Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVII - n° 3 - mars 2013
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dossier thématique
Prédire et prévenir
le diabète de type 1
Une approche conceptuellement similaire est utili-
sée par des essais cliniques visant à administrer aux
patients de l’interleukine (IL) 2 à basses doses, car cette
cytokine est capable de stimuler les Tregs directement
in vivo. Une preuve de principe a déjà été fournie dans
les vascularites induites par le virus de l’hépatite C (8),
et des essais cliniques sont en cours dans le DT1
(ClinicalTrials.gov NCT01353833). Un point critique
à éclaircir dans ces différents essais cliniques est de
savoir si le phénotype de Tregs induits in vitro ou par
administration d’IL-2 est stable in vivo, car des études
chez la souris suggèrent que ces Tregs pourraient se
transformer en lymphocytes pathogènes et, de ce fait,
conduire à des effets opposés à ceux souhaités (9). Par
ailleurs, l’IL-2 pourrait aussi être capable d’activer des
cellules du système immunitaire inné (par exemple,
les cellules NK), potentiellement délétères pour l’état
d’inflammation du pancréas. Les résultats des essais
cliniques en cours sont attendus pour répondre à ces
questions.
Une autre approche prometteuse se base sur Lacto-
coccus lactis, une bactérie commensale déjà largement
utilisée dans l’industrie laitière et qui ne présente pas
de pathogénicité connue chez l’homme. Cette bac-
térie peut être aisément modifiée génétiquement
pour exprimer des antigènes β-cellulaires tels que la
pro-insuline. Une étude a été effectuée chez la souris
NOD (modèle animal de choix pour le DT1) en utilisant
un L. lactis génétiquement modifié, exprimant la pro-
insuline ainsi que l’IL-10, cytokine régulatrice. L’IL-10
est capable de détourner la reconnaissance de la pro-
insuline envers une tolérance immunitaire. L’avantage
de cette approche est double. D’un côté, l’administra-
tion par voie orale ne présente qu’un risque minime
d’effets adverses. De l’autre, une fois administrées, ces
bactéries sont capables de produire la pro-insuline et
l’IL-10 pour une période de temps prolongée, amé-
liorant ainsi la biodisponibilité des 2 principes actifs.
L’administration de ces bactéries parallèlement à un
anticorps anti-CD3 à basse dose a montré des résultats
très encourageants chez la souris NOD vis-à-vis de la
prévention du DT1 ainsi que de sa régression une fois
la maladie manifeste (10). Malheureusement, l’associa-
tion avec l’anticorps anti-CD3 est pour l’instant néces-
saire. Il sera intéressant de vérifier si l’utilisation d’un
cocktail d’antigènes pourrait être plus efficace que la
pro-insuline seule.
Toutes les stratégies de traitement qui ont été testées
à ce jour exploitent les mécanismes dits de “tolérance
périphérique”, par exemple en stimulant les Tregs.
Toutefois, d’autres mécanismes de tolérance entrent
en jeu bien plus tôt dans la vie. Ils ont lieu dans le
thymus, où une sélection préliminaire des lympho-
cytes T potentiellement autoréactifs est effectuée en
leur présentant de façon proapoptotique les antigènes,
par exemple la pro-insuline, qui ne doivent pas être
reconnus pour éviter l’auto-immunité. Nous testons
actuellement au laboratoire des stratégies d’admi-
nistration de ces antigènes à une étape très précoce,
pendant la vie fœtale ou néonatale, c’est-à-dire au
cours du développement du système immunitaire.
Cette administration très précoce, par l’intermédiaire
de la mère à travers le placenta ou directement au
nouveau-né à travers l’épithélium intestinal, pourrait
donc “apprendre“ au système immunitaire à tolérer
ces antigènes à une étape très précoce et, de ce fait,
empêcher plus tard l’activation du système immuni-
taire. À cette étape précoce, les cellules β sont encore
intactes, et le mécanisme d’epitope spreading n’est
pas encore actif.
Comment peut-on faire mieux ?
Plusieurs essais cliniques d’immuno-intervention
ou de prévention ont montré des modifications
immunologiques en accord avec les effets souhai-
tés. Toutefois, les bénéfices cliniques qui ont suivi
sont restés limités.
Il sera donc en premier lieu primordial de développer
des stratégies de stratification pronostique et d’inter-
vention permettant de traiter les patients le plus tôt
possible afin de limiter la destruction β-cellulaire ainsi
que l’epitope spreading.
Deuxièmement, les efforts actuels visent en outre à
développer des immunothérapies personnalisées fon-
dées sur le profil d’auto-immunité de chaque patient
(par exemple, en n’administrant une vaccination tolé-
rogène à l’insuline qu’aux patients qui montrent une
auto-immunité active vis-à-vis de l’insuline).
Le troisième et dernier point important sera d’associer
différentes stratégies immunologiques, notamment en
vaccinant avec des antigènes β-cellulaires multiples, ou
en associant aux stratégies de vaccination des immu-
nomodulateurs (par exemple, les anticorps anti-CD3 à
faible dose). Des stratégies immunologiques pourraient
aussi être associées à des traitements visant à régénérer
ou à remplacer la masse β déjà détruite.
Dans cette perspective, il sera extrêmement utile de
disposer de biomarqueurs immunologiques “abré-
gés” permettant de suivre les effets immunologiques
induits à court terme et de prédire les effets cliniques
à long terme, en optimisant ainsi le rapport coût/
bénéfice. ■
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Références