SENAT — SEANCE DU
28 MAI 1963
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autres, nous devons rendre un hommage vibrant en reconnais-
sant qu'ils ont été d'une loyauté parfaite, d'une honnêteté totale
et qu'ils nous ont laissés sans illusion.
(Sourires.)
Nous savons
maintenant que nous n'avons à compter que sur nous-mêmes.
C'est déjà beaucoup, mais vous nous excuserez de penser que
ce n'est pas tout à fait assez !
La première question que je vais vous poser, monsieur le
secrétaire d'Etat, est celle-ci : le Gouvernement va-t-il mettre
un peu d'ordre dans l'imbroglio qui retarde l'examen de tous
les dossiers d'implantation ou d'extension industrielle ?
Je ne sais pas si quelqu'un parmi les membres du Gouver-
nement a eu un jour la curiosité de prendre un dossier d'implan-
tation industrielle et d'essayer de le suivre. C'est un jeu de
cache-cache épuisant. En général, le dossier se perd deux ou
trois fois jusqu'au jour où, à la suite d'un accès de mauvaise
humeur, on finit par le retrouver. Il doit emprunter un
circuit qui passe par un nombre de services tel que nous
n'avons pas encore réussi à en déméler l'écheveau, tant il est
embrouillé.
Le dossier finit par aboutir à ce que l'on appelle la commis-
sion 1
ter,
après quoi il y a quelquefois des appels, des
« revenez-y », mais, dans la meilleure hypothèse, il faut plu-
sieurs mois pour obtenir un résultat. Or, quand un industriel
se décide, il n'attend pas quelques mois pour le faire ; en
général, il prend ses décisions beaucoup plus vite, après les
avoir mûries, bien entendu, car, pour réaliser des opérations
industrielles, il est des moments opportuns et des moments inop-
portuns.
Voulez-vous que je vous cite un exemple tout récent, puisqu'il
remonte à une quinzaine de jours ? Il s'agissait d'un rapatrié.
Ce rapatrié avait ramené quelque argent, mais il n'en avait
pas tout à fait assez pour racheter une affaire, d'ailleurs
fort honorablement connue dans mon département. Il avait
demandé par conséquent à bénéficier des dispositions légales
et il avait pris une option sur cette affaire. Cette option, il
avait pensé la prendre large en la fixant à trois mois. Or, au
bout de trois mois, le dossier était perdu.
J'ai réussi, non sans mal, à le retrouver. Je suis parvenu
également à lui obtenir une prolongation d'option, tout en
précisant, bien entendu, que je n'avais, quant à moi, en aucun
cas à dire si l'opération était bonne ou mauvaise, si le dossier
était favorable ou non.
L'option étant prolongée de quinze jours, au bout de ce nou-
veau délai la commission, qui n'était pas la commission 1
ter,
n'avait toujours pas pris de décision. J'ai réclamé et l'on a
obtenu une seconde prolongation d'option, la décision devant
alors être prise la semaine suivante.
La semaine suivante, on a ajourné le dossier parce que,
paraît-il, l'heure était passée et que l'on avait vraiment accumulé
beaucoup de fatigue dans la journée. Finalement ce n'est qu'au
bout de cinq mois, alors que le délai d'option était expiré,
qu'on a dit à l'intéressé que l'affaire était acceptable. Seulement
elle n'était plus réalisable dans la pratique.
Telles sont, monsieur le secrétaire d'Etat, les difficultés aux-
quelles on se heurte, et c'est la raison pour laquelle je vous
demande si l'on ne pourrait pas évoquer un jour ou l'autre
la possibilité de mettre fin à ces complications.
La seconde question est le corollaire de la première : il
s'agirait de publier une sorte d'organigramme tenu à jour,
indiquant les attributions respectives des différents organismes
cités et ceux auxquels il convient de s'adresser. Je sais bien
que la tâche nous est facilitée dans certains départements par
la direction des enquêtes économiques et je vais y revenir
dans un instant.
Va-t-on continuer la politique néfaste qui tend à faire payer
plus cher les services dans les régions les plus déshéritées —
je vous
en ai entretenu tout à l'heure — qu'il s'agisse de
l'eau, du gaz, de l'électricité ou de la S. N. C. F. ? Il est
aberrant de constater que vous allez être obligés — parce que
vous le serez par la force des choses — d'accorder des crédits
à des régions que vous commencez par pénaliser dans vos
entreprises nationalisées en faisant payer plus cher leurs
services dans lesdites régions.
(Applaudissements.)
Nous demandons qu'une part des crédits routiers soit
employée à désenclaver ces régions éloignées du Marché com-
mun et que le régime des ports soit suffisamment étudié. Là,
ce sera la seule allusion à une question particulière : que cies
ports en eau profonde comme la Pallice, accessibles en tout
temps, ne soient pas systématiquement dédaignés alors que
des travaux peu coûteux pourraient leur permettre d'accueillir
les plus gros minéraliers comme les plus gros pétroliers.
M. André Dulin. Merci pour la Pallice. Mais, pour Bordeaux,
on n'hésite pas !
(Sourires.)
M. Raymond Brun. Je vous en prie !
M. Yvon Coudé du Foresto. Ne faisons pas de cas particulier.
Nous demandons une part des investissements publics plus
raisonnable. Nous ne songeons pas à défavoriser des régions
pour lesquelles vous êtes obligés de faire un effort, nous le
savons, mais nous savons également
qu'il est absolument
indispensable d'accorder un peu plus aux régions défavorisées.
Mais voilà la partie essentielle, monsieur le secrétaire d'Etat :
nous demandons qu'une part à fixer des facilités financières,
primes et prêts, et des facilités fiscales soit affectée à ces
régions, cela avec une décentralisation effective, car elle
n'existe pas pour certaines régions autrement que sur le papier.
Je le souligne, car nous n'avons jamais vu un dossier traité
au centre même de la région. Il remonte toujours à Paris
.
Nous demandons une décentralisation telle que les préfets,
assistés au besoin d'une commission si vous le souhaitez, puis-
sent attribuer ces facilités aussi bien pour les extensions de
plus de dix ou de vingt ouvriers que pour les créations, car ils
sont à même de connaître les besoins de la région qu'ils admi-
nistrent.
Enfin, nous demandons que l'on codifie les droits des villes
en matière de facilités diverses pour éviter une surenchère. Je
crois que nous en souffrons tous, car nous essayons les uns
et les autres de surenchérir sur le voisin, ce qui est extrême-
ment mauvais. Nous avons d'autres arguments à faire valoir
que ceux-là.
Monsieur le secrétaire d'Etat — ce sera ma conclusion — je
vous rappelle que M. le Président de la République, lors de son
voyage dans les Ardennes, a déploré lui-même les erreurs qui
avaient entraîné la grève compréhensible des mineurs et leur
colère. Je crains que l'aménagement du territoire, tel qu'il est
conçu, ne conduise à des erreurs aussi regrettables entraînant
les mêmes effets même dans des régions réputées calmes et
que je souhaite vivement voir demeurer telles ; mais je crois
qu'il est de mon devoir de vous avertir que les réveils risquent
d'être pénibles si des mesures ne sont pas prises d'urgence.
Je ne suis ni inconditionnel, ni opposant systématique. Je
me borne à demander par votre entremise au chef du Gou-
vernement et au chef de l'Etat de ne pas écouter seulement
ceux qui n'osent pas leur dire des vérités parfois cruelles et,
pour ma part, j'aurai au moins la satisfaction de n'avoir pas
ménagé mes avertissements.
(Applaudissements à gauche,
au
centre gauche et à droite.)
M. le président.
La parole est à M. Chochoy, remplaçant
M. Courrière comme auteur de la question.
M. Bernard Chochoy.
Monsieur le président, mes chers
collè-
gues, mon collègue et ami M. Antoine Courrière, au nom du
groupe socialiste de notre Assemblée, a posé au Gouvernement
une question sur sa politique d'aménagement du territoire et
sur les principes directeurs qui la conditionnent.
Une partie de cette question porte plus spécialement sur les
mesures que le Gouvernement compte prendre pour la mise en
valeur de la région côtière du midi méditerranéen et, monsieur
le secrétaire d'Etat, je pense que vous apporterez à l'auteur de
la question toutes les informations désirables. Cependant il
m'échoit de faire connaître, au nom du groupe socialiste, les
très graves inquiétudes que nous causent les opérations d'amé-
nagement du territoire du Gouvernement. Je dis bien opéra-
tions, et non politique, car il est impossible de trouver dans ces
opérations diverses des principes, une méthode et des moyens
dignes du nom de politique : des principes fondés, nets et cohé-
rents, une méthode d'action qui ose s'avouer, des moyens
adaptés à l'importance de l'enjeu.
En d'autres termes, le compartiment
«
aménagement du ter-
ritoire » de la politique du Gouvernement pourrait se définir
bien plutôt comme ce qu'auraient dû être, mais ne sont pas, les
options majeures, économiques et sociales de ce Gouvernement
et comme une tentative de pallier les conséquences de cette
carence par des interventions partielles et mineures, là où elles
se manifestent, et à partir du moment où se cristallise un
mécontentement actif des populations susceptible d'inquiéter k
régime. C'est ce que soulignait tout à l'heure avec à propos
notre excellent collègue Coudé du Foresto
.
Monsieur le secrétaire d'Etat, n'étant pas moi-même l'auteur
de la question, je m'abstiendrai de vous entraîner dans un
problème auquel vous n'apporteriez pas de réponse préparée,
celui de la politique du Gouvernement concernant l'avenir d
.
ma région Pas-de-Calais-Nord. Je me bornerai à souligner
ce
que la presse, même la plus bienveillante,
a pudiquement appelé
«
le maigre bilan » de l'opération « priorité d'emploi » au
bénéfice des rapatriés en général et particulièrement dans nos
départements du Nord et du Pas-de-Calais
J'imaginais que le Gouvernement se serait ému du diagnostic
des plus alarmants établi à cette occasion concernant la santé
et l'avenir de cette région qui, à elle seule, représente une part
importante de la population et de la richesse de notre pays.
Deux constatations s'imposent en effet. Il n'a été possible de
trouver dans cette région que 5.000 emplois non instantanément
pourvus dans les activités ou les qualifications qui permettent
de ranger la majeure partie de ces emplois dans la marge que
laisse subsister tout corps économique, même
affecté d'un