2 DÉBATS 24 HEURES LUNDI 13 FÉVRIER 2006 Le suicide assisté, une affaire de dignité ? La question du jour » Un médecin a-t-il le droit d’aider un patient en fin de vie à mourir? L’assistance au suicide remporte une très large adhésion. Nombre de lecteurs, en particulier âgés ou confrontés à la maladie et au décès d’un proche, ont tenu à souligner qu’il s’agit pour eux d’humanité et de dignité. Oui, dans la mesure où ce n’est plus une vie décente. Je suis contre l’acharnement thérapeutique. ANNE MEIGNIEZ LAUSANNE Non, surtout si le patient est incapable de donner son avis. Mon mari, décédé à la suite d’un cancer, avait été mis sous perfusion de morphine pendant la nuit. Au petit matin, l’infirmière est venue, lui a administré la piqûre létale sous mes yeux sans me demander mon avis ni me donner d’explication. J’en suis encore traumatisée deux ans et demi après. Seul Dieu a le droit d’abréger une vie. J’aimerais rendre hommage au Dr Sobel pour son courage dans le difficile combat pour une mort digne. Quant aux soins palliatifs, je connais de nombreux cas où les doses de morphine ne suffisent pas à calmer des douleurs intolérables. Je suis un chrétien engagé et je désire mourir sous euthanasie active indirecte s’il m’arrive d’avoir un cancer généralisé. J’ai 76 ans et je suis toujours d’accord avec Exit, dont je fais partie depuis 1998. Pour moi, le médecin doit aider le patient à partir gentiment mais sûrement. La souffrance ne fait-elle pas partie de la vie? Faut-il vouloir la bannir par la mort assistée? Et la souffrance des jeunes leur donne-t-elle le droit de se suicider? Quel message pour eux? OUI 87% NON 13% J.-F. Aubert/photo Keystone ELKE HOFSTAETTER SAINT-CIERGES Je ne le ferais pas, même si j’étais médecin. Cela n’a rien à voir avec une croyance, je suis d’avis que Dieu n’existe pas. Le problème: comment éviter les éventuels abus? ERMANDO DE GRANDIS PULLY La dignité humaine, celle de chacun, est ici en cause. Je choisis ma vie comme j’entends choisir ma mort. Chacun détient ce droit. La déontologie, le respect sont les termes qui doivent diriger ce choix. Choix personnel, choix des proches, choix familial. Le médecin est celui qui sauve, il peut, il doit aussi être celui qui accompagne en douceur et avec tout son savoir-faire vers une fin inéluctable. CAROLE OBERSON LAUSANNE Une étude néerlandaise a révélé qu’au moins 50% des patients soumis au programme d’euthanasie souffraient de dépression nerveuse. En outre, 44% des cancéreux en montraient des signes évidents. Moralité, occupez-vous de vos malades et de vos vieux, et même les grands souffrants retrouveront le goût de vivre. ADRIEN DE RIEDMATTEN VILLARS GILBERT VACHOUD PRANGINS ARLETTE DÉCOPPET LAUSANNE Oui, pour des soins palliatifs de qualité avec une bonne antalgie. Les structures spécialisées, comme la Fondation Rive-Neuve à Villeneuve, nous donnent un bel exemple de l’accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs proches. J’y ai effectué un stage qui m’a convaincue que l’euthanasie n’est pas la meilleure des solutions. GULIAN COUVREUR YVONAND JEAN-JACQUES RAVUSSIN VEVEY ARIANE VISINAND LAVIGNY L'assistance au suicide instant représente des souffrances. La chose la plus digne est alors de pouvoir partir au moment choisi. Les personnes qui ne comprennent pas la chance que nous avons en Suisse d’avoir une association comme Exit devraient pouvoir se rendre au chevet de quelqu’un qui souffre et qui ne vit plus mais végète. IRMA TRACHSEL LA TOUR-DE-PEILZ Tu n’as pas le droit de faire avec ta vie ce que tu veux. Mais la situation est différente pour une personne en fin de vie, pour laquelle chaque Réflexions: vidéosurveillance Caméras en ville: une efficacité préventive limitée Concilier sécurité et vie privée, c’est possible! L our assurer la sécurité aérienne, partout dans le monde, des contrôles poussés sont déployés. Personne ne rechigne contre de telles pratiques. L’aéroport de Roissy va doubler son potentiel de caméras. Si elles étaient inefficaces, pareils investissements seraientils consentis? Il devient impossible d’entrer aux Etats-Unis sans que votre photo et vos empreintes ne soient enregistrées. Cela pose bien sûr une question essentielle: sommes-nous prêts à sacrifier une partie de notre sphère privée contre des mesures de sécurité? La réponse n’est pas simple, mais c’est avant tout une question de proportionnalité. A Lausanne, l’Observatoire de la sécurité a réalisé de nombreuses études et un sondage en collaboration avec le professeur Kuhn, de l’Institut de criminologie de Lausanne. Le sentiment d’insécurité des Lausannois se situe globalement dans la moyenne, mais varie fortement selon l’âge, le sexe. Il augmente la nuit et concerne particulièrement les jeunes et les femmes. Pour améliorer la situation, les personnes sondées demandent plus de convivialité, plus de policiers, plus d’éclairage, et l’introduction de caméras dans certains quartiers. Pour y répondre, le Conseil communal a voté en 2001 des crédits pour engager 40 policiers supplémentaires sur une période de quatre ans ainsi qu’un poste de police mobile qui se déplace selon les besoins. L’amélioration es problèmes d’insécurité font souvent la une de l’actualité. Dans ce contexte, le débat sécuritaire fait de plus en plus appel à la vidéosurveillance. Alors qu’aujourd’hui nous commençons réellement à penser à la vidéosurveillance policière, nous devrions tirer des leçons de l’Angleterre, leader mondial en la matière. Là-bas, environ 4 millions de caméras sont braquées sur des espaces accessibles au public. Rien qu’entre 1999 et 2001, 400 millions de francs ont été investis pour mener à bien 684 projets de vidéosurveillance! Quelle est l’efficacité de la vidéosurveillance en matière de prévention de la criminalité? Qu’en pense la population? C’est pour répondre à ces questions que le Gouvernement britannique vient de publier deux études remarquables. Celles-ci proposent une réévaluation de 35 projets, dont les statistiques disponibles permettent une analyse approfondie. On y apprend que la vidéosurveillance possède un certain potentiel, mais connaît aussi des limites… En ce qui concerne la vidéosurveillance de places et de bâtiments publics, ces évaluations démontrent une réduction moyenne des actes délictueux de 2 à 4%. Gill et Spriggs, les auteurs de l’une de ces études, concluent ainsi que «la vidéosurveillance produit peu de bénéfices, par rapport aux coûts investis. Cela n’est pas surprenant parce que les installations connaissent très peu d’effets au niveau de la criminalité, mais aussi parce que la comVC3 L'INVITÉ FRANCISCO KLAUSER ■ Auteur d’une thèse sur les effets de la vidéosurveillance «Il faut évaluer non seulement les effets des caméras, mais aussi l’opinion du public avec prudence» plexité des systèmes cause des coûts tout de même assez élevés…» Si, d’une manière générale, l’efficacité de la vidéosurveillance paraît incertaine, il faut aussi mentionner que les caméras connaissent un succès plus grand en particulier dans la surveillance de parkings. Mais à quelques exceptions près, la vidéosurveillance connaît une efficacité préventive limitée. Mes recherches avec Jean Ruegg, professeur à l’Université de Lausanne, montrent que les caméras sont vite oubliées. Elles ne peuvent donc pas servir à rassurer les «bons» citoyens. En outre, vis-à-vis de la vidéosurveillance, nous constatons une attitude générale du public plutôt pragmatique: on n’a rien contre les caméras, parce qu’on pense ne rien devoir cacher. Pourtant, cette opinion relève plutôt d’un consentement tacite que d’une re- vendication explicite: si elles pouvaient librement choisir, quatre fois plus de personnes préféreraient une présence renforcée des agents de police plutôt que l’installation de caméras de surveillance. Cette attitude devient d’autant plus marquée avec le temps. En plus, la vidéosurveillance est beaucoup moins demandée par des jeunes que par des personnes âgées. De plus, si les gens n’ont rien contre la vidéosurveillance de parkings et de passages piétons, ils sont beaucoup plus critiques face aux caméras dans les parcs publics ou encore dans les quartiers d’habitation. Là encore, la vidéosurveillance ne représente pas un instrument miracle. Son acceptation génère une grande diversité des avis. Mon but n’est ni de diaboliser ni de glorifier les caméras de surveillance. Je propose plutôt de réfléchir à leur pertinence, et de discuter la répartition des budgets entre moyens humains et techniques. Il ne faudrait donc pas polariser la question en un simple oui ou non à la vidéosurveillance. Au contraire, il faut évaluer non seulement les effets des caméras, mais aussi l’opinion du public avec prudence. C’est ainsi que l’on peut trouver le «cocktail sécuritaire» susceptible d’apporter les meilleurs résultats et de satisfaire au mieux la population. Etudes mentionnées: http://www.homeoffice.gov.uk/ rds/pdfs05/hors292.pdf http://www.homeoffice.gov.uk/ rds/pdfs2/hors252.pdf P L’INVITÉE DORIS COHEN-DUMANI ■ Directrice de la Sécurité publique, Lausanne «Si les caméras de surveillance étaient aussi inefficaces sur le long terme, pourquoi les polices du monde entier chercheraient-elles à s’en procurer?» de l’éclairage dans certains sites sensibles permettra de rassurer. Reste la vidéosurveillance! A Lausanne, nous sommes filmés dans les magasins, les parkings, les transports publics, au Flon. Ces mesures sont désormais admises car elles permettent de prévenir les vols, et à la police d’identifier et sanctionner les délinquants. Dès que l’on évoque la possibilité d’étendre cette pratique au domaine public, voici que surgit une foule de protestations. A la défense de la sphère privée s’ajoute le reproche de l’inefficacité de telles mesures. Ces deux objections ne résistent pas à un examen sérieux. Les progrès de la technologie ont donné naissance à des caméras dites intelligentes qui brouillent le visage et le décryptent en cas d’enquête pénale ou analysent le comportement dans des cas de bagarres. Ces nouveautés qui ont vu le jour dans le parc technologique de l’EPFL méritent d’être testées à Lausanne. Quant à l’efficacité des caméras, les études montrent qu’il y a eu quelques échecs, mais aussi des résultats spectaculaires. Tout dépend de la qualité des produits installés, des personnes qui les utilisent. Si elles étaient aussi inefficaces sur le long terme, pourquoi les polices du monde entier chercheraient-elles à s’en procurer? Pour leur effet de dissuasion durable! Les caméras sont avant tout un moyen technique mis à disposition de la sécurité. Elles doivent s’inscrire dans un ensemble cohérent de mesures. Elles ne pourront jamais remplacer le policier et sa présence sur le terrain. Deux exemples concrets: deux personnes sont violemment agressées au centre-ville; la police arrive rapidement sur les lieux, les victimes sont dans l’impossibilité de fournir un signalement cohérent, les agresseurs courent toujours! Dans le second cas, un magasin fournit un enregistrement demandé par le juge et la police parvient rapidement à identifier les auteurs. Mais, il ne faut pas se leurrer, l’installation de caméras sur les sites sensibles ne va pas supprimer la violence, ni le trafic de drogue, ce sera avant tout un moyen supplémentaire mis à disposition de la police dans sa tâche quotidienne de maintien de l’ordre public.