
SENAT — SEANCE
DU 19 JUIN 1975
1773
L'artisanat ne doit pas être oublié.
Quant aux administrations publiques, le Conseil économique
et social a jugé indispensable de privilégier les investissements
destinés aux services collectifs, puisque la nécessité de réduire
les inégalités a été soulignée, sans perdre de vue pour autant
les crédits de fonctionnement. J'indiquais tout à l'heure que cer-
tains investissements sont stérilisés, faute de crédits de fonction-
nement. En matière de financement, le Conseil économique et
social considère que l'épargne est l'instrument essentiel de réé-
quilibre des comptes de la nation. Mais pour cela une juste
rémunération est indispensable et il s'est prononcé pour l'indexa-
tion de certains produits.
En même temps, mais sans insister davantage car les débats
sont actuellement en cours sur tout ce qui doit être fait en
matière de réforme de l'entreprise, notamment du côté des
actionnaires, le Conseil économique et social souhaite, le crédit
étant desserré et facilité aux petites et moyennes entreprises,
qu'une étude très poussée de ces questions soit effectuée pour
la deuxième phase de préparation du Plan.
Concernant la répartition des revenus, je l'ai dit et j'insiste à
peine, le Conseil économique et social a marqué d'une manière
indiscutable sa volonté de voir les salaires résulter de négo-
ciations contractuelles avec une préoccupation prioritaire pour les
bas salaires, une politique de redistribution du minimum garanti
pour les vieillards, les handicapés, une aide sélective au loge-
ment et, touchant les prestations familiales, une revalorisation
à partir du troisième enfant.
Enfin, concernant les services collectifs, la formation pré-
élémentaire apparaît comme nécessaire et essentielle pour
réduire les inégalités sociales dès le départ.
Dans le système de santé, qui n'est pas assez développé, il faut
éviter les dépenses somptuaires, favoriser la médecine collective
publique et privée et l'offrir à tous, avoir davantage de généra-
listes.
L'aménagement du territoire appelle des rattrapages en faveur
des régions défavorisées, la décentralisation de l'agence nationale
pour l'emploi, de l'équipement des régions rurales : téléphone,
chemins, désencleement.. L'autonomie financière doit être accor-
dée aux collectivités régionales et établissements publics régio-
naux, et il faut procéder à une nouvelle répartition des res-
sources fiscales entre l'Etat et les communes.
Monsieur le président, monsieur le premier ministre, mesdames,
messieurs les sénateurs, je m'excuse d'avoir été à la fois trop
long et trop sommaire.
En terminant, je voudrais citer quelques phrases de l'avis du
Conseil économique : « Le Plan n'aura de sens que s'il chiffre
dans sa deuxième phase les investissements de toute nature et les
dépenses publiques nécessaires pour atteindre les buts fixés et
faire face aux contraintes. Il aura d'autant plus de sens qu'il se
fondera sur l'hypothèse de croissance interne et d'environne-
ment international la plus défavorable et dégagera, en tout état
de cause, les moyens de répondre aux exigences qu'il a formulées,
emploi et réduction des inégalités, qualité de la vie, arrêt de
l'inflation et du déséquilibre au dehors. Le Plan doit devenir une
stratégie sélective et offensive, c'est-à-dire moins un ensemble de
prévisions qu'un système cohérent d'action.
A
ce prix, la crois-
sance sera donnée de surcroît. »
(Applaudissements.)
M. le président.
Avant d'ouvrir la discussion générale, j'informe
le Sénat que la conférence des présidents propose que les temps-
de parole des rapporteurs et orateurs inscrits dans ce débat
soient limités à 30 minutes pour le rapporteur de la commission
saisie au fond et à 20 minutes pour chacun des rapporteurs pour
avis et orateurs inscrits.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Marcel Lucotte,
rapporteur de la commission des affaires
économiques et
du Plan. Monsieur le président, monsieur le Pre-
mier ministre, messieurs les ministres, mesdames, messieurs et
chers collègues, jusqu'en septembre dernier, nombreux furent
ceux qui s'interrogèrent sur l'avenir de la planification française.
Le VI' Plan n'était plus, et ne pouvait plus
-
être depuis la fin
de l'année 1973, ce cadre de référence dans lequel l'action écono-
mique à court terme doit s'inscrire. Comme pour le V' Plan,
des événements imprévus, et disons-le largement imprévisibles,
étaient intervenus qui avaient modifié les données économiques
générales et rendues caduques les hypothèses qui sous-tendaient
le VI' Plan.
Le quadruplement -du prix de l'énergie avait bouleversé les
équilibres de notre 'économie, provoquant un déficit impor.
tant de nos échanges extérieurs et attisant une inflation dont
l'ampleur, déjà, inquiétait. L'environnement international, enfin,
renforçait l'incertitude du lendemain en faisant guetter de mois
en mois, de trimestre en trimestre, une reprise américaine ou une
reprise allemande qui, sans cesse, semblait remise au lende-
main.
La politique conjoncturelle, « la politique au fil de l'eau »
suivant l'expression de ses détracteurs, était souveraine à un
moment où l'avenir semblait trop incertain pour que l'action
puisse s'inscrire dans une prévision.
Un certain nombre de faits pouvaient donner à penser que la
planification appartenait au passé et qu'il n'était plus possible
aujourd'hui de poursuivre dans cette voie.
Tout d'abord l'exécution des plans précédents. Aucun Plan,
depuis le III', n'a été mené à son terme sans connaître de graves
difficultés.
Rappelons que le
Plan a fait l'objet d'un plan intérimaire,
que le IV' Plan s'est terminé en un plan de stabilisation assez
contradictoire avec la politique préconisée par le IVE Plan, que
le V
-
Plan a été abandonné, de fait, après mai 1968, et que le
VI` Plan, enfin, n'a pas survécu à la crise de l'énergie.
Un deuxième point s'ajoute au premier pour faire douter du
Plan : le commerce extérieur de notre pays a connu une expan-
sion très forte et représente aujourd'hui une part importante de
notre production. La part des importations dans la production
intérieure brute qui était de 11,9 p. 100 en 1959, était passé à
14,3 p.
100
en 1970. Elle est maintenant de 19,6 p. 100, ce qui
veut dire que nous sommes à présent très dépendants de l'exté-
rieur.
La conjoncture internationale est donc un élément fondamental
pour notre économie. Et l'on constate, c'est le troisième point que
l'on peut souligner, un synchronisme des politiques et des
conjonctures nationales qui fait que la dépression, atteint tous
les pays occidentaux au même moment et que l'expansion domine
dans tous les pays à un autre moment.
Ce synchronisme entraîne une fluctuation beaucoup plus
marquée de la conjoncture mondiale car la dépression des uns
n'est plus compensée par l'expansion des autres, car l'infla-
tion de ceux-ci n'est plus compensée par la stabilité de ceux-là.
,Autant dire que l'incertitude internationale est plus forte que
jamais, et cela au moment même où elle a une influence plus forte
que jamais sur notre économie.
Pour toutes ces raisons, il pouvait être tentant de mettre fin
à la planification et de reporter tous ses efforts vers la politique
conjoncturelle.
Toutefois, c'eût été là se priver de toutes les qualités du Plan.
Car le Plan ne manque pas d'utilité. Faut-il évoquer quelques-uns
des avantages qu'il offre, des rôles qu'il remplit ?
C'est un organe de concertation. Et Dieu sait que notre société
recourt d'abondance à la concertation. C'est un organe d'infor-
mation. C'est un outil qui permet de vérifier la cohérence des
différentes actions que les pouvoirs publics veulent engager.
C'est une étude de marché à l'échelle du pays, et l'on sait combien
les industriels souhaitent disposer d'études de ce genre. Enfin,
c'est l'occasion de choix fondamentaux pour les pouvoirs publics
qui peuvent établir des priorités et qui doivent effectuer des choix
à longue portée.
Aussi eût-il été extrêmement regrettable que l'on mit fin à la
planification française. Mais ce fut, en septembre, la création
du conseil de planification, en octobre, la nomination du nou-
veau commissaire au Plan, en novembre, l'exposé de M. le Pre-
mier ministre, devant l'Assemblée nationale et dans lequel il a
présenté les vues du Gouvernement à l'égard du Plan, en
décembre, enfin, les directives de M. le Premier ministre trans-
mises au commissaire au Plan pour la préparation du VII' Plan.
Le
VII` Plan, et c'est là une de ses qualités, tient compte de
l'expérience du passé et cherche à s'adapter au mieux aux
nouvelle conditions dans lesquelles évolue notre économie.
Le VII'
Plan se présente comme une stratégie pour les cinq
prochaines années ; il évaluera les contraintes auxquelles notre
économie sera soumise. C'est en fonction de ces priorités et
de ces contraintes que sera fixée cette stratégie.
La commission des affaires économiques ne peut qu'approuver
cette conception. Le Plan doit, aujourd'hui, être une stratégie
il ne peut être qu'une stratégie.
Et c'est même ce qui justifie, aujourd'hui plus que jamais,
l'impérieuse nécessité d'un Plan. S'il est sain pour un pays,
en période de croissance rapide, de prévoir et d'organiser son