N° 350 SENAT SECONDE SESSION ORDINAIRE DE 1977-1978 Annexe au procèkeifal de la séance du 11 mal 1978. DÉCLARATION DE POLITIQUE GÉNÉRALE DU GOUVERNEMENT Par M. RAYMOND BARRE, Premier Ministre. Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, Au lendemain des élections où le peuple français a tranché, et clairement tranché, il appartient au Gouvernement qui a été nommé par le Président de la République de traiter des problèmes de la France et faire en sorte que ces problèmes soient traités en profondeur. J'ai exposé à l'Assemblée Nationale, dans la déclaration de politique générale du Gouvernement, les grandes orientations de notre politique. M. le Garde des Sceaux ayant donné au Sénat lec­ ture de cette déclaration, je n'y reviendrai pas dans le détail. Je m'efforcerai seulement, aujourd'hui, d'indiquer, de façon peut-être schématique mais aussi claire que possible, quels sont les grands axes de la politique gouvernementale. Déclaration du Gouvernement. — Politique génitale • Agriculture • Collectivités locales » Entreprises publiques • Épargne - Famille • Industrie • Prix * Salaires • Sécurité. — 2 — Le Gouvernement a souhaité, à l'occasion de ce débat de poli­ tique générale, obtenir le concours du Sénat et son aide dans la tâche de grande ampleur qui est la sienne et c'est pourquoi, confor­ mément à l'article 49, alinéa 4, de la Constitution, il a demandé à votre Assemblée de s'exprimer par un vote. Puis-je vous dire, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, que je me souviens trop, et l'expression est euphémique, du concours que le Sénat a apporté au Gouvernement que je dirigeais dans une période difficile avant les élections pour ne pas me réjouir de cette décision qu'a prise le Conseil des Ministres et pour ne pas vous demander, une fois de plus, votre appui dans l'exercice des lourdes responsabilités qui sont celles du Gouvernement. Je dirai simplement, au sujet de la politique que conduit le Gouvernement, qu'elle a un objectif et un seul : adapter la France aux conditions modernes du monde. Ne parlons pas de crise avec l'idée qu'elle ne durera que quel­ ques mois, à l'issue desquels nous serons sortis des difficultés. Le monde a profondément changé. Ce monde dans lequel nous vivons est un monde impitoyable de concurrence. Il s'agit, pour la France, de savoir si elle peut faire face à cette concurrence, si elle peut s'y adapter, et il appartient aux Français et au Gouvernement, qui a la charge des intérêts du pays, de mettre celui-ci en état d'affron ­ ter la compétition internationale. Voilà pourquoi aucune autre considération ne devra intervenir dans la conduite de la politique gouvernementale, car il s'agit essen­ tiellement de la survie du pays. J'entends trop souvent, ici ou là, des propos, des revendications, des surenchères, qui aboutissent purement et simplement à deman­ der que des avantages de plus en plus nombreux soient saupoudrés, soient dispensés à tout le monde. Il n'en est pas question. Il s'agit de faire en sorte que notre pays soit capable de faire face s'il veut tenir son rang en Europe, à la construction de laquelle il se consacre depuis de nombreuses années, et dans le monde, où la concurrence des pays industrialisés et celle, croissante, des pays en voie de développement ne cessent de s'af­ firmer. Tant que nous n'aurons pas pris complètement conscience de la situation dans laquelle nous sommes, nous risquons de ne pas faire les efforts qui sont à la mesure des problèmes qui se posent à nous. A partir de là, la direction est très simple : il faut poursuivre le redressement économique et financier qui a été entrepris à par­ tir de 1976. Ce n'est pas facile et celui qui vous parle le sait mieux — 3 — que quiconque. En effet, il est peut-être aisé de dire que des mesures ne sont pas agréables à supporter, mais croyez bien qu'il n'est pas facile, dans l'exercice de l'action gouvernementale, de prendre des mesures dont on sait qu'elles sont douloureuses. Cependant, lors­ qu'il s'agit de les prendre, il faut en assumer la responsabilité. Le redressement économique et financier sera donc poursuivi, ce qui signifie qu'en matière de monnaie, de finances publiques, de crédit, nous maintiendrons les règles qui ont été jusqu'ici fixées. Nous le ferons parce que ce pays ne peut pas vivre au-dessus de ses moyens. Je le dis aussi bien pour les particuliers que pour l'État et notamment pour celui-ci. Ceux qui, depuis plusieurs années, ont eu la responsabilité de faire le budget de la nation savent parfaite­ ment à quelles difficultés il faut faire face. Notre but est de parve­ nir à une ma'trise de la dépense qui ne soit autre chose que l'ex­ pression d'un pays désireux de vivre dans la limite de ses moyens. Cette poursuite du redressement impose des mesures qui ne sont ni faciles à prendre ni aisées à supporter. Nous les prendrons. Le Gouvernement l'a déjà fait en ce qui concerne les tarifs publics. Je pense que des questions me seront posées sur ce point et j'y répondrai. Je dirai simplement que la solution de facilité pour le Gouver­ nement aurait été soit de ne pas décider de hausse des tarifs publics, soit de recourir à de faibles hausses et de renoncer à abor­ der franchement le grave problème que pose la situation financière des entreprises publiques. Dès l'an dernier, je l'avais exposé au Sénat, des mesures avaient été prises. Je vous le rappelle, au mois d'avril dernier les hausses avaient entraîné une augmentation de l'indice qui avait atteint 1,3%. J'avais prévenu le pays, je lui avais expliqué les raisons pour lesquelles de telles mesures étaient appliquées et elles avaient été comprises. Nous continuerons à expliquer au pays pourquoi de semblables mesures sont prises. Le Gouvernement est convaincu que le pays, comme il l'a déjà montré, saura faire face à ses propres responsa­ bilités car le Gouvernement n'est pas seul à les assumer, les Fran­ çaises et les Français doivent également le faire vis-à-vis de leur pays. Poursuivre le redressement économique et financier n'est pas une fin en soi. Le redressement du pays doit être assuré en fonction d'un objectif général que j'ai défini tout à l'heure, je le fais, d'ail­ leurs, depuis plusieurs mois, c'est-à-dire faire face à la concurrence internationale. — 4 — Il faut aussi que ce redressement soit mis au service du déve­ loppement de la France et, de ce point de vue, notre politique peut se résumer de la manière suivante : nous voulons une économie moderne de concurrence, nous voulons une société de progrès et de justice, nous voulons une société de responsabilité. Nous voulons une économie moderne de concurrence pour notre agriculture et pour notre industrie ; et d'abord pour notre agri­ culture, non seulement parce qu'elle contribue à la subsistance des Français, mais aussi parce qu'elle est une source d'exportations importante et, par conséquent, apporte une contribution essentielle à l'équilibre de notre commerce extérieur. Actuellement, l'agriculture française souffre de handicaps liés aux montants compensatoires dans le cadre de la Communauté. A l'heure même où je parle, M. le Ministre de l'Agriculture négocie, à Bruxelles, les développements de L politique agricole commune pour l'année 1978-1979. La Haute Assemblée peut être assurée que les intérêts de l'agriculture française ne seront pas sacrifiés et que nous nous efforcerons de réduire les montants compensatoires aussi rapidement que possible pour le plus grand bien de l'ensemble de l'économie française. Les montants compensatoires, qui s'élevaient à 21 % au mois de février dernier, ne représentent plus aujourd'hui, en raison de l'amélioration de la situation du franc, que 15 % et nous espérons qu'une nouvelle amélioration sera très prochainement obtenue. Au sujet de l'industrie, nous avons trop tendance à mettre l'accent sur les difficultés que rencontrent certaines entreprises dont il est question, ici ou là, avec plus ou moins de relief. Dieu merci, il existe en France beaucoup d'entreprises qui fonctionnent bien, beaucoup d'entreprises qui sont convenablement gérées, beaucoup d'entreprises qui exportent. Où serions-nous si nous n'avions pas ce tissu industriel solide ? Mais d'autres secteurs subissent le contrecoup de la crise internationale, ou bien sont affectés par les changements inévi­ tables qui se produisent dans les techniques, ou bien encore, c'est malheureusement le cas pour un certain nombre de celles qui tiennent, à l'heure actuelle, « la vedette >, sont dans la situation que nous connaissons parce que leur gestion a été défectueuse. Il n'appartient pas à l'État de venir en aide à des entreprises mal gérées, sauf si les conditions de la gestion changent. C'est la raison pour laquelle l'aide de l'État sera apportée uniquement — 5 — aux entreprises qui seront en mesure de présenter des plans de redressement convenables et, dans certains cas, lorsque des renou­ vellements dans les personnels dirigeants auront été opérés. Nous devons donner à notre industrie prospérité et vitalité. Nous le ferons en lui assurant, d'une part, la liberté de gestion et, d'autre part, les moyens de financement nécessaires. Nous lui donnerons la liberté de gestion par un retour pro­ gressif à la liberté des prix. Il n'est pas normal qu'un pays comme la France, au niveau de développement qu'il a atteint, soit encore géré selon des méthodes qui étaient peut-être justifiées dans le passé, mais qui ne le sont plus de nos jours. Il faut que cette évolution soit irréversible. Nous constatons, hélas ! que beaucoup de nos entreprises n'ont pas pu affronter la concurrence interna­ tionale faute d'une liberté de gestion suffisante. Il ne s'agit pas, comme on le prétend ici ou là, du retour à un libéralisme dépassé ou à un paléolibéralisme. Je regrette que des décisions aussi importantes soient analysées à la lumière d'idéologies qui n'ont aucun rapport avec la réalité. Il suffit de considérer comment réagissent les grandes éco­ nomies qui ont su affronter les changements intervenus dans l'économie internationale pour bien voir que notre problème est de savoir si nous entendons rester à la traîne ou si nous voulons, nous aussi, avoir une économie moderne et dynamique. Voilà pourquoi la voie a été ainsi tracée et elle sera poursuivie. Bien entendu, la liberté ne signifie pas, pour les entreprises, faire n'importe quoi dans n'importe quel domaine ; la liberté s'accompagne de responsabilités. En rendant aux entreprises la liberté de gestion, il ne s'agit pas, comme on le prétend ici ou là, d'un désengagement de l'État Celui-ci a ses responsabilités et il les assumera. Ce sont les modalités de son intervention qui vont changer. Mais il n'est pas possible, pour ce pays, de continuer à vivre selon un modèle dans lequel ceux qui devaient prendre les déci­ sions les laissaient prendre par l'État et où, toutes les fois qu'une difficulté se présentait, ils se retournaient également vers l'État, c'est-à-dire vers le contribuable, pour obtenir les aides ou subven­ tions nécessaires. Une économie de concurrence est celle dans laquelle les agents économiques responsables prennent leurs décisions et en tirent ou en subissent, le cas échéant, les conséquences. Tel est donc le premier axe que nous suivons : une économie moderne de concurrence. Je voudrais ajouter simplement sur ce point qu'en donnant la liberté de gestion nous n'entendons pas ignorer les problèmes — 6 — régionaux ; une politique vigoureuse d'aménagement du territoire sera menée de telle sorte que nos régions puissent se développer dans l'harmonie et l'équilibre. Il faut, à cette fin, des ressources financières. Des mesures seront soumises à l'Assemblée Nationale et au Sénat pour per­ mettre aux entreprises de bénéficier de fonds propres et pour faciliter l'orientation de l'épargne vers le secteur productif de l'économie française. Nous voulons, en second lieu, une société de progrès et de justice. Une telle société n'est pas celle où chacun s'efforce d'acquérir un privilège. C'est une société où certains privilèges disparaissent et où la situation d'un certain nombre d'individus ou de certains groupes se trouve améliorée par des actions diffé­ renciées. Nous souhaitons que cette économie soit une économie de concertation, et ce n'est pas le fait du Gouvernement si celle-ci n'a pas pu être, dans le passé, aussi large que le Gouvernement l'eût souhaité. J'espère que l'évolution des esprits que permet tou­ jours le verdict des urnes pourra contribuer à l'élargissement de cette concertation. Nous souhaitons, par ailleurs, que notre société soit une société de dialogue et que ce dialogue conduise à des résultats positifs pour ceux qui y participent. Les négociations entre partenaires sociaux doivent se déve­ lopper ; elles doivent, bien entendu, être menées dans le cadre des orientations générales du Gouvernement et dans le respect des équilibres fondamentaux de ce pays. Mais il y a beaucoup à faire en matière de négociations, et j'espère que celles qui ont été engagées récemment entre les partenaires sociaux pourront aboutir à des résultats positifs. Mais, je le répète, si nous voulons que cette société de pro­ grès soit une société de justice, il faut que nos actions soient différenciées. Comme le Gouvernement l'a indiqué dans sa décla­ ration de politique générale, une action sera menée de manière prioritaire en faveur des faibles rémunérations et une action en faveur des familles. Même si des décisions douloureuses doivent être prises sur le plan économique, la règle qui a été fixée par le Gouvernement en 1976, et qui continuera à être appliquée, est la règle du maintien du pouvoir d'achat. Pour toutes les catégories de Français, nous pouvons respec­ ter cette règle si nous acceptons un effort de discipline et si nous tirons le plus grand parti de la flexibilité et de la capacité d'adap­ tation de l'économie française. — 7 — Les Français savent, il suffit pour cela qu'ils observent ce qui se passe à l'étranger, que, depuis plusieurs années, d'autres pays connaissent une amputation du pouvoir d'achat. Le Gouver­ nement souhaite l'éviter aux Français ; nous avons pu y parvenir en 1977; nous pensons que, dans les années à venir, l'amputation du pouvoir d'achat pourra également être évitée. Au-delà du maintien du pouvoir d'achat, les actions différenciées en faveur de certaines catégories de la population se traduiront même par un progrès de celui-ci. Mais, dans les circonstances internationales et nationales où nous nous trouvons, il n'y a pas d'autre politique possible, sauf à accepter, à terme, la régression économique et, par conséquent, l'amputation du pouvoir d'achat des Français. Nous voulons, enfin, une société de responsabilité. Cette res­ ponsabilité doit se déployer pour assurer la sécurité des citoyens. Ce problème, auquel les Français sont sensibles, se pose en France, mais moins que dans d'autres pays. Et comment pourrai-je, à ce sujet, ne pas évoquer le destin tragique d'Aldo Moro, et ne pas voir, dans ce qui vient de se passer en Italie, une leçon, une grave leçon pour nos démocraties ? Le Gouvernement veillera à ce que la sécurité des Français soit assurée, parce que cette sécurité est la condition essentielle du développement pacifique de notre pays, parce que cette sécu­ rité est indispensable au déploiement des responsabilités que nous souhaitons par ailleurs. Cet effort en faveur d'un exercice plus large des responsa­ bilités par tous ceux qui ont vocation à les assumer, nous espérons, dès maintenant, en donner un certain nombre de preuves. J'ai parlé tout à l'heure de l'accroissement des responsabilités des chefs d'entreprise. Dès cette année, la loi-cadre qui est préparée par le Gouver­ nement sur les collectivités locales tendra à leur donner un champ de responsabilités plus étendu ainsi que les ressources qui leur permettront de les assumer. Nous espérons par ailleurs, et c'est l'orientation du Gouver­ nement en matière sociale, que la concertation et la négociation entre partenaires sociaux permettront d'aboutir à un exercice plus large des responsabilités des uns et des autres. En un mot, si nous voulons une société de concurrence, si nous voulons une société de progrès et de justice, il faut que les Français et les Françaises soient en mesure d'exercer leurs res­ ponsabilités. — 8 — Ce n'est pas, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, par idéolo­ gie que je tiens ces propos. Ce n'est pas, comme certains veulent le penser, par masochisme que le Gouvernement prend les décisions parfois rigoureuses qu'il est amené à prendre. Il les prend parce qu'elles doivent permettre à la France de jouer son râle dans l'éco­ nomie internationale et parce qu'elles sont indispensables à U sau­ vegarde du niveau de vie et du niveau de développement qui sont ceux de la France et qui ont été acquis par vingt années d'efforts. De même, ce n'est pas par attachement idéologique à un modèle particulier de société que nous souhaitons le progrès, la justice et la responsabilité. C'est parce que, au niveau de développement que la France a atteint, il est indispensable que certains carcans dis­ paraissent ; il est indispensable qu'une économie et une société modernes puissent être gérées selon des méthodes qui ne soient plus celles du passé, méthodes que je ne condamne pas, parce que, dans le passé, elles étaient appropriées, mais méthodes qui ne corres­ pondent plus au niveau où se trouve actuellement la France, méthodes qui ne correspondent plus aux aspirations des Français. En proposant cette politique et en la conduisant, le Gouverne­ ment répond aux exigences de la France à l'heure actuelle, aux exigences qui seront celles de notre pays dans les prochaines années. Le Gouvernement conduit une politique qui, j'en suis sûr, répond aux aspirations profondes des Français. Nous avons souvent tendance à considérer, dans ce pays, que rien ne peut se faire sans l'État tutélaire et sans l'Administration toute-puissante. Eh bien ! nous ne nions pas l'État, loin de là ; nous ne condam­ nons pas l'Administration, loin de là, et je voudrais ici, en tant que Premier Ministre, lui rendre hommage. Ce que nous devons faire, c'est donner à notre pays, après la période de développement qu'il vient de connaître, et pour faire face aux difficultés qu'il connaît et qu'il connaîtra, les moyens de continuer à être une grande nation moderne, les moyens de deve­ nir une nation sans cesse plus prospère, plus écoutée, plus respectée. Telles sont, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, les grandes orientations de la politique du Gouvernement. J'aurai, après vos interventions, à répondre de façon précise aux questions que vous me poserez ; mais vous savez désormais quel est le cap choisi. Ce cap sera tenu, et il le sera dans le seul respect et dans le seul souci des intérêts fondamentaux du pays. Imprimerie des Journaux officiels, 26, rue Desalx, Paris US').