CAS CLINIQUE Mots-clés Abcès septal – Chondrolyse Keywords Septum’s abscess – Chondrolysis Abcès du septum nasal Abscess of the nasal septum K. Nadour*, B. Hemmaoui*, N. Errami*, A. Aljalil*, N. Touihem*, H. Attifi*, M. Kettani*, A. Jahidi*, S.Ouraini*, M. Zalagh*, W. Itoua*, M. Elakhiri*, H. Temsamani*, B. Bouaity*, M.Chihani*, F. Benariba* L’ abcès de la cloison nasale est une urgence ORL. Il correspond à la présence de pus entre le cartilage septal et son périchondre et/ou l’os septal et son périoste. C’est une affection rare mais grave, du fait des complications qu’elle peut engendrer si elle est négligée ou mal prise en charge. Le plus souvent, l’abcès septal est secondaire à la surinfection d’un hématome post-traumatique. Une prise en charge médico-chirurgicale rapide et adéquate est nécessaire pour préserver le pronostic fonctionnel et esthétique engagé par la destruction cartilagineuse (chondrolyse). O b s e r v a t i o n Une patiente diabétique de 55 ans vient consulter pour une obstruction nasale bilatérale, une rhinorrhée purulente et de la fièvre évoluant depuis 3 jours. L’interrogatoire retrouve un antécédent récent de coma diabétique ayant nécessité la mise en place d’une sonde naso-gastrique durant 6 jours. À l’arrivée, la patiente est fébrile à 39 °C, mais sans autre symptôme. L’examen de la pyramide nasale ne retrouve pas de déformation ni de lésion traumatique. L’endoscopie nasale montre un bombement bilatéral et fluctuant de la cloison obstruant complètement les fosses nasales, avec une muqueuse pituitaire congestive. La palpation septale est douloureuse. La ponction ramène un pus jaunâtre qui est adressé au laboratoire de microbiologie où l’on identifiera un Pseudomonas aeruginosa. Le reste de l’examen ORL et l’examen neuro-ophtalmologique sont normaux. La tomodensitométrie (TDM) montre la présence d’une collection très probablement abcédée de la cloison nasale, mesurant 27 × 24 mm dans le plan axial sur 32 mm de hauteur (figure 1). Cet abcès contient des bulles d’air, avec une ostéolyse de la partie antérieure de la cloison nasale (figure 2). Un discret épaississement sous-muqueux est noté au niveau des sinus maxillaires, alors que les autres sinus de la face sont bien aérés. Un drainage chirurgical de l’abcès * Service ORL, hôpital militaire d’instruction Mohammed-V de Rabat, Maroc. 28 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 322 - juillet-août-septembre 2010 Figure 1. TDM de la face en coupe coronale montrant la collection abcédée du septum nasal. Figure 2. TDM de la face en coupe axiale montrant les bulles d’air à l’intérieur de l’abcès, avec lyse de la cloison nasale. CAS CLINIQUE est effectué en urgence par deux incisions inter-septo-columellaires, de part et d’autre de la cloison nasale, afin d’évacuer les logettes de pus. Le cartilage septal est intact. Une biopsie de la muqueuse est faite en vue d’un examen histologique qui conclut à une inflammation ulcérative non spécifique. Un méchage des fosses nasales est maintenu pendant 48 heures. La patiente est mise sous bi-antibiothérapie : amoxicilline et acide clavulanique associés à une quinolone, pendant 15 jours. La recherche d’ANCA (négative) est demandée pour éliminer une maladie de Wegener. L’évolution est favorable, et, après un recul de 1 an, il n’y a pas de récidive de l’abcès, la cloison est intacte, en rectitude, avec une bonne perméabilité nasale. D i s c u s s i o n L’abcès de la cloison nasale est une pathologie rare (1). Quelques cas ont été rapportés dans la littérature (2). Cette affection touche essentiellement les hommes, avec un sex-ratio variant de 4 à 9, et les enfants, mais elle peut survenir à tout âge. L’hématome surinfecté reste de loin l’étiologie la plus fréquente de l’abcès septal. Cet hématome est souvent post-traumatique (75 %) [2, 3]. En effet, la formation d’un hématome, lié à un traumatisme nasal (1, 3), prive le cartilage septal de son périchondre et favorise ainsi l’ischémie et la nécrose du cartilage, qui seront aggravées par la surinfection de l’hématome et la libération d’enzymes protéolytiques par les bactéries (2-4). Le deuxième type de traumatisme est iatrogène, lors d’un geste chirurgical effectué sur le septum nasal (2, 5). D’autre part, l’abcès septal peut être dû à l’infection de la cloison à partir d’un foyer infectieux sinusien, essentiellement ethmoïdal ou sphénoïdal (1, 3, 4, 6). La propagation de l’infection se fait de façon directe par diffusion sous-périostée du pus, via la lame perpendiculaire de l’ethmoïde, vers l’espace sous-périchondral (2, 3). Enfin, l’infection dentaire (incisives supérieures) peut également être une cause d’abcès septal par l’ascension directe de l’infection vers le plancher des fosses nasales et le septum (2). Les patients consultent surtout pour une obstruction nasale souvent bilatérale, évoluant dans un contexte fébrile (3, 4). Parfois, on peut noter une douleur nasale et une rhinorrhée purulente. Le diagnostic repose essentiellement sur la clinique, qui retrouve à la rhinoscopie antérieure couplée à l’endoscopie nasale le comblement des fosses nasales par un bombement (souvent bilatéral), celui-ci siégeant généralement à la partie antérieure de la cloison. Il s’agit d’un bombement fluctuant de la muqueuse septale, qui est inflammatoire, rougeâtre ou violacée, parfois grisâtre (2). La ponction de l’abcès permet d’éliminer un hématome en ramenant du pus, posant ainsi le diagnostic et permettant de faire un prélèvement bactériologique (4). Plusieurs germes peuvent être en cause, le plus fréquent étant Staphylococcus aureus ; Streptococcus pneumoniae et Haemophilus influenzae sont moins fréquents. D’autres germes sont incriminés, tels que Streptococcus milleri, Streptococcus viridans, Staphylococcus epidermidis et les anaérobies. L’infection peut être polymicrobienne, en particulier chez les patients immunodéprimés (2). Certains examens complémentaires peuvent être réalisés en vue de préciser les lésions et de rechercher une étiologie. La TDM montre une collection hypodense du septum nasal contenant parfois de l’air ; elle précise l’étendue de l’abcès ainsi que la structure du cartilage et de l’os. Elle permet aussi le diagnostic d’une sinusite associée et d’éventuelles complications neurologiques ou vasculaires (3). Non traité, l’abcès septal évolue rapidement vers des complications locorégionales, voire générales, graves. Localement, la destruction du cartilage septal est la plus fréquente et la plus redoutable des complications, avec une nécrose et une fonte cartilagineuse (1-4). Sur le plan locorégional, certaines complications rares sont décrites, à type de cellulite orbitaire, de sinusites, essentiellement ethmoïdales. Les complications endocrâniennes sont rares, dominées par les thromboses veineuses du sinus caverneux. Des méningites, des empyèmes sous-duraux, voire des abcès du cerveau ont été décrits (1, 2, 4). Des bactériémies, des septicémies ainsi que des métastases septiques secondaires à un abcès septal ont été décrites chez des patients immuno­ déprimés (1, 7). L’évolution à long terme se fait vers des séquelles fonctionnelles à type ­d’obstruction ou d’inconfort nasal et des séquelles esthétiques à type de déformation de la pyramide nasale, de rétraction columellaire et d’affaissement narinaire. Chez l’enfant, l’évolution peut se faire vers une hypoplasie maxillaire (1-3). Le traitement repose sur le drainage chirurgical de l’abcès, par une incision bilatérale horizontale en pleine collection, l’évacuation du pus et l’excision des tissus nécrosés, suivis de lavages abondants au sérum bétadiné, puis sur le méchage bilatéral des fosses nasales pendant 2 ou 3 jours (1). Après déméchage, un contrôle endoscopique vérifie l’absence d’une nouvelle collection. Un traitement antibiotique est essentiel, au début probabiliste, puis orienté par les résultats de l’antibiogramme. En même temps, un traitement étiologique et d’éventuelles complications doivent être envisagés. C o n c l u s i o n L’abcès de la cloison nasale est une urgence ORL rare mais potentiellement grave. Le diagnostic est essentiellement clinique. L’imagerie permet de faire le bilan lésionnel et de rechercher une étiologie. Le traitement est médico-chirurgical et doit être instauré en urgence afin d’éviter des séquelles fonctionnelles et esthétiques. ■ Références bibliographiques 1. Santiago R, Villalonga P, Maggioni A. Nasal septal abscess: a case report. Inter Pediatr 1999;14:229-31. 2. Khedim A, Ben Slimene S, Faidi A et al. Abcès de la cloison nasale, à propos d’un cas. Méd Mal Infect 2007;37:S260-3. 3. Hariri MA, Duncan PW. Infection complications of brief nasotracheal intu­ bation. J Laryngol Otol 1989;103:1217-8. 4. Canty PA, Berkavitz RG. Haematoma and abscess of the nasal septum. Arch Otolaryngol Head Neck Surg 1996;122:1336-7. 5. Da Silva M, Helman J, Eliacher G et al. Nasal septal abscess of dental origin. Arch Otolaryngol 1982;108:380-1. 6. Collins MP. Abscess of the nasal septum complicating isolated acute ­sphenoiditis. J Laryngol Otol 1985;99:715-9. 7. Ambrus PS, Eavey RD, Baker AS et al. Management of nasal septal abscess. ­Laryngoscope 1981;91:575-82. La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 322 - juillet-août-septembre 2010 | 29