Médecine & enfance Syndrome de Gilles de la Tourette : diagnostic, prise en charge et actualités NEUROLOGIE S. Auvin, service de neurologie pédiatrique et maladie métabolique, hôpital Robert-Debré, Paris, et Inserm U676, université Paris-7 Le syndrome de Gilles de la Tourette est une maladie neurodéveloppementale débutant dans l’enfance. Les symptômes prédominants sont les tics, notamment les tics vocaux. Après un rappel sur les tics chez l’enfant, nous verrons les caractéristiques cliniques qui doivent faire évoquer un syndrome de Gilles de la Tourette et ferons le point sur ses critères diagnostiques, ses modalités de prise en charge et l’état des connaissances le concernant. Rubrique dirigée par S. Auvin e syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) débute rarement avant cinq ans. Les critères diagnostiques ne comprennent pas d’âge minimum, mais un âge de début avant dix-huit ans pour le DSM IV et avant vingt et un ans pour la « Tourette Association ». Il existe peu de données épidémiologiques précises sur ce syndrome. Toutefois, une récente méta-analyse de treize études suggère que sa prévalence est de 0,77 % (IC 95 % : 0,4-1,5). Ce travail met également en évidence une prévalence plus élevée chez les garçons et lorsque les études sont réalisées dans les milieux de l’éducation spécialisée [1]. La physiopathologie de cette maladie n’est pas très bien connue. Historiquement, des allusions à la possession ou à la folie sont fréquemment retrouvées [2]. Il existe actuellement différentes hypothèses. Sur le plan génétique, il a été évoqué une origine polygénique. Des locus de susceptibilité ont été identifiés, et même des mutations géniques chez certains patients. Si ces données renforcent l’hypothèse d’une contribution génétique, le rôle d’un ou de gènes ne permet pas de rendre compte de la cause du SGT dans son ensemble. A côté de cette hypothèse, le rôle d’une sensibilité aux infections streptococciques due à une réponse immunitaire anormale a également été évoqué sur la base de données épidémiologiques [3]. Si ces hypothèses restent à prouver, les réseaux neuronaux impliqués dans la symptomatologie sont de mieux en mieux appréhendés. Il y a de plus en plus d’arguments venant des études d’imagerie qui montrent qu’il existe une dysfonction L novembre 2013 page 321 des noyaux gris centraux. Dans cet article, nous nous limiterons aux données cliniques et de prise en charge. LES TICS (tableau I) Les tics sont des phénomènes moteurs très fréquents puisqu’ils touchent 1 à 5 % des enfants. Leur pic de survenue est situé entre huit et dix ans. Il s’agit de mouvements stéréotypés, brusques, rapides et involontaires. Ce sont des phénomènes moteurs touchant fréquemment le visage, les épaules ou le cou. Le plus souvent bien identifiables, ils sont dans certains cas de diagnostic difficile : certains tics complexes ont des séquences motrices ou une gestuelle proches de la normale. Il existe des aspects cliniques très caractéristiques : les tics peuvent être contrôlés temporairement par la volonté et ils sont aggravés par l’émotion, l’angoisse ou la colère. Les enfants les plus grands sont capables d’exprimer le sentiment impérieux qu’ils ressentent avant de « laisser survenir » le tic, ainsi que le soulagement procuré par son exécution. La réalisation d’une tâche mettant en jeu la motricité fine et l’attention fait disparaître les tics. L’évolution des tics simples est le plus souvent… simple. Les tics simples de l’enfant sont peu intenses et n’ont pas de retentissement social. Ils finissent assez souvent par disparaître. Dans certains cas, l’évolution est capricieuse et moins favorable, avec des séquences de disparition-réapparition, une modification du type des tics, voire une persistance plus ou moins définitive. Médecine & enfance La présence de tics verbaux, notamment d’une écholalie (répétition des mots entendus) ou d’une coprolalie (prononciation de mots orduriers), doit faire évoquer le diagnostic de SGT. Les tics à type de raclements de gorge ou de toux ne sont pas des éléments évocateurs. LE SYNDROME DE GILLES DE LA TOURETTE DIAGNOSTIC Le diagnostic de syndrome de Gilles de la Tourette est clinique. Il est habituel d’utiliser les critères du DSM IV-TR. Le tableau II rappelle ces critères. Il est important de noter que la coprolalie et/ou la copropraxie, bien que communément utilisées pour illustrer le tableau clinique de SGT, sont loin d’être constantes (1 patient sur 5) [4]. Toutes les formes de SGT ne sont pas sévères. La qualité de vie des patients est très variable. La corrélation avec la sévérité des tics n’est pas toujours évidente. La présence de troubles psychiatriques associés, tels que des troubles obsessionnels compulsifs, une hyperactivité, un trouble attentionnel, une hétéroaggressivité ou une autoaggressivité, conditionne également le pronostic. Ces troubles sont extrêmement fréquents puisqu’une comorbidité psychiatrique est retrouvée chez 80 à 90 % des patients [5]. Il convient donc de les rechercher dès que le diagnostic est évoqué. PRISE EN CHARGE Il faut tout d’abord donner des informations et des conseils au patient et à sa famille : explication de la maladie et de son pronostic, conseils sur les attitudes à avoir et les renseignements à donner dans les différents lieux de vie du patient (école, collège ou lycée, activités extra-scolaires, etc.). Un suivi médical et psychologique régulier est essentiel. Pour que la prise en charge soit optimale, elle doit englober les comorbidités : TOC, THDA, syndrome dépressif. Il faut donc rechercher et traiter ces comorbidités systématiquement. On proposera Tableau I Exemples de tics simples, de tics complexes et de symptômes évocateurs d’un syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) Tics simples : 첸 clignements des yeux 첸 haussements des épaules 첸 raclements de gorge Tics complexes : 첸 séquences motrices 첸 gestuelles Symptômes évocateurs d’un SGT : 첸 écholalie (répétition de mots de l’interlocuteur) 첸 coprolalie (phrases ou mots socialement inacceptables) 첸 copropraxie (gestuelle pointant les organes génitaux) toujours une prise en charge psychologique et/ou pédopsychiatrique. Le suivi par des équipes multidisciplinaires permet de proposer une prise en charge des différents aspects de la maladie : traitement médical, suivi social, suivi psychologique, soutien scolaire et prise en charge des troubles de l’apprentissage… Un traitement médicamenteux n’est à discuter que si les tics sont pénalisants socialement ou entraînent des problèmes de comorbidités (anxiété, dépression, phobie scolaire…). Il peut reposer sur l’aripiprazole ou d’autres neuroleptiques comme la rispéridone ou la pimozide en cas d’échec. Le choix peut se porter sur un inhibiteur de la recapture de la sérotonine en cas de signes dépressifs associés ou en cas de TOC. ÉTAT DES CONNAISSANCES On a longtemps pensé que le SGT était un trouble avec une évolution à vie, mais plusieurs études récentes sont venues modifier cette idée [5]. Il semble ainsi que l’intensité des tics diminue au cours de l’adolescence et que la sévérité de la maladie au long cours soit liée au degré d’intensité atteint par les tics au cours de l’enfance. Si les tics s’améliorent (mais ne disparaissent pas), il ne novembre 2013 page 322 Tableau II Critères diagnostiques du syndrome de Gilles de la Tourette (DSM IV-TR) 첸 Début avant dix-huit ans 첸 Présence de tics moteurs multiples 첸 Au moins un tic vocal au cours de l’évolution 첸 Tics survenant à de nombreuses reprises au cours de la journée, presque tous les jours ou de façon intermittente, sur une période d’un an ne comportant pas d’intervalle sans tics de plus de trois mois consécutifs 첸 Tics n’étant pas des effets secondaires liés à une substance ou à une autre maladie semble pas en aller de même pour les TOC et les autres comorbidités. Cela reste toutefois à préciser. Comme nous l’avons vu, l’étiologie du SGT n’est actuellement pas identifiée. Différentes hypothèses sont évoquées et il est possible que plusieurs facteurs contribuent au SGT : facteurs génétiques, stress anté- ou périnatal, facteurs infectieux ou immunologiques. CONCLUSION Le syndrome de Gilles de la Tourette est maintenant mieux reconnu, mais cette maladie garde sa part de mystère puisque sa physiopathologie est encore ignorée. La prise en charge se fait au long cours, même si l’évolution n’est pas monophasique. Elle doit idéalement reposer sur une équipe multidisciplinaire habituée à prendre en charge le SGT et 첸 ses fréquentes comorbidités. Références [1] KNIGHT T., STEEVES T., DAY L. et al. : « Prevalence of tic disorders : a systematic review and meta-analysis », Pediatr. Neurol., 2012 ; 47 : 77-90. [2] GERMINIANI F.M., MIRANDA A.P., FERENCZY P. et al. : « Tourette’s syndrome : from demonic possession and psychoanalysis to the discovery of genes », Arq. Neuropsiquiatr., 2012 ; 70 : 547-9. [3] SWEDO S.E., LEONARD H.L., GARVEY M. et al. : « Pediatric autoimmune neuropsychiatric disorders associated with streptococcal infections : clinical description of the first 50 cases », Am. J. Psychiatry, 1998 ; 155 : 264-71. [4] FREEMAN R.D., ZINNER S.H., MULLER-VAHL K.R. et al. : « Coprophenomena in Tourette syndrome », Dev. Med. Child Neurol., 2009 ; 51 : 218-27. [5] ROBERTSON M.M. : « The Gilles De La Tourette syndrome : the current status », Arch. Dis. Child. Educ. Pract. Ed., 2012 ; 97 : 166-75.