Version préprint – pour citer cet article
G. Vial, E. Vergès, « La régulation des recherches précliniques : une analyse
humaniste de la protection des animaux d’expérimentation par le droit et l’éthique »,
Revue semestrielle de droit animalier, 2009-1, p. 185.
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La régulation des recherches précliniques :
une analyse humaniste de la protection des animaux
d’expérimentation par le droit et l’éthique
Géraldine Vial, Maître de conférences à l’Université de Grenoble
Etienne Vergès, Professeur à l’Université de Grenoble
Membres du groupe « Droit et Sciences » (CRJ - EA 1965)
L’expérimentation animale est au cœur de préoccupations philosophiques,
morales, scientifiques et, par conséquent, juridiques. En France, ces recherches
précliniques sont imposées par le Code de la santé publique comme préalable
obligatoire à toute expérimentation sur la personne humaine1. L’analyse humaniste des
recherches précliniques conduit à s’interroger sur les modes de régulation de
l’expérimentation animale afin de savoir si les cadres juridique et éthique permettent
d’assurer une protection adéquate des animaux, laquelle serait susceptible de rendre
humainement acceptable la conduite de ces recherches.
L’expérimentation animale est soumise à plusieurs types de régulation. D’un point
de vue juridique, il existe plusieurs textes européens qui définissent des lignes
directrices : la Convention européenne sur la protection des animaux vertébrés utilisés
à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques, adoptée sous l’égide du
Conseil de l’Europe et ouverte à la signature le 18 mars 1986 et la directive
communautaire du 24 novembre 19862 qui reprend les principes de la convention
précitée. En France, le droit de l’expérimentation animale est dispersé entre le Code de
1 Article L1121-2 C. sant. Pub.
2 La directive communautaire concernant le rapprochement des dispositionsgislatives, réglementaires et
administratives des Etats membres relative à la protection des animaux utilisés à des fins expérimentales
ou à d'autres fins scientifiques du 24 novembre 1986.
la recherche, le Code rural et divers textes de nature réglementaire. Enfin, cette
réglementation foisonnante est complétée par des mécanismes de régulation éthique
établis au sein de la communauté scientifique.
Ce cadre complexe ne facilite pas la compréhension du régime de
l’expérimentation animale. On peut néanmoins dégager deux grandes idées qui
dominent l’ensemble des règles régissant ces recherches.
D’une part, le cadre juridique et éthique de l’expérimentation animale repose sur
ce que nous appelons « l’humanisme méthodologique ». Cette expression permet de
décrire les analogies qui existent entre la protection des animaux d’expérimentation et
celle des droits fondamentaux de l’homme. Dans ces deux systèmes juridiques, on
retrouve l’utilisation d’outils identiques tels que le but légitime, la nécessité et la
proportionnalité.
D’autre part, d’un point de vue juridique, les animaux ne possèdent pas de droits
mais ils bénéficient d’une protection par le droit. Concrètement, cela se traduit par la
création d’obligations à destination des chercheurs qui utilisent des animaux à des fins
expérimentales. Cette combinaison « absence de droit / existence d’obligations » est
l’une des clés pour comprendre l’esprit de la régulation des recherches précliniques.
Ainsi, l’animal n’étant pas un être humain, il ne bénéficie pas du droit à la dignité qui
caractérise l’humanité. Mais corrélativement, la dignité humaine impose de traiter les
animaux avec respect. Ce traitement digne des animaux peut être qualif
« d’humanisme éthique »3.
1) L’HUMANISME METHODOLOGIQUE
Cet humanisme se traduit d’abord dans les méthodes de protection mises en place
par le droit européen de l’expérimentation animale. Il est ensuite transcrit dans le
régime juridique de ces recherches institué par le droit français.
A) Le droit européen de l’expérimentation animale
La Convention européenne sur la protection des animaux vertébrés utilisés à des
fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques établit un cadre juridique assez
précis de protection des animaux que les Etats signataires doivent mettre en œuvre. De
façon synthétique, ces règles concernent l’élevage des animaux, leurs conditions de vie
dans les animaleries, les procédures expérimentales proprement dite, les soins à
apporter à l’animal qui a fait l’objet d’une expérimentation et, pour finir, les
mécanismes de contrôle de ces procédures4. Sans entrer dans le détail des règles
applicables5, il convient de s’intéresser aux similitudes qui existent entre la
Convention européenne des droits de l’homme et la Convention européenne sur la
protection des animaux précitée.
3 De façon plus générale, cf. J.-B. Jeangène Vilmer, L’éthique animale, Puf, 2008.
4 Pour une présentation plus détaillée, cf. E. Vergès, « L’expérimentation animale et les droits européens »,
in Les animaux et les droits européens, J.-P. MARGUENAUD et O. DUBOS (dir.), Paris, Pédone, 2009
(à paraître).
5 Cf. infra, le droit français qui constitue une application de cette Convention.
Le mécanisme institué par la Convention européenne des droits de l’homme
repose sur un balancement entre l’affirmation d’un droit fondamental (vie privé, liber
d’expression) et les dérogations admises. Ainsi, de façon générale, il peut être dérogé à
un droit institué par la Convention à la triple condition que l’atteinte au droit poursuive
un but légitime, soit nécessaire et proportionnée à ce but6. La Convention européenne
sur l’expérimentation animale conditionne également les recherches précliniques au
respect de ce triptyque.
L’article 2 précise d’abord qu’une expérimentation « ne peut être pratiquée que
pour l'un ou plusieurs des buts suivants » : la prévention des maladies, de la mauvaise
santé, la protection de l’environnement, la recherche scientifique, etc. Il existe donc
une liste limitative de buts qui ouvrent la possibilité d’une expérimentation. Ensuite, à
cette condition du but légitime, s’ajoute celle de la nécessité. Ainsi, l’article 6§1 de la
Convention européenne sur la protection des animaux indique qu’il « n'est pas effectué
de procédure (expérimentale) pour l'un des buts indiqués à l'article 2 s'il peut être
recouru raisonnablement et pratiquement à une autre méthode scientifiquement
acceptable n'impliquant pas l'utilisation d'un animal ». En d’autres termes,
l’expérimentation animale ne peut être mise en œuvre qu’en l’absence de méthode
alternative. Il peut s’agir d’expérimentations in vitro, de cultures de tissus, ou encore
de simulations informatiques. Enfin, le rapport annexé à la Convention incite les
chercheurs à « mettre en balance les bénéfices éventuels pouvant résulter de la
procédure et les tensions imposées à l'animal ». En conséquence, l’expérimentation ne
peut être admise que si la souffrance de l’animal est proportionnée aux bénéfices que
l’on peut attendre de l’expérimentation.
But légitime, nécessité et proportionnalité sont les trois éléments d’une méthode
humaniste de protection des animaux. Cette méthode peut être qualifiée d’humaniste
car elle est similaire à la méthode de protection des droits fondamentaux de l’homme.
Mais l’humanisme est encore présent dans la Convention européenne de protection des
animaux à travers le concept de « méthode humanitaire » de sacrifice des animaux. Le
sacrifice pourra ainsi être qualifié d’« humanitaire » s’il est réalisé « avec un minimum
de souffrance physique et mentale ». Le terme « humanitaire »7 ramène ici à l’idée de
dignité. Est humanitaire, la méthode qui n’assimile pas l’animal à l’homme, mais qui
conduit l’homme à traiter l’animal avec respect, c'est-à-dire en lui évitant une
souffrance inutile. L’approche humaniste des recherches précliniques permet ainsi de
définir les lignes directrices d’un comportement digne du chercheur à l’égard des
animaux. Cette approche est aussi celle du droit français.
B) Le droit français de l’expérimentation animale
Pour le législateur français, l'expérimentation animale constitue non seulement un
outil indispensable de la recherche médicale, mais également celui d'une politique
efficace de santé publique. Il reconnaît donc sa légalité. Toutefois, le renforcement des
valeurs attachées à la protection de l'animal ainsi que celui des préoccupations en
matière d'éthique scientifique ont conduit, dès 1987, à la mise en œuvre de plusieurs
6 On écarte ici la question de la prévision légale peu pertinente pour l’analyse.
7 Il est à rapprocher de l’expression « méthode humaine » visée à l’article 8§4 de la directive
communautaire du 24 novembre 1986.
textes encadrant les expériences sur les animaux et instituant une commission
nationale de l'expérimentation animale. La question de l'expérimentation animale
suppose en effet de concilier les exigences du progrès scientifique nécessitant
l'utilisation d'animaux et la volonté d'éviter à ces êtres sensibles toute souffrance
inutile. La réglementation de l'expérimentation animale repose ainsi sur la recherche
d'un équilibre entre le bénéfice escompté pour l'homme et le coût supporté par
l'animal. Aujourd'hui, à l'exception des expériences autrefois pratiquées dans les cours
de sciences naturelles, les expériences sur les animaux sont par principe autorisées,
voire imposées par le droit positif en tant que préalables nécessaires à toute expérience
biomédicale réalisée sur l'homme ou à la mise sur le marché d'un nouveau
médicament. Toutefois, si elle constitue la règle, la licéité de l'expérimentation animale
est loin d'être absolue. Elle se trouve subordonnée au respect de certains principes qui
constituent une traduction concrète des lignes définies par le droit européen.
Le premier principe est celui de la stricte nécessité de l'expérience. Aux termes
de l'article R. 214-87 du Code rural, les expériences ou recherches pratiquées sur des
animaux vivants sont licites « à condition qu’elles revêtent un caractère de nécessité
et que ne puissent utilement y être substituées d’autres méthodes expérimentales ».
L'utilisation de l'animal doit donc, tout d'abord, pouvoir faire progresser la
connaissance ou produire des résultats utiles pour l'homme ou pour l'animal. Elle ne
doit, ensuite, pas pouvoir être utilement remplacée par d'autres techniques n'impliquant
pas l'animal. Autrement dit, l’expérimentation doit répondre à l’absence d’existence de
méthodes substitutives. Cet impératif de la stricte nécessité découle de la mise en
œuvre de la règle dite des trois « R »8.
Le deuxième principe réside dans la finalité de l'expérience. Pour être licite,
l'expérience doit poursuivre l'un des buts mentionnés à l'article R. 214-87 in fine du
Code rural, c'est-à-dire soit la mise au point d’une méthode diagnostique, préventive
ou thérapeutique pour une pathologie ; soit la mesure de l’efficacité et de la toxicité de
médicaments ou d’autres substances chimiques ou biologiques ; soit l’évaluation de
paramètres physiologiques ; soit enfin le contrôle de la qualité de denrées alimentaires.
Cette liste étant limitative, cette condition de la finalité pourrait, à première vue,
paraître contraignante pour le chercheur. Deux nuances doivent toutefois être
apportées. La première est que cette liste semble suffisamment large pour couvrir
toutes les hypothèses d'expériences impliquant l'utilisation d'un animal. La seconde
permet, plus généralement, de douter de l'efficacité de ces deux premiers principes. En
effet, contrairement à certains pays d’Europe ou aux États-Unis, la réglementation
française n’institue aucun système d’évaluation des protocoles expérimentaux par des
comités spécialisés. Elle suppose donc que le chercheur procède lui-même à
l’évaluation de la nécessité de l’expérience qu’il souhaite réaliser au regard des
contraintes imposées aux animaux. La licéité de l'expérience n'est finalement soumise
qu'au seul libre arbitre de l'expérimentateur, même si celui-ci se trouve désormais
guidé par différentes chartes et comités d'éthique s'étant spontanément développés
pour encourager cet auto-contrôle du chercheur.
8 Cf. infra sur le cadre éthique de l’expérimentation animale.
Le troisième principe est celui de l'autorisation de l'expérimentateur. Alors que
certains pays ont choisi l’autorisation des protocoles expérimentaux (États-Unis,
Canada, Australie, Nouvelle-Zélande,…), la France a opté pour une autorisation des
personnes. Pour en bénéficier, l'expérimentateur doit justifier de qualifications
appropriées, disposer d’installations d’hébergement et d’expérimentation agréées et
utiliser des animaux d’origine déclarée.
Cette autorisation de l'expérimentateur est conditionnée par le respect du
quatrième et dernier principe, celui de l'agrément de l'établissement. Les
établissements hébergeant des animaux en expérience doivent en effet être agréés par
le ministère de l'agriculture et le ministère dont relève l'établissement, via les
directions départementales des Services Vétérinaires. Cet agrément repose notamment
sur la formation appropriée des personnels affectés aux expériences et aux soins des
animaux et sur la capacité des locaux à assurer des conditions de vie adaptées aux
espèces hébergées.
En définitive, le droit français fait sienne l’approche humaniste de
l’expérimentation animale à travers les principes de nécessité et de finalité. Toutefois
la mise en œuvre technique de ces principes ne repose pas sur un examen au cas par
cas des protocoles mais sur un système de certification des lieux d’expérimentation et
des chercheurs. C’est ainsi à l’expérimentateur d’adopter une démarche humaniste vis-
à-vis des animaux. Pour l’aider, la communauté scientifique a organisé une régulation
éthique des actes d’expérimentation.
2) L’HUMANISME ETHIQUE
Bien avant l’avènement d’un droit des recherches précliniques, les scientifiques
avaient élaboré des règles de conduite à l’égard des animaux d’expérimentation.
L’humanisme expérimental apparait ainsi avec Russel et Burch qui conçoivent la règle
des trois « R »9. Selon ces auteurs, l’attitude du chercheur doit ainsi être guidée par
trois principes : le remplacement, la réduction et le raffinement. Le remplacement
réside dans l’utilisation de méthodes alternatives chaque fois que cela est possible. La
réduction vise le nombre d’animaux utilisés pour l’expérimentation. Ce nombre doit
être aussi faible que possible pour concilier la fiabilité de l’expérience et le respect de
l’animal. Enfin, le raffinement conduit le chercheur à limiter au maximum les
souffrances que l’animal va subir au cours du protocole. La règle des trois « R » a
connu un succès incontestable au sein de la communauté scientifique. Ce succès peut
être attribué, non seulement à la grande simplicité de ces lignes de conduite, mais
encore à l’adhésion des chercheurs aux valeurs portées par les trois « R ». Ce
mouvement d’humanisme éthique s’est poursuivit par l’apparition de chartes éthiques
de l’expérimentation animale. Ces chartes détaillent les principes éthiques
fondamentaux : nécessité de l’expérience, prise en compte de la souffrance de
l’animal, qualification et responsabilité des expérimentateurs, nécessité d’une
évaluation éthique par un comité ad hoc. Ces chartes peuvent être complétées par des
9 Russel, W.M.S. & Burch, R.L. 1959. The Principles of Humane Experimental Technique, 238 pp.
London: Methuen. Voir aussi, http://altweb.jhsph.edu/publications/humane_exp/het-toc.htm
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