une expérience
foisonnante et exigeante.
Damme, Cœur de Lyon travaille la
matière : linogravures découpées,
collées sur de grandes plaques en
plastique, tachées de white-spirit.
« Travailler avec des éléments graphiquement divers, mixer des images
pour créer un récit mouvant,
explique Thierry Van Hasselt, voilà
une idée qui m’emballait par son côté
ludique et par l’ouverture immense
qu’elle permettait. » Le procédé s’est
peu à peu établi : choisir des films
de genre, graver, remixer les images
pour créer des cases, avoir une vue
d’ensemble pour construire le fil,
aiguiller les dessinateurs vers des éléments manquants, trouver un texte
comme un écho décalé.
Depuis, le Commando s’est essayé à
plusieurs reprises avant d’aboutir pleinement avec Plan Nine contre l’art
abstrait. Le résultat impressionne. Une
tension se développe au long du récit
entre images – une invasion extraterrestre menaçante – et texte – des
extraits de Contre l’art abstrait, écrit
dans les années 1950 par Robert Rey.
Un vaisseau se pose ; non loin, des
plantes carnivores s’agitent ; descend
du vaisseau un humanoïde aux yeux
d’insecte. Horreur, « ils » sont parmi
nous. « Ils » ? Les artistes de l’abstraction… « Complètement désuet,
juge Thierry Van Hasselt, ce texte établit un parallèle intéressant avec l’atelier, où les notions d’auteur et de récit
sont remises en question. »
D’autres aventures attendent le Commando et ses graveurs de passage.
La première se déroule sur la toile.
Pour qu’Aktion Comix Mix Commando reste un projet expérimental, léger à mettre en place, Thierry
a choisi de recourir aux imprimeurs
en ligne. Ainsi, pas de frais de réimpression mais une réponse à chaque
commande. La seconde se déroulera
dans le off officieux de l’exposition
Sexties, au Palais des beaux-arts
bruxellois. Les poitrines généreuses
de Russ Meyer y côtoieront une analyse, d’époque et d’Alex Comfort,
l’Origine des obsessions sexuelles.
_Marion Dumand
(1) À lire gratuitement et à acheter sur
http://aktionmixcomixcommando.wordpress.com/
(2) http://www.myspace.com/wonkinnywhite
_Jean-Claude Renard
Aux rencontres photographiques d’Arles
en 2008. JULIEN/AFP
MÉDIAS
À VOS POSTES
Une ville à jeux et à sang
e décor d’abord : une ville de
deux millions d’habitants, fondée par les mormons, au mitan
du XIXe siècle. Las Vegas, surnommée Sin City, la ville du péché. Plein
désert alentour. À l’intérieur, pléthore
de néons, de casinos (dont le chiffre
d’affaires annuel atteint 40 milliards
de dollars). Boîtes de nuit, restaurants
de luxe. Paillettes et artifices. Chaque
année, plusieurs dizaines de millions
de touristes s’y pressent. Vegas est la
première ville hôtelière au monde,
avec 120 000 chambres. Et l’envers
du décor : 70 000 crimes par an. Las
Vegas condense le plus fort taux de
criminalité aux États-Unis, de
condamnés à mort. Un théâtre sulfureux qui mêle les putes de luxe, les
gangs, le fric facile, la dépression, la
drogue, l’alcool et les armes. Bref. Il
s’y passe toujours quelque chose. Le
bien comme le pire. Le pire arrive toujours. Et même plus souvent.
Déjà auteur du remarquable Pain,
pétrole et corruption, réalisateur des
« Guignols de l’info » entre 1998 et
2006, soutenu par ses producteurs
Denis Poncet et Jean-Xavier de Lestrade (Un coupable idéal) et l’unité
documentaire d’Arte pour ce travail
à long terme (trois années), Rémy Burkel a trimbalé sa caméra dans cette
cosmogonie à la fois fascinante et
repoussante. Objet : suivre cinq inculpations : une femme accusée d’homicide volontaire sur sa fille ; un frère
et une sœur accusés du meurtre d’une
gamine, risquant la peine de mort,
tout comme un membre de gang,
d’origine mexicaine, qui se proclame
innocent ; un vieillard esseulé, gagné
L
Dans le décor stupéfiant
de Las Vegas, Rémy
Burkel a suivi cinq
affaires criminelles,
donnant à voir
la machine judiciaire
implacable de Sin City.
par la folie et l’alcool, ayant buté son
voisin ; et un jeune homme d’affaires
accusé du meurtre d’un membre d’un
gang asiatique. Soit cinq trajectoires
accompagnées par des avocats, commis d’office pour la plupart, pugnaces,
des juges arbitrant les débats, des jurés
et des procureurs promoteurs de la
tolérance zéro. Plutôt proche des avocats, le réalisateur rend compte des
affaires de la préparation de la défense
au procès, en passant par les enquêtes
du Ministère public. En somme, une
incursion dans le système judiciaire
de Las Vegas (ultra-répressif, partisan de la peine de mort), tournée au
rythme d’une fiction, chargée d’émotions, dynamique sans être endiablée,
parfois caméra à l’épaule, au diapason d’une ville mouvementée, et dont
Rémy Burkel rapporte (et dénonce)
le message clairement destiné aux touristes : « N’ayez crainte, vous êtes en
sécurité chez nous car on est très durs
avec les criminels. »
_Jean-Claude Renard
Justice à Vegas, vendredi 25 septembre, 22 h 15
(épisodes 1 et 2), Arte. Épisodes suivants tous les
vendredis jusqu’au 23 octobre. Coffret DVD chez Arte
éditions, en vente le 7 octobre.
Gagné par la folie et l’alcool, cet homme a tué son voisin. DR
Bakchich en kiosque
La meilleure défense, c’est l’attaque. Air
connu. Crise oblige, les recettes
publicitaires du journal en ligne Bakchich
ont fondu. Pour sauver le site du dépôt de
bilan, son directeur, Nicolas Beau, lance
en kiosque un hebdomadaire papier à
compter de ce mercredi 23septembre, au
prix de 1,80euro. Vingt pages partagées
entre l’information politique, économique,
sportive, médias et culturelle. S’y ajoutent
un horoscope des hommes politiques, une
rubrique consommation et un reportage
en bande dessinée. La direction espère
50000 exemplaires vendus dès le
lancement. En ping-pong avec son site,
l’hebdo compte
rester fidèle au
ton satirique de
sa «maison
mère»,
conserver
« son mauvais
esprit» et, tant
qu’à faire,
« démonter
l’hypocrisie
qui gouverne
le système médiatique». Hasard du
calendrier, cette première édition survient
en même temps que le procès qui oppose
le canard à Philippe Val, lequel avait
accusé Bakchich d’être digne du journal
collaborateur Je suis partout. Gageons
que le patron de France Inter sera relaxé
au motif du droit à l’humour…
TÉLÉVISION
Le 19 h 45
TOUS LES JOURS, M 6
La pub affichée dans les rues ne lésine
pas: « Il était temps de faire évoluer le JT.»
On y voit l’évolution de l’homme, se
redressant au fil des esquisses, de CroMagnon à… Claire Barsacq. En veste
courte et jean, c’est elle qui présente donc
le premier JT de M 6, depuis lundi
7septembre. À 19h45. En guise d’ouverture
de ce premier opus, les classes fermées
pour cause de grippeA. Rien de plus
attendu. Plus surprenant après, en
termes de hiérarchie de l’info: un fait
divers, en long et large, consacré au
procès d’un couple accusé d’infanticide.
Après quoi, une rupture de rythme avec
deux brèves du même tonneau: une rixe
dans le Vaucluse, l’attaque d’un fourgon à
Aubagne. Vient le mot du jour:
« Paquebot». C’est-à-dire le siège du
Front national, à vendre. Reportage à la
clé, « une visite exclusive», selon Claire
Barsacq, avec ce commentaire: « JeanMarie LePen contraint de jouer le rôle
d’agent immobilier, preuve que la
situation est critique au FN.» À vrai dire,
Le Pen n’est agent immobilier que parce
que le journaliste lui a demandé une visite
guidée du «paquebot». Et l’info date d’il y
a dix-huit mois. Petite brève rassurante
après: la bonne santé de Nicolas Sarkozy,
« qui a peut-être permis au président
français d’être persuasif pour vendre le
Rafale au Brésil». Trois autres brèves en
quelques secondes: une journaliste
soudanaise incarcérée pour avoir porté un
pantalon; panique à Hong-Kong à cause
d’un agresseur usant d’acide; inondations
meurtrières en Afrique de l’Ouest. Après ce
mélange subtil de reportages et de brèves,
la polémique en Allemagne à propos d’une
campagne contre le sida, « la pub dont on
parle dans toute l’Europe», avec Hitler en
personnage principal. Sport: Tsonga et
Monfils en huitièmes de finale de l’US
Open. Puis une page «culture», à
l’occasion du dernier album de Matthieu
Chedid. Tombe déjà la météo: « Demain,
les cartes seront un peu comme vous,
Claire, rayonnantes», avance Alex Goude.
Épilogue avec une interview de Domenech,
diffusée déjà une heure avant au JT de
Canal+. « Voilà ce qu’il fallait retenir de
l’actualité de ce lundi 7septembre»,
ponctue Claire Barsacq. En effet, il était
temps «de faire évoluer le JT».
SAMEDI 19 SEPTEMBRE
Teum-Teum
France 5, 14 h
Premier numéro d’un nouveau magazine
orchestré par Juan Massenya, qui se veut
un espace de rencontres. Celles des
banlieues, de Paris et d’ailleurs. En invité
inaugural, Stéphane Guillon, pour une
virée dans la cité des 4000.
DIMANCHE 20 SEPTEMBRE
Arch of Triumph
France 3, 0 h 10
Une histoire d’amour sur fond de Seconde
Guerre mondiale, signée Lewis Milestone
(1948), sur un scénario de Remarque,
avec Ingrid Bergman et Charles Laughton.
LUNDI 21 SEPTEMBRE
Un jour pour la paix
Canal +, 20 h 50
Programmation spéciale à l’occasion de la
Journée mondiale de la paix, avec la
diffusion de Valse avec Bachir, d’Ari
Folman, et un portrait de Jeremy Gilley,
instigateur de ce Peace One Day.
MARDI 22 SEPTEMBRE
Planète verte ?
Arte, 20 h 45
Une réflexion à travers deux
documentaires. Le premier (Quand Obama
se met au vert, de Stéphanie Kaim) donne
les ambitions du Green New Deal du
nouveau président américain. Le second,
de Barbara Necek et Anna Kwak, brosse
un état des lieux du nucléaire. Prévu au
débat qui suit les docus, Claude Allègre
s’est finalement désisté…
17 sept embr e 2 00 9
I
POLITIS
I 27
DÉBATS & IDÉES
Retour en Algérie
Trois ouvrages récents
explorent des points encore
peu connus de l’histoire de la
guerre d’Algérie et des
premières années de
l’Indépendance.
Algérie, les années
pieds-rouges.
Des rêves de
l’Indépendance au
désenchantement
(1962-1969),
Catherine Simon,
La Découverte,
288 p., 22 euros.
Le Mystère
De Gaulle,
Benjamin Stora,
Robert Laffont,
268 p., 20 euros.
Scènes de la guerre
d’Algérie en France.
Automne 1961,
Jean-Luc Einaudi,
Le Cherche midi,
416 p., 19 euros.
28 I
POLITIS
C’est sans doute le signe d’un passé qui a
du mal « à passer ». L’histoire de
l’accession à l’indépendance de l’Algérie
continue de susciter de nombreux travaux
d’historiens et de journalistes français.
Trois d’entre eux, en cette rentrée,
reviennent sur des épisodes troublés et
souvent peu documentés de la douloureuse
naissance puis des premières années du
nouvel État. Comme le note d’emblée la
journaliste Catherine Simon, (dernière)
correspondante du Monde à Alger
jusqu’en 1991, si « des milliers d’articles,
des centaines de livres ont été écrits sur
cette guerre », la plupart s’arrêtent « au
seuil, au moment de l’Indépendance, sous
le ciel fiévreux de l’été 1962 ».
L’auteure a choisi justement de s’intéresser
à la construction de la République
algérienne, en se concentrant sur un
phénomène dont le rôle, prévient-elle,
aura certes été « mineur », mais qui éclaire
néanmoins de façon originale la
« formidable incompréhension des dures
réalités de l’Algérie post-Indépendance
dans la société française ». Il s’agit de la
génération des « pieds-rouges », ces jeunes
Européens anticolonialistes, très souvent
français, venus à partir de 1962 aider la
jeune République qui, dans
l’enthousiasme de l’indépendance à peine
conquise, constitue alors « l’un des pays
symboles, avec le Vietnam, du tiers monde
triomphant ». Ce sont les années de rêve
d’une société nouvelle où, comme le dit
l’un d’entre eux, « Alger, c’était un peu
La Havane ! » Ils sont ouvriers spécialisés,
enseignants, ingénieurs, médecins, la
plupart diplômés. Certains sont des
militants aguerris, d’autres moins engagés.
Tous sont en tout cas prêts à « changer de
vie pour “changer le monde” ».
Précisant d’emblée qu’elle a entrepris un
« périple » entre 1962 et 1969 avec la
« méthode du journalisme », Catherine
Simon a retrouvé plus d’une centaine
d’acteurs de cette « aventure humaine » et
collective. Certains ont commencé à aider
le FLN avant l’Indépendance, notamment
I 1 7 sept embr e 20 09
Scène de liesse à Alger après la déclaration d’indépendance du 1er juillet 1962. AFP
dans les réseaux Jeanson ou Curiel de
porteurs de valises, en tant que déserteurs
de l’Armée française ou anciens
« rappelés » sous les drapeaux, écœurés
par la « sale guerre » dans laquelle ils ont
été contraints de combattre. D’autres
rejoignent l’Algérie au lendemain de
l’indépendance et découvrent alors un
pays tout entier « en liesse ». Les « piedsrouges » qui arrivent – alors qu’en sens
inverse les derniers pieds-noirs s’entassent
sur des bateaux en partance pour Sète ou
Marseille – sont au départ bien accueillis,
même s’ils sont souvent très encadrés par
les structures du FLN en train de
s’installer à tous les postes de pouvoir.
Certains, comme le célèbre militant
trotskiste franco-grec Michel Raptis, dit
Pablo (dirigeant de la tendance
« pabliste » du trotskisme français), ou le
futur PDG de TF 1, Hervé Bourges, sont
même conseillers du président Ben Bella
pendant les premières années de
l’Indépendance. D’autres, comme
l’anthropologue Jeanne Favret-Saada ou
l’historien Gilbert Meynier, deviennent
enseignants dans les universités ou les
lycées, désertés par la plupart de leurs
professeurs quelques mois plus tôt.
Militants internationalistes, tiersmondistes ou chrétiens de gauche, nombre
d’entre eux sont trotskistes, d’autres
adhèrent au Parti communiste algérien
(PCA) dès leur arrivée, comme le
journaliste Arnaud Spire, futur rédacteur
en chef de l’Humanité, qui travaille deux
années au quotidien Alger républicain,
que dirigeait, avant son arrestation par les
parachutistes français en 1956, Henri
Alleg, l’auteur du manifeste contre la
torture pendant la guerre d’Indépendance,
la Question.
Enthousiastes, ils se mettent au travail, et
découvrent le pays et ses habitants,
marqués par huit années d’une terrible
guerre. Mais bientôt la « révolution
algérienne » s’interrompt, le FLN se
transformant en un parti-État avec les
travers que l’on sait. Peu après, le coup
d’État militaire dirigé par Houari
Boumédienne en 1965 met fin pour
beaucoup d’entre eux à l’expérience de
façon amère, voire tragique. L’armée
algérienne pourchasse alors toutes les
dissidences et emploie des méthodes que
ces militants avaient dénoncées et
combattues du temps de la guerre du côté
français : accusé d’être trotskiste, Arnaud
Spire subit comme d’autres – et nombre
d’Algériens – ce que l’auteure, dans un
chapitre terrible, appelle la « gégène
algérienne »… Au final, ce livre propose
un récit quasi inédit de ces « années piedsrouges » dont les acteurs conservent
encore aujourd’hui l’« empreinte ». En
retraçant leurs parcours multiples et
parfois douloureux, Catherine Simon
montre les enjeux complexes d’une
expérience restée jusqu’ici plus ou moins
« sans bilan » et, précise-t-elle avec
modestie, dont « l’histoire politique reste
à faire ». Elle concourt avec brio à son
esquisse.
De son côté, l’historien Benjamin Stora se
penche sur « le mystère De Gaulle ».
Quand et pourquoi le Général a-t-il
finalement décidé de provoquer le
référendum d’autodétermination,
synonyme d’indépendance ? Lui, l’homme
de la « grandeur nationale », rappelé au
pouvoir en 1958 par les partisans de
l’Algérie française. Avait-il résolu dès son
retour d’en finir coûte que coûte avec un
conflit ruineux pour l’économie et
paralysant pour un homme qui rêvait de
faire entrer son pays dans la modernité
industrielle et technologique ? Ou bien a-til changé sa vision à l’épreuve d’une guerre
d’indépendance que la France ne pouvait
pas gagner, malgré son évidente supériorité
militaire ? Benjamin Stora suit pas à pas sa
tournée en Algérie, début juin 1958. Il note
son refus de reprendre à son compte le
slogan « Algérie française », que lui
soufflent pourtant Raoul Salan ou Jacques
Soustelle. Sauf lors de son étape de
Mostaganem où, mystère dans le mystère,
il se laisse semble-t-il emporter par une
atmosphère surchauffée. Mais surtout pas
à Alger où, depuis le balcon du
gouvernorat, il cultive l’ambiguïté et le
quiproquo avec son fameux « je vous ai
compris ».
Stora retrace heure par heure les journées
qui ont précédé celle, décisive, du
16 septembre 1959, au soir de laquelle le
Général abattra ses cartes dans la partie
complexe qu’il livre à sa propre base
politique. De Gaulle consulte, mais il ne
laisse rien paraître. Son plus proche
entourage en est réduit aux spéculations
jusqu’au dénouement de son allocution
télévisée. Au-delà de l’épilogue historique
que l’on connaît du soulèvement des
ultras – la semaine des barricades de
janvier 1960 ou la tentative de putsch du
« quarteron de généraux en retraite » en
avril 1961 –, il est fascinant de voir mûrir
une décision que De Gaulle prend
finalement dans une très grande solitude.
Une solitude que l’on retrouve à chaque
tournant de cette histoire, notamment
quand il s’agit de convaincre l’armée, et
surtout son état-major chancelant, d’opter
pour la légalité républicaine.
Au total, Stora ne perce pas vraiment le
« mystère », précisément parce que la
décision historique se prépare dans le
silence du bureau présidentiel. Mais il
donne tout de même beaucoup d’indices
qui laissent supposer que De Gaulle a très
vite compris qu’il fallait concéder
l’indépendance, et tourner la page de la
colonisation. Plus encore que la question
algérienne, c’est la fonction présidentielle
qui est ici scrutée. Ce qu’on a appelé, à
juste titre, le pouvoir personnel conçu par
la Ve République. Les hommes ont
changé, les styles aussi, mais nous y
sommes encore. Au moins, avec De
Gaulle, le personnage était-il en
adéquation avec l’orgueilleuse fonction.
Un autre ouvrage, paru début septembre,
mérite notre considération. Il est l’œuvre
de Jean-Luc Einaudi, dont on sait le rôle
dans la mise au jour et la dénonciation du
massacre d’octobre 1961, quand la police
de Papon a précipité des dizaines de
manifestants algériens dans la Seine.
Einaudi cite une liste de 389 « NordAfricains », selon l’appellation de
l’époque, « morts ou disparus durant
l’automne 1961 » à Paris et dans la proche
banlieue. Il nous propose cette fois le
troisième volet d’un triptyque sur ces
journées tragiques, après la Bataille de
Paris (1991) et Octobre 1961, un
massacre à Paris (2001). Il s’agit d’une
série de témoignages, pour la plupart
d’Algériens, qui permettent de tisser la
trame serrée des événements.
Comparaison n’est jamais raison, mais il
se dégage au fil de la lecture de ces
« scènes de la guerre d’Algérie en France »
une atmosphère qui rappelle celle de
l’Occupation. Nombreux sont les
survivants qui témoignent d’une France
coupée en deux entre les délateurs
encourageant lâchement la police
parisienne dans sa sale besogne, et les
« résistants ». Ainsi ces trois femmes
aperçues par le futur cinéaste Mohammed
Bouamari, tentant d’arracher
physiquement une Algérienne aux CRS.
Bouamari lui-même raconte comment il a
trouvé refuge chez un militant de l’Unef, le
syndicat étudiant, dont on se rappelle
l’engagement contre le colonialisme
français en Algérie. « C’est ce qui a fait de
moi un humaniste », conclut-il.
Mais il y a surtout le pire : le témoignage
de ce jeune homme de 21 ans qui décrit la
férocité de la charge des CRS et ces corps
jetés dans la Seine depuis le pont SaintMichel. Mais les documents réunis par
Einaudi n’accablent pas seulement la
police française. Ils témoignent aussi des
terribles règlements de comptes entre
militants du FLN et du Mouvement
national algérien de Messali Hadj. Un
document pour cette histoire longtemps
cachée sous les plis de la mauvaise
conscience nationale.
_Olivier Doubre et Denis Sieffert
17 sept embr e 2 00 9
I
POLITIS
I 29
DÉBATS & IDÉES
TRIBUNE
DR
577 députés et 367 burqas…
SYLVIE TISSOT
Maîtresse de
conférences
en sciences
sociales à
l’université
Marc-Bloch
de Strasbourg.
En juin 2009, le député André Gérin a
proposé la création d’une commission
parlementaire sur le port de la burqa et
s’est dit favorable à une loi l’interdisant :
nous protestons vigoureusement contre la
campagne qui a été menée à cette occasion
et rejetons avec force une telle
proposition. Croyantes ou non-croyantes,
musulmanes ou non-musulmanes, voilées
ou non, nous sommes féministes et
combattons depuis 2004 tous les dénis de
droit et discriminations subis par les
femmes voilées. Nous luttons contre
l’instrumentalisation de notre cause
– l’égalité entre les hommes et les
femmes – à des fins politiciennes et parfois
racistes. L’affaire de la burqa franchit une
étape dans cette dérive : assez !
En août, un rapport des Renseignements
généraux a établi à 367 le nombre de
femmes portant la burqa. Sans revenir sur
le ridicule de l’opération (le ministère de
l’Intérieur aurait donc dépêché des
policiers dans toutes les chaumières ?), on
peut dire que ce chiffre a au moins le
mérite de remettre les choses à leur place.
Les traditions sexistes existent partout, y compris au Parlement, où les travées sont à 80 % masculines. ROBINE/AFP
30 I
POLITIS
I 1 7 sept embr e 2 009
Le Collectif des féministes
pour l’égalité, animé
notamment par Sylvie Tissot,
revient ici sur l’affaire
de la burqa.
Loin d’être la tête avancée d’une
déferlante islamique en France, les femmes
privilégiant cette tenue traditionnelle sont
une infime minorité.
377 femmes portant la burqa : et
combien de plans de licenciements depuis
le printemps ? Combien de Français qui
ne sont pas partis en vacances cet été ?
De même qu’à l’automne 2003 l’affaire
du voile a été orchestrée pour déminer le
mouvement social contre la réforme des
retraites et l’immense impopularité du
gouvernement de l’époque, on assiste à
un stratagème identique. Il est bien
regrettable qu’un député dit communiste,
au lieu de se préoccuper des chômeurs et
de s’indigner des bonus faramineux
distribués aux traders, reprenne le thème
néoconservateur du « choc des
civilisations » en lançant une croisade
contre les prétendues « zones de nondroit » que seraient devenues nos
banlieues.
Ce stratagème ne fonctionnerait pas si,
depuis des années, la classe politique et
les médias n’avaient pas relayé une
campagne de stigmatisation extrêmement
violente contre les musulmans. Égorgeurs
de moutons, selon le président de la
République, femmes soumises et aliénées
– sauf si elles se conforment au schéma
de la beurette abandonnant tout
attachement à sa culture –, les
musulmans et les musulmanes sont
décrits comme une population à part ;
la majorité sont pourtant nés en France,
sont français, et veulent tout simplement
jouir des mêmes droits que n’importe
quel-le autre citoyen-ne.
L’argument féministe est venu conforter
cette mise à l’écart. Or, s’il existe bien, au
sein du monde musulman, des rapports de
domination et des traditions sexistes, nous
tenons à rappeler qu’il en existe partout, et
en premier lieu au Parlement ! Les travées
à 80 % masculines de l’Assemblée
nationale ne sont pas qu’un « symbole » ;
elles sont la traduction concrète d’une
réalité claire : les femmes sont encore
largement exclues des postes de pouvoir.
« La vision de ces femmes emprisonnées »
est, pour André Gérin, « intolérable »,
« inacceptable » ; le spectacle de l’entre-soi
masculin que constitue le monde politique
ne semble, en revanche, pas le gêner.
Effectivement, les femmes ne se
promènent pas en burqa à l’Assemblée ;
excepté 107 d’entre elles, elles en sont tout
simplement exclues […].
Nous dénonçons l’idée folle qui
consisterait à interdire la burqa. De
même que l’interdiction des capuches ou
des regroupements dans les halls
d’immeuble, elle participe d’une logique
liberticide, et il est très inquiétant de la
voir proposée et même discutée au sein
de la classe politique. Nous sommes pour
le respect des droits les plus élémentaires,
qui sont au fondement des sociétés
démocratiques, et, à ce titre, nous
défendons le droit des individu-e-s à
évoluer et à s’habiller comme ils/elles le
veulent dans l’espace public. Nous
sommes pour une laïcité qui garantisse la
liberté de culte, et celle de penser et
d’exprimer ses idées dans le respect de
tous et de toutes. Pas pour une laïcité
totalitaire qui implique la soumission à
une culture et entend dicter nos choix,
qu’ils soient spirituels, vestimentaires ou
politiques.
Nous n’avons pas fini d’interdire si nous
voulons nous attaquer à tous les
« symboles » de la domination
masculine. À ce compte-là, pourquoi ne
pas interdire ceux que portent tant de
femmes blanches supposées émancipées :
talons aiguilles, rouge à lèvres ? Et
surtout, au lieu de s’attaquer toujours à
des femmes, pourquoi ne pas combattre
d’abord les symboles que portent les
hommes, par exemple la cravate ?
Pourquoi ne pas constituer une
commission d’enquête sur la diffusion
quotidienne des normes de beauté
oppressantes auxquelles doivent se plier
les femmes, et sur tous ceux qui y
participent : publicitaires, magazines
féminins, industrie de la mode, et autres
fabricants de produits amincissants ?
Assez du deux poids, deux mesures !
Assez de ces campagnes
grotesques menées au nom des femmes
mais qui ne conduisent qu’à les
pénaliser ! Nous appelons toutes les
forces féministes et progressistes à
dénoncer cette opération, et à combattre
ensemble pour la justice sociale et
l’égalité entre les hommes et les femmes
– toutes les femmes.
DE BONNE HUMEUR
MOTS CROISÉS PAR JEAN-FRANÇOIS DEMAY
GRILLE N° 31
HORIZONTAL :
I II III IV V VI VII VIII IX X
s
1
2
ll
3
4
5
6
7
8
9
10
Solution de la grille n° 30 :
1. Strychnine
2. Avoueras
3. Batelières
4. Jais. Ivo
5. Mentir
6. Nastasia
7. Créât. Étau
8. Têt. Efrits
9. Toua. Öre
10. Fleuronnés
SÉBASTIEN FONTENELLE
I. Subjonctif
II. Aa. Are
III. Ratissette
IV. Yves. Ta. Ou
V. Col. Mateur
VI. Huiles. FAO
VII. Née. Nier
VIII. Irritation
IX. Nævi. Âtre
X. Essoreuses
1. Un conseiller qui finit comme
un ancien président russe. 2.
Ôtas une couche sale. 3. Fera
désirer pour attraper. 4. Bras
administratif du patron. Chair
à canon un peu tendre. 5.
Berceau biblique. Un cinéma
de Duras. 6. Rend le raisin plus
digeste. 7. Commence et finit
le tour. Dit le lieu. Sudiste.
8. Prénom anglo-saxon.
Amuseur en vacances. 9. Sage
quand elle est bonne.
10. Philosophie du dandy.
VERTICAL :
I. Accepter de nouveau.
II. Adaptés. III. Une petite fille
malheureuse. On évite d’en
choper en sortant couvert.
IV. Refoula. Voile. Exclamation.
V. Ne manque ni de perles
ni de coquilles. VI. Épuisée.
Doublé, il ne donne pas le
choix. Clé. VII. Labourée une
nouvelle fois. A suivi 205, il
y a quelques années. VIII. Un
médecin joué par Truffaut.
Règles. IX. Sodium. Fleuve
africain. Équipe du sud.
X. Relative à une secte
préchrétienne.
Sœur Éric, bonne amie
des gueux
Tu es au gouvernement (droitier) de la France, et tu as (donc)
fomenté le projet, classique, de faire avaler à tes administré(e)s
une dégoûtante couleuvre, bien grasse, bien dégueulasse. Mais tu
as aussi, et dans le même temps, le souci de te ménager l’image de
marque: tu veux que la plèbe, nonobstant que tu la nourris de
saletés, continue de te considérer comme quelqu’un de plutôt
sympa – éventuellement un peu rude, hein, mais accessible, au
fond, à une certaine forme de pondération.
Comment tu fais?
Ben c’est tout simple: tu commences par menacer le populo de lui
mettre au fond du gosier, non seulement la couleuvre, mais, de
surcroît, un crotale. On fera ça mercredi à 15 heures, tu lui
annonces, préparez le digestif. Et au dernier moment – le mercredi,
juste après 14 heures –, tu fais publier l’heureuse nouvelle:
finalement, les amis, j’ai bien réfléchi, et je vous fais grâce du
crotale – alors quoi, vous m’avez pris pour un gros salaud, ou quoi?
Et maintenant, les amis, faites, vous aussi, une concession: avalezmoi fissa cette grosse couleuvre bien dégueulasse, ou je fais
donner la troupe (républicaine).
Les amis.
Pourquoi je te raconte ça, me
demanderas-tu? (Qu’est-ce que c’est que
Dans le cas des
cette histoire de serpents à la con?)
rafles, les
Parce que la droite versaillaise qui
prétend régner sur nos vies vient de nous
intellectuels de
faire à peu près le même coup, avec les
haut renom qui se tests ADN.
Naaaaan, déclare soudain Maurice
sont naguère
Besson (1), je signerai pas le décret
mobilisés contre d’application de cette inique loi, merde
alors, mâme Dupont, j’ai de l’éthique, moi,
les tests ADN
sans déconner. (Vous le savez, vous,
ferment leur
mâme Dupont, que sous mes dehors
d’absolu renégat j’ai gardé un cœur de
bouche à double
gauchiste. Non? Vous ne le saviez pas?)
tour.
Résultat: on a un peu l’impression que le
gars est devenu Sœur Éric, la bonne amie
des gueux.
Sauf que, dans la vraie vie, pardon: Sœur
Éric, rongée par le désir de (com)plaire au chef de l’État français,
qui lui a assigné la noble mission de bouter plusieurs dizaines de
milliers de bougn… d’étrangers par an, Sœur Éric, disais-je,
continue de faire traquer dans nos rues le sans-papiers, de 7 mois
à 77 ans. (Et d’incarner, par conséquent, quelque chose – un état
d’esprit – de particulièrement révulsant.)
Avec, tout de même, la différence que, dans le cas des rafles, les
intellectuels de haut renom qui se sont naguère mobilisés (à peu
de frais, une fois défalqué le prix du champagne et des canapés)
contre les tests ADN – les Carla Bruni, Bernard-Henri Lévy et
autres Philippe Val – ferment leur bouche à double tour, et pour
cause: ils jugent, comme Maurice Besson et son maître, qu’il faut,
mâme Dupont, «maîtriser les flux migratoires». Sens-tu comme ce
pays pue?
(1) Oui, oui, je sais : le prénom de Besson est plutôt Éric. Mais c’est plus fort que moi : quand
je le vois, j’ai envie de l’appeler Maurice. Et pourquoi me refuserais-je ce minuscule petit
plaisir, je te prie ?
Retrouvez le blog de Sébastien Fontenelle sur www.politis.fr
17 sept embr e 200 9
I
POLITIS
I 31
RÉSISTANCES
AGRICULTURE Alors que les exploitations agricoles productivistes voient leur rentabilité s’effondrer, Mathieu Wall,
jeune cultivateur drômois, s’est lancé dans le bio et la vente directe.
Les marchés, pas le marché !
À
32 I
POLITIS
I
Dans une exploitation voisine, vingtcinq cueilleurs sont à pied d’œuvre,
dix heures par jour. L’année est très
bonne. Trop, même, pour l’équilibre du marché, qui a sombré dans une
surproduction sévère. Le cours de
l’abricot ne décolle pas des 50 centimes du kilogramme. Soit à peine
de quoi rembourser les lourds investissements de l’année. Le phénomène
est récurrent depuis une dizaine d’années. Jusque dans les années 1980, les
exploitations avaient conservé une
taille plutôt réduite, et il existait encore
des circuits courts. « Mon père descendait le soir même à Buis-lesBaronnies pour vendre ses fruits, il
était payé cash », se souvient Séverine
Teste, qui gère avec son père une
exploitation de 40 hectares. Les fruits
étaient acheminés chez le consommateur en deux jours. Aujourd’hui,
ils peuvent attendre un mois dans les
frigos et passent par deux ou trois
intermédiaires. Dans le village voisin de Buis-les Baronnies, le kilo
d’abricots s’affiche donc à 3,80 euros.
« Quand on voit
ç a ,
s’étouffe un exploitant, on a envie
de tout casser… et de taper celui qui
a posé l’étiquette. » D’autant que les
circuits longs pèsent sur la qualité.
« On est obligé de ramasser vert parce
qu’il faut que ça tienne en chambre
froide », peste Mathieu. « Au mieux,
nos fruits ont le goût de la cagette. »
Pour survivre ou profiter de l’ouverture des marchés longs, dans les
années 1990, beaucoup d’exploitants
investissent afin d’améliorer leurs rendements et de construire des chambres froides. Dans cette course à la
productivité, il est bien difficile de
revenir en arrière. Mathieu, lui, pouvait se permettre l’ambition de sortir du productivisme. « Quand on est
ouvrier agricole, on voit forcément
les choses différemment puisqu’on n’a
pas investi au départ. On n’a pas
connu l’époque où ça marchait
aussi… Alors, au bout d’un moment,
on a envie de faire les choses comme
on les voit. »
Au début, pour lui, le bio n’avait pourtant rien d’idéologique. « Je faisais
simplement ça pour prouver que
je travaillais proprement et ne
pas être assimilé à un mec du
Gard qui cultive 100 hectares, traite ses abricots 15
ou 20 fois au printemps
et envoie de l’engrais en
même temps que son
irrigation. » Mais, sur
le plan économique, le
bio ne fait pas de miracle.
La surproduction, cette
année, a lourdement touché les agriculteurs bios,
d’autant plus que les
normes leur imposent de
cueillir mûr, ce qui réduit la
durée possible du stockage
du fruit. Pour
Mathieu, c’est
davantage
la vente
MATHIEU WALL PAR GWENAËL MANAC’H.
contre-courant d’un système qui s’enraye, Mathieu
Wall s’est lancé il y a deux
ans en agriculture biologique, à Vercoiran, un village du sud-est de la Drôme. D’une
voix légèrement enrouée, ce jeune agriculteur discret raconte ses choix audacieux, parfois incompris. Harassé par
le boum de la saison de l’abricot du
mois de juillet, il souffle : « Je me suis
lancé dans un truc… »
En mai 2007, cet ouvrier agricole de
32 ans, qui enchaîne les saisons entre
la Savoie et la Drôme provençale,
décide de se mettre à son compte. Il
reprend en locations 17 hectares de
terres partiellement abandonnés, dont
3 hectares d’abricotiers. En espérant
réussir en dehors des réseaux de distribution qui pressurent de plus en
plus les agriculteurs productivistes,
il choisit de rester sur des petites surfaces et développe la vente directe.
« J’essaie de court-circuiter les circuits longs », lance-t-il sans retenir
un rire détaché.
Il parie donc sur la qualité et transporte lui-même une partie de ses fruits
jusqu’en Savoie pour les vendre directement aux particuliers ou sur les marchés. Il peut ainsi casser les prix visà-vis des circuits longs de la grande
distribution et vend des fruits mûrs,
cueillis la veille ou deux jours plus
tôt. Sans pesticides ni engrais chimiques, ses rendements sont inférieurs à ceux de ses voisins. Le travail de sa terre, comme la récolte,
lui prend beaucoup moins de temps
et respecte mieux le rythme du fruit.
« J’arrive à ramasser exactement
entre le mûr et le ferme. Et ça se joue
au jour près, ce n’est possible que sur
des petites surfaces. Mais ça m’a
ouvert beaucoup de portes. La
démarche reçoit un accueil
encourageant. »
Gagnant en qualité, il
s’économise aussi des
traitements chimiques très coûteux et parvient
à mener sa
récolte avec
seulement
cinq cueilleurs, lui
compris.
directe qui s’est révélée prometteuse
à petite échelle. « Le circuit court,
pour le bio, est beaucoup mieux
organisé qu’en agriculture non bio. »
Il tente donc de s’engouffrer dans
cette brèche. Cette année, il a pu vendre ses fruits à 1,40 euro le kilo en
moyenne, sans bénéficier des retombées du Label bio, décerné après trois
ans de conversion. Au final, Mathieu
casse les prix pour le consommateur
et triple son bénéfice. « On est revenus aux vieilles recettes qui fonctionnaient il y a vingt ans. »
Le bio reste pourtant un pari très incertain. Un seul vol de mouches peut décimer une récolte d’olives, tant les insecticides naturels sont inefficaces en
comparaison avec les produits chimiques. Mathieu tente donc de se
jouer des incertitudes en diversifiant
les cultures. Et il transforme ses pertes
en jus de fruit ou en confiture : « C’est
même ce qui me rapporte le plus. »
La conversion est aussi une phase
très difficile. En prenant l’agriculture à contre-pied, il s’est coupé des
circuits traditionnels et doit travailler dur pour trouver des acheteurs :
« Cette année, au début, personne
ne voulait de mes abricots. » Quant
aux aides publiques à l’agriculture
biologique, elles représentent pour
lui 300 euros par hectare et par an.
Le quart de ses dépenses en engrais
biologique. Alors, avec ses deux premières années de conversion marquées par le gel, Mathieu ne s’en
est sorti qu’en travaillant dans les
exploitations voisines comme saisonnier. « Au début, ça ne marchait
pas du tout, concède-t-il. Les deux
premières années, je n’étais même
pas au RMI. Et comme je manque
de tout, je reste encore très dépendant du soutien des agriculteurs des
environs. » Il ne regrette pourtant
pas de s’être lancé. « Cette année, ça
va être une année correcte, et ça va
aller de mieux en mieux. » Dans un
contexte très difficile pour les producteurs bios, Mathieu a finalement
pu vendre tous ses abricots. Et garder l’espoir de voir sa petite exploitation trouver la rentabilité que
l’agriculture a perdue.
_Erwan Manac’h
Pour commander nectars et confitures à Mathieu
Wall : [email protected]/ 06 81 03 13 88.
DÉSOBÉISSANCE
SUR LE TERRAIN
Mon ADN à moi
François Vaillant, militant du mouvement pour une
Alternative non-violente (MAN) et rédacteur en chef
de la revue Alternatives non-violentes, sera jugé le
21 septembre par le tribunal correctionnel de Rouen
(13 h 15, 4e chambre) pour avoir refusé un
prélèvement ADN par la police en 2008. Son
interpellation faisait suite à un barbouillage de
panneaux publicitaires avec les Déboulonneurs. Il
risque un an de prison et 15 000 euros d’amende. Le
MAN invite les citoyens à soutenir financièrement cet
acte de désobéissance civile.
_X. F.
Pour aider aux frais de justice (environ 3 50 euros), envoyez votre chèque (ordre : MAN Normandie) à : MAN,
Centre 308, 82, rue Jeanne-d’Arc, 76000 Rouen. Procès suivi d'une soirée-débat. [email protected]
ÉDUCATION Pris à la gorge par le coût de leur rentrée,
les étudiants demandent des mesures d’urgence.
Leurs chères études
es adhérents de l’Union nationale
des étudiants de France (Unef)
vivraient volontiers de savoir,
d’amour et d’eau fraîche, mais la réalité est plus ardue. Le syndicat vient
de rendre publique une enquête alarmante sur le coût de la vie étudiante
et les conditions de la rentrée. « L’évolution des dépenses du “panier de
l’étudiant” démontre que leur situation sociale continue de se dégrader
en cette rentrée », résume l’Unef.
Principales raisons de cette inflation,
les loyers et les « frais obligatoires »
décidés par le ministère de l’Enseignement supérieur (frais d’inscription, cotisation à la Sécurité sociale
étudiante, prix du ticket de cantine, etc.) « Le coût de la rentrée varie
ainsi de 613 euros à 2 225 euros par
étudiant selon les situations », révèle
l’Unef, qui pointe également la distorsion entre hausse des coûts et stagnation des aides : « Cette dégradation
du coût de la vie étudiante est continue depuis 2001. L’augmentation des
dépenses obligatoires étudiantes est
de 41,5 % depuis 2001, alors que,
dans le même temps, les aides n’ont
augmenté que de 13 %. »
Autre nuage qui point à l’horizon : les
conséquences de la crise sur le niveau
de vie des étudiants. Les revenus des
familles, souvent premier soutien
financier des étudiants, sont annoncés à la baisse, tandis que les petits
boulots se raréfient. En clair, « le coût
de la rentrée devient insupportable
L
I M M I G R AT I O N
On ferme
Neuf associations
ont adressé une
lettre à Bertrand
Delanoë après
l’expulsion des
exilés afghans,
iraniens et
irakiens des
squares du
Xe arrondissement
de Paris, le 18août
dernier.
« Consternées»
de voir que « des
jardins publics
FEDOUACH/AFP
sont le seul abri
pour dormir offert à ces personnes» par
l’État, les associations signalent en outre
que le dispositif d’accueil des mineurs à
Paris est « de plus en plus précaire».
Celui-ci ne permet plus d’assurer le suivi
socio-éducatif et la protection auxquels ils
ont droit. Devant la décision de fermeture
la nuit des parcs et jardins aux exilés, la
Cimade, Hors la rue, le Gisti et les autres
se demandent si Paris va devenir, à l’instar
de Calais, « une ville quadrillée en
permanence par des policiers occupés à
chasser ceux qui y transitent ou y
cherchent refuge».
Bourse du travail, 3, rue du Châteaud’Eau, 75010 Paris.
www.agirpourlesdesc.org
LOGEMENT
Du feu à la rue
En plein après-midi du 27août, le feu
attaque l’hôtel Hermel, dans le
XVIIIe arrondissement de Paris. De
nombreuses familles, salariées, en
situation régulière et en attente de
logements sociaux, y vivent, parfois
depuis des années. Jusqu’en juin, les
modestes chambres étaient louées par les
services sociaux au prix délirant de
1500 euros par mois. Certains locataires
payaient de leur poche 600euros par
mois, pour des chambres de 9 à 12 m2,
« infestées de cafards, sans douche ni
toilettes, ni même un coin cuisine», relate
Droit au logement (DAL). Les locataires
qui ont refusé les propositions de
relogement dans d’autres hôtels campent
devant l’établissement, en attendant un
« hébergement stable et décent» dans
leur quartier.
www.droitaulogement.org
LIBERTÉS
L’outrage dégonflé
www.horslarue.org, 01 42 96 85 17.
I N T E R N AT I O N A L
Protéger les peuples
Le coût de la rentrée varie de 613
à 2 225 euros par étudiant. DE SAKUTIN/AFP
pour les étudiants, avec pour effet
collatéral prévisible une augmentation des renoncements ou des
abandons d’études pour des raisons
financières ».
Considérant que « les jeunes sont
aujourd’hui les grands oubliés des
mesures anticrise du gouvernement »,
l’Unef réclame à Nicolas Sarkozy la
mise en place d’un « bouclier social »
pour protéger les jeunes de la crise
et du chômage (1). Au sommaire des
actions à entreprendre d’urgence :
hausse des aides au logement et des
bourses, constructions de logements
étudiants et aide à la recherche du premier emploi.
La plateforme DESC, collectif
d’associations et de syndicats engagés
dans la défense des droits économiques,
sociaux et culturels (DESC) en France, se
réjouit de l’adoption prochaine par les
pays membres de l’ONU qui s’y engagent
du Pacte international relatif aux DESC.
Ce texte permettra aux particuliers, aux
groupes ou aux organisations de porter
plainte auprès du Comité des droits
économiques, sociaux et culturels de
l’ONU « afin d’obtenir justice pour des
violations de ces droits commis dans leur
pays», explique la Ligue des droits de
l’homme (LDH). La crise économique
mondiale menace de plonger dans la
pauvreté un nombre plus important
d’êtres humains à qui il devient « impératif
d’apporter un cadre de protection effectif
au niveau international».
Débat sur « L’enjeu des DESC face à la
crise », le 18 septembre (19 h à 21 h),
_ Xavier Frison
(1) Pétition en ligne : www.unef.fr
AL-RUBAYE/AFP
BUREAU/AFP
La cour d’appel de Paris a confirmé le
9septembre dernier la relaxe de Maria
Vuillet, une mère de famille francocolombienne poursuivie pour avoir
outragé un sous-préfet à qui elle aurait
crié «Sarko facho» lors de la journée de
commémoration du souvenir du résistant
Guy Môquet. Malgré la foule présente,
seul le chauffeur du sous-préfet a
confirmé cette version… Le Collectif pour
la dépénalisation du délit d’outrage
(Codedo) se félicite de la décision de la
cour d’appel de Paris et estime que
« l’opération“main basse sur la lettre à
Guy Môquet”initiée en 2007
parMM.Guaino et Sarkozya donc échoué
sur toute la ligne». La pétition (1)
demandant la dépénalisation du délit
d’outrage et demandant un débat sur les
violences policières sera remise le
2décembre à l’Élysée, au ministère de la
Justice et au ministère de l’Intérieur.
Codedo : http://codedo.blogspot.com/
(1) www.ldh-france.org/Petitionoutrage-offense-L-appel
17 sept embr e 2 00 9
I
POLITIS
I 33
POLITIS
Politis, 2, impasse Delaunay
75011 Paris
Tél. : 01 55 25 86 86
Fax : 01 43 48 04 00
www.politis.fr
[email protected]
Fondateur : Bernard Langlois.
Politis est édité par Politis, société
par actions simplifiée au capital de
941 000 euros.
Actionnaires :
Association Pour Politis, Christophe
Kantcheff, Denis Sieffert, Pascal
Boniface, Laurent Chemla, Jean-Louis
Gueydon de Dives, Valentin Lacambre.
Président, directeur de la publication :
Denis Sieffert.
Directeur de la rédaction :
Denis Sieffert.
Comité de rédaction :
Thierry Brun (87),
Christophe Kantcheff (85),
Michel Soudais (89)
(rédacteurs en chef adjoints) ;
Sébastien Fontenelle (74)
(secrétaire général de la rédaction),
Olivier Doubre (91), Xavier Frison (88),
Ingrid Merckx (70),
Patrick Piro (75) (chefs de rubrique) ;
Jean-Claude Renard (73),
Gilles Costaz, Marion Dumand,
Denis-Constant Martin, Christine
Tréguier, Claude-Marie Vadrot,
Jacques Vincent.
Responsable éditorial web :
Xavier Frison (88).
Architecture technique web :
Grégory Fabre (Terra Economica)
et Yanic Gornet.
Conception graphique
Sophie Guéroult-Sikora (01 43 71 21 46).
Premier rédacteur graphiste papier et web :
Michel Ribay (82).
Rédactrices graphistes :
Claire Le Scanff-Stora (84),
Clémence Knaebel.
Correction et secrétariat de rédaction :
Marie-Édith Alouf, Pascale Bonnardel.
Administration-comptabilité :
Isabelle Péresse (76).
Secrétariat :
Brigitte Hautin (86).
Publicité-promotion :
Marion Biti (90)
[email protected]
Impression :
Rivet Presse Édition BP 1977, 87022
Limoges Cedex 9
Imprimé sur papier certifié PEFC
PEFC/10-31-1345
PROMOUVOIR
LA GESTION DURABLE
DE LA FORÊT
DIP, Service abonnement Politis
18-24, quai de la Marne,
75164 Paris Cedex 19
Tél. : 01 44 84 80 59.
Fax : 01 42 00 56 92.
[email protected]
Abon. 1 an France : 147 euros
Conseil Distribution - Diffusion
K.D. Presse
14, rue des messageries 75010 Paris
Tél. : 01 42 46 02 20
www.kdpresse.com
Numéro de commission paritaire :
0112C88695, ISSN : 1290-5550
34 I
POLITIS
I 1 7 sept embr e 200 9
LE POINT DE
Qui va percevoir la taxe carbone ? Il
semble que ce soit à la pompe, en ce
qui concerne le carburant. Autrement
dit, Total va en être un des
percepteurs. Ce qui lui permettra de
bénéficier de rentrées d’argent
comptant supplémentaires, qu’il devra
reverser au Trésor. Mais après quel
délai, quelle spéculation ?
Albert Alter, Gagny
Bien que trouvant quelque peu
alambiquée, voire ambiguë, la
chronique de Serge Latouche
« Vivre avec 600 euros par mois »,
parue dans le n° 1066 de Politis, il
m’apparaît que la problématique
posée ne peut être évacuée d’un
revers de main, cela d’autant moins
qu’elle est appelée à coup sûr à
devenir de plus en plus prégnante
dans les années à venir. Il me
semble que, sans hypothéquer la
lutte plus que jamais nécessaire
pour ce que Serge Latouche luimême nomme « un monde plus
partagé demain », on peut essayer
d’y intégrer cette nécessaire
mutation des esprits et des
mentalités, dont nous ne pouvons
faire l’économie, à moins bien sûr
de nous résigner au suicide collectif.
Le rejet sans concession du
consumérisme est en effet une
condition indispensable de notre
« salut » commun (pardon pour ce
terme trop connoté), mais il me
semble que le meilleur moyen d’y
faire adhérer, y compris les « mecs
de Peugeot mis au chômage »,
serait de renoncer une bonne fois à
toute logique sacrificielle.
Pourquoi, diantre, expliquer à des
automobilistes contraints chaque
jour aux embouteillages, aux
difficultés de stationnement et
éventuellement à l’acquittement de
contraventions qu’ils doivent
renoncer à leur voiture, alors que ce
à quoi ils renoncent, sans le savoir,
c’est le bonheur du vélo qu’ils
pourraient enfourcher, de l’air frais
qui fouette le visage, de l’exercice
physique qui atteste de leur vitalité
et de ce qu’il leur reste de jeunesse,
en attendant une décrépitude hélas
inéluctable ? Pourquoi présenter
comme un sacrifice le renoncement
aux files d’attente dans les
hypermarchés, quand les marchés
de plein air ou les Amap, si
conviviales, leur tendent les bras ?
Pourquoi présenter comme un
sacrifice la mise de côté des
téléphones portables lors des
promenades dominicales alors qu’il
est si doux de se sentir, pour
quelques heures, libéré des attaches
et relations avec ceux qui ne savent
plus nous contacter que par
l’entremise de ces nouveaux
gourous qu’on appelle
« opérateurs » ? On pourrait
continuer longtemps à donner des
exemples ; pour l’instant, le plus
grand succès remporté par les
marchands de foutaises a consisté à
nous faire croire que leurs foutaises
étaient à même d’augmenter notre
part de bonheur. Qui nous oblige à
être dupes ?
René Pagès, Albi (81)
En finir avec l’élection
présidentielle La question de
l’élection présidentielle au suffrage
universel ou pas ne doit plus être
DIFFUSION EN KIOSQUE
Pour connaître le point de vente le
plus proche de votre domicile, de
votre lieu de travail ou même de
votre lieu de vacances ;
si vous souhaitez que votre marchand de journaux soit approvisionné sous huitaine ;
appelez le
01 42 46 02 20
(de lundi au vendredi de 10 h à 17 h)
ou envoyez un courrier
électronique à
c onta [email protected] om
Un site des NMPP indique
également où trouver Politis :
w w w.t rouverlapresse.c om
taboue. Tout tourne autour de cette
élection et de ce pouvoir personnel.
De Gaulle, qui voulait un pouvoir
personnel, a très vite voulu une
élection présidentielle plébiscitaire
et personnelle au suffrage universel
direct. La course à l’élection et les
« écuries présidentielles » sont
mortifères à terme pour la
démocratie, les valeurs de la
République (respublica : la chose
publique), les idées et projets, les
partis politiques et l’implication et
la mobilisation des citoyens. […]
Avec cinquante ans d’existence, la
Ve République présidentielle et
présidentialiste vire à la monarchie,
au pouvoir personnel médiatisé,
« pipolisé », sondage à l’appui, et
de plus en plus ploutocrate. Le
pouvoir présidentiel personnel
s’exerce partout et tous les jours,
au détriment de l’autre partie de
l’exécutif, le Premier ministre et son
gouvernement, mais également au
détriment du Parlement et du
citoyen.
Et que propose le PS ? Des
primaires ! Le grand cirque
médiatico-politico-people d’une vie
politique qui s’abandonne à la
consommation de masse ! Plus de
projets, plus de programmes, plus
de débats, plus de vertu politique,
civique et républicaine, plus de
parti politique et de mouvements
d’éducation populaire ! À la place,
le grand supermarché de l’offre et
de la demande de la star politique
« pipolisée » dans un vide sidéral
des idées et des projets ! Bref, le
système capitaliste adapté à la
compétition politique !
Il est temps de rompre avec le
présidentialisme et de fonder un
nouvel exécutif démocratique,
collégial, issu du Parlement. La
VIe République doit s’engager dans
la voie du partage du pouvoir et de
la collégialité de l’exécutif. Bref :
oui à une refondation républicaine
par un processus constituant et un
appel à des États généraux
citoyens ! Non à des primaires et à
des alliances à la carte !
Gilles Fabre, Brive
À qui profite la grippe A ? La
grippe A est aussi une aubaine pour
l’Éducation nationale et les petites
communes ! Je m’explique. En ville,
voyez comme tout s’organise bien :
des cours par Internet pour les
VUE DES LECTEURS
AGENDA
POLITIS courrier des lecteurs, 2, impasse Delaunay, 75011 Paris.
01 43 48 04 00 (fax) [email protected] (e-mail)
Paris XIXe : du 18 septembre au
10 octobre, Patricia Lecomte propose
«Il faut rêver très haut», un projet
photographique effectué lors de
plusieurs Fêtes de l’Humanité autour des
mots d’ordre et des slogans.
élèves. Apparemment, les logiciels
sont déjà prêts. Les élèves ont
quasiment tous un ordinateur chez
eux ! Aucun préjudice pour eux !
À la campagne, 4 ou 5 petites
communes, menacées de perdre
chacune son école, après La Poste,
l’épicier, etc., se sont regroupées.
L’une ramasse les enfants de 4 à
7 ans et les amène dans une école à
classe unique qui fonctionne
encore. Une autre commune
ramasse, elle, les enfants de 8 à
11 ans et les amène dans la classe
unique d’une autre commune.
Et voilà la grippe !
Les enfants resteront chez eux
devant l’écran de leur ordinateur,
ou de leur téléviseur s’ils sont en
bas débit !
Économie pour les communes, pas
besoin d’un minibus, d’un
chauffeur, d’une assurance et d’une
cantine, indispensable dans ces
conditions ! Et les petits chérubins
Pensez-y !
Abonnement web
à partir de 8 € par mois*
www. poli t i s. fr
Paiement sécurisé * voir conditions
ne seront pas obligés de se lever tôt
le matin.
Économie pour l’Éducation
nationale : on s’en sort très bien
sans enseignants ! À quoi bon un
corps de remplaçants ?
Et puis les enseignants, ça pense, ça
se syndique, ça fait du désordre
(voyez RESF), voire ça fait grève !
On a trouvé le moyen de s’en
passer. Là où un ministre qui rêvait
de dégraisser le mammouth avait
échoué, la grippe a réussi !
Niko Hirt, dans son livre Tableau
noir, nous prédisait cela, il y a bien
longtemps. […]
A. Leroy, Sainte-Adresse (76)
Le port de la burqa Dans le
courrier des lecteurs du n° 1067
de Politis, Jocelyne Sautel invoque
la loi de séparation de l’Église et
de l’État du 9 décembre 1905, à
l’appui de l’interdiction du port de
la burqa. À savoir : « Nous avons
en France, depuis 1905, une loi de
séparation de l’Église et de l’État ;
voilà bien le rôle de l’État de ne
pas laisser le religieux s’aventurer
trop loin. »
Cette loi, qui traite essentiellement
du devenir des édifices religieux
construit avant 1905, comporte
néanmoins une disposition
essentielle à l’origine de la
conception française de la laïcité :
« La République ne reconnaît, ne
salarie ni ne subventionne aucun
culte. »
Le port de la burqa n’implique
aucune reconnaissance de l’islam
fondamentaliste par l’État, ni
évidemment aucun transfert
financier. La loi de 1905 est donc
sans rapport avec le sujet.
Le port de la burqa, qu’il soit libre
ou le résultat d’une pression de
l’environnement, est une pratique
qui relève de la sphère
personnelle. À moins qu’il existe
une méthode fiable pour
déterminer ce qui relève du libre
choix et ce qui relève de la
pression de l’environnement. […]
J’admets volontiers que le port de
la burqa est révélateur de la faible
autonomie des femmes qui la
portent. Pour autant, ces femmes
sont-elles opprimées parce qu’elles
portent la burqa ? Ou bien est-ce
parce qu’elles sont opprimées
qu’elles portent la burqa ?
Autrement dit, l’interdiction de la
burqa conduirait-elle à améliorer
la situation des femmes qui la
portent ? Non. Ce morceau
d’étoffe est la matérialisation d’un
rapport de force plus profond.
C’est pourquoi la volonté
d’interdire le port de la burqa me
semble être, avant tout, une
tentative de garantir le confort
intellectuel de chacun face à la
situation de ces femmes, qui
indigne à juste titre. En l’espèce,
ce confort ne passe pas par le
combat réel pour l’égalité des
hommes et des femmes, mais par
la suppression du caractère visible
de l’inégalité.
Antoine Crouzet
Espace Niemeyer, 2, place du ColonelFabien, 01 40 40 12 12.
Saint-Étienne-Le-Molard (42) :
le 20 septembre se tiendra le premier
Forum social local dans le Forez sur le
thème «Partager, imaginer, résister». Les
associations en accord avec le manifeste
de Porto Alegre sont les bienvenues.
04 77 96 09 43.
Tours (37) : le 20 septembre,
de 11 h à 17 h, Inpact37 et Pour Politis 37
participent au Village de convergences
bios.
Alter’énergie, www.alterenergies.org,
02 47 26 46 03.
Toulouse (31) : du 21 au
25 septembre, Semaine de l’écologie
populaire. Claude-Marie Vadrot (Politis)
sera présent le 22 pour débattre du film
la Rançon de la fraise (20 h45).
www.cinemas-utopia.org/toulouse/
Paris Ve : le jeudi 24 septembre,
à 19h30, le Collectif Paris-V sans
vidéosurveillance coorganise une réunion
publique sur la vidéosurveillance.
Centre culturel LaClef, 21,rue de La Clef.
paris5sansvideosurveillance@
gmail.com
Genève : le 24 septembre, à 20 h,
le Cetim coorganise une soirée autour de
la résistance indigène face à
l’implantation d’une industrie minière au
Guatemala. Projection-débat autour du
film Chronique d’une guerre annoncée.
Université ouvrière de Genève, place
des Grottes 3, 1201 Genève.
www.cetim.ch
Pont-Audemer (27) :
le 25 septembre, à 20h30,
conférence-débat de Jean-Pierre Dubois,
président de la LDH, sur le thème
«Urgence pour les libertés! ».
Salle des Carmes.
Arles (13) : le 27 septembre,
Attac-Pays d’Arles organise son alterrandonnée. Rendez-vous à 10 h, place
Lamartine, à Arles, ou à 10h45 à SaintMitre-les-Remparts (parking Gouin).
www.local.attac.org/13/arles,
[email protected]
www. p oli tis. fr
Consulter l’agenda militant
mis à jour régulièrement
17 sept embr e 2 00 9
I
POLITIS
I 35
Téléchargement