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L’interrogatoire clinique aurait dû prêter
attention à la répétition de troubles thy-
miques à distance d’épisodes de consom-
mation ou de sevrage. Les signes d’hypo-
manie, induits par des produits, doivent
rétrocéder, en quelques jours, après cessa-
tion de consommation de psychostimulants
ou d’hallucinogènes. Si les signes cliniques
de l’hyperthymie deviennent plus com-
plexes (états mixtes, cycles rapides), un
avis spécialisé peut être requis pour évaluer
le sous-type de trouble bipolaire de l’hu-
meur. Enfin, les données recueillies, notam-
ment sur l’éventuelle histoire familiale d’un
trouble bipolaire, peuvent être précieuse.
Dans le domaine des relations entre ces
troubles, l’alcool a été particulièrement
étudié et, à partir d’études de cohortes, on
dispose maintenant de données assez géné-
ralement reconnues. Plus qu’une simple
“complication” d’un trouble bipolaire, une
pratique addictive peut être un facteur d’ag-
gravation et de rechute du trouble de l’hu-
meur, amenant à multiplier les hospitalisa-
tions. Sa consommation semble ralentir le
processus de stabilisation et de résolution
du trouble de l’humeur. Elle pourrait aussi
intervenir sur le début du trouble de l’hu-
meur en accélérant son émergence. Elle
serait davantage impliquée dans des tableaux
cliniques plus atypiques de cycles rapides,
d’états mixtes et de formes atténuées.
Des traitements efficaces
Les traitements des troubles bipolaires relè-
vent d’une prise en charge globale du patient
et peuvent associer à une psychothérapie des
interventions psychosociales et s’organiser
autour d’un abord pharmacologique pour
obtenir une meilleure régulation de l’humeur.
Parmi des patients bipolaires qui abusent de
produits, les formes cliniques typiques sont
sans doute moins fréquentes que les états
mixtes et des cycles rapides. Le lithium, qui
représente encore le traitement thymorégula-
teur de référence, a montré une efficacité plus
limitée sur ces formes cliniques particulières.
Les risques d’intoxication en limitent aussi
l’utilisation chez des patients ayant facile-
ment recours à diverses substances psychoac-
tives. Freeman (7) a comparé le lithium ver-
sus le valproate avec une efficacité globale
légèrement plus nette pour le lithium mais
une meilleure réponse des formes mixtes et
atypiques avec le valproate. Jacobsen (9) a
retrouvé avec le valproate une bonne efficaci-
té sur les troubles bipolaires de type II et sur
des cycles rapides. La consommation d’al-
cool associée au valproate peut amener à une
augmentation des transaminases mais aussi à
des troubles de la formule sanguine (leucopé-
nie, thrombocytopénie modérées). La carba-
mazépine a aussi été étudiée dans ces indica-
tions avec un résultat clinique reconnu. Dans
la population de patients substitués par la
méthadone, des phénomènes d’induction
enzymatique avec réduction des taux de
méthadone circulante peuvent en limiter
l’usage. De même, des tableaux de confusion
avec atteinte hépatique ont été décrits dans
des cas de surdosage.
En France, le valpromide et le divalproate
ont une AMM pour le traitement des
troubles bipolaires. Sur le plan pharmaco-
logique, le valpromide est métabolisé en
valproate par les enzymes hépatiques avec
néanmoins des paramètres pharmacolo-
giques distincts de ceux du valproate.
L’alcool peut potentialiser son effet sédatif
central. Le divalproate est un composé
mixte qui associe une molécule de valproate
et d’acide valproïque.
Sur le plan métabolique, ce composé diva-
lent impose une surveillance hépatique et
semble contre-indiqué dans les cas d’at-
teinte hépatique chronique.
La comorbidité trouble bipolaire-troubles
liés aux substances psychoactives semble
mieux prise en compte avec les thymorégula-
teurs anticonvulsivants. Le choix de la molé-
cule se fonde sur des critères de forme cli-
nique en tenant compte d’interactions prévi-
sibles ou de tolérance somatique dans le
contexte de consommations de substances ou
de pathologies hépatiques associées. Les
concordances symptomatiques entre les pro-
duits psycho-actifs et les troubles de l’humeur
ont sans doute longtemps contribué à mini-
miser cette comorbidité.
Pourtant, nous le savons mieux maintenant,
l’association de ces deux types de troubles
représente de nouveaux facteurs de risque
qu’il faut prendre en compte. De nouvelles
chimiothérapies ont montré leur efficacité.
Elles peuvent être entreprises avec des pré-
cautions d’emplois à respecter lors du suivi
thérapeutique.
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