Quel rôle respectif peut-on attribuer à la consommation et à l

publicité
Quel rôle respectif peut-on attribuer à la consommation et
à l’investissement dans la croissance et les fluctuations aux
XIX et XX° siècle dans les pays occidentaux ?
Source : Catherine Feuillet (Melchior)
Même si il a existé des périodes de croissance c'est-à-dire d’augmentation des richesses avant
le XIX° siècle on peut considérer que c’est à partir de cette période que les économies et
sociétés occidentales se sont vraiment engagées dans des processus de croissance. Mais ces
processus n’ont pas été réguliers. Ils se sont accompagnés de fluctuations qui ont ponctué à
intervalles plus ou moins irréguliers le déroulement de la croissance. La croissance que l’on
peut définir comme l’augmentation durable du PIB a fait l’objet d’analyses de plus en plus
importantes au cours du temps et on a cherché à savoir comment elle était générée, comment
on pouvait augmenter le taux de croissance mais aussi pourquoi à certains moments il pouvait
y avoir un ralentissement de la croissance, ou même une diminution du PIB sur des périodes
plus ou moins longues, ce qu’on a appelé récession ou dépression selon la durée des
mouvements.
Le développement de la comptabilité nationale à partir des années 1950 a permis des
approches statistiques qui sont venues étoffer les approches théoriques : quels enseignements
peut-on tirer des chiffres et des équations comptables ? Comment expliquer la croissance du
PIB ?
Le PIB c'est-à-dire le produit intérieur brut représente les ressources qui sont à la disposition
des consommateurs et des entreprises. L’augmentation du PIB désigne donc une
augmentation des ressources disponibles. Ces ressources sont destinées à être utilisées : c’est
ce qu’illustre le tableau « Entrées –sorties » de la comptabilité nationale. Comment les
ressources sont elles utilisées ? On peut rappeler les grandes lignes de ce tableau :
PIB + Importations=Consommation intermédiaire+ consommation
finale+FBCF+Exportations+Variations de Stock.
Il apparait aussitôt que la consommation (finale) et l’investissement (FBCF) sont des
utilisations des ressources crées, c'est-à-dire du PIB.IL en résulte que on peut se poser la
question suivante : Si l’on regarde ce qui s’est passé depuis le XIX° siècle et les débuts de
l’industrialisation, qu’est ce qui peut bien expliquer la croissance : la consommation ou
l’investissement ou les deux ?Et si l’on veut augmenter le taux de croissance, sur quoi faut-il
compter : la consommation ou l’investissement ?
Si cette question apparait être d’une brulante actualité (politiques d’offre contre politiques de
la demande) il n’en demeure pas moins qu’elle semble avoir été au cœur des préoccupations
des individus qu’ils fussent consommateurs, entrepreneurs, théoriciens, ou même décideurs
politiques depuis longtemps.
Consommation et Investissement sont les deux sources de la croissance, il ne faut donc pas
choisir : les périodes de forte croissance ont été des périodes au cours desquelles il y avait une
augmentation des quantités consommées et de l’investissement tandis que les périodes de
récession et e dépression ont été marquées par la faiblesse de ces deux agrégats. Et
aujourd’hui alors que dans les économies anciennement développées on déplore la faiblesse
du taux de croissance, il semble a priori qu’il faille agir en direction à la fois de la
consommation et de l’investissement.
Et en amont de ces préoccupations la question centrale est donc celle de la politique à mener
pour maintenir ou rétablir un taux de croissance considéré comme optimal au regard des
caractéristiques des pays c’est à dire au regard de l’histoire mais aussi des normes en terme
notamment de qualité de vie et des normes environnementales.
Nous montrerons donc que la consommation et l’investissement entretiennent de manière
complémentaire la croissance. Et que c’est aussi parce que la consommation et
l’investissement nourrissent tous deux la croissance qu’il ne faut pas négliger l’un des deux au
risque de voir l’économie basculer dans la crise. Enfin à la lumière des difficultés
économiques actuelles nous montrerons que la relation entre consommation et investissement
pour assurer la croissance est sans doute de plus en plus complexe ce qui pose la question de
la bonne politique économique à mette en place pour assurer la croissance.
1) La consommation et l’investissement sont au cœur des processus de croissance depuis
la période appelée traditionnellement le décollage. Cette affirmation peut être étayée à
partir de différents angles d’attaque : tout d’abord on peut observer la complémentarité
entre ces deux grandeurs quand on s’intéresse à la croissance dans l’histoire des
économies depuis le XIX siècle, on peut en expliquer les mécanismes et on peut se référer
aux travaux des auteurs.
A - Si chaque période est évidemment marquée par des spécificités qui sont liées à un
contexte politique, institutionnel, démographique et social, il n’en demeure pas moins que
l’on peut lier de manière générale consommation et investissement pour expliquer la
croissance depuis le XIX°siècle et sans doute de manière plus marquée depuis le XX° siècle
On peut l’illustrer par exemple à partir de plusieurs exemples : la croissance industrielle au
XIX° siècle, l’émergence du fordisme dans les années 1920 puis son développement pendant
les 30 Glorieuses.
AU XIXème siècle, l’expansion se réalise autour d’une ou deux industries motrices qui
exercent des effets d’entrainement sur l’ensemble de l’économie. Le développement des
chemins de fer, des industries sidérurgiques et mécaniques met bien en évidence les
interdépendances entre la consommation et l’investissement : par exemple les investissements
dans le chemin de fer ne sont possibles que parce qu’ il y a une demande de transport et cela
depuis la première liaison entre Liverpool et Manchester en 1830(Rosier, les théories des
crises économiques)Cela entraine une conjoncture favorable à la fois aux profits et aux
salaires qui nourrit des anticipations positives qui permettent d’installer le système dans une
croissance durable. Plus tard Le fordisme est mis en place aux Etats Unis et consiste en cette
stratégie qui cherche à associer le consommateur à la croissance en lui permettant d’acheter
donc de consommer les produits que son travail réalisé sur des machines et plus
particulièrement son travail à la chaine dans l’industrie automobile a contribué à créer. Ford a
bien compris que la seule façon d’assurer des débouchés aux firmes est de distribuer aux
salariés un salaire conséquent. Mais en même temps, comme les salaires sont un coût, il faut
augmenter la productivité donc investir, innover et standardiser ce qui est déjà au cœur des
stratégies tayloriennes depuis le début du XX° siècle.
On retrouve cela à une échelle bien plus grande pendant les 30 Glorieuses et c’est l’ensemble
du système qui est alors concerné par cette complémentarité. Tant les éléments sont liés tant il
est difficile de trouver un élément moteur de la croissance. C’est une période où il y a des
gisements de productivité colossaux notamment en France et qui n’attendent qu’une allumette
pour embraser tout le système : Les gains de productivité permettent une augmentation du
gâteau à partager et même si il demeure des inégalités, tout le monde, certes à son rythme, en
profite. Ce sont les dividendes du progrès dont parle P.Massé. Ces gains sont liés en amont à
des investissements qui ont à ce moment une double nature : à la fois de capacité et de
productivité ; ils permettent une production plus importante et plus rapide et le prix relatif des
biens produits diminue par rapport au salaire. Ces investissements n’ont de sens que parce
qu’il y a une augmentation de la demande finale mais celle-ci se manifeste parce que il y a
une augmentation du pouvoir d’achat des « travailleurs-consommateurs », ce qui met en
évidence une sorte de cercle vertueux, « Offre/Demande » et qui est illustrée concrètement par
l’augmentation des taux d’équipement des ménages en machineries domestiques diverses.
B - Mais la croissance prend sa source au sein des entreprises. Comment peut-on mettre en
évidence la complémentarité entre la consommation et l’investissement au sein de la firme ?
Le modèle standard de la microéconomie enseigne que la combinaison entre les facteurs
travail et capital aboutit à un produit qui est écoulé sur le marché de concurrence parfaite. La
croissance de la firme est obtenue par une augmentation des quantités de facteurs utilisés
et/ou par des gains de productivité. L’augmentation des quantités de capital (qui se traduit
concrètement par une augmentation de la quantité d’équipement dans l’entreprise) participe à
l’augmentation de la taille de la firme et est le résultat de l’investissement par définition.
Associée à une quantité de travail croissante elle aussi à un rythme proportionnel ou non à
l’augmentation de la quantité de capital, cette situation permet à la firme d’avancer sur le
sentier d’expansion. On voit bien le rapport entre l’investissement réalisé dans l’entreprise et
l’augmentation de sa taille, donc sa croissance. D’ailleurs l’expression même d’ «
investissement de capacité » désigne cette qualité qu’a l’investissement de permettre la hausse
des « capacités » c'est-à-dire la croissance. Mais le rôle de la consommation est plus complexe
dans ce modèle. L’idée est que l’entreprise qui met des produits sur le marché n’a aucune
contrainte de débouché suivant en cela la loi des débouchés de J.B.Say. Elle peut donc
augmenter les quantités produites sans risque à condition qu’elle suive les règles de la
concurrence parfaite mais ceci est mécanique puisque le fait de déroger aux principes de la
concurrence (contrainte de prix, contrainte de rémunération des facteurs de production…)
l’exclut immédiatement du marché. Donc l’augmentation des quantités produites grâce à
l’investissement trouve des débouchés automatiquement : l’offre (c’est à dire la production
mais aussi l’investissement) crée sa propre demande c'est-à-dire que l’investissement crée la
consommation. Et en agrégeant les données microéconomiques, on retrouve ce qui a été vu
plus haut : la consommation et l’investissement sont bien complémentaires dans l’explication
de la croissance, mais c’est une sorte de complémentarité automatique !
Ces mécanismes sont donc par trop simplificateurs et on peut réfléchir à la façon dont les
firmes ont cherché à assurer leurs débouchés dans un cadre qui est plus proche de la réalité et
qui est celui de la concurrence imparfaite. Dès les années 1930, Chamberlain analyse les
processus de différenciation des produits mis en place par les firmes pour s’assurer un pouvoir
de marché. Ces stratégies de différenciation sont au cœur du fonctionnement des entreprises
pendant les 30 Glorieuses. En même temps que les produits sont standardisés les firmes
s’attachent leurs clients en réfléchissant au petit point de détail qui fera la différence par
rapport au concurrent…et elles investissent en fonction de cela, on assiste bien à un
formidable cheminement qui va de l’investissement à la consommation et qui retourne à
l’investissement et ainsi de suite…
C- L’ analyse économique fournit un certain nombre de paradigmes qui permettent de bien
comprendre la complémentarité de la consommation et de l’investissement dans l’analyse
historique et théorique de la croissance. La complémentarité de la consommation et de
l’investissement c’est d’abord l’illustration de ce que l’économie fonctionne comme un
circuit, premier paradigme. Quesnay est le premier auteur à le mettre en évidence. Chaque
classe de la société participe à l’harmonie de l’ensemble. Toutes les classes sont liées au sein
d’un circuit qui va de la production à la distribution de la valeur. Par extension on peut
considérer que consommation et investissement sont deux pôles de ce circuit.
Mais c’est surtout Keynes qui met en évidence les liens forts entre consommation et
investissement parce que justement il est marqué par ce qu’il observe dans les années1030 :
l’équilibre entre la consommation et l’investissement est rompu, ce que n’ont pas vu les
investisseurs qui ont trop cru en la loi des débouchés : ceux-ci ne sont pas assurés
automatiquement, il faut intervenir dans l’économie pour assurer aux entreprises des
débouchés : comment ? C’est alors qu’il faut faire entrer en scène le mécanisme du
multiplicateur. La décision d’injecter de la monnaie dans l’économie pour déclencher des
opérations d’investissement ce qu’on voit par exemple au moment des grands travaux aux
Etats-Unis dans les années 1930 permet de comprendre cette complémentarité entre la
consommation et l’investissement. Ces grands travaux se traduisent par des commandes
publiques notamment à des fournisseurs qui voient ainsi leur activité se développer, ce qui a
entre autres conséquences positives une augmentation de l’emploi et /ou de la rémunération
du travail ce qui se traduit, pour un taux d’épargne donné par une augmentation de la
consommation. On peut bien se représenter cela de manière statique mais aussi dynamique :
c'est-à-dire à un moment donné on comprend bien la relation mais il faut aussi l’envisager en
pensant au mouvement dans l’économie, c'est-à-dire que c’est bien le supplément
d’investissement qui doit être conforté par un supplément de demande, mais aussi, un
supplément de consommation qui va susciter une hausse de l’investissement ce qui est le cœur
de la thèse d’ Aftalion : l’investissement est expliqué par la croissance de la demande et
l’augmentation de l’ investissement est expliqué par la dérivée seconde de la demande c’est à
dire par son accélération. Ainsi les investissements croissants dans les années 1960 ne l’ont ils
été que parce que les anticipations relatives à l’augmentation ce la demande étaient tout à fait
positives.
Transition :
Il y a donc une relation forte entre consommation et investissement, qui sont deux agrégats
qui permettent de nourrir la croissance. On peut l’observer et on peut l’analyser comme nous
venons de le voir. Si l’on revient sur la question de la différence entre approche statique et
approche dynamique, il apparait alors un nouvel éclairage : C’est sans doute le déséquilibre
entre la consommation et l’investissement qui explique au moins en partie les crises et les
fluctuations qui se sont succédé depuis le XIX° siècle.
2) On peut observer ce qui s’est passé au cours des crises et des récessions et dépressions
qui ont traversé les pays depuis le XIX° siècle et profiter des travaux des auteurs pour
en dégager des analyses sur les rapports de la consommation et de l’investissement en
période de difficultés économiques.
A- Tout d’abord il faut remarquer que un certain nombre de crises au cours du XIX° siècle
demeurent des crises d’ancien régime c'est-à-dire des crises qui sont d’abord expliquées par
des phénomènes climatiques qui viennent désorganiser la production agricole à un moment où
celle-ci représente une grande partie de la production de richesses. Cela se traduit par des
disettes liées à la faiblesse de l’offre agricole : dans ce cas la volonté d’établir un lien entre
consommation et investissement dans l’explication des crises et du marasme économique n’a
qu’un intérêt limité.
Mais le développement des productions industrielles va mettre en évidence cette question du
rapport entre consommation et investissement. Par exemple, B.Rosier montre bien dans « les
théories des crises économiques » comment se produit le déséquilibre qui va faire basculer
l’économie dans la crise puis la dépression. La poursuite des investissements et
l’augmentation des productions créent les conditions de la rupture quand la demande ne suit
plus. Les anticipations de profit deviennent pessimistes, et si l’expansion s’est réalisée autour
de quelques industries motrices qui ont eu des effets d’entrainement sur l’ensemble de
l’économie, de la même façon le déséquilibre parti d’une activité particulière ( chemins de fer,
sidérurgie, mécanique) va se diffuser à l’ensemble de l’économie et puisque le système est un
circuit, on assiste à des réactions en chaine : à la fois dans la sphère économique mais aussi
sociale : chute des prix, chute des profits, chute des salaires, faillites, chômage, misère
ouvrière. Et c’est ainsi qu’entre 1816 et 1914 on ne compte pas moins de 12 crises
économiques ! Et on voit bien l’aspect dynamique de ces situations : c’est la simple variation
d’une grandeur jouant un rôle important dans l’économie qui produit des réactions en chaine.
On ne peut laisser de coté la question de la crise de 1929 qui nous semble être un bon exemple
de l’articulation entre la consommation et l’investissement. La crise de 1929 s’inscrit bien
dans le schéma des crises classiques et des fluctuations se manifestant 8 ans après la crise de
reconversion de 1921.Elle fait suite à une période d’expansion économique depuis 1922 ellemême liée aux applications de la seconde révolution industrielle, applications industrielles de
l’électricité, du moteur à explosion et de la chimie ; les innovations notamment dans le
domaine de l’organisation du travail permettent d’augmenter la productivité apparente du
travail : « les conditions de la production de masse sont dès lors réunies »(B.Rosier).Mais la
répartition des revenus est inégale et si le salaire est un coût il est aussi un revenu et le support
de la consommation. Et le fait de maintenir les salaires à un niveau faible empêche la
consommation de jouer son rôle : être le débouché de productions croissantes. On voit
immédiatement le déséquilibre qui va résulter de cela et qui montre une fois encore
l’importance des ces deux piliers de l’activité : la consommation et l’investissement.
B- Les travaux théoriques permettent d’affiner les analyses des rapports de la consommation
et de l’investissement dans les mécanismes de fluctuations. Quels sont donc les auteurs qui
nous permettent d’avancer dans la compréhension ? Nous pouvons évoquer les analyses
classiques par exemple en France celle de J.Rueff qui considère que toute crise est
conjoncturelle et que le moyen d’en sortir est de libérer le marché de toute entrave. Il ne s’agit
donc pas d’un problème de déséquilibre entre la consommation et l’investissement mais d’un
« défaut » systémique de l’organisation : on ne respecte pas les règles de la concurrence
parfaite : nous laissons de coté ce type d’analyse qui s’appuie sur une représentation
extrêmement éloignée de la réalité et qui repose aussi sur le rejet de l’intervention de l’Etat.
Par contre la référence à Galbraith nous semble tout à fait importante. Galbraith insiste bien
sur l’écart qui s’est creusé entre l’augmentation de la productivité du travail et la quasi
stagnation des salaires et des prix au moment de la crise de 1929. Ceci se traduit par de
grandes inégalités de revenus : les détenteurs de profits bénéficient de l’augmentation des
revenus du capital justement permise par la hausse de la productivité et le maintien des
salaires à un niveau plus bas que ce que permettrait la hausse de la productivité. Ce faisant les
entreprises se privent de leurs débouchés alors même qu’elles ne cessent d’investir davantage
galvanisées par les profits croissants. Ce mécanisme déjà présent au XIX° siècle prend une
ampleur bien plus grande avec la crise de 1929.On retrouve en fait cette idée de déséquilibre
chez Aftalion qui dès 1909 nous dit que « la cause immédiate de la crise consiste en la
capacité de forces productives trop accrues d’ encombrer les débouchés par la masse de
marchandises précipitamment manufacturées »(revue d’économie politique, n.2, 1909) Nous
pouvons remarquer l’importance du mot « précipitamment » qui montre bien que l’action
économique doit se faire en prenant le temps de « réfléchir » à l’équilibre : trop investir, c'està-dire investir sans tenir compte des débouchés donc de la consommation, c’est provoquer à
coup sûr une crise. Les fluctuations sont donc la succession de mouvements opposés :
surcapitalisation quand la consommation ne suit pas d’une part, sous capitalisation quand les
moyens de production, résultat de l’investissement, sont insuffisants par rapport à la demande
d’autre part.
Keynes ne reprend pas à son compte les analyses d’Aftalion, notamment le modèle de
l’accélérateur qui donne à la variation de la demande un rôle moteur dans l’explication de
l’investissement; néanmoins son analyse va dans le même sens : l’économie est dans l’histoire
et le système doit être régulé par les institutions. Et surtout Keynes à travers le paradigme des
anticipations nous permet de comprendre combien investissement et consommation sont liés.
Les difficultés économiques sont expliquées par une insuffisance de la demande effective
c'est-à-dire par des anticipations négatives de la part des entreprises concernant la demande
finale, ce qui décourage l’investissement. Le circuit keynésien met bien en évidence que la
dépense totale est la somme de la dépense d’investissement et de la dépense de
consommation. On comprend bien que la faiblesse de l’une de ces deux composantes a des
conséquences négatives sur l’ensemble du système. D’ou l’importance que prend la
propension à consommer. Plus celle-ci est grande (proche de 1) plus le multiplicateur est
efficace.
Transition
Ainsi non seulement les observations des situations économiques mais aussi les analyses
théoriques nous confortent dans cette idée que consommation et investissement sont liés. Ceci
est vrai dans des situations de croissance et vrai aussi en cas de crise. Mais la question n’est
pas réglée pour autant et l’examen de la période actuelle permet d’approfondir les analyses.
3) La période actuelle permet de nouveaux éclairages.
La situation actuelle est caractérisée par des grandes difficultés économiques : en simplifiant
stagnation du pouvoir d’achat et anticipations négatives (ce qui apparait par exemple dans les
medias à travers les enquêtes fréquentes sur le moral des consommateurs) brident la
consommation mais aussi faiblesse du taux de marge des entreprises qui ont aussi des
anticipations négatives ce qui gêne l’investissement (la relation taux de marge/investissement
serait à analyser de plus près mais ce n’est pas notre sujet)
Nous pouvons donc nous demander pourquoi on n’agit pas à la fois en faveur de la
consommation et de l’investissement puisque tout le monde s’accorde à dire que la
consommation et l’investissement sont deux agrégats nécessaires à la croissance et que
l’histoire enseigne que la faiblesse de l’une ou l’autre de ces grandeurs a des conséquences
négatives sur l’économie. C’est à dire pourquoi ne cherche-t-on pas à assurer la croissance de
la consommation et l’investissement, les consommateurs seraient satisfaits de pouvoir
consommer et les entreprises satisfaites de voir leurs débouchés assurés grâce à des produits
eux-mêmes résultats d’innovations !
Cette représentation est un peu simplifiée et La réalité est en fait bien plus complexe.
A- La période actuelle met cruellement en évidence le fait que les ressources sont limitées et
donne une nouvelle envergure au paradigme de la rareté : les ressources en période de crise
sont plus rares et donc les contraintes sont plus rudes et les choix s’imposent de plus en plus.
C’est la fameuse question des dividendes du progrès mais à l’envers. C’est à dire quand le
gâteau rétrécit, les parts du gâteau sont plus petites et les sommes allouées par exemple à la
rémunération du travail ce qui nourrit la consommation sont plus faibles et on peut faire le
même raisonnement pour les sommes allouées à la rémunération du capital ce qui (en
simplifiant) nourrit l’investissement.
Il va donc falloir privilégier l’un des deux pôles, or la consommation représente dans les
économies occidentales plus de 50% du PIB.C’est à dire que la contribution de la
consommation à la croissance est très forte : par exemple quant la consommation augmente de
1%, elle assure du même coup 0,5 % de croissance nationale. Mais on ne peut s’arrêter à ce
raisonnement : en effet une économie qui s’appuie trop sur la consommation ne tarde pas à
voir s’épuiser les sources de sa croissance : en effet si on investit peu, on innove peu, donc les
produits se banalisent ce qui démotive les consommateurs et ce qui épuise ce modèle trop
fondé sur « l’aval » et pas assez sur « l’amont ».Certes les conséquences d’une politique
favorisant la consommation sont immédiates, par exemple la hausse du pouvoir d’achat à
travers une diminution de la TVA , ou une hausse des salaires faibles et moyens c'est-à-dire
ceux dont les détenteurs ont une forte propension à consommer. En fait ces politiques
favorisent le court terme au détriment du long terme et pour reprendre les mots de P.Artus,
c’est une façon de ruiner nos enfants puisque on a oublié de se projeter dans l’avenir.
Donc, dans ces conditions il faut plutôt favoriser l’investissement et notamment l’innovation
qui est le seul moyen de mettre sur le marché des produits qui vont doper la consommation.
Oui mais on se heurte à un grand problème qui apparait central en ce moment : si l on investit,
les résultats ne peuvent apparaitre qu’à long terme alors même que les consommateurs sont
pressés de voir leur pouvoir d’achat augmenter, c'est-à-dire ont une préférence pour le présent
: c’est tout simplement un conflit entre le court terme et le long terme.
B- La période actuelle met aussi en évidence que les choix peuvent échapper en partie aux
économistes et être déterminés par des contraintes institutionnelles ou politiques. On peut le
mettre en évidence aujourd’hui quand on examine les décisions qui sont prises au sein de
l’Union européenne. Une des caractéristiques des crises en général et donc de celle-ci est le
resserrement de la rareté. Et c’est cela qui guide les politiques suivies qui sont des politiques
de rigueur au sein de l’Union. Ces politiques cherchent à rétablir l’équilibre budgétaire dans
les économies marquées par le déficit et la dette publiques par une augmentation des impôts
et/ou une réduction de la dépense publique. L’exemple de la Grèce est connu de tous. Devant
les risques pour la consommation et l’investissement, c’est à dire pour la croissance que
représentent ces politiques, des économistes comme J.Stiglitz ou P.Krugman sont intervenus
pour affirmer que le seul moyen de sortir des difficultés, dans la mesure où les économies se
trouvent dans ce que Keynes a appelé la trappe à liquidité, est de faire « fonctionner » le
multiplicateur keynésien. Mais cela n a de sens qu’au n niveau de l’Union dans son ensemble,
ce que J.Delors appelait dans les années 1990 le keynésianisme à l’échelle mondiale. Cela
imposerait de desserrer l’étau financier dans lequel se trouvent les économies endettées
notamment par la mutualisation des dettes au sein de l’Union. Pourquoi ne le fait-on pas ?
Sans doute parce que si tout le monde s’accorde sur le diagnostic, il n’en n est rien pour les
remèdes et on voit alors réapparaitre le conflit entre les partisans keynésiens de la relance et
les autres qui pensent que la rigueur financière est le préalable obligatoire à la remise de
l’économie sur le chemin de la croissance : croissance du PIB mais aussi bien sûr de ses
composantes donc de la consommation et de l’investissement. Ce qu’il y a derrière c’est à
nouveau l’opposition entre théoriciens de l’offre et théoriciens de la demande .Mais ce n’est
pas tout : en effet si on ne met pas en route le multiplicateur keynésien c’est pour des raisons
de pouvoir inégal entre les pays au sein de l’Union : au sein de l’Union, un pays comme
l’Allemagne a à la fois une grande puissance économique dopée par les exportations et un
pays qui se rapproche de l’équilibre budgétaire et qui n’est pas favorable à la mutualisation
des dettes considérant que chaque pays doit mettre en place la stratégie nécessaire pour
parvenir à l’équilibre budgétaire. Ces divergences entre les points de vue expliquent au moins
en partie les difficultés à mettre en place une politique qui permette de relancer à la fois la
consommation et l’investissement.
C- Imaginons que l’ensemble des pays s’accorde sur la question de la nécessité de la relance
de la consommation et de l’investissement en mettant en jeu le multiplicateur keynésien. Tous
les problèmes ne seraient pas réglés pour autant. En effet, l’économie est aujourd’hui
mondialisée, la hausse de la demande dans un pays déterminé grâce à des politiques de
relance de la consommation dont on anticipe les conséquences favorables en amont sur l
investissement peut se traduire par une demande d’importations qui relance l’activité mais
dans un pays partenaire : globalement ceci est une bonne chose mais localement cela se
traduit par le maintien des difficultés pour les entreprises dont les productions sont délaissées
au profit des productions concurrentes : il apparait là une sorte de conflit « local/international
» et l’investissement réalisé dans le pays considéré n’ est pas rentable puisque il se heurte à
une absence de débouchés , une faiblesse de la consommation de produits nationaux.
C’est donc qu’assurer la croissance par l’augmentation de la consommation et de
l’investissement impose d’être compétitif c‘est à dire il ne suffit pas de dire que il faut plus de
consommation et plus d’investissement pour plus de croissance il y a aussi un problème
qualitatif : quelle consommation, quelles innovations pour quelle croissance ?
Tout d’abord Schumpeter a bien montré que les innovations doivent être analysées sous un
angle dynamique : les innovations ont une durée de vie limitée, elles permettent de produire
de nouveaux biens ou de gagner en productivité grâce à de nouveaux processus de production
mais elles sont cesse concurrencées par de nouvelles innovations qui rendent les précédentes
obsolètes, cela signifie qu’il n’y a pas de répit pour l’innovateur. Mais quoi choisir, vers
quelles innovations orienter la stratégie ? Ces questions sont récurrentes. Si l on décidait
aujourd’hui de consacrer des sommes colossales à la relance de la sidérurgie il n’et pas certain
que cela aurait un fort impact sur la croissance mais par contre aurait un coût important. Mais
la question c’est aussi celle des biens de consommation qu’il faut produire. Quand Sony dans
les années 1990 axait sa publicité sur le rêve : « je l’ai rêvé Sony l’a fait », aujourd’hui la
publicité doit intégrer par exemple des préoccupations en termes de développement durable.
Tout cela pour dire qu’il ne suffit pas de dire qu’il faut innover et consommer : il faut savoir
vers quel type d’innovations et vers quels types e produits on doit orienter les stratégies. Ainsi
E.Combes parle-t- il dans un articlai du journal Le Monde du 25/09/2012 du piège du milieu
de gamme : les difficultés économiques poussent les consommateurs à des arbitrages : certes
l’achat d’un billet d’avion Easy Jet est courant y compris chez des consommateurs à pouvoir
d’achat élevé mais il n’est pas question en tous cas pour certains d’entre eux de faire des
économies sur des parfums ou des lunettes griffées : dans ce contexte le milieu de gamme n’ a
aucune place mais en même temps les stratégies de valorisation par le haut sont délicates car
elles sont totalement contraintes par le pouvoir d’achat des consommateurs. Et les
consommateurs ne constituent pas un groupe homogène : ils ne privilégient pas tous les
mêmes produits
Cette analyse nous a donc permis de mettre en évidence que la consommation et
l’investissement sont tout simplement des compléments dans la croissance. Mais il y a loin du
constat à la mise en place de stratégies permettant d’assurer un fort taux de croissance.
Enfin même si on parvient à agir à la fois en faveur de la consommation et de
l’investissement, il faut se poser une ultime question : quel type de consommation et quel type
d’investissement certes mais pour quel type de croissance et même au-delà faut-il
nécessairement rechercher des taux de croissance sans cesse plus importants mais c’est un
autre débat.
Téléchargement