I Semaine du 17 au 23 septembre 2009 I n°1068 I politis.fr Politis Politis POLITIQUE Le Front de gauche, jusqu’où ? L’ARMÉE DU CRIME Vivre et résister Un dossier autour du film de Robert Guédiguian M 03461 - 1068 - F: 3,00 E 3:HIKNOG=VUXUUZ:?l@a@g@i@k; EUROPE José Bové au Parlement FRANCE TÉLÉCOM Floués jusqu’au désespoir SOCIÉTÉ Paroles de prisonniers NORD-SUD L’accaparement des terres SOMMAIRE L’ÉVÉNEMENT FAGET/AFP EUROPE « José Bové, à Bruxelles, ils vont lui mettre une cravate ! » Pages 4 et 5 POLITIQUE GAUCHE. Le Front de gauche, jusqu’où ? Pages 6 et 7 ÉCONOMIE avec le sociologue Vincent de Gaulejac.Page 8 À CONTRE-COURANT. « Sarkoshow à la Sorbonne », par Jean Gadrey. Page 9 AGRICULTURE. Faut-il revenir aux quotas laitiers ? Page 10 RETRAITES. Drôle d’égalité hommes-femmes… Page 11 Charleville-Mézières, la ville de pantins. Pages 24 et 25 LITTÉRATURE. « La Vérité sur Marie », de Jean-Philippe Toussaint Page 25 BANDE DESSINÉE. Aktion Mix Comix Commando. Page 26 HOMMAGE. Willy Ronis, l’homme qui fixait le hasard. Page 26 MÉDIAS TÉLÉVISION. « Justice à Vegas », de Rémy Burkel. Page 27 IDÉES / DÉBATS TROIS ESSAIS sur la guerre d’Algérie et les premières années de l’Indépendance. Pages 28 et 29 TRIBUNE. « 577 députés et 367 burqas », par Sylvie Tissot. Page 30 DE BONNE HUMEUR. Chronique de Sébastien Fontenelle. AFP ENTRETIEN CULTURE THÉÂTRE. SOCIÉTÉ PRISON. « Je commençais une longue apnée ». Docu radio. Pages 12 et 13 ÉCOLOGIE NORD-SUD. La course aux terres ne faiblit pas. Page 14 CHANGER D’ÈRE. « Marées vertes : fermer le robinet à nitrates ! », par Bernard Rousseau. Page 15 MONDE IRAN. Le trouble jeu de la France. Page 16 Page 31 RÉSISTANCES AGRICULTURE. Les marchés, pas le marché ! Page 32 LE POINT DE VUE DES LECTEURS Pages 34 et 35 Couverture : Pierre Milon Valentine Guédiguian STEPHANIE BRAUNSCHWEIG DOSSIER L’ARMÉE DU CRIME Vivre et résister. Entretien avec Robert Guédiguian. Pages 18 à 22 LA SEMAINE PROCHAINE DANS POLITIS LA 2I POLITIS PRIVATISATION DE I 1 7 septembr e 2 00 9 LA POSTE ÉDITORIAL PAR DENIS SIEFFERT Cornélien O En politique, il y a toujours un « court terme ». Voilà donc le choix cornélien qui s’offre aux dirigeants du PCF : un calcul électoral à la petite semaine, ou l’Histoire. n me pardonnera l’audacieuse métaphore qui suit, mais en contemplant le paysage à gauche, je ne peux m’empêcher de penser à ces dilemmes cornéliens qui ont fait les délices de nos études. Un certain romantisme en moins puisque, dans notre petit théâtre, la froide raison politique a tendance à remplacer les passions amoureuses. Mais, au fond, la tragédie est la même. Et, comme chez Corneille, c’est le personnage le plus fragile qui est le plus convoité. En l’occurrence, un parti communiste chancelant, qui aurait le rôle de Chimène au milieu de deux prétendants jaloux : le Parti de gauche et le Parti socialiste. Ou, si vous préférez, Rodrigue et Don Sanche (et tant pis si la distribution laisse poindre de ma part une préférence…). Une âme accommodante envisagerait bien un ménage à trois ; notre Chimène, elle-même, n’y verrait apparemment aucun inconvénient. Mais ce serait compter sans l’intransigeance des prétendants. Et puis ce scénario nous ferait franchement sortir de l’univers cornélien pour nous plonger dans le vaudeville. Il est donc temps de redevenir sérieux et de dépasser les apparences pour tenter de comprendre cette raison politique à l’instant évoquée. En vérité, l’appel lancé vendredi par Marie-George Buffet à un « front de gauche élargi au Parti socialiste » n’est pas aussi unitaire que les mots le laissent supposer. Les dirigeants communistes savent très bien que Jean-Luc Mélenchon et ses amis n’ont pas l’intention de retourner dans le giron de ce PS qu’ils viennent de quitter. Ce serait contredire l’acte courageux de rupture qu’ils ont accompli il y a moins d’un an. Les communistes n’ignorent pas non plus qu’en faisant les yeux de Chimène au PS, ils brisent toute possibilité d’alliance avec le Nouveau Parti anticapitaliste d’Olivier Besancenot. Et ils mettent en fâcheuse posture la toute jeune Fédération, qui regroupe les Communistes unitaires (partisans, eux, du « pôle de radicalité »), les Alternatifs et les collectifs antilibéraux. C’est en fait l’idée même d’un pôle antilibéral qui vacille, puisque celle-ci se fonde sur une analyse critique du glissement libéral du PS. On aperçoit bien les raisons évidentes de la direction du PCF. Les quelque 185 conseillers régionaux communistes pèsent de tout leur poids dans cette offre de rabibochage avec le parti de Martine Aubry. Ceux-là rêvent d’un accord avec le PS dès le premier tour des régionales de mars prochain qui, espèrent-ils, faciliterait leur réélection. Mais on voit aussi les limites de ce calcul. Il ne s’agit pas seulement de conservatisme pour l’appareil du PC, mais d’une réaffirmation d’allégeance de toute la gauche au PS. C’est sacrifier au court terme la perspective d’une recomposition. L’ennui, en politique, c’est qu’il y a toujours un « court terme ». Voilà donc le choix cornélien qui s’offre aux dirigeants du PCF : un calcul électoral à la petite semaine, ou l’Histoire, même avec une petite majuscule. La question est politique au plus haut point. À quoi sert un conseiller régional ultraminoritaire ? Au compte de quelle politique se feraient de telles alliances ? Et quel espoir avons-nous de faire bouger les lignes si toute recomposition est soumise à l’élection qui vient ? Il ne s’agit donc pas seulement des régionales, mais d’un choix stratégique sur le long terme. À cet égard, le score du Front de gauche aux européennes est prometteur. C’est assurément de ce côté, et dans ce cadre, qu’une histoire différente peut s’écrire aujourd’hui. La Fédération semble prête à faire le bon choix. D’autant plus que les anathèmes qui pesaient sur elle à la veille des européennes sont aujourd’hui à peu près levés. Cette recomposition, synonyme à nos yeux de constitution d’une autre gauche, n’a évidemment rien à voir avec un nouveau Meccano politique. Il ne s’agit pas d’un jeu d’alliances. Il est question ici de doter durablement nos concitoyens d’instruments politiques nouveaux au moment où ils en ont le plus besoin. Une offre qui peut aussi permettre aux Verts d’avoir un autre choix que de suivre l’entremetteur Cohn-Bendit dans son opération MoDem. Et tenter, demain, de nombreux militants socialistes. Les enjeux, politiques, sociaux, environnementaux, sont donc considérables. Les communistes ont eu sous les yeux ce week-end un sondage en grandeur nature. Six cent mille personnes, dit-on, à la Fête de l’Humanité. Un record ! Et un regain d’espoir pour un parti qui, avec la stratégie du Front de gauche aux européennes, a arrêté une longue hémorragie électorale. Il ne nous a pas semblé, au fil des débats, que cette population, souvent jeune, était venue pour consacrer un retour aux vieilles lunes. Face à un choix réellement cornélien, la direction du PCF ne doit pas décevoir l’espoir qu’elle a elle-même suscité. Un retour en arrière serait bien dramatique, sinon « tragique ». P.-S. : Nos Assises commencent à prendre forme. Voir page 7. Retrouvez l’édito en vidéo sur www.politis.fr 1 7 sept embre 2 00 9 I P O L I T I S I 3 .Ce mercredi, les eurodéputés devaient se prononcer .Cette semaine marque aussi .Comme José Bové, bien décidé L’ÉVÉNEMENT EUROPE « José, à Bruxelles, ils vont lui n n’avait jamais vu autant de monde au marché paysan de Montredon ! Pour le dernier de l’année, en cette fin août, il y a bien là deux mille visiteurs, dont beaucoup sont aussi des acheteurs. Deux mille dans ce hameau de 19 habitants perché sur le vaste causse du Larzac. Pour la plupart, des paysans et des amis, plus quelques touristes, cherchant la bonne chère et venus voir le « héros » local. Car voilà l’événement ! José Bové, l’homme de Montredon, s’apprête à quitter, au moins le temps d’un mandat, son exploitation pour entamer une autre vie au Parlement européen. En attendant de partir pour Bruxelles, il fait griller à la demande, comme chaque année depuis vingt ans, les saucisses et les côtes de mouton du plateau, vendues directement du producteur au consommateur. La règle du marché paysan, bio et équitable, évidemment. Dans les groupes grignotant et achetant, beaucoup soupèsent les chances du militant de résister à la pression et à l’inertie bruxelloises. Entre doute, espoir, scepticisme, propos amicaux et questions inquiètes. C’est un peu la chanson de Barbara : « Dis, quand reviendras-tu ? » Venue de Limoges pour le fromage et pour l’ambiance, comme à chaque fin d’été, Yvette, postière, se demande « ce qu’il va faire là-bas. Ils vont le broyer, le casser, lui faire accepter n’importe quoi, lui faire oublier qu’il est un militant, lui mettre une cravate ! ». La cravate. Ou la métaphore de la cravate, symbole de récupération. Des inquiétudes que ne partage pas le mari d’Yvette, instituteur, qui explique à leurs fils, dont c’est la première visite, quelles fermes ont été restaurées et quelles maisons promises aux tirs de l’armée par les projets d’extension du camp militaire des années 1970 ont échappé à la destruction annoncée. Lui veut croire que « la force des vieilles pierres sera avec lui ». Tout en admettant que son objection n’est pas vraiment politique mais affective et subjective : « Mais, bon, quand on regarde ce groupe de maisons que j’ai connues encore presque en ruines, on a tendance à O 4I POLITIS I 1 7 septembr e 2 00 9 croire que la lutte politique peut déplacer des montagnes, et que les gens d’ici sauront le rappeler à la raison s’il s’égare en chemin. » Autour des visiteurs, sous un soleil qui fait oublier combien l’hiver peut-être rude sur cette butte, tous les habitants – chacun à sa tâche – s’affairent comme si rien ne changeait. « D’ailleurs, vous nous emmerdez avec vos questions, il n’y a aucune raison pour qu’ici la vie change. Tout le monde doit se souvenir que Montredon, quand nous nous sommes progressivement installés, n’était plus qu’un hameau abandonné, tant les habitants y étaient pauvres, tant la vie y était dure. Nous lui avons donné un élan paysan et politique qui survivra à Bové, qui nous survivra. Parce que nous regardons toujours loin du Larzac. » Dans la foule, un couple anglais cherche à comprendre comment il est possible de vivre toute l’année « dans un trou pareil », et demande « si c’est pour la télé » que Bové et deux de ses amis s’enfument autour du barbecue. On leur explique que la télé n’est pas là et que ce sont des paysans qui organisent leur fête. Pour eux « et José Bové et son équipe ont décidé pour vivre ». « La preuve, symboliquement glisse Bové, que de faire le territoire franfonctionner leur çais peut et doit permanence être reconquis européenne à par une autre Montredon. agriculture pour et par des paysans. » Les visiteurs d’un jour, comme Joël, monté de Millau, insistent sur l’avenir : « Et Montredon dans tout ça ? » « Pas de problème, explique Bové, je reviendrai chaque semaine, j’habite toujours José Bové s’apprête à quitter son exploitation de Montredon pour le Parlement européen. C.-M. VADROT ici. » « Il y a longtemps que nous et le hameau existons par nousmêmes, le moustachu n’est que l’un d’entre nous », commente un voisin, légèrement irrité. Le journal Gardarem lou Larzac continuera donc de paraître ; la librairie, de vendre des bouquins militants et d’annoncer les manifs ; et les paysans, d’élever leurs brebis, même s’ils n’alimentent plus les caves de Roquefort. Parce que, comme les autres sur le plateau, ils ont conquis leur indépendance, appris à se passer des intermédiaires et à vendre directement leurs produits. Léon Maillé, paysan militant voisin de Montredon, partie prenante de toutes les luttes (qui lui ont valu deux fois la prison), confirme avec le sourire que la vie continue, que tout va bien dans le meilleur des mondes et que les traditions d’entraide se perpétuent. Il le prouve en venant de chez lui, étrennant sa récente retraite, pour réparer la serrure de la maison de Marie, qui gère le gîte rural du hameau. Là où sont entreposées les archives du journal du Larzac. Mieux ! Montredon va devenir « hameau de l’Europe ». Plutôt que de s’installer à la ville, Béziers ou Montpellier, José Bové et son équipe, deux anciens de la Confédération paysanne, ont décidé symboliquement de faire fonctionner leur permanence européenne ici. Dans une vieille maison en cours de rénovation. Pendant cinq ans, Anne Lacouture, troisième assistante du député, travaillera depuis le hameau. « Ce n’est pas Montredon qui part à Bruxelles, mais l’Europe qui s’installe chez nous, commentent ses habitants, plutôt satisfaits. Les visiteurs de José, les délégations, pourront voir ce qu’est la réalité rurale et paysanne française. Surtout en hiver. Et on pourra leur expliquer comment fonctionne la Société civile des terres du Larzac, qui a également ses bureaux ici. » Le dernier marché de l’été s’achève comme d’habitude par un concert, près de ces maisons de pierres aux toits de lauze qui ont résisté à tant d’épreuves. _Claude-Marie Vadrot sur la reconduction de Barroso à la tête de la Commission européenne. la rentrée pour les petits nouveaux du Parlement européen. à faire entendre ses valeurs dans une institution si libérale. LE PROGRAMME DE BARROSO Verbatim mettre une cravate ! » Ouvrir le marché… Nous avons retenu ces trois extraits significatifs des «Orientations politiques pour la prochaine Commission», véritable programme de José Manuel Barroso, président sortant de la Commission européenne, candidat à sa propre succession. « Pour l’Europe, l’heure de vérité a sonné. Elle doit répondre à une question décisive. Voulonsnous diriger, façonner la mondialisation en nous fondant sur nos valeurs et nos intérêts – ou allons-nous laisser l’initiative à d’autres et accepter qu’ils orientent le cours des choses? […] L’Union européenne étant depuis près de 60 années un laboratoire pour la coopération supranationale transfrontalière, c’est tout naturellement qu’elle se pose en champion de la gouvernance mondiale […]. Lors de la première session du Parlement européen après les élections européennes, le 14 juillet. FAGET/AFP Les députés européens devaient reconduire mercredi le très libéral José Manuel Barroso à la présidence de la Commission européenne. Le second tour des européennes près une première session en juillet, DÉCRYPTAGE Le collège qu’il préside cumule des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires puisque la qui tenait plus de la prise de fonction, Commission est à l’initiative des lois, exécute les José Bové a retrouvé, comme ses budgets et est en charge de la surveillance et de nouveaux collègues, l’hémicycle strasbourgeois l’application du droit. Son élection constitue aussi un peu le lundi. C’est là que se tiennent, une fois par mois, les second tour des européennes puisque c’est au lendemain de sessions plénières du Parlement européen (PE). Les celles-ci, et en tenant compte de leur résultat, que les chefs groupes politiques sont désormais constitués et les d’État et de gouvernement des Vingt-Sept choisissent un commissions pourvues. Au sein de celles-ci, le travail candidat. M. Barroso était celui des libéraux conservateurs, parlementaire, fait d’examens, de discussions et qui forment le groupe le plus important du PE. Mais pour d’amendements sur les directives et règlements proposés obtenir une majorité, il devait aller chercher des voix aupar la Commission a déjà commencé. Mais, pour l’heure, ce delà de sa famille politique. Avant d’être auditionné par tous n’est pas à ces travaux législatifs qu’était consacrée la les groupes politiques, il leur a présenté, dans un document session plénière de ce mois. d’une cinquantaine de pages, des « orientations » capables Avant de se consacrer à « l’ordinaire » de leur mandat, les eurodéputés devaient dire s’ils acceptaient ou non de de « dégager un consensus parmi l’ensemble des forces reconduire José Manuel Barroso à la présidence de la pro-européennes ». Chacun peut juger, à la lecture des Commission européenne. Ce vote, prévu le 16 septembre, est extraits publiés ci-contre de la nature néolibérale de ce l’un les plus importants de la mandature pour laquelle les consensus. Et de la responsabilité des élus qui apportent citoyens des 27 pays membres de l’Union européenne ont leur suffrage à un tel programme. Parmi eux, combien de élu, le 7 juin, 736 députés. Les règles institutionnelles « socialistes » européens ? C’était, lundi, la principale inscrites dans les traités font en effet du président de la inconnue d’une élection donnée pour acquise. Commission européenne l’homme le plus influent de l’Union. _Michel Soudais A Les politiques européennes doivent produire des résultats pour les citoyens. C’est ainsi que nous comblerons le fossé entre la réalité de l’intégration européenne et les perceptions de la population. […] Par le passé, les institutions et les États membres de l’UE ont souvent échoué à faire comprendre ce que l’action européenne signifiait concrètement pour les citoyens: quels avantages les Européens tirent-ils du marché unique, de l’ouverture des marchés et de la régulation dans les secteurs de l’énergie ou des télécommunications, de la politique de la concurrence ou des fonds structurels? […] La Commission continuera de se montrer implacable dans sa défense du marché unique en tant que clé de voûte des traités et fera tout ce qui est en son pouvoir pour le défendre car il offre la meilleure garantie d’une prospérité à long terme. L’expérience de l’année dernière a montré une fois de plus que le marché unique est le roc sur lequel est bâtie la croissance européenne. Mais il faut aussi le moderniser pour lui permettre de répondre aux exigences de l’économie de demain. […] Je veux que la prochaine Commission adopte une approche plus systématique et intégrée, par exemple au moyen de son initiative de surveillance du marché, le but étant de donner une nouvelle impulsion au marché intérieur et d’en faire, une fois encore, le moteur de l’économie européenne. Nous pouvons faire davantage pour ouvrir le marché aux services financiers, notamment aux services financiers de détail, au commerce électronique, aux services environnementaux et aux services aux entreprises. […]» Document complet: http://ec.europa.eu/commission_barroso/ president/index_fr.htm 1 7 sept embr e 200 9 I POLITIS I 5 POLITIQUE FÊTE DE L’HUMA L’élargissement de l’alliance initiée aux européennes par le PCF, le Parti de gauche et la Gauche unitaire fait débat. Et cela dépasse le seul enjeu des régionales. Le Front de gauche jusqu’où ? a gauche a fait sa rentrée politique, le week-end dernier, à La Courneuve. Plus que les années passées, la foule était au rendez-vous de la Fête de l’Humanité. Une affluence populaire exceptionnelle : les organisateurs annoncent 600 000 visiteurs sur les trois jours, qui ont envahi les travées dès vendredi après-midi, attirés bien sûr par la tête d’affiche des concerts, Manu Chao, vedette du premier soir et d’un public jeune et rebelle. Mais le peuple de gauche qui se pressait dans les travées était aussi avide de discussions et de débats. En attente de solutions face à la crise, de perspectives politiques « à gauche » et surtout d’unité. Un mot souvent scandé dans les débats par des auditoires attentifs et exigeants. L Déjà un slogan, révélateur d’une aspiration, dont les contours restent à définir. Sur la fête, où la Fédération, le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), le Parti de gauche (PG) et la Gauche unitaire (GU), quatre formations apparues depuis l’an dernier, avaient pignon sur rue. Également Lutte ouvrière, qui n’avait jamais obtenu de stand jusque-là. Cette volonté du PCF d’« ouvrir grandes les portes et les fenêtres » a toutefois des limites. Et l’on pouvait voir des cohabitations bien improbables, comme celle qui faisait se côtoyer, avenue Louis-Aragon, le stand du Pôle de renaissance communiste en France (PRCF) et celui, plus modeste, de Terra nova, la droitière « fondation progressiste ». Si la volonté d’unité s’affichait aussi fortement dans les allées de La Courneuve, tous les responsables politiques croisés s’accordent à penser que c’est l’un des acquis du Front de gauche. Il a C’est sur les relations du Front « enclenché une de gauche avec le dynamique » et « redonné aux PS que la controverse a pris militants communistes l’envie d’en forme. découdre », nous explique-t-on. Comme elles s’y étaient engagées au lendemain des européennes, les formations politiques qui composaient cette alliance ne songent d’ailleurs aucunement à y mettre un terme. « Fou serait celui qui prendrait la res- Jean-Luc Mélenchon, Marie-George Buffet et Christian Picquet lors de la Fête de l’Humanité. MEDINA/AFP 6I POLITIS I 1 7 sept embr e 2 009 ponsabilité de briser l’espoir qui commence à se lever dans le pays », avertit Christian Picquet (GU). Lors d’un débat sur le stand du Parti de gauche avec ce dernier et Jean-Luc Mélenchon auquel participaient aussi Pierre-François Grond de l’exécutif du NPA et Jean-Jacques Boislaroussie (Alternatifs), Pierre Laurent, numéro deux du PCF, l’a dit sans détour : « Le choix de construire le Front de gauche n’est pas un choix de circonstances pour le Parti communiste, c’est un choix durable dans notre esprit. Nous sommes déterminés à poursuivre dans ce chemin-là sans aucune ambiguïté. » Mais si tous s’entendent pour le pérenniser et l’élargir, les modalités de cet élargissement sont âprement discutées. POLITIQUE Nos « Assises pour le changement » Les assises pour le changement se tiendront les 7 et 8novembre à la Bourse du travail de Saint-Denis. Accueil, le samedi à partir de 9h. Début des travaux à 10h. Conclusion, le dimanche à 16h. Nous proposerons cinq tables rondes qui mettront en présence intellectuels et acteurs politiques de l’autre gauche. Les thèmes permettront d’aborder les principales questions qui se posent aujourd’hui: quelles mesures pour une autre répartition des richesses? Comment associer impératifs écologiques et sociaux? Changer les comportements. L’autre gauche en Europe. Quelle stratégie politique? La définition de ces thèmes est encore provisoire. Nos lecteurs peuvent suggérer d’autres formulations, voire d’autres thèmes d’ici au 15octobre. Précision: il ne s’agit pas là d’une manifestation qui s’inscrit directement dans le cadre de l’Appel de Politis. Plusieurs courants, invités pour les 7 et 8novembre, ne l’ont pas souhaité, n’étant pas euxmêmes signataires. Il n’en reste pas moins que ces Assises poursuivent, à nos yeux, le même objectif que l’Appel: œuvrer dans le sens de la plus large unité de l’autre gauche, antilibérale, et favoriser cette unité par la recherche de convergences sur quelquesunes des grandes questions de notre époque. Il s’agira d’un échange, que nous espérons le plus fécond possible. Autrement dit, dans le respect de la diversité des analyses et des choix de chacun. _D. S. Et c’est sur les relations du Front de gauche avec le PS que la controverse a pris forme. Avant toute décision sur sa stratégie aux régionales, le PCF souhaite organiser sept ateliers thématiques sur le projet, ouverts à toutes les formations politiques de la gauche, PS compris. Pour Marie-George Buffet, qui en a exposé l’objectif, en présence de JeanLuc Mélenchon, Christian Picquet, Cécile Duflot (Verts), Claude Bartolone (PS), Arlette Laguiller et Nathalie Arthaud (LO), lors de la traditionnelle réception que la direction du PCF organise sur la fête pour les personnalités politiques, syndicales et associatives, ce « débat d’idées » doit « permettre l’émergence d’un projet à gauche » et voir quelles majorités sont possibles à gauche. « En fonction de ce qui se sera passé dans ces ateliers », le PCF décidera de sa position aux régionales explique-t-elle, tout en souhaitant qu’ils soient coorganisés avec ses partenaires du Front de gauche. Si la Gauche unitaire n’y est pas hostile, le Parti de gauche n’entend pas être associé à la recherche d’une « plateforme partagée » avec le PS. Il fait remarquer que les thèmes retenus sont suffisamment larges et peu clivants pour que ces ateliers montrent plus de convergences que de divergences. Les sept retenus sont : argent, démocratie, nouveau mode de développement, Copenhague et climat, services publics et rôle de l’État, école et formation, alternatives à la marchandisation du « temps libéré ». De fait, lors d’une visite très médiatisée, dimanche matin, sur la fête, Martine Aubry a accepté, sans réticence aucune, d’y participer. « La priorité, c’est le rassemblement de la gauche (...), tous les socialistes sont d’accord là-dessus », a assuré la maire de Lille à Mme Buffet. Le désaccord entre le PCF et le PG sur ces ateliers traduit une divergence stratégique sur les objectifs du Front de gauche. Le premier est enclin à modifier le centre de gravité de la gauche par la négociation et le rapport de force, quand le second prône plus volontiers la compétition électorale et la confrontation politique avec le PS. « Le Front de gauche n’a pas vocation à combattre une partie de la gauche, a déclaré Patrick Le Hyaric, sur la grande scène de la fête. Il a vocation à permettre la défaite de la droite en ressourçant la gauche, toute la gauche. » Au contraire, pour Jean-Luc Mélenchon, le Front de gauche ayant vocation à « conquérir le leadership à gauche », il « n’est pas élargissable au PS ». Mais peut l’être au NPA, qui « a d’ores et déjà changé ». Le président du Parti de gauche, qui concluait le débat organisé sur son stand, a insisté sur la nécessité pour le Front de gauche de « passer devant [le PS] au moins une fois dans une région », pour « voir s’il acceptera de se désister », suscitant de vifs applaudissements, jusque dans l’allée Louise-Michel, où se massaient des centaines de personnes. Appelant le Front de gauche à avoir « de l’ambition », il a estimé que celui-ci était un des « protagonistes » du « bras de fer » qui se joue entre les tenants d’une gauche recentrée et ceux qui, en Allemagne, en Irlande ou en Amérique latine, travaillent à faire ressurgir une gauche de transformation sociale et écologique. _Michel Soudais Retrouvez le blog de Michel Soudais sur www.politis.fr PS Tout à leur réforme interne, les socialistes veulent oublier les fraudes du passé. Silence, on rénove HUGUEN/AFP oin de polémiques inutiles. Samedi, les socialistes s’étaient entendus pour ne pas évoquer les soupçons de triche qui entachent l’élection de leur Première secrétaire. Pourtant, il a bien été question des modalités des scrutins internes dans le projet de rénovation dont discutait leur conseil national. À cette étape, il s’agissait seulement de lancer un chantier prévu pour durer jusqu’en juin 2010. Et de s’accorder sur les cinq questions à mettre en débat, les militants devant se prononcer sur celles-ci lors d’une consultation militante le 1er octobre. La première, qui est aussi la plus médiatisée, porte sur l’ouverture des primaires aux « citoyens qui souhaitent le changement ». Mais aussi, si les militants PS l’acceptent, aux formations de gauche qui souhaiteraient y participer. Dans ce cas, certains, comme Bernard Poignant, maire de Quimper, craignent déjà que le vainqueur puisse ne pas être un socialiste et demandent à la direction du PS d’apporter des garanties qu’il ne pourra jamais en être ainsi. Autre crainte : les candidats déchus respecteront-ils les résultats ? Comme Martine Aubry s’y était engagée à La Rochelle, les adhérents du PS sont aussi invités à mettre fin au cumul des mandats en inscrivant dans les statuts du PS l’objectif du mandat parlementaire F unique à partir de 2011. Une question secondaire les interroge sur l’opportunité de « limiter à trois les mandats successifs des présidents d’exécutifs locaux ». Un sujet sensible qui est loin de faire l’unanimité parmi les élus. Dans un dernier baroud, ces derniers, François Rebsamen en tête, tentent de justifier le cumul pour les… sénateurs. Autres questions : le PS doit-il appliquer la « parité totale » dans toutes ses instances et aux législatives, et faire preuve de volontarisme pour assurer « la représentation des diversités de la société française » ? Doitil se doter d’une « charte d’éthique » et d’une commission ad hoc pour veiller à ce que « la loyauté et les obligations envers le parti » soient respectées ? Enfin, afin de parvenir à « une démocratie interne aboutie », la direction souhaite réformer le mode de désignation des dirigeants socialistes. La polémique suscitée par le livre des journalistes Antonin André et Karim Rissouli, Hold-up, arnaques et trahisons (éd. du Moment), peut y pousser, mais rien de clair n’est mentionné pour assurer la fiabilité des votes. En revanche, la rénovation projetée envisage des simplifications et facilités d’adhésion. Une mesure qui, comme les primaires, aura pour conséquence d’ouvrir le PS à tous les vents de l’idéologie dominante. _Michel Soudais (avec Antoine Vezin) 1 7 sept embr e 200 9 I POLITIS I 7 ÉCONOMIE ENTRETIEN Après le 23e cas de suicide d’un salarié de France Télécom, le sociologue Vincent de Gaulejac* analyse cet aveuglement forcené des élites dirigeantes face à la souffrance au travail. « Floués jusqu’au désespoir » Politis | Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée, comme le directeur des ressources humaines de France Télécom, a estimé récemment qu’on ne peut réduire les 23 suicides de salariés « à un problème d’organisation » du travail. Quelle est votre réaction ? Vincent de Gaulejac | C’est typique de la réaction des DRH, mais aussi, au-delà, des directions d’entreprises confrontées à ce type de problème, et de la classe dirigeante. Même dans les partis politiques on retrouve cette occultation des liens qui peuvent exister entre la montée de la souffrance et de la violence au travail et ce que les élites appellent la modernisation, la réforme, les nécessités de s’adapter à la globalisation. Le discours de la direction de France Télécom est le même chez les dirigeants de Renault, après ce qui s’est passé à Guyancourt, chez les responsables de la police, face à ce qui se passe dans les commissariats, et chez les responsables administratifs de la santé, par rapport à la situation de l’hôpital. On pourrait citer aussi le Pôle emploi, les prisons, l’université et d’autres entreprises publiques comme la RATP, la SNCF, La Poste. Nous voyons un clivage entre ceux qui sont sur le terrain, comme les médecins, les psychologues, les assistants sociaux, les travailleurs qui vivent cette tension, et les responsables qui sont loin du terrain et développent des prescriptions sans se préoccuper de leurs conséquences. Jusqu’à quelles extrémités faudrat-il arriver pour faire cesser cette surdité hallucinante et cette volonté des élites de ne pas voir ce problème ? Le cas de France Télécom est-il un phénomène nouveau ? Non. J’ai écrit le Coût de l’excellence pour dénoncer les nouvelles formes de management dans les multinationales au début des années 1990. Il y a dans ce livre le témoignage d’un employé d’IBM qui s’est suicidé et a laissé une explication pour montrer les liens qui peuvent exister entre le travail et son suicide. C’était un cas isolé. Ce qui est frappant 8I POLITIS I 1 7 sept embr e 2 009 taire jusqu’à demander sa radiation au Conseil de l’ordre, sous prétexte que ce médecin sortait de ses attributions. Mettez-vous en cause un modèle de gestion du personnel dans des entreprises comme France Télécom ? Des salariés de France Télécom sont rassemblés le 10 septembre en mémoire d’un de leurs collègues qui s’est suicidé en juillet à Marseille. POUJOULAT/AFP aujourd’hui, c’est l’accélération du phénomène et le fait de mettre en scène son suicide. Faute de pouvoir parler, de pouvoir mettre en mots la souffrance, les employés l’expriment par le passage à l’acte. Comme il y a une surdité et un aveuglement par rapport à la violence au travail, c’est comme s’il fallait mettre en scène quelque chose de spectaculaire pour qu’enfin on soit entendu, pour qu’enfin on prenne en compte le problème. D’une certaine façon, ces salariés disent quelque chose qui dépasse leur propre destin personnel. Il est surprenant de n’avoir que peu d’études sur ce phénomène… Il en existe, mais elles ne sont pas diffusées. Le Centre de prévention du suicide est très sensible à cette question parce qu’il se rend compte que la tentative de suicide et le lien avec le travail sont de plus en plus évoqués par les personnes qui viennent les voir. Quantitativement, on n’arrive pas à chiffrer ces cas parce que le suicide est toujours lié à des affaires personnelles et qu’il est aussi multifactoriel. Mais mettre en avant les problèmes personnels, c’est vouloir nier l’ensemble des facteurs qui entraînent le suicide, notamment le fait que les difficultés au travail interviennent comme un facteur accélérateur. En outre, les personnes habituées à prendre en charge le suicide, c’està-dire les médecins et les psychologues, n’ont pas la formation et les outils théoriques qui permettent de faire le lien entre les difficultés liées aux transformations de l’organisation du travail et les problèmes personnels. Souvenez-vous aussi de ce médecin du travail d’IBM qui, l’année dernière, a écrit à sa direction et souligné la montée de l’hyperstress sur un site de l’entreprise. La réaction de la direction a été de le faire Absolument. Les salariés sont mis dans des obligations de résultats chiffrées sans que soient pris en compte les moyens nécessaires pour les atteindre. Ils se sentent totalement instrumentalisées. Ils n’arrivent plus à donner du sens à ce qu’ils font et aux conflits qu’ils vivent dans leur rapport au travail. Ces nouvelles formes de gestion du personnel et de management mettent les salariés dans des injonctions paradoxales. On exige d’eux une mobilisation psychique intense. Lorsque les contreparties attendues, comme la reconnaissance, n’arrivent pas, ils se sentent floués jusqu’au désespoir. Les salariés expriment une souffrance et un malaise psychique, l’angoisse C’est l’entreprise de ne pas être à la qui devrait être hauteur, de ne pas un facteur de être performant. développement Ils intériorisent de l’humain, une image négaet non l’inverse. tive d’eux-mêmes et, surtout, la perte de sens. Car on leur impose mobilité et flexibilité sans leur expliquer pourquoi. Transformer l’humain en ressources au service des objectifs de l’entreprise, c’est faire du « moi » de chaque individu un capital qu’il faut faire fructifier. C’est l’instrumentaliser par rapport à une finalité qui est le développement de l’entreprise. C’est l’entreprise qui devrait être un facteur de développement de l’humain, et non pas l’humain un facteur du développement de l’entreprise. Ce renversement est caractéristique de « l’idéologie gestionnaire » à laquelle adhèrent les élites dirigeantes. _Propos recueillis par Thierry Brun * Vincent de Gaulejac a publié, entre autres, la Société malade de la gestion, éditions du Seuil, 2005, et le Coût de l’excellence, éditions du Seuil, 1991, réédité en 2007 (avec Nicole Aubert). SOCIAL À CONTRE-COURANT PAR JEAN GADREY Professeur émérite à l’université Lille-I. Sarko-show à la Sorbonne FAGAN/IMAGE SOURCE SANTÉ Le protocole d’accord visant à « moderniser » la médecine du travail inquiète praticiens et syndicats. Diagnostic très réservé endredi 11 septembre, une jeune salariée de France Télécom se donnait la mort en se jetant par la fenêtre de son bureau. Le même jour, dans la plus totale indifférence médiatique, se décidait l’avenir de la médecine du travail. Un avenir bien sombre car, après huit mois de négociations entre partenaires sociaux, le protocole d’accord visant à « moderniser » les services de santé au travail (SST) apparaît décevant, voire régressif. Il a déclenché l’ire de nombreux médecins du travail et l’inquiétude des syndicats, qui pourraient refuser de signer le texte. Même la CFDT s’est dite insatisfaite malgré quelques avancées. Le Medef, lui, a plébiscité un texte « extrêmement novateur ». Mais, alors que le Canard enchaîné et Rue89 avaient révélé fin 2007 les détournements de fonds destinés aux SST par des Medef locaux, le patronat s’est bien gardé d’aborder la question du financement. « On se doutait que les pratiques incestueuses entre les baronnies locales du Medef et les SST ne cesseraient pas du jour au lendemain, explique Jean-François Naton, conseiller confédéral CGT, nous étions prêts à procéder par étapes. Mais nous avons pu constater que le Medef ne voulait pas bouger d’un iota ! » Si rien ne change quant à l’opacité de gestion des SST, le texte porte en revanche un coup fatal à l’autonomie de la médecine du travail. Il entérine V ainsi la présence majoritaire des représentants du patronat dans les conseils d’administration des SST. Au prétexte de compenser la désertification de la profession (un quart des 6 500 médecins du travail partiront en retraite d’ici à cinq ans), les visites médicales seraient espacées de trois ans, voire plus, contre deux ans actuellement. Entre-temps, des infirmiers, sous l’autorité du chef d’entreprise, réaliseraient des entretiens médico-professionnels. « L’espacement des consultations va éloigner les médecins du travail de la réalité de l’entreprise, craint Yusuf Ghanty, du collectif des médecins du travail de Bourg-en-Bresse. Plus personne n’aura une vue d’ensemble de la souffrance des salariés, ou même des risques physico-chimiques dans l’entreprise ! La médecine du travail est mise dans le formol alors même qu’on attend 100 000 morts de l’amiante. » Le collectif Sauvons la médecine du travail, qui a lancé un appel signé par plus de 500 médecins du travail, évoque lui aussi une décimation programmée dans leurs rangs. Et qui serait « utilisée comme un levier pour justifier une remise en cause totale de la prévention des risques professionnels en proposant une organisation basée sur la démédicalisation ». Drôle de conception à l’heure où la santé au travail s’impose comme un enjeu de santé publique. Nicolas Sarkozy a retenu trois grands principes du développement durable: récupération, réutilisation et recyclage. Il les applique essentiellement… aux idées des autres. Cela lui assure de petits succès médiatiques à court terme, autre chose étant ce qu’il en fait dans la durée. On l’a bien vu avec le quasi-torpillage de l’idée d’une taxe sur l’énergie, très souhaitable si elle est progressive dans le temps, taxant aussi l’électricité, d’emblée articulée avec des investissements réorientant la production, et liée à un projet de fiscalité plus juste. Aucune de ces conditions n’est remplie avec la minable taxe focalisée sur le seul carbone. On peut penser qu’il en ira de même après le show que le Président vient de faire à la Sorbonne le 14septembre au début d’une journée consacrée à la présentation du «rapport Stiglitz» sur de nouveaux indicateurs de progrès, de bien-être et de soutenabilité. L’idée: elle a été récupérée au Grenelle de l’environnement, où elle était portée par des acteurs de la société civile depuis longtemps impliqués. Réutilisation orientée: la réalisation du rapport a été confiée à un groupe d’experts internationaux (plus de 90% d’économistes, plus de 90% d’hommes) sans dialogue avec la société civile, dans une conception surannée de l’expertise «indépendante» (semblable à la fameuse indépendance de la BCE). Recyclage partiel: les résultats ne manquent pas d’intérêt, car c’est sans doute la première fois qu’un tel cénacle remet fortement en cause la domination du sacro-saint PIB et de la mesure de la croissance vue comme symbole de progrès. Cela peut avoir un impact positif. Cela fait quand même dix ans que d’autres (Dominique Méda, Patrick Viveret…) l’ont écrit en France! Mais, du fait même que ces experts ont travaillé en chambre, certaines propositions restent marquées par un économisme qui aurait pu être évité avec une méthode et une composition plus ouvertes. Penser, par exemple, que le développement durable d’un pays peut être mesuré par un indicateur synthétique où tout est exprimé en monnaie, y compris le patrimoine de ressources naturelles ou les risques climatiques (en oubliant en route la dimension sociale et la dimension démocratique de la soutenabilité) est un pur mirage et une usine à gaz à côté de laquelle la mesure du PIB est un modèle de perfection et de clarté… Rien ne changera, ni pour le modèle de Àun moment où quelques économistes un peu plus lucides, dont Paul Krugman, nous expliquent que les économistes société ni pour ses (pas tous, mais beaucoup…) sont en déroute avec leurs nouveaux repères, modèles sophistiqués et coupés du réel, on ne trouve rien de si la société civile mieux que de ressortir de la boîte à outils un abominable ne se met pas en modèle néoclassique «d’optimisation intertemporelle» mouvement comme voie de construction d’un indicateur de soutenabilité coordonné. politiquement inutile et bourré de choix arbitraires. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? Peut-être pour conserver envers et contre tout le monopole de l’expertise. Mais la grande question qui se pose désormais est celle du passage des rapports et des discours aux actes. Quand, comment et avec qui va-t-on bâtir ces nouveaux repères d’un progrès partagé et durable, et lesquels? Comment seront-ils effectivement utilisés comme boussoles de politiques impulsant la «grande réorientation», par exemple comme fondements d’autres critères de convergence en Europe? Silence radio du Président sur ces questions clés! En revanche, de pleines brouettes d’envolées lyriques, du genre: « Nous sommes dans une époque où la question centrale de la politique est celle du modèle de développement, du modèle de société, celle de la civilisation dans laquelle nous aspirons à vivre»… et bla-bla, et bla-bla. Rideau de fumée opaque à base de grands mots empilés et mal recyclés. Rien ne changera, ni pour le modèle de société ni pour ses nouveaux repères, si la société civile (syndicats, associations, territoires, etc.) ne se met pas en mouvement coordonné. En s’appuyant sur tout ce qui existe, et qui est riche, y compris le rapport Stiglitz et le rapport du Conseil économique et social, dans lesquels il y a du grain à moudre, et en exigeant la mise en place de processus démocratiques, du local à l’international. _Pauline Graulle 1 7 sept embr e 200 9 I POLITIS I 9 ÉCONOMIE AGRICULTURE La crise du lait est la conséquence de la libéralisation de la production. Toutefois, selon la Confédération paysanne, une grève n’est pas souhaitable, car elle pourrait conduire à des faillites. Faut-il revenir aux quotas laitiers ? es médias affolent les foules en se demandant si le pays va connaître une pénurie de lait, du fait de la grève de certains producteurs. Ce qui fait enrager Philippe Collin, porte-parole de la Confédération paysanne : « Il n’existe aucun risque de pénurie puisque le lait de consommation ne représente que 3 ou 4 % de la production. Il n’existe pas plus de risque pour le lait frais que pour le pasteurisé. Le reste se vend en briques de lait UHT de longue conservation, et l’essentiel va à la transformation industrielle. Il serait préférable d’analyser les causes de la crise, liée à une libéralisation de la production et du commerce, et d’examiner la situation de beaucoup de producteurs. Faire la grève, cela signifie jeter dans les égouts ou dans les fosses à lisier : c’est spectaculaire, mais cela n’améliorera guère l’image des paysans. » L’agriculteur reconverti en bio explique que la Confédération soutient le mouvement, « mais n’appelle pas à une “grève du lait”, inefficace puisque les industriels de l’agroalimentaire ont des réserves et peuvent se fournir ailleurs. Notamment en Nouvelle-Zélande et en Australie, qui exportent les deux tiers de leur production sous forme de poudre de lait et de beurre utilisés par les usines de transformation. Et l’Union européenne dispose d’un stock de 400 000 tonnes de beurre qu’elle peut mettre sur le marché pour aider les industriels à résister au mouvement. » Car un problème échappe à beaucoup de citadins : les vaches ne peuvent pas faire grève, et il faut les traire tous les jours. Ancien porte-parole de la Confédération et producteur de lait bio dans la Manche, François Dufour avance une autre explication à la situation actuelle. Il rappelle qu’il y a deux ans les producteurs ont applaudi la suppression des quotas, qui constituait une forme de régulation, et qu’ils ont essayé individuellement de s’en sortir et d’écraser les autres. Constatant les dégâts de ce libéralisme, ils redeviennent partisans d’une modération de la production. « À cette époque, dit François Dufour, à la Confédération, nous avons dénoncé le danger, appelé à une maîtrise de la production. Les producteurs nous L 10 I POLITIS I 1 7 sept embr e 2 009 Les producteurs ont organisé un don de lait pour informer le public. DANIAU/AFP ont répondu, avec le soutien de la FNSEA : “Circulez, il n’y a rien à voir, on ne bride pas un marché qui s’ouvre.” Aujourd’hui, ils comprennent, mais trop tard. Ils doivent faire face à une véritable hécatombe qui n’a rien à voir avec la crise économique et tout à voir avec le libéralisme débridé. Les quotas, ce n’était pas mirobolant, mais cela équivalait à une sorte de droit antidélocalisation. » Comment on étrangle les producteurs Le nombre des producteurs de lait se situe en France autour de 90000. Ils produisent et livrent en moyenne, seuls ou en groupement d’exploitation agricole en commun (Gaec), 280000 litres de lait par an. Le prix moyen payé en septembre est de 270euros la tonne. Ce prix a été souvent inférieur au cours des derniers mois. Pour qu’un éleveur puisse se verser un salaire légèrement supérieur au Smic, le prix devrait être compris, selon les régions et selon l’alimentation des animaux, entre 330 et 440euros la tonne, compte tenu du fait qu’un agriculteur doit payer lui-même ses charges sociales, qui absorbent environ 40% du prix de vente. En favorisant la production de lait « hors sol », avec des animaux nourris au maïs et au soja, la FNSEA, le gouvernement français et l’Union européenne condamnent une autre production de lait, plus rentable pour le paysan mais plus dispersée, celle qui se base sur le pâturage et la culture de plantes fourragères comme la luzerne. Pour être efficace, étant donné les réserves et les approvisionnements à l’étranger de l’agroalimentaire, une grève devrait être de très longue durée, et donc aboutir, comme en rêve la FNSEA, à la disparition de nombreuses exploitations, acculées à la faillite. Et l’on s’étonnera, après, que le milieu paysan français souffre d’un taux si élevé de suicides… _C.-M. V. Quand il parle d’hécatombe, Dufour se réfère à la disparition des petites et moyennes exploitations. Il a participé à une enquête pour le compte du Conseil économique et social de sa région et a été effaré d’entendre « Nous avons déjà les « fonctionperdu 80 % des naires » de l’Office du lait lui expliexploitations quer qu’un prolaitières depuis ducteur sur deux 1984 », explique devrait disparaître François Dufour. d’ici à 2013. D’où sa colère : « Nous avons déjà perdu 80 % des exploitations laitières depuis 1984, année de la mise en place des quotas, et on nous dit maintenant qu’il faut faire encore plus de chômeurs, puisqu’on ne sait pas où et comment les reclasser. La FNSEA, avec les pouvoirs publics, a poussé à l’installation de robots de traite qui fonctionnent jusqu’à quatre fois par jour. Résultat, les vaches ne sortent plus manger d’herbe et sont nourries avec du maïs et du soja OGM brésilien. » Une autre conséquence, pour François Dufour, est que, « sans la petite protection juridique des quotas, la production du lait est peu à peu transférée dans le Maghreb et en Europe orientale. Là-bas, comme de plus en plus souvent en France, s’organise une production de lait “hors sol”, production à la fois standardisée, polluante et délocalisée. Les vaches ne savent plus ce qu’est l’herbe, ne ruminent plus : des machines à pisser le lait, dont l’organisme est rapidement détruit ». Et les surfaces enherbées, y compris dans les zones de marais, vont être transformées en terres à maïs pour alimenter, en Normandie, les deux usines d’agrocarburant de Rouen. Dans son exploitation de la Manche, François Dufour, avec sa modeste production de 320 litres en bio, prouve qu’une autre agriculture est possible, puisque le prix de son lait est à la hausse et qu’il réussit à en vivre, car la demande de ce produit est en augmentation constante depuis quelques années. Avec la luzerne, dont il prévoit une cinquième fauche en octobre. _Claude-Marie Vadrot Retrouvez le blog de Claude-Marie Vadrot sur www.politis.fr ÉCONOMIE RETRAITES Le ministre du Travail, Xavier Darcos, a bouclé sa réforme des retraites des mères de famille du privé. Elle suit un mouvement général aggravant les inégalités subies par les femmes. Drôle d’égalité hommes-femmes… Des femmes assistent aux débats sur la réforme des retraites de 2003, qui avait déjà revu à la baisse la MDA des mères fonctionnaires. Cette fois, les trimestres attribués aux mères pourront être partagés avec les pères. MULLER/AFP e dossier de la réforme des retraites des mères de famille du privé est ficelé. L’empressement du gouvernement n’est pas seulement dû à l’arrêt de la Cour de cassation contestant le principe d’une majoration de durée d’assurance pour enfant (MDA) aux seules femmes, au nom de l’égalité hommesfemmes. Cette volonté de revoir ce système destiné aux femmes, pénalisées par des carrières plus courtes et des salaires moins élevés que ceux des hommes, s’inscrit dans un contexte d’économies drastiques. Le gouvernement souhaite agir avant le « rendez-vous » de 2010, qui lancera une nouvelle réforme de l’ensemble du système des retraites par répartition. Il s’agit aussi de tuer dans l’œuf un mouvement naissant contre les inégalités, alors que se prépare, pour le 17 octobre, une manifestation pour les droits des femmes. Xavier Darcos a invoqué la jurisprudence de la Cour de cassation pour annoncer la réforme de ce dispositif dès le mois d’octobre, en l’inscrivant dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2010. Un scénario connu: le Premier ministre, François Fillon, a expliqué qu’il L voulait s’inspirer de la réforme réalisée en 2003 pour les mères fonctionnaires qui ont vu leur MDA revue à la baisse (deux trimestres au lieu de quatre). Le gouvernement dispose aussi d’un boulevard pour ficeler un projet de texte avant le débat parlementaire prévu en octobre. Les partenaires sociaux ont validé le 10 septembre les propositions de la CFDT, de FO, de la CFE- Les orientations retenues Lors d’une réunion du conseil d’administration de la Caisse nationale d’assurance vieillesse(Cnav), le 10septembre, une majorité d’organisations syndicales et patronales ont retenu le principe de quatre trimestres « attribués à la mère au titre de la grossesse, de l’accouchement et de la maternité». Quatre autres trimestres « de majoration de durée d’assurance au titre de l’éducation du jeune enfant» relèveront du « libre choix des parents», à compter de l’entrée en vigueur de la loi. « Àdéfaut de choix du couple, les quatre trimestres sont attribués à la mère», précise la Cnav. CGC et du Medef, au cours d’un conseil d’administration de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), très proches des intentions gouvernementales. La MDA serait ainsi scindée en deux parties (voir encadré) et remettrait en cause la majoration maximale actuelle de huit trimestres (deux ans). « La proposition soumise au CA s’inscrit dans une logique ne satisfaisant pas à l’intérêt des mères de famille, puisque son application se traduirait par une dégradation de leurs droits. D’autre part, cette proposition ouvrirait la voie à de nombreux contentieux et conduirait à un changement de nature des MDA », estime la CGT, qui a apporté son soutien à la manifestation du 17 octobre. La CFTC et plusieurs associations familiales sont aussi opposées à la division de la MDA et souhaitent la maintenir dans son intégralité en liant juridiquement cette compensation à l’accouchement au lieu de l’éducation des enfants. Reste à savoir si le projet concocté au ministère du Travail tient la route juridiquement. Car la mise en cause des retraites des mères de famille va contre l’avis du Conseil constitu- tionnel d’août 2003, qui a « confirmé le bien-fondé de l’attribution de la MDA aux seules mères », a rappelé la CGT. « Supposons qu’avant la fin de cette année une loi supprime ces majorations accordées aux femmes. Cette loi pourrait être, devrait même être, contestée et condamnée pour discrimination à l’égard des Les deux tiers des femmes », ont écrit dans salariés à bas le Monde (du revenus sont des femmes, ce qui se 11 septembre) Antoine Lyontraduit par des Caen, directeur droits à retraite d’études à de plus en plus l’EHESS, et réduits. Hélène MasseDessen, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Au-delà de cet aspect juridique, la réforme remet au premier plan des inégalités sociales qui touchent particulièrement les femmes. La retraite des mères de famille est un miroir grossissant des inégalités entre hommes et femmes. Dans son rapport préparatoire à la future « concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes », Brigitte Gresy, de l’Inspection générale des affaires sociales, a dressé un constat édifiant. Selon ce rapport, l’activité féminine ne progresse plus depuis les années 1990, et les femmes sont surreprésentées parmi les emplois non qualifiés (60 %). Le taux de chômage des femmes est supérieur à celui des hommes, et la précarité est plus grande : en 2007, 31 % des femmes étaient à temps partiel pour un salaire mensuel moyen de 926 euros. Les deux tiers des salariés à bas revenus sont ainsi des femmes, ce qui se traduit par des droits à retraite de plus en plus réduits. Les précédentes réformes des retraites ont particulièrement pénalisé les femmes. Rien n’est fait pour inverser cette tendance. _Thierry Brun Retrouvez le blog de Thierry Brun sur www.politis.fr 17 sept embr e 2 00 9 I POLITIS I 11 SOCIÉTÉ PRISON La première nuit en détention, puis la dernière. Joseph Beauregard a recueilli une poignée de témoignages qui racontent ce moment bref et long à la fois. Des nuits initiatiques qui soulignent la violence de toute incarcération. « Je commençais une longue apnée » prends la réalité. Je ne sais plus où sont mes affaires, je suis incapable de ranger, de réfléchir, d’avoir deux idées cohérentes. La nana avec moi, dans ma cellule, est obligée de ranger mes affaires. C’est comme si on m’avait mis une camisole, je suis incapable de coordonner mes mouvements. Je me souviens d’avoir laissé cette petite nana qui se vidait de son sang. Elle avait des règles qui n’en finissaient pas, alors qu’en prison, en général, on a toutes nos règles en même C’est là une suite temps, elles se de paroles tarissent en même recueillies, temps. » Un tarisvoix étranglées, sement de la vie cognées au caveau, semblant pour beaucoup de femmes. « La sorties d’outrelaisser là m’a tombe. donné l’impression d’un abandon, de casser un truc d’amitié. C’est elle qui m’a dit vas-y ! » Un autre souvenir demeure : elle avait emprunté un stylo à une autre détenue. Elle a refusé de quitter la prison tant qu’elle n’avait pas rendu ce stylo. ouillant dans les mémoires, Joseph Beauregard signe une série documentaire radiophonique sur ces heures précises de la première nuit en prison, et de la dernière. Ces heures qui marquent un avant et un après. Entre deux mondes. Un temps suspendu. Une première nuit initiatique, tétanisée ; une dernière, suée d’espoirs et d’angoisses. Beauregard avait déjà réalisé des documentaires radio sur l’univers carcéral (Bracelet électronique ; Jour de parloir), un autre, filmé, Des hommes en cavale (Arte). C’est là une suite de paroles recueillies, un reportage sonore exacerbé, avec ses voix étranglées, cognées au caveau, semblant sorties d’outre-tombe. Ici, l’outretombe se nomme Fleury-Mérogis, Melun, Bois-d’Arcy ou Fresnes. Ce sont des témoignages brefs, incisifs. Qui disent l’arrachement ou la déchirure, la dépression entre les murs, le dépouillement physique et affectif des détenus, des mots qui rendent compte d’incarcérations sans réinsertions, de survie en milieu hostile. Un ruban de détails agrippés à la mémoire, sans fard derrière les barreaux. F en 1978, pour du shit, parce qu’un juge estime que c’est « le bon endroit pour décrocher de la came ». La première nuit, « tout se mélange. C’est un magma d’émotions qui déstabilise et fait mal. Jusqu’au fond des tripes ». Au matin, l’impression qui domine est celle « d’un caisson métallique ». Impossible de respirer. « Je commençais une longue apnée. Tout est oppression. C’est une écume des jours, avec la pièce qui se referme sur soi. » Reste aussi en mémoire « cette misère, silencieuse, insidieuse, de gens qui se taisent, subissent ou hurlent, et jamais personne pour répondre aux appels ». Sa dernière nuit se passe aussi à Fleury-Mérogis. Elle a déjà une trentaine d’années. Il est presque minuit. « Je ne m’y attendais pas. On m’appelle à l’interphone. On me dit : “Préparez votre paquetage !” » Elle croit à une mauvaise blague. « Je deviens complètement idiote quand je com- 12 I POLITIS I 1 7 sept embr e 200 9 JOSEPH BEAUREGARD CATHERINE Elle entre en taule HAFED Il a 16 ans, en juin 1976, quand il entre en prison pour la première fois. À Fleury-Mérogis. Accueilli en pleine nuit par « les aboiements des surveillants » et placé seul en cellule. « J’ai pensé que j’avais enfin ma chambre. Ça a été une espèce de soulagement. Je m’y suis trouvé bien. Je n’ai pas vu que la porte ne s’ouvrait pas de l’intérieur. J’ai évidemment vu des barreaux, un lit en ferraille… Je me suis fait piéger parce que je suis entré dans une espèce de film où enfin j’avais ma chambre, mon indépendance. J’ai pu allumer une cigarette que j’avais taxée au dépôt. Le piège, c’est que j’ai fait l’association entre la liberté et la prison. Je m’y suis trouvé bien, avant que le piège ne se referme. » Dans cette première nuit, il commence par « une branlette ». C’est une manière de marquer son territoire. « Si je peux bander et jouir ici, je pourrai le faire dans n’importe quel autre lieu au monde. » Il jouit avant d’être réveillé par le bruit, « le fait qu’il ait ouvert la porte avec cette violence-là. Le son m’est passé par la plante des pieds, concrètement, l’impression qu’on m’ouvrait le foie, les poumons ». C’est seulement à ce moment qu’il comprend qu’il est en prison, et « pas dans une chambre d’accueil ». Sa dernière nuit en prison est à Fresnes. Il a 47 ans. C’est une nuit de fou rire parce qu’il devait sortir la veille. Il a refusé pour des « raisons bêtement matérielles ». Laisser ses effets personnels à ses amis, selon « la coutume carcérale. Qui mes chaussures, qui mon ordinateur, qui mes bouquins ». Il demande au surveillant chef de pouvoir laisser ses objets à tel et untel. Un « sourire ironique » comme réponse. « On leur donnera, comme on dit à un jeune comédien qui passe une audition : “On vous écrira.” » Il choisit donc de rester un jour supplémentaire. Il sait que la loi autorise à tout indigent de rester une nuit de plus en prison. Il passe sa dernière journée à léguer son « héritage ». Parce que « la fraternité vaut bien la liberté ». C’est ça, son fou rire et sa bonne humeur de la dernière nuit, sans manger, parce qu’il a aussi distribué sa batterie de cuisine. SOCIÉTÉ HUGO À l’orée des années 1970. À Fleury-Mérogis. Hugo a 16 ans. Il est « anxieux, angoissé » quand il débarque. « La prison était neuve, on essuyait pratiquement les plâtres. » On lui enlève alors toutes ses fringues personnelles, slip et chaussettes, « pour une tenue pénale, où y a jamais rien à sa taille ». Il allume la radio fixée au mur. Et commence à tourner en rond. Avec interdiction de s’asseoir sur son lit. En pyjama. À 21 heures, extinction des feux. Rien à faire, sinon gamberger, s’interroger. Combien de temps encore ? Un temps qui ne s’écoule pas, qui s’étire. « La ronde, le surveillant qui fait claquer l’œilleton, la lumière qui s’allume, un œil et quelqu’un qui vous regarde. » Ultime nuit en prison à Melun, un 1er avril. Après une récidive. Hugo vient de tirer quinze ans. Il est en paix avec lui-même. « Tu te demandes comment ça va se passer. Tes relations avec les femmes, avec les gens, comment tu vas pouvoir gérer les situations conflictuelles. Tu n’as plus du tout le même état d’esprit. Mais quand tu sors, ça ne se passe jamais comme tu l’as rêvé. Comment je vais gérer mon travail, comment ça va se passer. Y a plein de choses. Comment je vais gérer ma vie sociale, ma vie sur le plan financier, parce que c’est pas rien. Quand tu sors, la plupart du temps, quand t’as fait une grande peine, tu sors une main devant, une main derrière. C’est pas avec le peu d’argent, ton pécule, que tu vas pou- voir faire bombance. Il y a une putain de trouille à aller dehors. Là, on t’enlève tout sens des responsabilités, pendant des années, on t’infantilise au maximum, on ne t’a préparé à rien à la sortie. » De la toute première nuit à la dernière, il s’est passé presque quarante ans. « Je rentre, je suis un gosse, je ressors, je suis presque un vieillard. » DJEMEL Il a 17 ans, en 1982, quand il entre à la prison de Boisd’Arcy. Épuisé par les gardes à vue et les dépôts. « Des matelas, des draps, un lit, une armoire. » Il est rassuré. Mais pas moyen de trouver le sommeil. « On entend des clés, des œilletons qui s’ouvrent, c’est monstrueux. Les chasses d’eau, c’est un truc d’enfer, surtout quand elles sont déréglées et que la ferraille tape sur la ferraille. Clac ! Clac ! Clac ! » Puis le gueulement des matons, à 7 heures, « debout là-dedans, avec une espèce d’énergie négative ». La dernière nuit se déroule à FleuryMérogis, en 1995, après une peine de vingt-quatre mois, « après un chantage aux grâces ». Prévenu seulement la veille et placé en cellule dite « libérable ». Il laisse l’essentiel de ses affaires aux copains, sans quoi on est appelé « le clochard ». Dans l’après-midi qui précède la nuit, « c’est l’angoisse terrible du greffier, jusqu'à 17 h 30, 18 h, parce que s’il vous appelle, ça veut dire que vous allez resigner pour quelques mois supplémentaires. Vous pas- sez donc tout l’après-midi à prier tous les saints qu’on ne vous appelle pas au greffe ». Puis dans la nuit, ça discute, ça joue aux cartes jusqu’à l’aube, jusqu’à ce que le « crabe » (le surveillant) vienne vérifier que le paquetage est correctement préparé. SALIM « C’est en 1989, à FleuryMérogis. J’étais encore mineur. Quand j’entends prison, je suis tendu. Je n’arrive pas à pleurer […]. Il y a un lit soudé au mur, une petite armoire, des barreaux aux fenêtres, un lavabo. » Quelques timbres lui sont donnés. De quoi écrire. Ça va mieux quand un voisin qui tape au mur prend des nouvelles. « Je suis très sensible au bruit. Ce qui raisonne encore dans la tête, ce sont les détenus qui tapent aux portes, ça peut être pour un mal de dents, pour une détresse, pour n’importe quoi. Ce sont des cris qui font mal mais qui te rendent plus fort. T’apprends comme un légionnaire apprendrait à la guerre. » Quatorze ans plus tard, Salim vit sa dernière nuit d’incarcération. Il a maintenant 37 ans. Il a récidivé. « Je n’ai plus droit à l’erreur. J’ai tout mis en place pour que, lorsque je sors, je sache si je vais tourner à gauche, à droite, ou aller tout droit. Je sais que je ne fréquenterai plus mon entourage, que la vie est devant moi. » La dernière semaine, « tout est serré à l’intérieur ». À 6 h 30, le paquetage est prêt. « Là, vous vous sentez quelqu’un qui va revivre. La loi pénitentiaire fait marche arrière Promise en juillet2007, la loi pénitentiaire est à nouveau débattue à partir de ce 15septembre à l’Assemblée. Ministre de la Justice et garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie s’est déjà prononcée sur certains volets essentiels. Elle s’est dite opposée à l’aménagement des peines (bracelet électronique, semi-liberté et travail d’intérêt général) pour les récidivistes condamnés à moins de deux ans. Elle revient aussi sur le principe de l’encellulement individuel, pourtant réaffirmé par le Sénat en mars dernier, voté en 2000 et toujours assorti d’un moratoire. Le Sénat avait avancé quelque peu, d’un pas, vers l’humanisation. Avec MAM, la loi s’apprête à reculer de deux pas. On se demande qui va vous chercher devant la porte. On ne se promenait pas en liberté, on va le découvrir. Tu ne sais pas comment tu vas être reçu de l’autre côté. On s’est fait une famille en prison, un deuxième monde, comme si t’avais quitté la Terre. T’as peur. » _Jean-Claude Renard Ma Première Nuit en prison ; ma dernière nuit en prison, Radio Nova, diffusion jusqu’au 25 septembre, du lundi au vendredi, à 8 h 20 et à 18 h 20. Également en podcast sur novaplanet.com 17 sept embr e 200 9 I POLITIS I 13 ÉCOLOGIE NORD-SUD Il est difficile de cerner l’ampleur réelle du phénomène récent d’appropriation de terrains cultivables dans les pays du Sud. Mais des études font fortement douter du bénéfice que ceux-ci pourraient en tirer. La course aux terres ne faiblit pas À Madagascar, plus de 2 millions d’hectares ont été affectés en quatre ans à des investisseurs étrangers. TRAVERT/AFP ob conseille d’investir dans des régions peu peuplées, disposant de ressources et d’un climat propices à la culture du riz. » Bob, c’est Zeigler, directeur général du très important Institut international de recherche sur le riz (Irri), financé en partie par la Banque mondiale. Et ses auditeurs, de hauts émissaires saoudiens œuvrant pour un plan de production de nourriture à grande échelle sur des terres étrangères, et destinée à être rapatriée dans leur pays. Une stratégie adoptée par plusieurs pays en déficit agricole important – notamment dans le Golfe et en Extrême-Orient –, après la crise des prix alimentaires de 2008, qui les a déstabilisés (1). L’Irri parle de projets avec Foras, une structure qui aurait déjà acquis 500 000 hectares au Sénégal et 200 000 autres au Mali pour produire du riz pour l’Arabie Saoudite. Tout cela figure dans un compte rendu de mars dernier, une pépite dénichée sur le site de l’Irri par l’association Grain (2) pour la sauvegarde de la biodiversité planétaire. « Nous aussi avons été saisis par des opérateurs désireux de “valoriser” B « 14 I POLITIS I 1 7 sept embr e 2 009 des terres. Nous avons décliné, ce n’est pas notre rôle », tranche Patrick Caron, directeur scientifique du Cirad. L’institut français de recherche agronomique pour les pays du Sud réunissait, le 3 septembre dernier, des dizaines de chercheurs de plusieurs pays pour tenter de cerner les contours réels de cette course à la terre, d’une ampleur considérable depuis deux ans. Entre 15 et 20 millions d’hectares récemment accaparés ou en négociation, en Afrique et en Asie principalement, selon l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (Ifpri). Paul Mathieu, spécialiste du dossier à la FAO, estime quant à lui le chiffre de 30 millions d’hectares « probablement très sous-estimé » pour la seule Afrique subsaharienne ces dernières années. « Attention aux effets d’annonce. En Thaïlande, on parle de 4,4 millions d’hectares convoités, seulement 1,5 % a été attribué », dit Harris Selod, qui participe à une large étude de la Banque mondiale. Les résultats sont attendus fin 2009. Premières indications : les grosses opérations concernent bien l’alimentation mais aussi les agrocarburants, la foresterie et le piégeage de CO2. Le profil des investisseurs est très variable, et il s’agirait, à 60 %, de… nationaux. « Ne s’agit-il pas, souvent, de spéculateurs ?, interroge Alain Karsenty, économiste au Cirad. La terre est devenue un excellent placement… » Treize des 34 millions d’hectares du Mozambique font ainsi l’objet de candidatures ! Une partie est déjà occupée par des populations… Submergé, le pays a décrété un moratoire sur les attributions. L’Éthiopie « offre » 1,6 million d’hectares « vierges », et bientôt 1,1 million de plus. « Environ 8 400 investisseurs ont déjà reçu une licence pour intervenir !, indique Paul Mathieu. Il paraît évident qu’il y aura de la déforestation à la clef… » Un pays que les chercheurs indépendants de l’International Institute for Environment and Development (IIED) ont investigué (3), avec le Ghana, le Mali, le Soudan et Madagascar. « On constate une activité considérable dans ces pays, commente Lorenzo Cotula, chercheur à l’IIED. Plus de 2 millions d’hectares affectés en quatre ans, avec un accroissement constant du nombre de projets et de leur superficie. » Dans cette étude, les investissements étrangers dominent : Asie, pays du Golfe mais aussi Union européenne – « pour 70 %, à Madagascar ! » – , où l’entreprise sud-coréenne Daewoo a finalement échoué dans sa tentative de capter 1,3 million d’hectares à la suite du renversement du gouvernement. Et des opérateurs privés à 90 %, « mais derrière, il y a fréquemment des gouvernements en appui ». L’IIED a réussi à se procurer quelques contrats. Curiosités : « Contrairement aux secteurs minier ou pétrolier, ils sont en général très peu spécifiques, bien qu’il s’agisse souvent de baux à long terme. L’un d’entre eux, pour une concession de 99 ans, tenait en deux pages ! » Les contreparties financières pour l’usage des terres sont souvent faibles, voire nulles : les investisseurs s’engagent à créer des infrastructures, des emplois, etc. La transparence est absente, et les populations locales sont peu consultées. Varun, société indienne qui convoite à Madagascar 465 000 hectares déjà occupés aux trois quarts par des villageois, a ainsi organisé leur « consultation » à sa main, expose André Teyssier, chercheur au Cirad. « Varun a suscité la création de 13 groupes d’interlocuteurs ! Je vois mal le processus aller à son terme, d’autant que les contreparties, pour les familles, sont bien insuffisantes… » Des opérations « gagnant-gagnant » : tel est pourtant le maître mot de leurs promoteurs. Certains chercheurs tentent de voir dans ces investissements une chance de faire décoller des rendements agricoles désespérément insuffisants en Afrique. Mais au regard de la litanie des « risques » (déjà effectifs) – corruption, expulsion de populations, paupérisation, emplois fugaces, baisse des ressources alimentaires, etc. –, le verdict de l’ultime table ronde du colloque du Cirad est unanime : ils n’y croient pas. _Patrick Piro (1) Voir Politis n° 1029. (2) www.grain.org (3) Voir www.iied.org, « publications », puis chercher « land grab » (avec la FAO et le Fida). ÉCOLOGIE CHANGER D’ÈRE BERNARD ROUSSEAU Administrateur à la fédération France nature environnement (FNE). Marées vertes : fermer le robinet à nitrates ! CROCK/AFP RESSOURCES Un rapport des Amis de la Terre s’alarme de la surconsommation de matières premières. Ces pays pillards orêts et végétaux, minerais et métaux, énergies fossiles, etc. : ce sont 60 milliards de tonnes de matières premières consommées chaque année, soit 50 % de plus qu’il y a trente ans. Pour certaines, comme le gaz, le nickel, les sables et graviers, la croissance est de 40 à 60 % sur la seule dernière décennie. C’est ce que révèle le rapport « Overconsumption ? Our use of the world’s natural ressources (1) », publié pour le premier Forum mondial sur les ressources, qui s’est tenu en Suisse les 15 et 16 septembre, à l’initiative de chercheurs indépendants défendant une réduction radicale de la ponction des ressources (2). Le fossé entre les continents est spectaculaire : dans les pays industrialisés, un habitant ponctionne en moyenne dix fois plus de ressources que dans un pays pauvre : 90 kg par jour pour un Nord-Américain, la moitié pour un Européen et seulement 10 kg pour un Africain. Il ne s’agit plus de consommation « locale » depuis longtemps. Une part considérable de ces tonnages est extraite dans le Sud pour être exportée. Et l’Europe est en tête du classement mondial avec une balance importation-exportation positive de près de 8 kg par personne et par jour, alors que les pays du Sud sont exportateurs nets d’environ 2 kg par personne et par jour. Avec une pression grandissante : l’extraction de ces ressources, plus rares, plus difficiles à exploiter, fréquemment situées dans des zones protégées, ne génère pas que F des impacts environnementaux. Elle « est souvent source de violations des droits humains et de conditions de travail dégradées », souligne le rapport. Plus préoccupant peut-être : l’amélioration de l’efficience de l’économie n’y fait rien. En trente ans, la quantité de ressources nécessaires à l’augmentation d’un point de PNB a certes diminué de 30 %, mais la ponction totale n’a été ralentie en rien, dopée par la croissance de la consommation. Quelles seraient les conséquences d’un « laisser-faire » ? Réponse du rapport : en 2030, 100 milliards de tonnes de matières consommées par an, des tensions exacerbées, car nombre de ressources atteignent leur pic d’extraction, avec une concentration des derniers gisements dans un nombre restreint de pays. Et la compétition lésera encore plus qu’aujourd’hui les pays pauvres. Or, des mesures décisives peuvent être prises à court terme dans les pays riches, soulignent les auteurs : augmenter le prix des ressources, récompenser les économies, accroître l’efficacité des procédés, recycler à outrance… Selon Friedrich SchmidtBleek, l’un des initiateurs du Forum mondial sur les ressources et directeur de l’institut Facteur 10, plus de 90 % des ressources naturelles, en moyenne, finissent en déchets avant que les biens ne parviennent sur le marché… _Patrick Piro (1) Les Amis de la Terre Europe et Autriche, Sustainable Europe Research Institute (Seri, Vienne). Voir site www.amisdelaterre.org/Nouveaurapport-surconsommation.html (2) www.worldresourcesforum.or Il aura fallu qu’un cheval trouve la mort fin juillet, empoisonné par les émanations d’algues vertes en décomposition, pour que le gouvernement semble s’émouvoir de l’ampleur du phénomène des marées vertes sur les côtes bretonnes. Et, début septembre, on apprenait qu’un ouvrier chargé du déblayage des algues était décédé brutalement, à la même période, peut-être en raison de son exposition à leurs émanations. Ces marées vertes ne sont qu’un aspect du phénomène d’eutrophisation des eaux, qui se manifeste par le développement de très grandes quantités de végétaux. En mer, ce sont principalement les ulves qui forment les marées vertes, mais aussi les algues phytoplanctoniques, dont certaines sont toxiques et ruinent la conchyliculture. Dans les eaux douces, prolifèrent certaines variétés de phytoplancton ou de végétaux enracinés, la compétition tournant souvent à l’avantage des algues, dont certaines sont toxiques, comme les algues bleues. À l’origine de ces explosions végétales : les nitrates et les phosphates, éléments nutritifs en excès. Le ministère de l’Agriculture avait calculé que l’excédent de nitrates, rejeté en mer, représentait plus de 700 000 tonnes d’azote par an ! L’agriculture y contribue aux trois quarts… En Bretagne, les déjections animales sont la source principale de cette pollution: 55 % de la production de porcs y est concentrée sur 6 % de territoire national ! Et pourtant… Il y a trente ans déjà, l’Agence de l’eau Loire-Bretagne se rendait aux Pays-Bas et au Danemark pour apprendre comment élever proprement des cochons. Pour quels résultats ? Les plans et dispositifs se sont succédé en vain : le Programme de maîtrise des pollutions d’origine agricole (PMPOA) de 1993 – financé à 70 % par l’argent public, et Il s’agit bien imposé aux agences de l’eau ! –, puis le PMPOA 2, les d’affronter programmes « Bretagne eau pure » 1, 2, etc. Bien souvent, de véritables usines à gaz, et pratiquement sans résultats, les retombées sous la pression de l’augmentation des effectifs de porcs, de cinquante de volailles, de bovins : une situation dénoncée en permanence par les associations, la Cour des comptes, la années d’une presse, etc. politique Dès 1992, conséquence de la « directive nitrates », sont délimitées les « zones vulnérables » à la pollution par les agricole nitrates d’origine agricole : celles qui alimentent en eau des nappes souterraines où les rivières présentent des teneurs maximaliste. en nitrates très élevées (proches ou supérieures à 50 mg/l). Depuis, nous en sommes à la quatrième révision de ces zones, qui représentent aujourd’hui plus de la moitié du territoire national. En Loire-Bretagne, leur surface est passée de 52 % à 54 % – une mesure édifiante de l’efficacité des politiques de lutte contre la pollution agricole ! Dernière tentative avant faillite : l’entrée « en vigueur » en 2010, pour le compte de la directive-cadre sur l’eau (DCE), de dispositions vraiment bien peu contraignantes pour réduire les nitrates… Alors, le Premier ministre s’est déplacé en Bretagne, après la mort du cheval, pour annoncer que l’État allait financer le ramassage des algues là où elles présentent un risque pour la santé. Ce que faisaient déjà les communes : bel effort ! Et là où il n’y a pas de risque avéré, que fera-t-on ? On attendra quelques années que la couche d’algues soit plus épaisse ! Le curatif, il en faut certes, mais la solution au problème des algues passe par la réduction drastique des émissions de nitrates à la source. Si l’on en croit Chantal Jouanno, secrétaire d’État à l’Environnement, « L’État assume pleinement ses responsabilités maintenant. » Un espoir ? Mais que fera-t-il de plus qu’auparavant ? Du passé faire table rase, avec des millions de cochons et d’animaux installés, et l’utilisation intensive d’engrais ? Il s’agit bien d’affronter les retombées de cinquante années d’une politique agricole maximaliste. On souhaite bien du plaisir à la future commission interministérielle de lutte contre la prolifération des algues vertes, à patauger dans les algues et le lisier bretons. 17 sept embr e 2 0 09 I POLITIS I 15 LES ÉCHOS MONDE Aurel à l’attaque! IRAN. Paris pousse dangereusement au crime, alors que les États-Unis font encore le pari du dialogue. FAGET/AFP Trouble jeu français ne rencontre entre les responsables iraniens et les grandes puissances doit avoir lieu le 1er octobre, vraisemblablement en Turquie. À l’ordre du jour, évidemment, le dossier nucléaire. Devraient y participer Javier Solana, pour l’Union européenne, et Saïd Jalili, négociateur de l’Iran. Mais aussi des représentants des États-Unis, de Russie, de Chine, de Grande-Bretagne, d’Allemagne et de France. Interrogé sur la possibilité de sanction au cas où l’Iran refuserait toujours de soumettre son programme nucléaire à une supervision internationale, M. Solana a répondu que les grandes puissances n’avaient pas abandonné leur stratégie de « double approche ». L’expression est particulièrement édifiante. « Double approche » signifie évidemment que les grandes puissances proposent « d’aider » l’Iran à se doter sous contrôle international d’une énergie nucléaire civile, tout en menaçant Téhéran de nouvelles sanctions en cas de refus de supervision internationale. La classique politique de la carotte et du bâton. Ce qui est étonnant dans cette affaire, c’est que c’est la France qui incarne le plus « le bâton », alors que les États-Unis de Barack Obama privilégient nettement l’hypothèse du dialogue. Cela fait aussi partie de la « double approche », mais qui reflète sans aucun doute une divergence réelle. Le ministre français des Affaires étrangères voudrait torpiller la rencontre du 1er octobre qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Il multiplie en effet les déclarations pour faire savoir que la France « n’attend pas grand-chose » de ce rendez-vous. De son côté, Pierre U 16 I POLITIS I 1 7 sept embr e 2 009 Lellouche, secrétaire d’État aux Affaires européennes, en rajoute en affirmant : « On ne peut pas rester dans cette situation très longtemps, il faut probablement mettre la pression sur les Iraniens. » D’ores et déjà, at-il déclaré, la situation du nucléaire en Iran est « inquiétante pour la stabilité ». En toile de fond de cette « double approche » entre la France et les États-Unis, il y a la position d’Israël. Sans doute pour créer un autre abcès de fixation au moment où un début de pression s’exerce sur lui à propos de la colonisation, Israël plaide pour une option militaire. Une option extrêmement dangereuse, y compris pour l’économie mondiale, dans une région à très forte densité pétrolière. La divergence entre Benyamin Netanyahou, qui pousse au conflit ouvert, et Barack Obama, partisan du dialogue, est aujourd’hui patente. Pour Israël, l’enjeu est de rester la seule puissance nucléaire de la région. La France de MM. Kouchner et Lellouche semble coller aux intérêts israéliens. La semaine dernière déjà, Bernard Kouchner avait fait chorus avec Israël pour accuser le directeur de l’Agence internationale à l’énergie atomique, Mohammed el-Baradei, de dissimuler des documents prouvant l’engagement de l’Iran dans la voie du nucléaire militaire. Celui-ci s’était déclaré « consterné ». L’histoire ne dit pas si la stabilité que souhaite Pierre Lellouche est celle qui permet à Israël de poursuivre la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Ni quelle gigantesque instabilité résulterait d’une guerre contre l’Iran… _Denis Sieffert En Sarkozie Converti à Stiglitz Taxe copie carbone Nicolas Sarkozy a dénoncé lundi la « religion du chiffre» et plaidé pour un changement de la mesure des progrès économiques et sociaux. Plus fort encore, le chef de l’État, qui s’exprimait à l’occasion de la réception du rapport de la commission de mesure de la performance économique et du progrès social, dirigé notamment par le prix Nobel Joseph Stiglitz, a pourfendu un système fondé sur les «moyennes» : « La moyenne, c’est une façon de ne jamais parler des inégalités» et de « la religion du marché, qui, par principe, a raison», a-t-il osé dire. On sait désormais à qui l’on doit l’instauration du bouclier fiscal: aux statisticiens obnubilés par la «moyenne». Merci Sarko! D’où viennent ces 17 petits euros la tonne de CO2 adoptés par la taxe carbone, sans effet sur le climat alors que les experts proposaient 32 euros? D’une moyenne, sur deux ans, du prix de la tonne de CO2 sur le marché européen des quotas d’émission, créé en 2005 pour les industries les plus polluantes. Alors que Bruxelles visait la tonne à 30 euros environ, elle cotait 25 euros en août 2008 : c’est qu’on a encore distribué trop de quotas aux entreprises! Puis la crise économique, ralentissant l’activité, a fait chuter le prix. La tonne valait 14 euros en août… montant souhaité par Fillon. Et rien n’a été dit sur la progressivité de la taxe. Pour cause. Voilà bien la conception sarkozyenne des politiques publiques: une copie carbone des conditions dictées par le marché. en 2 mots La bévue d’Aubry « Pour qu’il n’y ait plus de vote qui puisse prêter à contestation», Martine Aubry avait évoqué, samedi, dans le Nord, la mise en place en juin 2010 d’« un grand fichier au niveau national». Elle s’est vite fait moucher. Philippe-Xavier Bonnefoy, ancien président du bureau national, lui a rappelé, dans la presse, lundi, que le fichier national des adhérents du PS « existe depuis 2005». Ce fichier, dit Rosam, est « l’outil de référence permettant d’établir la liste électorale pour les votes internes du PS ». Ce que ne dit pas M.Bonnefoy, c’est que ce fichier qui permet d’établir la liste électorale du parti était désapprouvé, voire refusé, par les chefs et petits chefs des fédérations du Nord et du Pas-de-Calais. Martine Aubry ne s’adressait peut-être qu’à eux. Krivine doublé sur sa gauche Que n’a-t-il pas dit là, «le camarade Alain Krivine» ? Il a osé affirmer dans le Nouvel Obs (facteur aggravant) que l’ancien préfet de police Maurice Grimaud était « un type bien». « Nous ne voyons pas l’intérêt de s’épancher dans la presse bourgeoise sur les éventuelles qualités humaines d’un chef des forces de répression», lui rétorquent vertement les animateurs de la tendance «Claire» du NPA. Voilà qui est «clair» en effet. On est toujours le bourgeois de quelqu’un. Ajoutons que les mêmes, qui ont décidément le sens de la nuance, ne veulent pas entendre parler de la moindre déclaration commune du NPA avec le PCF, et même avec le PG. Comme ça, on est tranquille! Verdict colonial Olivier Besancenot(NPA), José Bové(Europe Écologie), Élie Domota(LKP) et Cécile Duflot(Verts) avaient demandé lundi soir à Paris la libération immédiate de Gérard Jodar, président du syndicat indépendantiste calédonien USTKE. Sans être entendus par la cour d’appel de Nouméa, qui, le lendemain, a décidé le maintien en détention du syndicaliste et d’une peine d’emprisonnement de neuf mois fermes. Une lourde peine alors que les actions de blocage menées par des syndicalistes ou d’autres dans les transports aériens, routiers ou ferroviaires en métropole et en Guadeloupe n’ont pas suscité de telles condamnations. Mais, en NouvelleCalédonie, on y ajoute la peine coloniale… là-bas Silvio, le peuple et la liberté de la presse En cas clos, délais à vue de pandémie, avec les procès à huis le juge unique, l’augmentation des de détention provisoire et la garde sans avocat, ce sont les libertés qui vont être grippées ! sens de «l’humour» si particulier, personne n’en doutait… LU Circulez, il n’y a rien à voir ! C’est à peu de chose près ce que nous dit la Licra à propos de la sortie raciste de Brice Hortefeux. Pour le président de l’étonnante «Ligue contre le racisme et l’antisémitisme», Patrick Gaubert, ex-député européen UMP, «l’affaire est close». Il l’a fait savoir dans un communiqué à l’AFP. Pas même question d’excuses de la part du ministre, puisque, nous dit la Licra, «il n’a à aucun moment mentionné une quelconque origine». Alors qu’il posait en compagnie d’un jeune homme d’origine algérienne, Brice Hortefeux avait lâché : «Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes.» Le piquant dans cette affaire, c’est que la Licra a annoncé qu’elle se portait partie civile contre le préfet Girot de Langlade, récemment débarqué par Hortefeux pour avoir, selon certaines sources, déclaré lors d’un contrôle à Orly : «Il n’y a que des Noirs ici.» Quand il n’y en a qu’un, ça va… ENTENDU THYS/AFP ici D’OLIVIER BRISSON VU Après la Licra (cf.ci-contre) et une grande partie de notre droite nationale, toujours si tolérante envers son prochain, surtout s’il est maghrébin, c’est au tour d’Hervé Morin de voler au secours de Brice Hortefeux. Après avoir entendu les « regrets face à une polémique inutile et injuste» de son collègue de l’Intérieur, prononcés devant les représentants du Conseil français du culte musulman lors du dîner de rupture du jeûne de ramadan, le ministre de la Défense a ainsi déclaré mardi matin, sur BFM-TV, « très bien connaître Brice Hortefeux» et savoir « à quel point cet homme est pétri d’humanisme». Après son passage remarqué au ministère de l’Immigration et au vu, désormais, de son Hervé Morin –encore lui– veut rentabiliser l’engagement français en Afghanistan. Argumentant sur RMC contre un «départ précipité» des troupes françaises (pour lui, tout départ serait évidemment «précipité»), le ministre de la Défense a surtout fait valoir nos efforts financiers, évalués à 450millions d’euros, contre 300millions en 2007. «Si nous partons, a-t-il ajouté, nous ferons de l’Afghanistan la base du terrorisme.» Un argument étrange et réversible. Étrange: l’intervention n’a-telle pas précisément été décidée en 2001 par George Bush parce que l’Afghanistan était déjà, à ses yeux, une «base du terrorisme»? Et réversible, parce qu’il ne semble pas que l’intervention des troupes de l’Otan aboutisse à autre chose qu’à renforcer les talibans et les terroristes, perçus par une grande partie de la population comme résistant à une occupation étrangère. la rencontre des chefs d’État du G20 les 24 et 25 septembre. Intitulé Prescience européenne « Paradis fiscaux : à quand la fin des petits arrangements entre SOLARO/AFP Il y a quelque temps, Silvio Berlusconi unifiait la droite italienne dans une formation intitulée le «Peuple de la Liberté» (sic). Mais ce sont surtout ses multiples aventures sexuelles (avec des call-girls, sur fond de fêtes cocaïnisées) et des rumeurs de liaison avec une jeune Napolitaine mineure qui ont défrayé la chronique. Depuis plusieurs semaines, désirant faire la lumière sur ces (chaudes) affaires, la Repubblica lui pose quotidiennement dix questions, auxquelles le séducteur Silvio refuse de répondre. Après avoir «invité» les industriels italiens à ne plus acheter de publicités dans ce journal, il vient maintenant de l’attaquer en justice (tout comme l’Unità et le Nouvel Obs) pour avoir osé publier ces questions et réclame un million d’euros de dommages-intérêts! En défense de la liberté de la presse, la Repubblica a mis en ligne une pétition qui a déjà recueilli 350000 signatures. Sans doute le (vrai) «peuple de la liberté» ! L’Union européenne avait décidé, bien avant la faillite de Lehmann Brothers, de faire de 2010 l’année de la lutte contre la pauvreté. Et dire que certains accusent encore les dirigeants de l’UE de n’avoir pas vu venir la crise et son cortège de licenciements et de précarité… 150 000 le chiffre C’est le nombre de sociétés off-shore qui se créent chaque année dans les paradis fiscaux, indique un dossier d’Oxfam-France, publié avant amis ? », ce document indique que rien n’a été fait pour supprimer les mécanismes contournant aisément toute obligation de transparence. 17 sept embr e 2 0 09 I POLITIS I 17 .En évoquant le combat de ces hommes « aux noms dif .Le film de Robert Guédiguian relate les .De la France des DOSSIER L’ARMÉE DU CRIME VIVRE ET RÉSISTER lus de cinquante ans après la publication du poème de Louis Aragon, mis en musique par Léo Ferré, Robert Guédiguian a réalisé un film s’inspirant des faits d’arme de Missak Manouchian et de ses compagnons. Le choix du titre, l’Armée du crime, est un programme. Car si cette appellation est due à l’origine aux oppresseurs, qui l’apposèrent sur la fameuse « Affiche rouge », celle-ci devint très rapidement le symbole de la résistance des étrangers en France. L’œuvre splendide de Guédiguian est tout dans ce renversement de sens. Juvénile, généreux, rayonnant, l’Armée du crime est un film ensoleillé, comme saisi d’une pulsion vitale. Pourtant, rien n’y est gommé : l’antisémitisme, l’anticommunisme et le sadisme de la police française couchée aux pieds des nazis, l’abjecte propagande vichyssoise diffusée par la radio française, la peur et le désespoir provoqués par les rafles, et, bien sûr, l’odeur de la mort. Celle qu’on reçoit, mais celle aussi que donnent ces P jeunes gens en colère. « Il suffit que la haine soit assez vivante, pour qu’on puisse en tirer quelque chose, une grande joie, non pas d’ambivalence, non pas la joie de haïr, mais la joie de vouloir détruire ce qui mutile la vie », a écrit Gilles Deleuze dans une phrase qu’on croirait sortie de l’Armée du crime. Robert Guédiguian signe une tragédie. Avec des héros portés par l’exigence de leur idéal qui les conduit vers un destin assumé. Mais ces héros, pris dans leur quotidien, ne sont ni lointains ni abstraits. Par l’intelligence de son scénario, la tension de sa mise en scène et la qualité de ses interprètes (Simon Abkarian, Virginie Ledoyen, Grégoire Leprince-Ringuet, Robinson Stévenin, Adrien Jolivet, Lola Naymark et beaucoup d’autres), l’Armée du crime s’offre aux spectateurs d’aujourd’hui non seulement comme un spectacle vibrant et inspiré, mais aussi comme une invitation à partager l’esprit de justice, de liberté et de résistance. S’affirme ici une certaine idée du cinéma. Il y en a de moins bonnes. _Christophe Kantcheff « Une capacité plus grande à s’indigner » Robert Guédiguian a voulu faire un film populaire, susceptible d’attirer ceux qui ne connaissent pas cette histoire. Et ce sans éluder la violence de cette époque. POLITIS I Dans le film, la violence est montrée sans fard. Les coups de feu claquent distinctement, les explosions sont fortes… Diriez-vous que, de ce point de vue, vous avez fait un film réaliste ? Robert Guédiguian I Je ne sais pas si l’adjectif « réaliste » convient. Je dirais que je travaille avec le cinéma comme il est aujourd’hui : le public est habitué – trop sans doute – à voir la violence, dans des films d’action notamment. Il est habitué à un certain son de coup de feu, à une certaine image d’explosion, etc. C’est une forme de 18 I POLITIS I 1 7 sept embr e 2 009 langage et, si l’on ne respecte pas ces codeslà, le public a l’impression de ne pas comprendre. C’est comme si on lui parlait dans une langue étrangère. Je crois donc que, si l’on veut atteindre le public, on est obligé de se poser ce type de questions. C’est pourquoi, dès le début du projet, on s’était dit avec mes coscénaristes, Gilles Taurand et Serge Le Péron, et mon producteur, Dominique Barneaud, qu’on écrirait ce film en respectant les règles d’un langage cinématographique compréhensible par un large public. C’est la guerre, donc il y a des coups de feu, des bombes qui explosent, des scènes de torture… Ou, comme on disait dans les années 1950, de l’aventure, de l’amour et de l’action ! C’était une volonté de départ de faire un film populaire, grand public, pas seulement pour les gens qui connaissent déjà cette histoire, mais au contraire pour tous ceux qui n’en ont jamais entendu parler. Il fallait montrer que cette époque était violente, évidemment du côté des oppresseurs, dans la manière dont ils torturaient, fusillaient, déportaient et exterminaient, mais aussi du côté des résistants, en montrant que cette violence les effrayait euxmêmes. C’est ce que je montre dans la scène où Manouchian revient sur les lieux de l’attentat qu’il vient de commettre en lançant une grenade sur un groupe de soldats allemands, qui sont déchiquetés. Je voulais qu’on comprenne que la violence est également terrible pour ceux qui la ficiles à prononcer », le cinéaste nous parle discrètement de notre époque. faits d’armes du groupe Manouchian durant la Seconde Guerre mondiale. Sarkozy, Besson, Hortefeux, dure aux immigrés et dénuée de projet. donnent. Manouchian, au départ, n’aurait jamais voulu tuer quelqu’un. Ce sont les circonstances historiques qui l’ont amené à le faire. Ensuite, du point de vue cinématographique, c’est une question de dosage. Je voulais surtout dépasser la manière dont on montre en général la violence au cinéma depuis vingt ou vingt-cinq ans, c’està-dire comme un jeu. Vous ne cachez pas votre volonté de faire « œuvre pédagogique ». Cela signifie-t-il, pour un film historique et politique, faire passer au second plan les considérations dramaturgiques ? Évidemment non. L’idéal est de trouver la solution pour qu’il n’y ait aucune contradiction entre les deux termes. C’est pourquoi j’ai parfois préféré contrevenir à l’exactitude historique plutôt qu’aux règles du récit, d’où la petite note à la toute fin du film [où Robert Guédiguian prévient qu’il a modifié certains points de la chronologie pour la cohérence du scénario, NDLR]. Il ne s’agit pas de contresens ou de contrevérités, mais je crois que, dans un film historique, il faut d’abord respecter les règles fondamentales de la dramaturgie. Par exemple, l’arrestation d’Henri Krasucki a eu lieu près de neuf mois auparavant par rapport à ce qui est dans le film : il n’est donc pas parti avec Simon Rayman la main dans la main. En revanche, ils se sont effectivement retrouvés à Auschwitz, où Krasucki a veillé sur le jeune Simon (qui n’avait que 15 ans) comme sur un petit frère, et ils ont survécu tous les deux, libérés par l’Armée rouge à la fin de la guerre. Ce point-là dans le film est donc faux historiquement parlant, mais il est en même temps juste. Il y a dans le film certaines scènes de torture très dures, à la différence de beaucoup de films où l’on entend plutôt des cris derrière une porte. Comment avez-vous décidé jusqu’à quel point montrer la torture ? Je crois que si l’on filme une scène de torture, il faut le faire de telle manière qu’elle soit irregardable, ce qui est un paradoxe puisqu’on fait a priori des images pour qu’elles soient regardables. Il faut donc être suffisamment court pour que ce soit supportable, c’est-à-dire qu’au moment où le spectateur a envie de tourner la tête pour ne pas regarder cette image, celle-ci soit déjà passée. C’est une affaire de dosage au montage. Je crois que le film le plus intéressant de ce point de vue, c’est Salo ou les 120 jours de Sodome de Pasolini, qui a fait un film entier totalement irregardable. C’est prodigieusement intéressant, mais personne n’a envie d’aller voir Salo. Pasolini y pose magistralement la question de la violence au cinéma. Dans la scène où Manouchian regarde les Allemands déchiquetés par sa grenade, apparaît le personnage de Dupont, le responsable des FTP et son supérieur hiérarchique. Son sourire semble alors signifier qu’il a réussi à faire franchir le pas à Manouchian, qui auparavant se refusait à tuer. Dupont est un peu « l’œil » du Parti communiste. Vous le représentez comme plutôt implacable… « L’armée du crime » : cette appellation apposée sur la fameuse Affiche rouge devint rapidement le symbole de la résistance des étrangers en France. STEPHANIE BRAUNSCHWEIG Souvent, les gens me disent qu’ils trouvent ce type pas sympathique, mais, pour ma part, je ne le trouve pas antipathique. Je crois que c’est une vision quelque peu angélique. C’est simplement un chef. Les généraux ou les colonels ne sont pas souvent sympathiques. La guerre se fait avec des 17 sept embr e 2 0 09 I POLITIS I 19 DOSSIER L’ARMÉE DU CRIME Tous ces personnages sont jeunes, un peu « tout fous » avant d’être pris en main par l’organisation des FTP. Estce que, selon vous, il y a des conditions particulières qui font que, eux, sont passés à la lutte armée ? Et cela pourrait-il se reproduire aujourd’hui ? J’ai voulu les montrer au départ dans leur vie quotidienne, avec leur famille, au lycée, faisant du sport, ou avec leur petite amie, pour les rapprocher de nous, et montrer qu’ils auraient eu une vie très différente si tout cela n’était pas arrivé. Mais j’ai toujours pensé qu’il y a des conditions particulières qui appartiennent à chacun d’entre eux qui font qu’ils ont eu une capacité plus grande à s’indigner et à passer à la lutte armée. Ils sont alors devenus des êtres magnifiques parce qu’ils ont continué à penser que l’humanité pouvait être un jour réconciliée. Toutes leurs dernières lettres traduisent en effet ce rêve et sont très étonnantes de ce point de vue : écrites à la veille de leur exécution, elles sont très optimistes. Ils imaginent tous que, dans un avenir proche, le monde entier ira beaucoup mieux. Ils meurent presque heureux, le devoir accompli, et ils en sont fiers ! Quant à savoir si cela pourrait exister aujourd’hui, j’en suis absolument certain si – et seulement si – l’oppression prenait à nouveau des formes extrêmes. Quand le peuple passe à la lutte armée, c’est qu’il est torturé, massacré. Si cela arrivait, je suis sûr qu’il y aurait des gens qui se révolteraient de la même manière. Mais si eux se sont révoltés, c’est d’abord parce que tous avaient déjà vécu, chez eux, l’oppression. Ce sont des Juifs, des Arméniens, des Espagnols, des Italiens, des Hongrois, des Polonais, etc. Et, surtout, ils sont tous politisés : Krasucki est responsable des Jeunesses communistes, Elek en est membre, son père a le Capital dans sa bibliothèque, et sa mère a connu Bela Kun [fondateur du PC hongrois, NDLR]. Ils ont tous été pourchassés, leurs parents ont été arrêtés et sont venus en France pour fuir des dictatures. Ils sont donc particulièrement conscients, plus que d’autres, de ce qui est en train d’arriver à la France. Et c’est cette conscience-là, aiguë, qui est pour moi l’un des grands enseignements de cette histoire. _Propos recueillis par Olivier Doubre 20 I POLITIS I 1 7 sept embr e 20 09 Humainement héroïques Guédiguian nous rappelle que ces hommes aux noms étrangers sont « morts pour la France », mais seulement celle de leurs idéaux. ls s’appelaient Manouchian, Rayman, Elek, Bangic, Patriciu, Alfonso et ils sont, comme dit le poème d’Aragon, « morts pour la France ». Le film de Robert Guédéguian commence comme ça, par la longue énumération de ces patronymes arméniens, juifs, polonais, hongrois, espagnols, roumains, ponctuée par ces quatre mots qui sonnent ici comme l’hommage ambigu du vice à la vertu. Car la France que ces jeunes gens ont rejointe – eux ou leurs parents –, celle pour laquelle ils vont mourir, n’est guère plus qu’un mythe au moment où se noue leur destin. En vain cherche-t-on, à cet instant de l’histoire, la France des Droits de l’homme, de la Révolution, la France orgueilleuse qui prétend dépasser son nationalisme dans l’universalité de ses principes, au point qu’elle peut, sans aspérités, se confondre avec les idéaux communistes et internationalistes. Elle n’existe plus que dans l’imaginaire de ces jeunes résistants « aux noms difficiles à prononcer ». La France réelle que nous montre Robert Guédiguian est aux antipodes : elle a les traits impavides et la coiffure gominée du commissaire David, personnage glacial qui reçoit sans honte les compliments de la Kommandantur, dont les tortionnaires SS « auraient des leçons à recevoir » de la police française. C’est la France de l’abject inspecteur Pujol (extraordinaire Jean-Pierre Darroussin !), dénonciateur zélé et pervers, capable de toutes les turpitudes pour s’attirer les faveurs d’une jeune Juive dont il exploite I grossièrement la naïveté. C’est la France de Joseph Darnand, fondateur de la Milice et membre honoraire de la SS. C’est celle de la rafle du Vel d’hiv, à laquelle un Obersturmfuhrer rend un hommage empoisonné. Ce chassé-croisé entre des Français qui ne sont plus la France et cette France mythique incarnée par des « étrangers » est évidemment une invitation à méditer sur la vanité des nationalismes. Bien sûr, les héros ne viennent pas de nulle part. Manouchian, l’Arménien, Rayman et Krasucki, les Juifs polonais, Ces hommes ont Alfonso, l’Espagnol, portent en commun de tous en eux les stigmates vouloir dépasser d’une histoire. Le génocide la tragédie des des Arméniens dans la Turorigines et des quie du début du XXe sièappartenances cle, l’antisémitisme en Europe de l’Est, la guerre dans une foi indestructible d’Espagne. Mais ils ont surtout en commun de vouloir en l’avenir. dépasser la tragédie des origines et des appartenances dans une foi indestructible en l’avenir. Discrètement, Guédiguian nous parle de notre époque. De la France de MM. Sarkozy, Besson et Hortefeux, qui ne fait guère rêver notre jeunesse et qui est le cauchemar des immigrés. Il nous dit surtout notre absence de projet. Trou béant dans notre imaginaire. Car c’est cette articulation entre l’indignation et l’espoir qui fait agir les héros de l’Affiche rouge. Mais qu’on ne se méprenne pas. Si le propos politique – au meilleur sens du terme – STEPHANIE BRAUNSCHWEIG soldats, qui sont commandés par des chefs. Et les chefs sont durs. C’est drôle de penser que, du côté des résistants, il n’y avait pas de hiérarchie. De Gaulle, Brossolette ou Frenay, de l’Armée secrète, n’étaient pas des rigolos, et l’armée de la Résistance, qu’elle soit communiste, gaulliste ou autre, était une véritable armée : ce sont tous des militaires avec des soldats qui vont au front et des généraux qui donnent des ordres. C’est comme cela ! Sur les traces d’une comète STEPHANIE BRAUNSCHWEIG Le roman d’Alain Blottière a pour narrateur un cinéaste qui réalise un film de fiction sur Thomas Elek, du groupe Manouchian. est omniprésent dans le film de Guédiguian, il est audible parce qu’il traverse des personnages authentiques. Guédiguian a su avec brio déjouer le piège que lui tendait son sujet : comment éviter le manichéisme quand la réalité est elle-même manichéenne, que les héros sont sans taches ? Et les salauds de vrais salauds ? Comment suggérer le sursaut de conscience de Pujol, vu de dos, par le seul mouvement des épaules qui se voûtent au sortir de la salle des tortures ? C’est que le film de Guédiguian est d’abord une tranche de vie. L’histoire de jeunes gens qui veulent vivre. Aucun d’entre eux ne veut se priver des plaisirs de son âge. Marcel Rayman ne renonce ni à son amour pour la jeune Monique, ni aux compétitions de natation, ni à emmener partout avec lui son jeune frère, au mépris des consignes. C’est la belle histoire de Missak Manouchian et de Mélinée. L’Armée du crime, c’est aussi cela : la chronique de leur jeunesse ordinaire, de leur rébellion spontanée, inorganisée, désorganisée. De leur difficile intégration au groupe des Francs-tireurs et partisans de la MOI (Maind’œuvre immigrée). Jamais ces jeunes gens ne sont des soldats de plomb. L’indiscipline est leur perpétuelle tentation. Leur rapport à la violence et à la mort – celle de leurs victimes – ne cesse d’être douloureux. Manouchian (superbe Simon Abkarian), le non-violent, vacille un instant devant les corps de soldats allemands mutilés par la grenade qu’il vient de lancer sur leur passage. Les héros, c’est toujours plus tard, quand l’histoire est dite. C’est aussi la chronique du vieux Paris, de ces petits artisans et commerçants du XIe arrondissement, juifs pour la plupart, de ces parents, qui savent et qui ravalent leur inquiétude quand les enfants rentrent au milieu de la nuit. Et, en toile de fond, le tableau d’une douce France, légère comme une chanson de Trenet, suave comme la voix de Jean Tranchant. Tout un peuple avec, au premier plan, ceux que Guédiguian veut montrer aux générations d’aujourd’hui, pour ce qu’ils ont été, et peut-être plus encore pour ce qu’ils ont espéré. Eux ne reviendront pas. Mais leurs rêves, peut-être. _Denis Sieffert ne coïncidence. Le roman d’Alain Blottière paraît au moment où sort le film de Robert Guédiguian sans que les deux hommes n’aient eu préalablement connaissance du projet de l’autre. Or, non seulement le Tombeau de Tommy porte sur Thomas Elek, mais il raconte l’histoire d’un cinéaste réalisant un film de fiction sur celui que l’Affiche rouge a ainsi désigné : « Juif hongrois 8 déraillements » ! Rapprocher les deux œuvres est évidemment tentant, où l’on constate, par exemple, que, les deux auteurs ayant puisé aux mêmes sources documentaires, certaines séquences du scénario livrées dans le roman (et donc tournées par le cinéaste fictif) se retrouvent, à peu de chose près, dans l’Armée du crime. Mais le Tombeau de Tommy doit être d’abord considéré comme une œuvre à part entière pour en mesurer l’ambition singulière. Sa complexité narrative est particulièrement frappante. Alain Blottière mêle trois temporalités par la voix du cinéaste, son narrateur. Celle du jeune Thomas Elek, au profil tranchant : orgueilleux, intrépide, intransigeant, éprouvant pour sa U Des étrangers dans la Résistance Les FTP-MOI, Francs-Tireurs et partisans-Maind’œuvre immigrée (du nom de la section du PCF encadrant les ouvriers étrangers), passent peu à peu à la lutte armée –comme le reste de la Résistance communiste– à partir de l’invasion de l’URSS par l’Allemagne nazie le 22juin 1941. Immigrés d’Europe de l’Est, souvent juifs, italiens ou espagnols antifascistes, ils sont parmi les résistants les plus actifs et les plus efficaces de la région parisienne. Ainsi, le groupe dirigé par le poète arménien Missak Manouchian accomplit, entre juin1942 et novembre1943, près de 230 actions contre l’occupant nazi et de nombreux collaborateurs. Son plus haut fait d’armes est l’exécution, mi-novembre 1943, du général SS Julius Ritter, l’un des principaux responsables du Service du travail obligatoire (STO). La plupart de ses membres sont arrêtés fin 1943 par les Renseignements généraux et affreusement torturés par ces policiers français, avant d’être livrés aux Allemands. Ceux-ci décident alors d’utiliser leur arrestation à des fins de propagande avec la fameuse «Affiche rouge», en voulant assimiler la Résistance aux étrangers et aux Juifs. Ils sont fusillés au Mont-Valérien le 21février 1944. _O. D. Thomas Elek, au profil tranchant : orgueilleux, intrépide, intransigeant MÉMORIAL DE LA SHOAH/CDJC mère, elle-même résistante, un amour exclusif ; celle du scénario en train d’être tourné ; et celle de son jeune interprète, Gabriel, un pari du cinéaste, car le garçon, rencontré dans la rue, n’avait jamais fait l’acteur. Ces trois fils agissent les uns sur les autres comme des jeux de miroir, le point de rencontre étant le cinéaste lui-même, à la recherche du délicat équilibre entre la réalité historique, les enjeux artistiques et les réactions de son comédien. Car il y a au cœur du livre une interrogation sur l’effet que peut avoir aujourd’hui la trajectoire fulgurante de Thomas Elek. Devant la caméra, Gabriel se révèle un Thomas Elek criant de vérité, mais il s’en imprègne si violemment qu’il est submergé par lui. Et c’est ici peut-être, au-delà des nombreux croisements entre le roman et le film (les deux cinéastes, le fictif et Robert Guédiguian, partagent ainsi un certain nombre de questions esthétiques), que les deux œuvres se séparent nettement. L’identification à un héros « parfait » est un enjeu qui concerne autant la littérature que le cinéma. Mais estelle possible ? À la différence de l’Armée du crime, qui joue sur la familiarité de ses personnages, qui deviennent ainsi des héros « accessibles », le Tombeau de Tommy montre comment un jeune homme d’aujourd’hui se consume en pénétrant dans l’intimité de la comète Thomas Elek. Ce qui rend bien sûr d’autant plus intense le roman d’Alain Blottière, tout en en renforçant sa dimension désespérée. _Christophe Kantcheff Le Tombeau de Tommy, Alain Blottière, Gallimard, 218 p., 16,50 euros. À écouter : Alain Blottière et Robert Guédiguian se rencontreront dans Projection privée, l’émission de Michel Ciment sur France Culture, le 26 septembre de 13 h 30 à 14 h 30. 17 sept embr e 2009 I POLITIS I 21 DOSSIER L’ARMÉE DU CRIME « Plus grand que soi » Le comédien Simon Abkarian, nourri dans son enfance des récits de la résistance arménienne, explique comment il a appréhendé le rôle de Manouchian, dont il fait admirablement résonner la parole. anouchian, Simon Abkarian le connaît depuis toujours. Il fait partie de ces hommes dont son père, préoccupé par le fait de la lutte armée, lui a beaucoup parlé, et qui a évidemment sa place au Panthéon des Arméniens. « Pour mon père, raconte l’acteur, dont le propre père était un survivant du génocide, ce qui faisait le lien entre ceux qui avaient choisi la résistance, qu’elle fût irlandaise, française, sud-américaine ou arménienne, c’était d’être digne de son titre d’homme, de pouvoir rendre des comptes à sa conscience, c’est-à-dire à la génération suivante, quitte à en mourir. » Simon Abkarian a été élevé avec ces exemples-là pour horizon. Alors, quand il a fallu incarner Missak Manouchian, ne s’est-il pas senti écrasé ? « Un tel personnage, il faut le désacraliser et l’amener dans son quotidien. Cela passe par le jeu, mais j’y suis allé avec délicatesse, sans préparation particulière, sinon en travaillant sur le scénario, avec Robert Guédiguian et mes partenaires, et en m’imprégnant des décors, qui nourrissent l’imaginaire. J’avais besoin d’être le plus léger possible. » S’il lui fallait ne pas être impressionné par la stature du personnage, Simon Abkarian a dû aussi STEPHANIE BRAUNSCHWEIG M écarter les effets de « proximité » avec certaines situations. Quand, par exemple, il s’est retrouvé entouré de figurants arméniens qu’il connaissait tous, habillés de leurs costumes des années 1940, et qu’il s’est mis à parler en arménien. « J’ai dû effacer les émotions qui m’ont traversé à ce momentlà, car elles n’étaient pas celles de Manouchian, mais celles d’Abkarian. Il faut éviter la confusion. Parce qu’essayer d’interpréter un personnage, surtout quelqu’un comme Manouchian, c’est plus grand que soi. Ce qui est important, c’est la transcendance dans le jeu. » Simon Abkarian ne dit pas qu’il a « interprété » Manouchian, mais qu’il a « essayé de l’interpréter ». Ce n’est pas une figure de style ou de la fausse modestie. Pour lui, tout geste artistique est tentative. « Rien ne doit être fini, fermé, sinon, c’est la mort qui guette. » Écouter parler Simon Abkarian de la manière dont il a appréhendé le personnage de Manouchian, c’est entrer avec lui dans les arcanes de son art. Ce rôle cristallise toutes les questions essentielles que cet acteur exigeant ne manque pas de se poser. Ainsi de la différence à incarner une personne ayant existé ou un personnage de pure fiction. 22 I POLITIS I 1 7 sept embr e 200 9 « Au bout du compte, c’est la même chose. Parce que l’idéal, ce serait de réussir à faire entièrement disparaître les origines, réelles ou non, de chaque personnage pour pouvoir être dans le présent du jeu, afin que ce que l’on donne soit vivant et charnel. » Plus encore, il se sent investi d’une semblable responsabilité face à Hamlet ou face à Manouchian. « Cela signifie que je suis porteur de l’humanité de quelqu’un dans tout son spectre. Dans le cas de Manouchian et de ses compagnons, il y a évidemment des enjeux d’ordre politique, philosophique, à propos de l’engagement, par exemple. » Parce qu’il a une très haute idée du métier d’acteur (mot qu’il préfère à celui de comédien, parce qu’il aime le mot « to act » qui signifie autant « agir » que « jouer »), il en vient à dire qu’à un moment donné ce qu’il appelle « les considérations d’acteur » ne suffisent plus. « C’est très facile de se laisser enfermer dans l’espèce de blockhaus de la technicité, de la fonctionnalité de l’acteur, plutôt que de s’ouvrir à son universalité, à son humanisme », explique-t-il. Lui qui a travaillé sur les planches avec Ariane Mnouchkine au Théâtre du soleil, qui est passé à la mise en scène, qui a écrit une pièce magnifique, Pénélope ô Pénélope (publiée aux éditions Actes Sud), sait l’importance du sens des mots à dire aux acteurs. « Mais la parole est de moins en moins pratiquée de manière vaste et profonde. Du coup, la pensée est courte et se réduit à la question du succès. Et on se retrouve en tant qu’acteur, si l’on est vieillissant, et plus encore si l’on est une femme, coincé entre la porte du succès et la porte de sortie. » Simon Abkarian n’ignore pas pour autant le poids des contraintes financières qui pèsent sur le cinéma. « Je souhaite que les films soient vus, bien sûr, mais pas à n’importe quel prix. Je veux pouvoir me reconnaître dans ce que je fais. » Mais garder le cap n’est pas toujours facile. Le nom de Robert Guédiguian, avec lequel il a aussi tourné le Voyage en Arménie, figure sur sa boussole, avec celui de quelques autres cinéastes (Sally Potter, Karim Dridi, Cédric Klapisch…) qui l’aident à se resituer. « Robert Guédiguian ouvre l’espace pour que soit dite l’histoire des hommes. Ce n’est pas quelqu’un qui encombre, ni l’acteur ni le spectateur. Il permet à chacun de se taire, libre de toute peur, et de faire en sorte que la parole qui est au service de celui qu’on essaie d’incarner puisse être délivrée. » Dans l’Armée du crime, celle de Manouchian résonne admirablement. _C. K. CULTURE THÉÂTRE La ville de pantins n croit à tort que la capitale française de la marionnette est Lyon, grâce à la pérennité de ce diable de Guignol qui défie – un peu mollement, avec l’âge et le conformisme ambiant – les gendarmes et les bons bourgeois. Cette capitale est, en réalité, Charleville-Mézières, petite ville des Ardennes qui vit naître un autre contempteur de la société bien-pensante, Arthur Rimbaud. À Charleville, tel Pinocchio, chaque marionnette ne dort jamais que d’un œil, pour rebondir en cas d’urgence spectaculaire. La cité abrite pas moins de deux établissements consacrés à l’enseignement de cet art et à la recherche, l’École nationale supérieure des arts de la marionnette (Esnam) et l’Institut national de la marionnette, tous deux dirigés par Lucile Bodson. Sans parler d’une Union internationale de la marionnette qui a quitté Prague, où elle était née, pour venir s’installer au bord de la Meuse. Le Festival mondial des théâtres de marionnettes, qui commence cette semaine, met, bien évidemment, le feu aux poudres. Pendant dix jours, les lieux de spectacle se multiplient. Certains se sont installés sous les arcades de la place Ducale. D’autres s’implantent en d’autres points de la ville. Cent trente-huit compagnies sont les invitées officielles, mais il y a plus de cent équipes qui viennent se montrer dans le off. D’après les organisateurs, c’est la plus grande manifestation du genre au monde. En tout cas, se faire connaître à Charleville est impératif pour bien des artistes. Et voir les spectacles est aussi urgent pour bien des spectateurs : du Japon et d’ailleurs arrivent à la comptabilité de grosses réservations. Au dernier moment, on refusera du monde. Ce festival est en train de changer. Il a longtemps porté la marque de son créateur, le passionné et infatigable Jacques Félix, mort l’an dernier. Son fils, Jean-Luc Félix, a pris la présidence de l’association, les Petits Comédiens de chiffons, qui gère la manifestation. Mais la direction est désormais entre les mains d’une nouvelle venue, Anne-Françoise Cabanis, connue dans le métier O 24 I POLITIS I 1 7 sept embr e 20 09 Le festival de Charleville-Mézières célèbre les marionnettes du monde entier. Un genre bien ancré dans les thèmes d’aujourd’hui. pour avoir mené des entreprises de moindre importance et à présent confrontée à cet événement de grande ampleur. DR Anne-Françoise Cabanis aimerait bien utiliser un autre terme que « marionnettes », peut-être un peu restrictif par rapport à l’évolution de ce style de théâtre. C’est pour cela que la mention « théâtre de marionnettes » tente d’ouvrir la porte dans l’intitulé du festival. « L’expression utilisée ne dépeint pas tout à fait la richesse de ce type dramatique, dit AnneFrançoise Cabanis. Il y a quelque chose de négatif et de lié à un mauvais imaginaire enfantin, quelquefois, dans ce mot de marionnette. Mais il sous-entend la notion de manipulation. Cela, c’est bien, car cela implique une idée de subversion inhérente. En France, le “théâtre d’objets” semble être devenu une spécificité, avec le succès de compagnies comme Turak, de Michel Laubu. Mais, le plus souvent, les équipes mêlent les moyens d’expression. Le véritable renouveau, partout dans le monde, c’est l’espace, la conquête de l’espace. Certains conservent le castelet, d’autres le font éclater. C’est-à-dire que, parallèlement à un renouveau esthétique énorme et à des langages variés comme le fil, la gaine, le manipulateur visible, etc., toutes les échelles sont possibles. Surtout, à la différence d’un certain théâtre, nous sommes toujours clairs, jamais L’équipe élitistes. » québécoise du Sous-Marin jaune Pour rendre visible ce renouveau, présente les Anne-Françoise « Essais » Cabanis a freiné de Montaigne. la politique de mosaïque en usage avant elle. Plutôt que de prendre une équipe dans cent pays, elle a préféré des gros plans sur un nombre limité de nations. La France reste très représentée car l’école de Charleville a formé tellement d’artistes que le genre connaît une véritable expansion dans l’Hexagone. On verra des compagnies très repérées : Massimo Schuster, Luc Amoros, Beau Geste de Dominique Boivin, Jean-Pierre Lescot, Turak, le théâtre du Mouvement, Roland Shön… Plus un hommage à un grand disparu, Jacques Chesnais, mort en 1971. Pour l’étranger, le coup de projecteur est mis sur six pays. D’abord, la Corée : « Le genre se renouvelle làbas sous l’influence de qui se fait ici, dit Anne-Françoise Cabanis. On reste dans la métaphore de la tradition, mais les artistes intègrent des objets et des histoires d’aujourd’hui. » Puis le Québec : « Làbas, ils travaillent en dehors des traditions et des a priori. Je vous assure que l’équipe du Sous-Marin jaune, qui vient présenter une vision très vidéo et technologique des Essais de Montaigne, est aussi talentueuse que Robert Lepage. » Ensuite, le Chili : « On aimera ce que fait Jaime Lorca, qui était l’un des grands artistes de LITTÉRATURE la fameuse Troppa, mais aussi ces petites boîtes que les artistes ouvrent et animent au coin des rues. » Place aussi aux Belges : « La Belgique est un des grands pays de la marionnette, côté wallon comme côté flamand. Mossoux-Bonté vient avec une petite forme étonnante. » Et place aussi aux Italiens, surtout aux représentants du Piémont : « Dix compagnies vont faire connaître le Guignol du Piémont, Gianduja, qui est au moins aussi facétieux et insolent que le mythe lyonnais. » Bien entendu, les surprises peuvent venir d’autres pays. La directrice du festival place ainsi très haut le ‘t Magisch Theatertje des Pays-Bas, qui, avec Cantos animata, prolonge le style lyrique du Figurentheater, et le Thalias Kompagnons d’Allemagne, qui joue à un rythme fou la Flûte enchantée et double la vision du spectateur par les angles imprévus d’un filmage vidéo. Mais peuton tout signaler ? Il faut quand même saluer la venue de la troupe iranienne Yase Tamam, composée de trois marionnettistes femmes. Pour l’avenir, Anne-Françoise Cabanis a de nouveaux objectifs, si les nombreuses tutelles qui l’aident continuent leur appui financier. Le festival avait lieu tous les trois ans, il pourrait se transformer en biennale. Cela obligera l’équipe organisatrice à se battre encore davantage pour les visas des invités « Cela devient de plus en plus difficile de faire venir en France des artistes, déplore la directrice du festival. Les contraintes sont de plus en plus grandes, et les services officiels ne prennent pas en compte le statut d’artiste. On nous demande des choses hallucinantes ! » Par ailleurs, les collaborations pourraient se développer en Europe par le canal des régions : « Nous avons œuvré avec le Piémont cette année. Nous continuerons ainsi, de région à région, à travers l’Europe. » Mais la marionnette ne reste-t-elle pas sur ses nuages, indifférente au monde où nous vivons ? « Ce n’est pas vrai, réplique Anne-Françoise Cabanis. Les grandes questions sont là : l’immigration, le racisme, le chômage, la crise, la famille décomposée, les enfants esseulés. Ce théâtre se politise, même si ce n’est pas assez à mon goût. » _Gilles Costaz Festival mondial des théâtres de marionnettes, Charleville-Mézières, 03 24 59 94 94, du 18 au 27 septembre. Comme dans un rêve a Vérité sur Marie est le troisième « tome » d’un cycle romanesque que Jean-Philippe Toussaint a entamé avec Faire l’amour et poursuivi avec Fuir (1). Mais, pour ceux qui ne connaîtraient pas l’univers de l’écrivain, précisons qu’il ne peut s’agir d’une suite feuilletonesque, ni même d’une suite tout court. Un exemple : Faire l’amour s’ouvre sur l’indication d’une saison, « Hiver », Fuir sur « Été » – mais son action se déroule avant celle de Faire l’amour –, et, histoire de brouiller les pistes, la Vérité sur Marie sur « Printemps-Été ». Inutile de dire, par conséquent, que la Vérité sur Marie peut se lire indépendamment des deux autres, même si ce serait se priver des jeux de correspondances entre les trois romans, qui tournent autour de la séparation difficile de Marie et du narrateur, séparation dont celui-ci donne la raison dans Faire l’amour : « Il y avait ceci, dans notre amour, que même si nous continuions à nous faire plus de bien que de mal, le peu de mal que nous nous faisions nous était devenu insupportable. » Mais moins encore que les deux précédents ce roman-ci ne s’attarde sur l’évolution des relations du couple désuni. Marie et le narrateur sont d’ailleurs peu souvent en présence l’un de l’autre, sauf à la fin du roman, sur l’île d’Elbe. On a surtout l’impression qu’à partir de ce fil narratif, assez relâché et on ne peut plus classique, Jean-Philippe Toussaint travaille des motifs, et que dans ces motifs il cherche à puiser ce qu’il appelle « l’énergie romanesque », qu’il définit ainsi : « Ce quelque chose d’invisible, de brûlant et quasiment électrique, qui surgit parfois des lignes immobiles d’un livre. Cette énergie romanesque qu’on trouve par exemple au plus haut point chez Faulkner, cette électricité qui fait légèrement écarquiller la pupille au gré de la lecture, indépendamment de l’anecdote et de l’intrigue ». Dans la Vérité sur Marie, Jean-Philippe Toussaint atteint souvent son but. Par exemple, au long des pages extrêmement saisissantes où il met en scène un cheval de compétition échappant à ses maîtres alors qu’on s’apprête à l’installer dans les soutes d’un avion, à l’aéroport de Tokyo. Le cheval appartient à l’homme qui est alors l’amant de Marie, que le narrateur nomme Jean-Christophe de L Avec « la Vérité sur Marie », Jean-Philippe Toussaint propose un récit hypnotique doté d’une formidable énergie romanesque. une pluie de déluge, voulant rejoindre au plus vite l’appartement de Marie, ou, avec celle-ci, au volant d’une voiture, quand ils foncent sur les chemins de l’île d’Elbe envahis par le feu. Les rideaux de pluie répondent à la densité du brouillard de fumée, la déformation du paysage urbain impressionne autant que l’hostilité soudaine des éléments naturels. Il y a là quelque chose du prodige. Il n’est pas anodin que le narrateur G., tous deux s’étant rencontrés au évoque fréquemment les pouvoirs Japon. Mais là n’est pas l’essentiel. de l’imagination ou les possibilités L’essentiel, c’est l’intensité que Jean- du rêve, et leur capacité à toucher Philippe Toussaint parvient à insuf- « la quintessence du réel, sa moelle fler aux images d’un pur-sang fou- sensible, vivante et sensuelle, une gueux et apeuré qui s’évanouit dans vérité proche de l’invention, ou la nuit noire et la pluie battante, sur jumelle du mensonge, la vérité le tarmac de l’aéroport de Tokyo. idéale ». La Vérité sur Marie est un Images enténébrées et quasi fantas- roman hypnotique, qui allie poésie tiques d’une force de la nature livrée contemplative et extase onirique. Un à elle-même, à la fois musculeuse et genre de drogue douce, dont on ne gracile, qui font penser aux chevaux se refusera pas l’addiction. enfiévrés que Géricault a peints et _Christophe Kantcheff sculptés. Ces instants volés de liberté sont comme la fugace résurgence de La Vérité sur Marie, Jean-Philippe Toussaint, Minuit, puissances archaïques dans un uni- 205 p., 14, 50 euros. vers ultra-sophistiqué, l’animal étant (1) Les deux romans sont simultanément réédités la collection de poche des éditions de Minuit, sorti par surprise de la modernité de dans « Double ». Faire l’amour y est accompagné d’une l’aéroport avant de devoir la réinté- postface de Laurent Demoulin (159 p., 6 euros), et grer. Le moment où Jean-Christophe Fuir d’un entretien entre Jean-Philippe Toussaint et de G. réussit à capturer son éditeur chinois, Chen Tong (185 p., 6,80 euros). son cheval, sans autres recours que ses mains Jean-Philippe Toussaint fait vibrer la langue. SANTANDREA ouvertes et la douceur de sa voix, est tout aussi éblouissant. On échangerait cette « énergie romanesque »là contre (presque) toute la rentrée littéraire, celle du moins qui tourne de média en média comme autant d’exhibitions foraines, ces Beigbeder, Nothomb et consorts, ou ces pensums qui nous racontent, sans écriture mais en 700 pages (!), les années 1960. Jean-Philippe Toussaint est, lui, un artiste qui fait vibrer la langue, avec un rien de flegme narquois et un sens aigu du rythme, des couleurs et des résonances. De la même manière, l’auteur fait le récit d’une course éperdue sans visibilité, que ce soit, au début du roman, quand le narrateur traverse Paris sous 17 sept embre 2 009 I POLITIS I 25 CULTURE BANDE DESSINÉE HOMMAGE L’homme qui fixait le hasard Le monstre à cent mains Représentant de la photo humaniste, Willy Ronis a tiré le rideau. n dit qu’un photographe serait un peintre à qui il manquerait les pinceaux. La formule pourrait s’appliquer à Willy Ronis, décédé ce vendredi 11 septembre, dont l’œuvre, en noir et blanc, est celle d’un paysagiste et d’un portraitiste. Né en 1910 à Paris d’un père venu d’Odessa, en Ukraine, et d’une mère lituanienne, Willy Ronis a vécu ses premières rencontres artistiques au Louvre, devant les peintres Flamands du XVIIe siècle. Sans doute parce que c’était la vie quotidienne, des bistrots, des scènes de rue et d’intérieur. Chez Bruegel, il saisit l’organisation des personnages dans l’espace, et la lumière chez Rembrandt. Voilà pour les influences, auxquelles s’ajoute la rigueur du contrepoint de Bach. Ronis a d’abord suivi les traces de son père, proprio d’un studio de photographie. À la mort de celui-ci, en 1936, il revend la boutique, devient reporter. Il tire des portraits à domicile, croque des paysages pour les administrations, avant de travailler pour Life, des journaux de mode, Regards, magazine du parti communiste, dont il est proche, et l’agence Rapho. Avec Doisneau, Boubat, Izis et Sabine Weiss, il sera l’un des plus importants représentants de la photo humaniste. Son credo : fixer le hasard. Ce sont des parties de cartes, des amoureux, un déjeuner de famille, une pétanque, des manifestations, des grèves, la condition ouvrière et surtout des images de Belleville et de Ménilmontant, gavés d’habitants, de ruelles, de devantures… Toute une poésie vivante (comme en témoignait son exposition, cet été, à Arles), qui vaut bien plus que les clichés réducteurs calés dans la nostalgie. O Cette créature symbolisant l’art abstrait a des dizaines de géniteurs. n connaît la naissance de Vénus. Voici celle de l’art abstrait vue par Aktion Mix Comix Commando : une créature reptilienne, entre grenouille et Godzilla, bien calée sur une moto, prête à tout démolir. Cette créature est d’autant plus monstrueuse que ses membres, faits de papier et de plastique, ont été gravés, coupés, collés, et qu’elle n’a pas un géniteur mais des dizaines. Car la bande dessinée Plan Nine contre l’art abstrait (1) est une œuvre collective, réalisée cet été à Fillols, village des Pyrénées. Pendant une semaine, enfants et adultes, néophytes ou professionnels du dessin – Willem, Menu, Fortemps et consorts – ont empoigné des gouges, ont gravé du lino. Non sans se blesser… Et pour convoquer plus encore sang et inspiration, deux films d’horreur passaient en boucle, la Créature du lagon noir et Plan Nine from Outer Space. À la tête du Commando, on trouve Thierry Van Hasselt, cofondateur et artiste des éditions Fremok, ainsi que Richard Bawin, linograveur fou – plus d’un mètre carré par jour –, chanteur des Won Kinny White et par ailleurs trisomique. C’est de leur rencontre qu’est né Aktion Mix Comix Commando. Leur premier travail en commun, Cœur de Lyon, donne le la. Inspiré des films cultes de Richard, grand amateur de Jean-Claude Van O 26 I POLITIS I 1 7 sept embr e 20 09 AKTION MIX COMIX COMMANDO Thierry Van Hasselt lance Aktion Mix Comix Commando, un atelier de bande dessinée collective. Une expérience foisonnante et exigeante. Damme, Cœur de Lyon travaille la matière : linogravures découpées, collées sur de grandes plaques en plastique, tachées de white-spirit. « Travailler avec des éléments graphiquement divers, mixer des images pour créer un récit mouvant, explique Thierry Van Hasselt, voilà une idée qui m’emballait par son côté ludique et par l’ouverture immense qu’elle permettait. » Le procédé s’est peu à peu établi : choisir des films de genre, graver, remixer les images pour créer des cases, avoir une vue d’ensemble pour construire le fil, aiguiller les dessinateurs vers des éléments manquants, trouver un texte comme un écho décalé. Depuis, le Commando s’est essayé à plusieurs reprises avant d’aboutir pleinement avec Plan Nine contre l’art abstrait. Le résultat impressionne. Une tension se développe au long du récit entre images – une invasion extraterrestre menaçante – et texte – des extraits de Contre l’art abstrait, écrit dans les années 1950 par Robert Rey. Un vaisseau se pose ; non loin, des plantes carnivores s’agitent ; descend du vaisseau un humanoïde aux yeux d’insecte. Horreur, « ils » sont parmi nous. « Ils » ? Les artistes de l’abstraction… « Complètement désuet, juge Thierry Van Hasselt, ce texte établit un parallèle intéressant avec l’atelier, où les notions d’auteur et de récit sont remises en question. » D’autres aventures attendent le Commando et ses graveurs de passage. La première se déroule sur la toile. Pour qu’Aktion Comix Mix Commando reste un projet expérimental, léger à mettre en place, Thierry a choisi de recourir aux imprimeurs en ligne. Ainsi, pas de frais de réimpression mais une réponse à chaque commande. La seconde se déroulera dans le off officieux de l’exposition Sexties, au Palais des beaux-arts bruxellois. Les poitrines généreuses de Russ Meyer y côtoieront une analyse, d’époque et d’Alex Comfort, l’Origine des obsessions sexuelles. _Marion Dumand (1) À lire gratuitement et à acheter sur http://aktionmixcomixcommando.wordpress.com/ (2) http://www.myspace.com/wonkinnywhite _Jean-Claude Renard Aux rencontres photographiques d’Arles en 2008. JULIEN/AFP MÉDIAS À VOS POSTES Une ville à jeux et à sang e décor d’abord : une ville de deux millions d’habitants, fondée par les mormons, au mitan du XIXe siècle. Las Vegas, surnommée Sin City, la ville du péché. Plein désert alentour. À l’intérieur, pléthore de néons, de casinos (dont le chiffre d’affaires annuel atteint 40 milliards de dollars). Boîtes de nuit, restaurants de luxe. Paillettes et artifices. Chaque année, plusieurs dizaines de millions de touristes s’y pressent. Vegas est la première ville hôtelière au monde, avec 120 000 chambres. Et l’envers du décor : 70 000 crimes par an. Las Vegas condense le plus fort taux de criminalité aux États-Unis, de condamnés à mort. Un théâtre sulfureux qui mêle les putes de luxe, les gangs, le fric facile, la dépression, la drogue, l’alcool et les armes. Bref. Il s’y passe toujours quelque chose. Le bien comme le pire. Le pire arrive toujours. Et même plus souvent. Déjà auteur du remarquable Pain, pétrole et corruption, réalisateur des « Guignols de l’info » entre 1998 et 2006, soutenu par ses producteurs Denis Poncet et Jean-Xavier de Lestrade (Un coupable idéal) et l’unité documentaire d’Arte pour ce travail à long terme (trois années), Rémy Burkel a trimbalé sa caméra dans cette cosmogonie à la fois fascinante et repoussante. Objet : suivre cinq inculpations : une femme accusée d’homicide volontaire sur sa fille ; un frère et une sœur accusés du meurtre d’une gamine, risquant la peine de mort, tout comme un membre de gang, d’origine mexicaine, qui se proclame innocent ; un vieillard esseulé, gagné L Dans le décor stupéfiant de Las Vegas, Rémy Burkel a suivi cinq affaires criminelles, donnant à voir la machine judiciaire implacable de Sin City. par la folie et l’alcool, ayant buté son voisin ; et un jeune homme d’affaires accusé du meurtre d’un membre d’un gang asiatique. Soit cinq trajectoires accompagnées par des avocats, commis d’office pour la plupart, pugnaces, des juges arbitrant les débats, des jurés et des procureurs promoteurs de la tolérance zéro. Plutôt proche des avocats, le réalisateur rend compte des affaires de la préparation de la défense au procès, en passant par les enquêtes du Ministère public. En somme, une incursion dans le système judiciaire de Las Vegas (ultra-répressif, partisan de la peine de mort), tournée au rythme d’une fiction, chargée d’émotions, dynamique sans être endiablée, parfois caméra à l’épaule, au diapason d’une ville mouvementée, et dont Rémy Burkel rapporte (et dénonce) le message clairement destiné aux touristes : « N’ayez crainte, vous êtes en sécurité chez nous car on est très durs avec les criminels. » _Jean-Claude Renard Justice à Vegas, vendredi 25 septembre, 22 h 15 (épisodes 1 et 2), Arte. Épisodes suivants tous les vendredis jusqu’au 23 octobre. Coffret DVD chez Arte éditions, en vente le 7 octobre. Gagné par la folie et l’alcool, cet homme a tué son voisin. DR Bakchich en kiosque La meilleure défense, c’est l’attaque. Air connu. Crise oblige, les recettes publicitaires du journal en ligne Bakchich ont fondu. Pour sauver le site du dépôt de bilan, son directeur, Nicolas Beau, lance en kiosque un hebdomadaire papier à compter de ce mercredi 23septembre, au prix de 1,80euro. Vingt pages partagées entre l’information politique, économique, sportive, médias et culturelle. S’y ajoutent un horoscope des hommes politiques, une rubrique consommation et un reportage en bande dessinée. La direction espère 50000 exemplaires vendus dès le lancement. En ping-pong avec son site, l’hebdo compte rester fidèle au ton satirique de sa «maison mère», conserver « son mauvais esprit» et, tant qu’à faire, « démonter l’hypocrisie qui gouverne le système médiatique». Hasard du calendrier, cette première édition survient en même temps que le procès qui oppose le canard à Philippe Val, lequel avait accusé Bakchich d’être digne du journal collaborateur Je suis partout. Gageons que le patron de France Inter sera relaxé au motif du droit à l’humour… TÉLÉVISION Le 19 h 45 TOUS LES JOURS, M 6 La pub affichée dans les rues ne lésine pas: « Il était temps de faire évoluer le JT.» On y voit l’évolution de l’homme, se redressant au fil des esquisses, de CroMagnon à… Claire Barsacq. En veste courte et jean, c’est elle qui présente donc le premier JT de M 6, depuis lundi 7septembre. À 19h45. En guise d’ouverture de ce premier opus, les classes fermées pour cause de grippeA. Rien de plus attendu. Plus surprenant après, en termes de hiérarchie de l’info: un fait divers, en long et large, consacré au procès d’un couple accusé d’infanticide. Après quoi, une rupture de rythme avec deux brèves du même tonneau: une rixe dans le Vaucluse, l’attaque d’un fourgon à Aubagne. Vient le mot du jour: « Paquebot». C’est-à-dire le siège du Front national, à vendre. Reportage à la clé, « une visite exclusive», selon Claire Barsacq, avec ce commentaire: « JeanMarie LePen contraint de jouer le rôle d’agent immobilier, preuve que la situation est critique au FN.» À vrai dire, Le Pen n’est agent immobilier que parce que le journaliste lui a demandé une visite guidée du «paquebot». Et l’info date d’il y a dix-huit mois. Petite brève rassurante après: la bonne santé de Nicolas Sarkozy, « qui a peut-être permis au président français d’être persuasif pour vendre le Rafale au Brésil». Trois autres brèves en quelques secondes: une journaliste soudanaise incarcérée pour avoir porté un pantalon; panique à Hong-Kong à cause d’un agresseur usant d’acide; inondations meurtrières en Afrique de l’Ouest. Après ce mélange subtil de reportages et de brèves, la polémique en Allemagne à propos d’une campagne contre le sida, « la pub dont on parle dans toute l’Europe», avec Hitler en personnage principal. Sport: Tsonga et Monfils en huitièmes de finale de l’US Open. Puis une page «culture», à l’occasion du dernier album de Matthieu Chedid. Tombe déjà la météo: « Demain, les cartes seront un peu comme vous, Claire, rayonnantes», avance Alex Goude. Épilogue avec une interview de Domenech, diffusée déjà une heure avant au JT de Canal+. « Voilà ce qu’il fallait retenir de l’actualité de ce lundi 7septembre», ponctue Claire Barsacq. En effet, il était temps «de faire évoluer le JT». SAMEDI 19 SEPTEMBRE Teum-Teum France 5, 14 h Premier numéro d’un nouveau magazine orchestré par Juan Massenya, qui se veut un espace de rencontres. Celles des banlieues, de Paris et d’ailleurs. En invité inaugural, Stéphane Guillon, pour une virée dans la cité des 4000. DIMANCHE 20 SEPTEMBRE Arch of Triumph France 3, 0 h 10 Une histoire d’amour sur fond de Seconde Guerre mondiale, signée Lewis Milestone (1948), sur un scénario de Remarque, avec Ingrid Bergman et Charles Laughton. LUNDI 21 SEPTEMBRE Un jour pour la paix Canal +, 20 h 50 Programmation spéciale à l’occasion de la Journée mondiale de la paix, avec la diffusion de Valse avec Bachir, d’Ari Folman, et un portrait de Jeremy Gilley, instigateur de ce Peace One Day. MARDI 22 SEPTEMBRE Planète verte ? Arte, 20 h 45 Une réflexion à travers deux documentaires. Le premier (Quand Obama se met au vert, de Stéphanie Kaim) donne les ambitions du Green New Deal du nouveau président américain. Le second, de Barbara Necek et Anna Kwak, brosse un état des lieux du nucléaire. Prévu au débat qui suit les docus, Claude Allègre s’est finalement désisté… 17 sept embr e 2 00 9 I POLITIS I 27 DÉBATS & IDÉES Retour en Algérie Trois ouvrages récents explorent des points encore peu connus de l’histoire de la guerre d’Algérie et des premières années de l’Indépendance. Algérie, les années pieds-rouges. Des rêves de l’Indépendance au désenchantement (1962-1969), Catherine Simon, La Découverte, 288 p., 22 euros. Le Mystère De Gaulle, Benjamin Stora, Robert Laffont, 268 p., 20 euros. Scènes de la guerre d’Algérie en France. Automne 1961, Jean-Luc Einaudi, Le Cherche midi, 416 p., 19 euros. 28 I POLITIS C’est sans doute le signe d’un passé qui a du mal « à passer ». L’histoire de l’accession à l’indépendance de l’Algérie continue de susciter de nombreux travaux d’historiens et de journalistes français. Trois d’entre eux, en cette rentrée, reviennent sur des épisodes troublés et souvent peu documentés de la douloureuse naissance puis des premières années du nouvel État. Comme le note d’emblée la journaliste Catherine Simon, (dernière) correspondante du Monde à Alger jusqu’en 1991, si « des milliers d’articles, des centaines de livres ont été écrits sur cette guerre », la plupart s’arrêtent « au seuil, au moment de l’Indépendance, sous le ciel fiévreux de l’été 1962 ». L’auteure a choisi justement de s’intéresser à la construction de la République algérienne, en se concentrant sur un phénomène dont le rôle, prévient-elle, aura certes été « mineur », mais qui éclaire néanmoins de façon originale la « formidable incompréhension des dures réalités de l’Algérie post-Indépendance dans la société française ». Il s’agit de la génération des « pieds-rouges », ces jeunes Européens anticolonialistes, très souvent français, venus à partir de 1962 aider la jeune République qui, dans l’enthousiasme de l’indépendance à peine conquise, constitue alors « l’un des pays symboles, avec le Vietnam, du tiers monde triomphant ». Ce sont les années de rêve d’une société nouvelle où, comme le dit l’un d’entre eux, « Alger, c’était un peu La Havane ! » Ils sont ouvriers spécialisés, enseignants, ingénieurs, médecins, la plupart diplômés. Certains sont des militants aguerris, d’autres moins engagés. Tous sont en tout cas prêts à « changer de vie pour “changer le monde” ». Précisant d’emblée qu’elle a entrepris un « périple » entre 1962 et 1969 avec la « méthode du journalisme », Catherine Simon a retrouvé plus d’une centaine d’acteurs de cette « aventure humaine » et collective. Certains ont commencé à aider le FLN avant l’Indépendance, notamment I 1 7 sept embr e 20 09 Scène de liesse à Alger après la déclaration d’indépendance du 1er juillet 1962. AFP dans les réseaux Jeanson ou Curiel de porteurs de valises, en tant que déserteurs de l’Armée française ou anciens « rappelés » sous les drapeaux, écœurés par la « sale guerre » dans laquelle ils ont été contraints de combattre. D’autres rejoignent l’Algérie au lendemain de l’indépendance et découvrent alors un pays tout entier « en liesse ». Les « piedsrouges » qui arrivent – alors qu’en sens inverse les derniers pieds-noirs s’entassent sur des bateaux en partance pour Sète ou Marseille – sont au départ bien accueillis, même s’ils sont souvent très encadrés par les structures du FLN en train de s’installer à tous les postes de pouvoir. Certains, comme le célèbre militant trotskiste franco-grec Michel Raptis, dit Pablo (dirigeant de la tendance « pabliste » du trotskisme français), ou le futur PDG de TF 1, Hervé Bourges, sont même conseillers du président Ben Bella pendant les premières années de l’Indépendance. D’autres, comme l’anthropologue Jeanne Favret-Saada ou l’historien Gilbert Meynier, deviennent enseignants dans les universités ou les lycées, désertés par la plupart de leurs professeurs quelques mois plus tôt. Militants internationalistes, tiersmondistes ou chrétiens de gauche, nombre d’entre eux sont trotskistes, d’autres adhèrent au Parti communiste algérien (PCA) dès leur arrivée, comme le journaliste Arnaud Spire, futur rédacteur en chef de l’Humanité, qui travaille deux années au quotidien Alger républicain, que dirigeait, avant son arrestation par les parachutistes français en 1956, Henri Alleg, l’auteur du manifeste contre la torture pendant la guerre d’Indépendance, la Question. Enthousiastes, ils se mettent au travail, et découvrent le pays et ses habitants, marqués par huit années d’une terrible guerre. Mais bientôt la « révolution algérienne » s’interrompt, le FLN se transformant en un parti-État avec les travers que l’on sait. Peu après, le coup d’État militaire dirigé par Houari Boumédienne en 1965 met fin pour beaucoup d’entre eux à l’expérience de façon amère, voire tragique. L’armée algérienne pourchasse alors toutes les dissidences et emploie des méthodes que ces militants avaient dénoncées et combattues du temps de la guerre du côté français : accusé d’être trotskiste, Arnaud Spire subit comme d’autres – et nombre d’Algériens – ce que l’auteure, dans un chapitre terrible, appelle la « gégène algérienne »… Au final, ce livre propose un récit quasi inédit de ces « années piedsrouges » dont les acteurs conservent encore aujourd’hui l’« empreinte ». En retraçant leurs parcours multiples et parfois douloureux, Catherine Simon montre les enjeux complexes d’une expérience restée jusqu’ici plus ou moins « sans bilan » et, précise-t-elle avec modestie, dont « l’histoire politique reste à faire ». Elle concourt avec brio à son esquisse. De son côté, l’historien Benjamin Stora se penche sur « le mystère De Gaulle ». Quand et pourquoi le Général a-t-il finalement décidé de provoquer le référendum d’autodétermination, synonyme d’indépendance ? Lui, l’homme de la « grandeur nationale », rappelé au pouvoir en 1958 par les partisans de l’Algérie française. Avait-il résolu dès son retour d’en finir coûte que coûte avec un conflit ruineux pour l’économie et paralysant pour un homme qui rêvait de faire entrer son pays dans la modernité industrielle et technologique ? Ou bien a-til changé sa vision à l’épreuve d’une guerre d’indépendance que la France ne pouvait pas gagner, malgré son évidente supériorité militaire ? Benjamin Stora suit pas à pas sa tournée en Algérie, début juin 1958. Il note son refus de reprendre à son compte le slogan « Algérie française », que lui soufflent pourtant Raoul Salan ou Jacques Soustelle. Sauf lors de son étape de Mostaganem où, mystère dans le mystère, il se laisse semble-t-il emporter par une atmosphère surchauffée. Mais surtout pas à Alger où, depuis le balcon du gouvernorat, il cultive l’ambiguïté et le quiproquo avec son fameux « je vous ai compris ». Stora retrace heure par heure les journées qui ont précédé celle, décisive, du 16 septembre 1959, au soir de laquelle le Général abattra ses cartes dans la partie complexe qu’il livre à sa propre base politique. De Gaulle consulte, mais il ne laisse rien paraître. Son plus proche entourage en est réduit aux spéculations jusqu’au dénouement de son allocution télévisée. Au-delà de l’épilogue historique que l’on connaît du soulèvement des ultras – la semaine des barricades de janvier 1960 ou la tentative de putsch du « quarteron de généraux en retraite » en avril 1961 –, il est fascinant de voir mûrir une décision que De Gaulle prend finalement dans une très grande solitude. Une solitude que l’on retrouve à chaque tournant de cette histoire, notamment quand il s’agit de convaincre l’armée, et surtout son état-major chancelant, d’opter pour la légalité républicaine. Au total, Stora ne perce pas vraiment le « mystère », précisément parce que la décision historique se prépare dans le silence du bureau présidentiel. Mais il donne tout de même beaucoup d’indices qui laissent supposer que De Gaulle a très vite compris qu’il fallait concéder l’indépendance, et tourner la page de la colonisation. Plus encore que la question algérienne, c’est la fonction présidentielle qui est ici scrutée. Ce qu’on a appelé, à juste titre, le pouvoir personnel conçu par la Ve République. Les hommes ont changé, les styles aussi, mais nous y sommes encore. Au moins, avec De Gaulle, le personnage était-il en adéquation avec l’orgueilleuse fonction. Un autre ouvrage, paru début septembre, mérite notre considération. Il est l’œuvre de Jean-Luc Einaudi, dont on sait le rôle dans la mise au jour et la dénonciation du massacre d’octobre 1961, quand la police de Papon a précipité des dizaines de manifestants algériens dans la Seine. Einaudi cite une liste de 389 « NordAfricains », selon l’appellation de l’époque, « morts ou disparus durant l’automne 1961 » à Paris et dans la proche banlieue. Il nous propose cette fois le troisième volet d’un triptyque sur ces journées tragiques, après la Bataille de Paris (1991) et Octobre 1961, un massacre à Paris (2001). Il s’agit d’une série de témoignages, pour la plupart d’Algériens, qui permettent de tisser la trame serrée des événements. Comparaison n’est jamais raison, mais il se dégage au fil de la lecture de ces « scènes de la guerre d’Algérie en France » une atmosphère qui rappelle celle de l’Occupation. Nombreux sont les survivants qui témoignent d’une France coupée en deux entre les délateurs encourageant lâchement la police parisienne dans sa sale besogne, et les « résistants ». Ainsi ces trois femmes aperçues par le futur cinéaste Mohammed Bouamari, tentant d’arracher physiquement une Algérienne aux CRS. Bouamari lui-même raconte comment il a trouvé refuge chez un militant de l’Unef, le syndicat étudiant, dont on se rappelle l’engagement contre le colonialisme français en Algérie. « C’est ce qui a fait de moi un humaniste », conclut-il. Mais il y a surtout le pire : le témoignage de ce jeune homme de 21 ans qui décrit la férocité de la charge des CRS et ces corps jetés dans la Seine depuis le pont SaintMichel. Mais les documents réunis par Einaudi n’accablent pas seulement la police française. Ils témoignent aussi des terribles règlements de comptes entre militants du FLN et du Mouvement national algérien de Messali Hadj. Un document pour cette histoire longtemps cachée sous les plis de la mauvaise conscience nationale. _Olivier Doubre et Denis Sieffert 17 sept embr e 2 00 9 I POLITIS I 29 DÉBATS & IDÉES TRIBUNE DR 577 députés et 367 burqas… SYLVIE TISSOT Maîtresse de conférences en sciences sociales à l’université Marc-Bloch de Strasbourg. En juin 2009, le député André Gérin a proposé la création d’une commission parlementaire sur le port de la burqa et s’est dit favorable à une loi l’interdisant : nous protestons vigoureusement contre la campagne qui a été menée à cette occasion et rejetons avec force une telle proposition. Croyantes ou non-croyantes, musulmanes ou non-musulmanes, voilées ou non, nous sommes féministes et combattons depuis 2004 tous les dénis de droit et discriminations subis par les femmes voilées. Nous luttons contre l’instrumentalisation de notre cause – l’égalité entre les hommes et les femmes – à des fins politiciennes et parfois racistes. L’affaire de la burqa franchit une étape dans cette dérive : assez ! En août, un rapport des Renseignements généraux a établi à 367 le nombre de femmes portant la burqa. Sans revenir sur le ridicule de l’opération (le ministère de l’Intérieur aurait donc dépêché des policiers dans toutes les chaumières ?), on peut dire que ce chiffre a au moins le mérite de remettre les choses à leur place. Les traditions sexistes existent partout, y compris au Parlement, où les travées sont à 80 % masculines. ROBINE/AFP 30 I POLITIS I 1 7 sept embr e 2 009 Le Collectif des féministes pour l’égalité, animé notamment par Sylvie Tissot, revient ici sur l’affaire de la burqa. Loin d’être la tête avancée d’une déferlante islamique en France, les femmes privilégiant cette tenue traditionnelle sont une infime minorité. 377 femmes portant la burqa : et combien de plans de licenciements depuis le printemps ? Combien de Français qui ne sont pas partis en vacances cet été ? De même qu’à l’automne 2003 l’affaire du voile a été orchestrée pour déminer le mouvement social contre la réforme des retraites et l’immense impopularité du gouvernement de l’époque, on assiste à un stratagème identique. Il est bien regrettable qu’un député dit communiste, au lieu de se préoccuper des chômeurs et de s’indigner des bonus faramineux distribués aux traders, reprenne le thème néoconservateur du « choc des civilisations » en lançant une croisade contre les prétendues « zones de nondroit » que seraient devenues nos banlieues. Ce stratagème ne fonctionnerait pas si, depuis des années, la classe politique et les médias n’avaient pas relayé une campagne de stigmatisation extrêmement violente contre les musulmans. Égorgeurs de moutons, selon le président de la République, femmes soumises et aliénées – sauf si elles se conforment au schéma de la beurette abandonnant tout attachement à sa culture –, les musulmans et les musulmanes sont décrits comme une population à part ; la majorité sont pourtant nés en France, sont français, et veulent tout simplement jouir des mêmes droits que n’importe quel-le autre citoyen-ne. L’argument féministe est venu conforter cette mise à l’écart. Or, s’il existe bien, au sein du monde musulman, des rapports de domination et des traditions sexistes, nous tenons à rappeler qu’il en existe partout, et en premier lieu au Parlement ! Les travées à 80 % masculines de l’Assemblée nationale ne sont pas qu’un « symbole » ; elles sont la traduction concrète d’une réalité claire : les femmes sont encore largement exclues des postes de pouvoir. « La vision de ces femmes emprisonnées » est, pour André Gérin, « intolérable », « inacceptable » ; le spectacle de l’entre-soi masculin que constitue le monde politique ne semble, en revanche, pas le gêner. Effectivement, les femmes ne se promènent pas en burqa à l’Assemblée ; excepté 107 d’entre elles, elles en sont tout simplement exclues […]. Nous dénonçons l’idée folle qui consisterait à interdire la burqa. De même que l’interdiction des capuches ou des regroupements dans les halls d’immeuble, elle participe d’une logique liberticide, et il est très inquiétant de la voir proposée et même discutée au sein de la classe politique. Nous sommes pour le respect des droits les plus élémentaires, qui sont au fondement des sociétés démocratiques, et, à ce titre, nous défendons le droit des individu-e-s à évoluer et à s’habiller comme ils/elles le veulent dans l’espace public. Nous sommes pour une laïcité qui garantisse la liberté de culte, et celle de penser et d’exprimer ses idées dans le respect de tous et de toutes. Pas pour une laïcité totalitaire qui implique la soumission à une culture et entend dicter nos choix, qu’ils soient spirituels, vestimentaires ou politiques. Nous n’avons pas fini d’interdire si nous voulons nous attaquer à tous les « symboles » de la domination masculine. À ce compte-là, pourquoi ne pas interdire ceux que portent tant de femmes blanches supposées émancipées : talons aiguilles, rouge à lèvres ? Et surtout, au lieu de s’attaquer toujours à des femmes, pourquoi ne pas combattre d’abord les symboles que portent les hommes, par exemple la cravate ? Pourquoi ne pas constituer une commission d’enquête sur la diffusion quotidienne des normes de beauté oppressantes auxquelles doivent se plier les femmes, et sur tous ceux qui y participent : publicitaires, magazines féminins, industrie de la mode, et autres fabricants de produits amincissants ? Assez du deux poids, deux mesures ! Assez de ces campagnes grotesques menées au nom des femmes mais qui ne conduisent qu’à les pénaliser ! Nous appelons toutes les forces féministes et progressistes à dénoncer cette opération, et à combattre ensemble pour la justice sociale et l’égalité entre les hommes et les femmes – toutes les femmes. DE BONNE HUMEUR MOTS CROISÉS PAR JEAN-FRANÇOIS DEMAY GRILLE N° 31 HORIZONTAL : I II III IV V VI VII VIII IX X s 1 2 ll 3 4 5 6 7 8 9 10 Solution de la grille n° 30 : 1. Strychnine 2. Avoueras 3. Batelières 4. Jais. Ivo 5. Mentir 6. Nastasia 7. Créât. Étau 8. Têt. Efrits 9. Toua. Öre 10. Fleuronnés SÉBASTIEN FONTENELLE I. Subjonctif II. Aa. Are III. Ratissette IV. Yves. Ta. Ou V. Col. Mateur VI. Huiles. FAO VII. Née. Nier VIII. Irritation IX. Nævi. Âtre X. Essoreuses 1. Un conseiller qui finit comme un ancien président russe. 2. Ôtas une couche sale. 3. Fera désirer pour attraper. 4. Bras administratif du patron. Chair à canon un peu tendre. 5. Berceau biblique. Un cinéma de Duras. 6. Rend le raisin plus digeste. 7. Commence et finit le tour. Dit le lieu. Sudiste. 8. Prénom anglo-saxon. Amuseur en vacances. 9. Sage quand elle est bonne. 10. Philosophie du dandy. VERTICAL : I. Accepter de nouveau. II. Adaptés. III. Une petite fille malheureuse. On évite d’en choper en sortant couvert. IV. Refoula. Voile. Exclamation. V. Ne manque ni de perles ni de coquilles. VI. Épuisée. Doublé, il ne donne pas le choix. Clé. VII. Labourée une nouvelle fois. A suivi 205, il y a quelques années. VIII. Un médecin joué par Truffaut. Règles. IX. Sodium. Fleuve africain. Équipe du sud. X. Relative à une secte préchrétienne. Sœur Éric, bonne amie des gueux Tu es au gouvernement (droitier) de la France, et tu as (donc) fomenté le projet, classique, de faire avaler à tes administré(e)s une dégoûtante couleuvre, bien grasse, bien dégueulasse. Mais tu as aussi, et dans le même temps, le souci de te ménager l’image de marque: tu veux que la plèbe, nonobstant que tu la nourris de saletés, continue de te considérer comme quelqu’un de plutôt sympa – éventuellement un peu rude, hein, mais accessible, au fond, à une certaine forme de pondération. Comment tu fais? Ben c’est tout simple: tu commences par menacer le populo de lui mettre au fond du gosier, non seulement la couleuvre, mais, de surcroît, un crotale. On fera ça mercredi à 15 heures, tu lui annonces, préparez le digestif. Et au dernier moment – le mercredi, juste après 14 heures –, tu fais publier l’heureuse nouvelle: finalement, les amis, j’ai bien réfléchi, et je vous fais grâce du crotale – alors quoi, vous m’avez pris pour un gros salaud, ou quoi? Et maintenant, les amis, faites, vous aussi, une concession: avalezmoi fissa cette grosse couleuvre bien dégueulasse, ou je fais donner la troupe (républicaine). Les amis. Pourquoi je te raconte ça, me demanderas-tu? (Qu’est-ce que c’est que Dans le cas des cette histoire de serpents à la con?) rafles, les Parce que la droite versaillaise qui prétend régner sur nos vies vient de nous intellectuels de faire à peu près le même coup, avec les haut renom qui se tests ADN. Naaaaan, déclare soudain Maurice sont naguère Besson (1), je signerai pas le décret mobilisés contre d’application de cette inique loi, merde alors, mâme Dupont, j’ai de l’éthique, moi, les tests ADN sans déconner. (Vous le savez, vous, ferment leur mâme Dupont, que sous mes dehors d’absolu renégat j’ai gardé un cœur de bouche à double gauchiste. Non? Vous ne le saviez pas?) tour. Résultat: on a un peu l’impression que le gars est devenu Sœur Éric, la bonne amie des gueux. Sauf que, dans la vraie vie, pardon: Sœur Éric, rongée par le désir de (com)plaire au chef de l’État français, qui lui a assigné la noble mission de bouter plusieurs dizaines de milliers de bougn… d’étrangers par an, Sœur Éric, disais-je, continue de faire traquer dans nos rues le sans-papiers, de 7 mois à 77 ans. (Et d’incarner, par conséquent, quelque chose – un état d’esprit – de particulièrement révulsant.) Avec, tout de même, la différence que, dans le cas des rafles, les intellectuels de haut renom qui se sont naguère mobilisés (à peu de frais, une fois défalqué le prix du champagne et des canapés) contre les tests ADN – les Carla Bruni, Bernard-Henri Lévy et autres Philippe Val – ferment leur bouche à double tour, et pour cause: ils jugent, comme Maurice Besson et son maître, qu’il faut, mâme Dupont, «maîtriser les flux migratoires». Sens-tu comme ce pays pue? (1) Oui, oui, je sais : le prénom de Besson est plutôt Éric. Mais c’est plus fort que moi : quand je le vois, j’ai envie de l’appeler Maurice. Et pourquoi me refuserais-je ce minuscule petit plaisir, je te prie ? Retrouvez le blog de Sébastien Fontenelle sur www.politis.fr 17 sept embr e 200 9 I POLITIS I 31 RÉSISTANCES AGRICULTURE Alors que les exploitations agricoles productivistes voient leur rentabilité s’effondrer, Mathieu Wall, jeune cultivateur drômois, s’est lancé dans le bio et la vente directe. Les marchés, pas le marché ! À 32 I POLITIS I Dans une exploitation voisine, vingtcinq cueilleurs sont à pied d’œuvre, dix heures par jour. L’année est très bonne. Trop, même, pour l’équilibre du marché, qui a sombré dans une surproduction sévère. Le cours de l’abricot ne décolle pas des 50 centimes du kilogramme. Soit à peine de quoi rembourser les lourds investissements de l’année. Le phénomène est récurrent depuis une dizaine d’années. Jusque dans les années 1980, les exploitations avaient conservé une taille plutôt réduite, et il existait encore des circuits courts. « Mon père descendait le soir même à Buis-lesBaronnies pour vendre ses fruits, il était payé cash », se souvient Séverine Teste, qui gère avec son père une exploitation de 40 hectares. Les fruits étaient acheminés chez le consommateur en deux jours. Aujourd’hui, ils peuvent attendre un mois dans les frigos et passent par deux ou trois intermédiaires. Dans le village voisin de Buis-les Baronnies, le kilo d’abricots s’affiche donc à 3,80 euros. « Quand on voit ç a , s’étouffe un exploitant, on a envie de tout casser… et de taper celui qui a posé l’étiquette. » D’autant que les circuits longs pèsent sur la qualité. « On est obligé de ramasser vert parce qu’il faut que ça tienne en chambre froide », peste Mathieu. « Au mieux, nos fruits ont le goût de la cagette. » Pour survivre ou profiter de l’ouverture des marchés longs, dans les années 1990, beaucoup d’exploitants investissent afin d’améliorer leurs rendements et de construire des chambres froides. Dans cette course à la productivité, il est bien difficile de revenir en arrière. Mathieu, lui, pouvait se permettre l’ambition de sortir du productivisme. « Quand on est ouvrier agricole, on voit forcément les choses différemment puisqu’on n’a pas investi au départ. On n’a pas connu l’époque où ça marchait aussi… Alors, au bout d’un moment, on a envie de faire les choses comme on les voit. » Au début, pour lui, le bio n’avait pourtant rien d’idéologique. « Je faisais simplement ça pour prouver que je travaillais proprement et ne pas être assimilé à un mec du Gard qui cultive 100 hectares, traite ses abricots 15 ou 20 fois au printemps et envoie de l’engrais en même temps que son irrigation. » Mais, sur le plan économique, le bio ne fait pas de miracle. La surproduction, cette année, a lourdement touché les agriculteurs bios, d’autant plus que les normes leur imposent de cueillir mûr, ce qui réduit la durée possible du stockage du fruit. Pour Mathieu, c’est davantage la vente MATHIEU WALL PAR GWENAËL MANAC’H. contre-courant d’un système qui s’enraye, Mathieu Wall s’est lancé il y a deux ans en agriculture biologique, à Vercoiran, un village du sud-est de la Drôme. D’une voix légèrement enrouée, ce jeune agriculteur discret raconte ses choix audacieux, parfois incompris. Harassé par le boum de la saison de l’abricot du mois de juillet, il souffle : « Je me suis lancé dans un truc… » En mai 2007, cet ouvrier agricole de 32 ans, qui enchaîne les saisons entre la Savoie et la Drôme provençale, décide de se mettre à son compte. Il reprend en locations 17 hectares de terres partiellement abandonnés, dont 3 hectares d’abricotiers. En espérant réussir en dehors des réseaux de distribution qui pressurent de plus en plus les agriculteurs productivistes, il choisit de rester sur des petites surfaces et développe la vente directe. « J’essaie de court-circuiter les circuits longs », lance-t-il sans retenir un rire détaché. Il parie donc sur la qualité et transporte lui-même une partie de ses fruits jusqu’en Savoie pour les vendre directement aux particuliers ou sur les marchés. Il peut ainsi casser les prix visà-vis des circuits longs de la grande distribution et vend des fruits mûrs, cueillis la veille ou deux jours plus tôt. Sans pesticides ni engrais chimiques, ses rendements sont inférieurs à ceux de ses voisins. Le travail de sa terre, comme la récolte, lui prend beaucoup moins de temps et respecte mieux le rythme du fruit. « J’arrive à ramasser exactement entre le mûr et le ferme. Et ça se joue au jour près, ce n’est possible que sur des petites surfaces. Mais ça m’a ouvert beaucoup de portes. La démarche reçoit un accueil encourageant. » Gagnant en qualité, il s’économise aussi des traitements chimiques très coûteux et parvient à mener sa récolte avec seulement cinq cueilleurs, lui compris. directe qui s’est révélée prometteuse à petite échelle. « Le circuit court, pour le bio, est beaucoup mieux organisé qu’en agriculture non bio. » Il tente donc de s’engouffrer dans cette brèche. Cette année, il a pu vendre ses fruits à 1,40 euro le kilo en moyenne, sans bénéficier des retombées du Label bio, décerné après trois ans de conversion. Au final, Mathieu casse les prix pour le consommateur et triple son bénéfice. « On est revenus aux vieilles recettes qui fonctionnaient il y a vingt ans. » Le bio reste pourtant un pari très incertain. Un seul vol de mouches peut décimer une récolte d’olives, tant les insecticides naturels sont inefficaces en comparaison avec les produits chimiques. Mathieu tente donc de se jouer des incertitudes en diversifiant les cultures. Et il transforme ses pertes en jus de fruit ou en confiture : « C’est même ce qui me rapporte le plus. » La conversion est aussi une phase très difficile. En prenant l’agriculture à contre-pied, il s’est coupé des circuits traditionnels et doit travailler dur pour trouver des acheteurs : « Cette année, au début, personne ne voulait de mes abricots. » Quant aux aides publiques à l’agriculture biologique, elles représentent pour lui 300 euros par hectare et par an. Le quart de ses dépenses en engrais biologique. Alors, avec ses deux premières années de conversion marquées par le gel, Mathieu ne s’en est sorti qu’en travaillant dans les exploitations voisines comme saisonnier. « Au début, ça ne marchait pas du tout, concède-t-il. Les deux premières années, je n’étais même pas au RMI. Et comme je manque de tout, je reste encore très dépendant du soutien des agriculteurs des environs. » Il ne regrette pourtant pas de s’être lancé. « Cette année, ça va être une année correcte, et ça va aller de mieux en mieux. » Dans un contexte très difficile pour les producteurs bios, Mathieu a finalement pu vendre tous ses abricots. Et garder l’espoir de voir sa petite exploitation trouver la rentabilité que l’agriculture a perdue. _Erwan Manac’h Pour commander nectars et confitures à Mathieu Wall : [email protected]/ 06 81 03 13 88. DÉSOBÉISSANCE SUR LE TERRAIN Mon ADN à moi François Vaillant, militant du mouvement pour une Alternative non-violente (MAN) et rédacteur en chef de la revue Alternatives non-violentes, sera jugé le 21 septembre par le tribunal correctionnel de Rouen (13 h 15, 4e chambre) pour avoir refusé un prélèvement ADN par la police en 2008. Son interpellation faisait suite à un barbouillage de panneaux publicitaires avec les Déboulonneurs. Il risque un an de prison et 15 000 euros d’amende. Le MAN invite les citoyens à soutenir financièrement cet acte de désobéissance civile. _X. F. Pour aider aux frais de justice (environ 3 50 euros), envoyez votre chèque (ordre : MAN Normandie) à : MAN, Centre 308, 82, rue Jeanne-d’Arc, 76000 Rouen. Procès suivi d'une soirée-débat. [email protected] ÉDUCATION Pris à la gorge par le coût de leur rentrée, les étudiants demandent des mesures d’urgence. Leurs chères études es adhérents de l’Union nationale des étudiants de France (Unef) vivraient volontiers de savoir, d’amour et d’eau fraîche, mais la réalité est plus ardue. Le syndicat vient de rendre publique une enquête alarmante sur le coût de la vie étudiante et les conditions de la rentrée. « L’évolution des dépenses du “panier de l’étudiant” démontre que leur situation sociale continue de se dégrader en cette rentrée », résume l’Unef. Principales raisons de cette inflation, les loyers et les « frais obligatoires » décidés par le ministère de l’Enseignement supérieur (frais d’inscription, cotisation à la Sécurité sociale étudiante, prix du ticket de cantine, etc.) « Le coût de la rentrée varie ainsi de 613 euros à 2 225 euros par étudiant selon les situations », révèle l’Unef, qui pointe également la distorsion entre hausse des coûts et stagnation des aides : « Cette dégradation du coût de la vie étudiante est continue depuis 2001. L’augmentation des dépenses obligatoires étudiantes est de 41,5 % depuis 2001, alors que, dans le même temps, les aides n’ont augmenté que de 13 %. » Autre nuage qui point à l’horizon : les conséquences de la crise sur le niveau de vie des étudiants. Les revenus des familles, souvent premier soutien financier des étudiants, sont annoncés à la baisse, tandis que les petits boulots se raréfient. En clair, « le coût de la rentrée devient insupportable L I M M I G R AT I O N On ferme Neuf associations ont adressé une lettre à Bertrand Delanoë après l’expulsion des exilés afghans, iraniens et irakiens des squares du Xe arrondissement de Paris, le 18août dernier. « Consternées» de voir que « des jardins publics FEDOUACH/AFP sont le seul abri pour dormir offert à ces personnes» par l’État, les associations signalent en outre que le dispositif d’accueil des mineurs à Paris est « de plus en plus précaire». Celui-ci ne permet plus d’assurer le suivi socio-éducatif et la protection auxquels ils ont droit. Devant la décision de fermeture la nuit des parcs et jardins aux exilés, la Cimade, Hors la rue, le Gisti et les autres se demandent si Paris va devenir, à l’instar de Calais, « une ville quadrillée en permanence par des policiers occupés à chasser ceux qui y transitent ou y cherchent refuge». Bourse du travail, 3, rue du Châteaud’Eau, 75010 Paris. www.agirpourlesdesc.org LOGEMENT Du feu à la rue En plein après-midi du 27août, le feu attaque l’hôtel Hermel, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. De nombreuses familles, salariées, en situation régulière et en attente de logements sociaux, y vivent, parfois depuis des années. Jusqu’en juin, les modestes chambres étaient louées par les services sociaux au prix délirant de 1500 euros par mois. Certains locataires payaient de leur poche 600euros par mois, pour des chambres de 9 à 12 m2, « infestées de cafards, sans douche ni toilettes, ni même un coin cuisine», relate Droit au logement (DAL). Les locataires qui ont refusé les propositions de relogement dans d’autres hôtels campent devant l’établissement, en attendant un « hébergement stable et décent» dans leur quartier. www.droitaulogement.org LIBERTÉS L’outrage dégonflé www.horslarue.org, 01 42 96 85 17. I N T E R N AT I O N A L Protéger les peuples Le coût de la rentrée varie de 613 à 2 225 euros par étudiant. DE SAKUTIN/AFP pour les étudiants, avec pour effet collatéral prévisible une augmentation des renoncements ou des abandons d’études pour des raisons financières ». Considérant que « les jeunes sont aujourd’hui les grands oubliés des mesures anticrise du gouvernement », l’Unef réclame à Nicolas Sarkozy la mise en place d’un « bouclier social » pour protéger les jeunes de la crise et du chômage (1). Au sommaire des actions à entreprendre d’urgence : hausse des aides au logement et des bourses, constructions de logements étudiants et aide à la recherche du premier emploi. La plateforme DESC, collectif d’associations et de syndicats engagés dans la défense des droits économiques, sociaux et culturels (DESC) en France, se réjouit de l’adoption prochaine par les pays membres de l’ONU qui s’y engagent du Pacte international relatif aux DESC. Ce texte permettra aux particuliers, aux groupes ou aux organisations de porter plainte auprès du Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU « afin d’obtenir justice pour des violations de ces droits commis dans leur pays», explique la Ligue des droits de l’homme (LDH). La crise économique mondiale menace de plonger dans la pauvreté un nombre plus important d’êtres humains à qui il devient « impératif d’apporter un cadre de protection effectif au niveau international». Débat sur « L’enjeu des DESC face à la crise », le 18 septembre (19 h à 21 h), _ Xavier Frison (1) Pétition en ligne : www.unef.fr AL-RUBAYE/AFP BUREAU/AFP La cour d’appel de Paris a confirmé le 9septembre dernier la relaxe de Maria Vuillet, une mère de famille francocolombienne poursuivie pour avoir outragé un sous-préfet à qui elle aurait crié «Sarko facho» lors de la journée de commémoration du souvenir du résistant Guy Môquet. Malgré la foule présente, seul le chauffeur du sous-préfet a confirmé cette version… Le Collectif pour la dépénalisation du délit d’outrage (Codedo) se félicite de la décision de la cour d’appel de Paris et estime que « l’opération“main basse sur la lettre à Guy Môquet”initiée en 2007 parMM.Guaino et Sarkozya donc échoué sur toute la ligne». La pétition (1) demandant la dépénalisation du délit d’outrage et demandant un débat sur les violences policières sera remise le 2décembre à l’Élysée, au ministère de la Justice et au ministère de l’Intérieur. Codedo : http://codedo.blogspot.com/ (1) www.ldh-france.org/Petitionoutrage-offense-L-appel 17 sept embr e 2 00 9 I POLITIS I 33 POLITIS Politis, 2, impasse Delaunay 75011 Paris Tél. : 01 55 25 86 86 Fax : 01 43 48 04 00 www.politis.fr [email protected] Fondateur : Bernard Langlois. Politis est édité par Politis, société par actions simplifiée au capital de 941 000 euros. Actionnaires : Association Pour Politis, Christophe Kantcheff, Denis Sieffert, Pascal Boniface, Laurent Chemla, Jean-Louis Gueydon de Dives, Valentin Lacambre. Président, directeur de la publication : Denis Sieffert. Directeur de la rédaction : Denis Sieffert. Comité de rédaction : Thierry Brun (87), Christophe Kantcheff (85), Michel Soudais (89) (rédacteurs en chef adjoints) ; Sébastien Fontenelle (74) (secrétaire général de la rédaction), Olivier Doubre (91), Xavier Frison (88), Ingrid Merckx (70), Patrick Piro (75) (chefs de rubrique) ; Jean-Claude Renard (73), Gilles Costaz, Marion Dumand, Denis-Constant Martin, Christine Tréguier, Claude-Marie Vadrot, Jacques Vincent. Responsable éditorial web : Xavier Frison (88). Architecture technique web : Grégory Fabre (Terra Economica) et Yanic Gornet. Conception graphique Sophie Guéroult-Sikora (01 43 71 21 46). Premier rédacteur graphiste papier et web : Michel Ribay (82). 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Autrement dit, Total va en être un des percepteurs. Ce qui lui permettra de bénéficier de rentrées d’argent comptant supplémentaires, qu’il devra reverser au Trésor. Mais après quel délai, quelle spéculation ? Albert Alter, Gagny Bien que trouvant quelque peu alambiquée, voire ambiguë, la chronique de Serge Latouche « Vivre avec 600 euros par mois », parue dans le n° 1066 de Politis, il m’apparaît que la problématique posée ne peut être évacuée d’un revers de main, cela d’autant moins qu’elle est appelée à coup sûr à devenir de plus en plus prégnante dans les années à venir. Il me semble que, sans hypothéquer la lutte plus que jamais nécessaire pour ce que Serge Latouche luimême nomme « un monde plus partagé demain », on peut essayer d’y intégrer cette nécessaire mutation des esprits et des mentalités, dont nous ne pouvons faire l’économie, à moins bien sûr de nous résigner au suicide collectif. Le rejet sans concession du consumérisme est en effet une condition indispensable de notre « salut » commun (pardon pour ce terme trop connoté), mais il me semble que le meilleur moyen d’y faire adhérer, y compris les « mecs de Peugeot mis au chômage », serait de renoncer une bonne fois à toute logique sacrificielle. Pourquoi, diantre, expliquer à des automobilistes contraints chaque jour aux embouteillages, aux difficultés de stationnement et éventuellement à l’acquittement de contraventions qu’ils doivent renoncer à leur voiture, alors que ce à quoi ils renoncent, sans le savoir, c’est le bonheur du vélo qu’ils pourraient enfourcher, de l’air frais qui fouette le visage, de l’exercice physique qui atteste de leur vitalité et de ce qu’il leur reste de jeunesse, en attendant une décrépitude hélas inéluctable ? Pourquoi présenter comme un sacrifice le renoncement aux files d’attente dans les hypermarchés, quand les marchés de plein air ou les Amap, si conviviales, leur tendent les bras ? Pourquoi présenter comme un sacrifice la mise de côté des téléphones portables lors des promenades dominicales alors qu’il est si doux de se sentir, pour quelques heures, libéré des attaches et relations avec ceux qui ne savent plus nous contacter que par l’entremise de ces nouveaux gourous qu’on appelle « opérateurs » ? On pourrait continuer longtemps à donner des exemples ; pour l’instant, le plus grand succès remporté par les marchands de foutaises a consisté à nous faire croire que leurs foutaises étaient à même d’augmenter notre part de bonheur. Qui nous oblige à être dupes ? René Pagès, Albi (81) En finir avec l’élection présidentielle La question de l’élection présidentielle au suffrage universel ou pas ne doit plus être DIFFUSION EN KIOSQUE Pour connaître le point de vente le plus proche de votre domicile, de votre lieu de travail ou même de votre lieu de vacances ; si vous souhaitez que votre marchand de journaux soit approvisionné sous huitaine ; appelez le 01 42 46 02 20 (de lundi au vendredi de 10 h à 17 h) ou envoyez un courrier électronique à c onta [email protected] om Un site des NMPP indique également où trouver Politis : w w w.t rouverlapresse.c om taboue. Tout tourne autour de cette élection et de ce pouvoir personnel. De Gaulle, qui voulait un pouvoir personnel, a très vite voulu une élection présidentielle plébiscitaire et personnelle au suffrage universel direct. La course à l’élection et les « écuries présidentielles » sont mortifères à terme pour la démocratie, les valeurs de la République (respublica : la chose publique), les idées et projets, les partis politiques et l’implication et la mobilisation des citoyens. […] Avec cinquante ans d’existence, la Ve République présidentielle et présidentialiste vire à la monarchie, au pouvoir personnel médiatisé, « pipolisé », sondage à l’appui, et de plus en plus ploutocrate. Le pouvoir présidentiel personnel s’exerce partout et tous les jours, au détriment de l’autre partie de l’exécutif, le Premier ministre et son gouvernement, mais également au détriment du Parlement et du citoyen. Et que propose le PS ? Des primaires ! Le grand cirque médiatico-politico-people d’une vie politique qui s’abandonne à la consommation de masse ! Plus de projets, plus de programmes, plus de débats, plus de vertu politique, civique et républicaine, plus de parti politique et de mouvements d’éducation populaire ! À la place, le grand supermarché de l’offre et de la demande de la star politique « pipolisée » dans un vide sidéral des idées et des projets ! Bref, le système capitaliste adapté à la compétition politique ! Il est temps de rompre avec le présidentialisme et de fonder un nouvel exécutif démocratique, collégial, issu du Parlement. La VIe République doit s’engager dans la voie du partage du pouvoir et de la collégialité de l’exécutif. Bref : oui à une refondation républicaine par un processus constituant et un appel à des États généraux citoyens ! Non à des primaires et à des alliances à la carte ! Gilles Fabre, Brive À qui profite la grippe A ? La grippe A est aussi une aubaine pour l’Éducation nationale et les petites communes ! Je m’explique. En ville, voyez comme tout s’organise bien : des cours par Internet pour les VUE DES LECTEURS AGENDA POLITIS courrier des lecteurs, 2, impasse Delaunay, 75011 Paris. 01 43 48 04 00 (fax) [email protected] (e-mail) Paris XIXe : du 18 septembre au 10 octobre, Patricia Lecomte propose «Il faut rêver très haut», un projet photographique effectué lors de plusieurs Fêtes de l’Humanité autour des mots d’ordre et des slogans. élèves. Apparemment, les logiciels sont déjà prêts. Les élèves ont quasiment tous un ordinateur chez eux ! Aucun préjudice pour eux ! À la campagne, 4 ou 5 petites communes, menacées de perdre chacune son école, après La Poste, l’épicier, etc., se sont regroupées. L’une ramasse les enfants de 4 à 7 ans et les amène dans une école à classe unique qui fonctionne encore. Une autre commune ramasse, elle, les enfants de 8 à 11 ans et les amène dans la classe unique d’une autre commune. Et voilà la grippe ! Les enfants resteront chez eux devant l’écran de leur ordinateur, ou de leur téléviseur s’ils sont en bas débit ! Économie pour les communes, pas besoin d’un minibus, d’un chauffeur, d’une assurance et d’une cantine, indispensable dans ces conditions ! Et les petits chérubins Pensez-y ! Abonnement web à partir de 8 € par mois* www. poli t i s. fr Paiement sécurisé * voir conditions ne seront pas obligés de se lever tôt le matin. Économie pour l’Éducation nationale : on s’en sort très bien sans enseignants ! À quoi bon un corps de remplaçants ? Et puis les enseignants, ça pense, ça se syndique, ça fait du désordre (voyez RESF), voire ça fait grève ! On a trouvé le moyen de s’en passer. Là où un ministre qui rêvait de dégraisser le mammouth avait échoué, la grippe a réussi ! Niko Hirt, dans son livre Tableau noir, nous prédisait cela, il y a bien longtemps. […] A. Leroy, Sainte-Adresse (76) Le port de la burqa Dans le courrier des lecteurs du n° 1067 de Politis, Jocelyne Sautel invoque la loi de séparation de l’Église et de l’État du 9 décembre 1905, à l’appui de l’interdiction du port de la burqa. À savoir : « Nous avons en France, depuis 1905, une loi de séparation de l’Église et de l’État ; voilà bien le rôle de l’État de ne pas laisser le religieux s’aventurer trop loin. » Cette loi, qui traite essentiellement du devenir des édifices religieux construit avant 1905, comporte néanmoins une disposition essentielle à l’origine de la conception française de la laïcité : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » Le port de la burqa n’implique aucune reconnaissance de l’islam fondamentaliste par l’État, ni évidemment aucun transfert financier. La loi de 1905 est donc sans rapport avec le sujet. Le port de la burqa, qu’il soit libre ou le résultat d’une pression de l’environnement, est une pratique qui relève de la sphère personnelle. À moins qu’il existe une méthode fiable pour déterminer ce qui relève du libre choix et ce qui relève de la pression de l’environnement. […] J’admets volontiers que le port de la burqa est révélateur de la faible autonomie des femmes qui la portent. Pour autant, ces femmes sont-elles opprimées parce qu’elles portent la burqa ? Ou bien est-ce parce qu’elles sont opprimées qu’elles portent la burqa ? Autrement dit, l’interdiction de la burqa conduirait-elle à améliorer la situation des femmes qui la portent ? Non. Ce morceau d’étoffe est la matérialisation d’un rapport de force plus profond. C’est pourquoi la volonté d’interdire le port de la burqa me semble être, avant tout, une tentative de garantir le confort intellectuel de chacun face à la situation de ces femmes, qui indigne à juste titre. En l’espèce, ce confort ne passe pas par le combat réel pour l’égalité des hommes et des femmes, mais par la suppression du caractère visible de l’inégalité. Antoine Crouzet Espace Niemeyer, 2, place du ColonelFabien, 01 40 40 12 12. Saint-Étienne-Le-Molard (42) : le 20 septembre se tiendra le premier Forum social local dans le Forez sur le thème «Partager, imaginer, résister». Les associations en accord avec le manifeste de Porto Alegre sont les bienvenues. 04 77 96 09 43. Tours (37) : le 20 septembre, de 11 h à 17 h, Inpact37 et Pour Politis 37 participent au Village de convergences bios. Alter’énergie, www.alterenergies.org, 02 47 26 46 03. Toulouse (31) : du 21 au 25 septembre, Semaine de l’écologie populaire. Claude-Marie Vadrot (Politis) sera présent le 22 pour débattre du film la Rançon de la fraise (20 h45). www.cinemas-utopia.org/toulouse/ Paris Ve : le jeudi 24 septembre, à 19h30, le Collectif Paris-V sans vidéosurveillance coorganise une réunion publique sur la vidéosurveillance. Centre culturel LaClef, 21,rue de La Clef. paris5sansvideosurveillance@ gmail.com Genève : le 24 septembre, à 20 h, le Cetim coorganise une soirée autour de la résistance indigène face à l’implantation d’une industrie minière au Guatemala. Projection-débat autour du film Chronique d’une guerre annoncée. Université ouvrière de Genève, place des Grottes 3, 1201 Genève. www.cetim.ch Pont-Audemer (27) : le 25 septembre, à 20h30, conférence-débat de Jean-Pierre Dubois, président de la LDH, sur le thème «Urgence pour les libertés! ». Salle des Carmes. Arles (13) : le 27 septembre, Attac-Pays d’Arles organise son alterrandonnée. Rendez-vous à 10 h, place Lamartine, à Arles, ou à 10h45 à SaintMitre-les-Remparts (parking Gouin). www.local.attac.org/13/arles, [email protected] www. p oli tis. fr Consulter l’agenda militant mis à jour régulièrement 17 sept embr e 2 00 9 I POLITIS I 35