Le paradisier ou oiseau de paradis
Découverte et légendes, XVIe-XVIIIe siècles
En 1522, après trois années de mer, le seul navire rescapé de la flotte de Magellan, le Victoria,
était de retour à Séville. Parmi les trésors accumulés dans ses cales, figuraient des oiseaux
morts, naturalisés, d'une incroyable beauté. Ils arboraient un long plumage coloré, d'une
grande finesse, étaient dépourvus de pieds (apodes) et selon certaines sources d'ailes
(aptères). Ces cadeaux étaient destinés au roi d'Espagne, Charles Quint. Ils avaient été offerts
par un sultan local alors que le vaisseau mouillait au large des îles Moluques. Situées à l'ouest
de la Nouvelle-Guinée, ces dernières étaient en effet le but de l'expédition. Elles constituaient
les seules pourvoyeuses de clou de girofle dans une Europe friande d'épices. On les appelait
d'ailleurs « îles aux Épices ». Magellan avait conçu le projet de les atteindre en contournant
l'Amérique.
En 1523, ces merveilleux oiseaux étaient soumis à l'appréciation du pape Clément VII. Partout
ils suscitaient l'admiration et l'étonnement. Les représentations les plus anciennes suggèrent
qu'il s'agissait de paradisiers grand-émeraude.
Les indigènes les nommaient « oiseaux de Dieu » et le terme qu'ils employaient fut déformé
et latinisé en « manucodiata ». Ils croyaient que ces animaux venaient du Paradis, rendaient
invulnérables sur les champs de bataille (vitrine 2).
Les Européens s'emparèrent du mythe et l'amplifièrent. Ces oiseaux étaient sans pattes car ils
en étaient naturellement dépourvus. Ils volaient sans cesse, éventuellement sans ailes donc,
propulsés par la seule force de leur volonté ou poussés par les vents. Ils pouvaient s'accrocher
aux branches grâce à leurs longs filets caudaux ou se reposaient parfois sous les ombrages de
l'Eden, dont ils étaient issus. Ils se nourrissaient d'air ou de rosée, n'avaient pas d'os mais un
intérieur farci de graisse. La femelle, arrimée au mâle grâce aux filets précédemment évoqués,
pondait et couvait en plein ciel, le dos de son compagnon présentant une cavité spécialement
destinée à cet usage, gardait ses œufs sous ses ailes ou nichait au Paradis. Une autre légende
avançait l'existence d'oiseaux de paradis « goûteurs » de fontaines, pour déjouer les tentatives
d'empoisonnement massif des autochtones.
Antonio Pigafetta, lieutenant à bord du Victoria, et des savants comme Charles de L'Écluse
eurent beau dire qu'à l'origine ces oiseaux avaient des pattes, on ne les crut pas. Le
manucodiate était le seul oiseau faisant mentir Aristote, qui avait affirmé que tous avaient des
pieds.
La plupart des hommes de science, tels Jérôme Cardan, Ambroise Paré, assuraient gravement
que le manucodiate n'en avait pas (vitrine 1). Dans l'édition de 1585 de son traité Des
monstres et prodiges, le second se vantait de posséder un paradisier. La dépouille de cet
animal, rare et prisée, devint l'ornement de tout bon cabinet de curiosités. Celui de
l'apothicaire poitevin Paul Contant en dénombrait deux (vitrine 3). Un manucodiate s'invite
au titre-frontispice de son poème Le second Eden, publié en 1628. Cet oiseau semblait en effet
un passage obligé pour qui illustrait un ouvrage traitant du Paradis terrestre (vitrine 4). Il
investit aussi les livres de devises, d'emblèmes, incarnant l'aspiration aux choses célestes
(vitrine 5).
Ces dimensions symboliques, religieuses expliquent peut-être pourquoi on a longtemps
voulu se voiler la face. Les habitants des Moluques dépouillaient ces oiseaux de leurs pattes,
pour composer des talismans, parce que les pieds griffus risquaient d'abîmer le plumage ou/et
constituaient un poids inutile sur un bateau. Autre raison avancée : ces oiseaux étaient sans
pattes car les indigènes tiraient fortement dessus pour arracher rapidement les entrailles.
Vitrine 1
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Les livres... intitules de la subtilité / Gerolamo Cardano ; trad. Richard Le Blanc.- Paris :
Guillaume Le Noir, 1556
Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, XVI 930
Publié en 1550 en latin, traduit en 1556 en français, le De subtilitate de Jérôme Cardan (1501-
1576) est la source incontournable pour le paradisier au XVIe siècle. Lorsqu'il clare
« Aristote dit qu'il a piés », il faut comprendre qu'il a dit que tous les oiseaux avaient des
pieds. Le manucodiate étant un oiseau, il devrait en avoir. Or Cardan a pu examiner, par trois
fois, un spécimen mort et n'en a point vu. Il en déduit que le paradisier constitue l'exception.
Il s'attarde longuement sur le régime alimentaire de l'animal, éliminant successivement l'« air
pur », les « petites bestioles », la vapeur, pour ne garder que la rosée. La femelle pondrait ses
œufs dans une cavité située sur le dos du mâle, attachée à lui par des fils émergeant de sa
queue. Le Fonds ancien conserve également une édition latine de 1560 et la première édition,
de 1557, de la critique de Joseph Scaliger (1484-1558) contre l'ouvrage de Cardan,
Exotericarum exercitationum liber quintus decimus, De Subtilitate, ad Hieronymum
Cardanum. Scaliger, en possession d'une dépouille de paradisier, corrigea et compléta la
description de Cardan.
Oeuvres / Ambroise Paré. 4e éd.- Paris : Gabriel Buon, 1585
Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, Médecine 22
C'est en 1573 qu'Ambroise Paré (1509-1590) parla pour la première fois de l'oiseau de paradis,
dans le second de ses Deux livres de chirurgie, consacré, nous dit la page de titre, aux
« monstres tant terrestres que marins, avec leurs portrais ». Ce traité Des monstres et
prodiges, rédigé en français car Ambroise Paré ne maîtrisait pas le latin, a été repris dans ses
Œuvres, publiées pour la première fois en 1575 et augmentées jusqu'en 1585, date de la
dernière édition donnée de son vivant.
La description (dessus de la tête jaune d'or, gorge verte) et la gravure sur bois suggèrent un
paradisier grand-émeraude, la première espèce connue. Ambroise Paré rapporte fidèlement
les légendes attachées à cet oiseau, notamment l'absence de pied, l'alimentation à base de
rosée, la couvaison sur le dos du mâle. Il cite Jérôme Cardan. En revanche en 1579
disparaissait la mention de « l'intérieur... farcy & replet de graisse », tirée des Histoires
prodigieuses de Pierre Boaistuau, parues en 1560. Boaistuau (1517?-1566) tenait lui-même
l'information de Conrad Gesner (1516-1565), qui rapportait les propos d'un autre savant. En
1585, Ambroise Paré se vante de posséder un oiseau de paradis et plus simplement d'en avoir
vu un. L'illustration cependant ne change pas. Elle ressemble beaucoup à celle de Boaistuau,
si ce n'est que le « manucodiata » est disposé horizontalement, ce qui n'était pas encore le cas
dans l'édition séparée de 1573. Les éditions ultérieures des Œuvres de Paré conservées au
Fonds ancien (1598, 1607 ou 1614 ; 1641 ; 1664) montrent un paradisier sensiblement
identique.
Vitrine 2
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La cosmographie universelle / André Thevet.- Paris : Guillaume Chaudière, 1575
Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, XVIg 1775
Moine franciscain contre son gré, André Thévet (1516-1590) préféra lire et voyager. Il se rendit
en Espagne, au Portugal, en Italie, au Levant et, plus original, au Brésil. En 1560 il devint
cosmographe, géographe officiel, du roi. S'il n'est jamais allé aux Moluques, il rassembla des
sources pour en parler dans sa Cosmographie universelle, commencée dès 1566 et publiée en
1575.
Comme Pierre Boaistuau dans ses Histoires prodigieuses (1560), il avance que ce sont les
Mahométans qui ont fait croire aux populations locales, pour les convertir, que cet oiseau
magnifique, qu'elles voyaient toujours en vol, venait du paradis. Boaistuau évoquait lui aussi
l'usage du paradisier comme relique, censée rendre invulnérable sur les champs de batailles.
En revanche, il ne disait nul mot d'une quelconque consultation du vol des paradisiers
comme augure.
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