SYNTHÈSE Apport de l’imagerie hybride TEMP-TDM en scintigraphie osseuse F. Gutman*, J.M. Esnault* L a scintigraphie osseuse est une méthode d’imagerie en médecine nucléaire fréquemment utilisée en orthopédie et en rhumatologie, car l’altération du métabolisme osseux peut être détectée avant les changements morphologiques. Il s’agit d’un examen sensible, peu invasif et peu coûteux. De plus, l’imagerie corps entier en scintigraphie osseuse offre la possibilité de s’assurer de l’intégrité du reste du squelette. La scintigraphie osseuse permet notamment la recherche de fissures, d’ostéonécrose, d’algo­ neuro­d ystrophie, d’ostéomes ostéoïdes, le suivi de la maladie de Paget, le bilan des rhumatismes inflammatoires chroniques et le dépistage précoce des métastases osseuses dans les cancers ostéophiles. Si sa sensibilité est excellente, sa spécificité est plus limitée, en partie du fait de l’absence de repère anatomique. Le principal problème est de définir de façon juste un diagnostic sur une hyperfixation unique et en particulier sur une anatomie squelettique complexe telle que le rachis ou les extrémités. Ainsi, en présence d’un foyer d’hyperfixation focalisé, il est souvent nécessaire de compléter la scintigraphie osseuse par un examen morphologique pour affirmer un diagnostic topographique précis. Une performance accrue a pu être obtenue dans certaines indications grâce à l’utilisation de la tomo­ scintigraphie osseuse (TEMP, ou SPECT en anglais), qui consiste à enregistrer les photons γ au cours d’une rotation complète du détecteur autour du corps. Elle permet d’obtenir une meilleure localisation des anomalies de fixation, notamment sur des structures osseuses complexes telles que le rachis (1-3), et fournit des images dans les 3 plans de l’espace, facilitant ainsi leur confrontation aux données TDM ou IRM. Elle permet donc d’améliorer la spécificité mais sans atteindre un niveau diagnostique optimal. C’est la corrélation des anomalies fonctionnelles avec des images anatomiques de qualité obtenues par TDM ou IRM qui rendra possible l’affirmation d’un diagnostic. Plus récemment, une avancée importante a été apportée avec l’apparition de caméras hybrides permettant de coupler la TEMP à la tomodensitométrie (caméra TEMP-TDM, ou SPECT-CT en anglais, avec une irradiation du patient minimisée par l’utilisation d’un scanner “low dose”). Ces caméras hybrides combinent ainsi les avantages d’une imagerie de haute sensibilité du métabolisme osseux et ceux d’une imagerie de la morphologie osseuse ; elles permettent de réaliser des coupes TDM sur les anomalies focalisées visualisées en scintigraphie osseuse dans la même session, ce qui réduit le temps diagnostique. Cette technique d’imagerie hybride augmente la sensibilité/spécificité de la scintigraphie osseuse en offrant la possibilité : ▶▶ de préciser la localisation exacte des anomalies scintigraphiques, en particulier la topographie osseuse ou articulaire, ce qui est important par exemple pour discriminer une fissure ou une arthropathie (figures 1 et 2, p. 4) : la TEMP-TDM permet de diag­nostiquer une fissure osseuse et des arthropathies sur des hyperfixations du tarse ; ▶▶ de produire une image de fusion qui superpose les anomalies scintigraphiques et les modifications TDM, ce qui garantit l’exactitude du repérage anatomique (4, 5), et contribue de ce fait à augmenter la spécificité de la scintigraphie osseuse (figure 3, p. 5) : aspect de “herniation pit” à la partie antérosupérieure du col fémoral droit) [6, 7]. Les images fusionnées instantanément non seulement sont plus faciles à interpréter, mais aussi améliorent les performances diagnostiques des 2 modalités acquises séparément (6) ; ▶▶ d’apprécier l’aspect morphologique de l’os par le biais de la TDM, qui contribue au diagnostic différentiel des lésions osseuses et permet alors ­d’augmenter * Service de médecine nucléaire, centre hospitalier de Marne-la-Vallée. La Lettre du Rhumatologue • Suppl. au n° 393 - juin 2013 | 3 SYNTHÈSE Face antérieure Face postérieure Figure 1. Douleur tibio-astragalienne antérieure gauche chez une patiente sportive de 28 ans (athlétisme). Scintigraphie osseuse aux temps tissulaire et osseux : hyperfixation focale intense du tarse gauche sur les données scintigraphiques, se projetant sur les données de fusion en regard de l’os naviculaire, ce qui témoigne d’une lésion fissuraire. (Service de médecine nucléaire de Jossigny, groupe CMN.) Face antérieure G Face postérieure D G D Pieds 5 mn FP Figure 2. Douleurs invalidantes post-traumatiques du pied gauche chez une patiente de 40 ans. Suspicion d’une algodystrophie devant la persistance de douleurs. Scintigraphie osseuse aux temps tissulaire et osseux : hyperfixations focales articulaires du tarse gauche, sous-talienne et calcanéocuboïdienne, traduisant des arthropathies. (Service de médecine nucléaire de Jossigny, groupe CMN.) 4 | La Lettre du Rhumatologue • Suppl. au n° 393 - juin 2013 SYNTHÈSE Face antérieure Face postérieure Figure 3. Bilan d’extension chez un patient suivi pour une néoplasie prostatique. Hyperfixation en regard d’une hernie synoviale intra-osseuse (“herniation pit”). (Service de médecine nucléaire de Jossigny, groupe CMN.) Face antérieure Face postérieure Figure 4. Bilan d’extension chez une patiente suivie pour une lésion mammaire. Hyperfixation humérale gauche proximale. Aspect TDM en faveur d’un chondrome. (Service de médecine nucléaire de Jossigny, groupe CMN.) La Lettre du Rhumatologue • Suppl. au n° 393 - juin 2013 | 5 SYNTHÈSE la “certitude diagnostique” en montrant des anomalies morphologiques ostéoarticulaires correspondant aux hyperfixations observées sur les images planaires, que ce soit pour un aspect bénin ou malin (figure 4, p. 5). Plusieurs études récentes dans des pathologies non oncologiques ont montré que cette technologie TEMP-TDM permet en scintigraphie osseuse de caractériser certaines hyperfixations de signification douteuse : E. Even-Sapir et al. (8) démontrent un apport de la TEMP-TDM chez 89 % des patients, présentant des images non spécifiques en scintigraphie planaire. En caractérisant les lésions identifiées en scintigraphie osseuse sur le plan morphologique, la TEMP-TDM a permis d’établir le diagnostic fi nal chez 59 % de ces patients et d’orienter la poursuite des investigations chez les autres patients. De même, cette modalité d’imagerie a permis de modifier le diagnostic pour près de 35 % des patients dans les pathologies osseuses des extrémités (9). Temps tissulaire Temps osseux Face antérieure Face antérieure Temps tissulaire Face postérieure En cancérologie, le diagnostic des métastases osseuses fait appel à 2 types d’imagerie qui détectent directement l’infiltration tumorale ou visualisent la réaction osseuse au processus tumoral. Elles sont utilisées de façon complémentaires. La scintigraphie osseuse planaire est la méthode de choix pour explorer l’ensemble du squelette mais avec une spécificité insuffisante (10) pour différencier les lésions secondaires des autres pathologies osseuses, et notamment les lésions dégénératives sur le rachis. La localisation précise des lésions en TEMP-TDM fournit alors une information primordiale pour distinguer les lésions bénignes des lésions malignes (figure 5). M. Horger et R. Bares (7) ont montré que la TEMP-TDM permet de classer correctement en lésions bénignes ou malignes 85 % des lésions osseuses non spécifiques visualisées en scintigraphie planaire alors que la TEMP seule ne permettait d’en classer correctement que 36 %. De même, W. Romer et al. (11) ont montré que la TEMP-TDM permettait de préciser la nature Temps osseux Face postérieure Figure 5. Douleurs costales dans un contexte de carcinome bronchique opéré. Scintigraphie osseuse aux temps tissulaire et osseux : hyperfixation linéaire latéralisée à gauche du plateau supérieur de T8, en regard d’un tassement vertébral d’allure dégénérative, confirmé sur les données IRM (prise de contraste linéaire limitée). (Service de médecine nucléaire de Jossigny, groupe CMN.) 6 | La Lettre du Rhumatologue • Suppl. au n° 393 - juin 2013 SYNTHÈSE d’environ 90 % des lésions non spécifiques en scintigraphie osseuse. La ­T EMP-TDM permet de demander moins d’examens morphologiques de confrontation lorsqu’elle met en évidence des lésions arthrosiques correspondant à des hyperfixations en planaire considérées comme vraisemblablement non malignes et au contraire de montrer des lésions lytiques ou condensantes en regard de foyers suspects. Au final, même si la TDM et l’IRM sont des techniques d’imagerie performantes en pathologie osseuse, la scintigraphie osseuse garde l’avan- tage d’une méthode très sensible aux modifications fonctionnelles de l’os et permet une étude rapide et peu coûteuse du métabolisme osseux sur le corps entier. Toutefois, les difficultés pour localiser précisément les anomalies de métabolisme osseux sur une anatomie squelettique complexe ont affaibli le rôle clinique de cet examen. Aujourd’hui, l’imagerie hybride ­T EMP-TDM permet de surmonter cette difficulté en fournissant des images précisément recalées entre la structure et le métabolisme osseux sur une seule image. ■ L es auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références bibliographiques 1. Hamaoka T, Madewell JE, Podoloff DA, Hortobagyi GN, Ueno NT. Bone imaging in metastatic breast cancer. J Clin Oncol 2004;22(14):2942-53. 2. Gates GF. SPECT bone scanning of the spine. Semin Nucl Med 1998;28(1):78-94. 3. Reinartz P, Schaffeldt J, Sabri O et al. Benign versus malignant osseous lesions in the lumbar vertebrae: differentiation by means of bone SPET. Eur J Nuclear Med 2000;27(6):721-6. 4. Schillaci O, Danieli R, Manni C, Simonetti G. Is ­SPECT/­CT with a hybrid camera useful to improve scintigraphic imaging interpretation? Nucl Med Commun 2004; 25(7):705-10. 5. Roach PJ, Schembri GP, Ho Shon IA, Bailey EA, Bailey DL. SPECT/CT imaging using a spiral CT scanner for anatomical localization: Impact on diagnostic accuracy and reporter confidence in clinical practice. Nucl Med Commun 2006;27(12):977-87. 6. Utsunomiya D, Shiraishi S, Imuta M et al. Added value of ­SPECT/­CT fusion in assessing suspected bone metastasis: comparison with scintigraphy alone and nonfused scintigraphy and CT. Radiology 2006;238(1):264-71. 7. Horger M, Bares R. The role of single-photon emission computed tomography/computed tomography in benign and malignant bone disease. Semin Nucl Med 2006;36(4):286-94. 8. Even-Sapir E, Flusser G, Lerman H, Lievshitz G, Metser U. ­S PECT/­m ultislice low-dose CT: a clinically relevant constituent in the imaging algorithm of nononcologic patients referred for bone scintigraphy. J Nucl Med 2007; 48(2):319-24. 9. Linke R, Kuwert T, Uder M, Forst R, Wuest W. Skeletal ­SPECT/­CT of the peripheral extremities. AJR Am J Roentgenol 2010;194(4):W329-35. 10. Algra PR, Bloem JL, Tissing H, Falke TH, Arndt JW, Verboom LJ. Detection of vertebral metastases: comparison between MR imaging and bone scintigraphy. Radiographics 1991;11(2):219-32. 11. Romer W, Nomayr A, Uder M, Bautz W, Kuwert T. SPECTguided CT for evaluating foci of increased bone metabolism classified as indeterminate on SPECT in cancer patients. J Nucl Med 2006;47(7):1102-6. AVIS AUX LECTEURS Les revues Edimark sont publiées en toute indépendance et sous l’unique et entière responsabilité du directeur de la publication et du rédacteur en chef. Le comité de rédaction est composé d’une dizaine de praticiens (chercheurs, hospitaliers, universitaires et libéraux), installés partout en France, qui représentent, dans leur diversité (lieu et mode d’exercice, domaine de prédilection, âge, etc.), la pluralité de la discipline. L’équipe se réunit 2 ou 3 fois par an pour débattre des sujets et des auteurs à publier. 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