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De l’otite chronique à la hernie méningo-encéphalique...
● I. Mosnier*
a survenue d’une hernie méningo-encéphalique dans
les cavité de l’oreille moyenne a été décrite pour la
première fois dans la littérature française par Caboche
en 1902. Il s’agissait d’une complication fréquente de l’otite chronique au début du XXe siècle, car les abcès temporaux secondaires aux infections de l’oreille moyenne étaient drainés par trépanation à travers la mastoïde infectée. L’arrivée des antibiotiques
et le développement des techniques de microchirurgie de l’oreille
moyenne ont permis de diminuer l’incidence de cette complication, qui demeure néanmoins redoutable en raison des complications neurologiques qu’elle provoque.
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Figure 1.
TDM en coupe
coronale :
présence
d’un tissu
comblant
les cavités
de l’oreille
moyenne
au contact
d’une vaste brèche
du tegmen
tympani
et du tegmen
antri.
OBSERVATION
Mme E., âgée de 66 ans, est hospitalisée en urgence en
juillet 1996 pour un syndrome méningé fébrile évoluant depuis
24 heures. L’examen bactériologique du liquide céphalo-rachidien met en évidence un pneumocoque. Un traitement par
amoxicilline par voie parentérale à la dose de 12 g/jour est commencé, permettant une amélioration clinique rapide, avec obtention de l’apyrexie en 48 heures, et la stérilisation du liquide
céphalo-rachidien.
Dans les antécédents, la patiente signale une otite chronique
gauche non cholestéatomateuse opérée en 1948 avec réalisation
d’une cavité d’évidement. Il persiste une hypoacousie résiduelle
stable. Aucun épisode d’otalgie ou d’otorrhée n’est survenu dans
les derniers mois, et la patiente n’a pas consulté en ORL depuis
plusieurs années. L’examen clinique retrouve une cavité d’évidement propre et sèche, comblée par un cul-de-sac cutané au sein
d’une plastie de conque. L’oreille droite est normale. Le reste de
l’examen ORL et neurologique est sans anomalie.
L’audiogramme montre une surdité mixte gauche, avec un seuil
à 50 dB jusqu’au 2 000 Hz et une labyrinthisation sur les fréquences aiguës. L’audition est normale à droite.
L’examen tomodensitométrique en coupes axiales et coronales
met en évidence une vaste brèche du tegmen tympani et du tegmen antri, avec une opacité comblant la totalité de l’oreille
moyenne et la mastoïde, au contact de la brèche osseuse, et faisant suspecter la présence d’une hernie méningo-encéphalique
dans les cavités de l’oreille moyenne (figure 1). Une imagerie
par résonance magnétique nucléaire est donc demandée, et visualise la hernie sous forme d’un tissu occupant une partie de la
* Service ORL, hôpital Beaujon (AP-HP), 100, boulevard du Général-Leclerc,
92118 Clichy Cedex.
Figure 2.
IRM en coupe
coronale et
en séquence T2 :
la hernie
méningoencéphalique
apparaît sous
forme d’un tissu
de même signal
que le parenchyme cérébral
et en continuité
avec celui-ci,
entourée de tissu
inflammatoire
et de glue,
en hypersignal.
caisse du tympan, en continuité avec le parenchyme cérébral susjacent et de même signal que celui-ci sur toutes les séquences
(figure 2). Le reste des cavités de l’oreille moyenne est empli de
tissu inflammatoire et de glue.
Quelques semaines après la guérison de la méningite, la patiente
est opérée par voie sus-pétreuse combinée à une voie mastoïdienne en un temps, en raison du volume de la hernie et de la présence d’un tissu inflammatoire dans les cavités de l’oreille
moyenne. L’intervention commence par la reprise de la cavité
d’évidement, avec repérage de la hernie et de son collet. La glue
est aspirée et le tissu inflammatoire nettoyé. Un volet de craniotomie (2 x 3 cm), centré en regard la brèche osseuse, est fraisé
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Figure 3. TDM post-opératoire en coupe coronale : visualisation
du greffon osseux mis en place par voie sus-pétreuse pour fermer
la brèche.
après prélèvement d’un vaste greffon d’aponévrose temporale.
Le lobe temporal est ensuite récliné en extradural sans utiliser
d’écarteur, permettant l’exposition de la brèche dure-mérienne
et osseuse, et du collet herniaire. Le tissu hernié est réséqué après
coagulation à la bipolaire. La brèche dure-mérienne est fermée
en extradural par un fragment d’aponévrose temporale fibrinocollé (Tissucol®, Immuno AG, Vienne, Autriche). La brèche
osseuse est fermée par voie sus-pétreuse par un fragment d’os
taillé dans le volet de craniotomie (figure 3). Après suspension
de la dure-mère au muscle temporal, le reste du volet de craniotomie est replacé et fibrino-collé. La cavité d’évidement est aménagée, avec réalisation d’une mini-caisse, et la voie d’abord suspétreuse est fermée en trois couches, sans drainage. Un traitement
antiépileptique est prescrit dans les semaines qui suivent l’intervention. Les suites opératoires sont simples, sans récidive de la
hernie avec un recul de trois ans.
DISCUSSION
La dure-mère constitue une structure solide et peu extensible,
capable de supporter le lobe temporal même en cas de vaste brèche
osseuse sous-jacente. La survenue d’une hernie méningo-encéphalique nécessite donc, dans la majorité des cas, une brèche duremérienne associée à la brèche osseuse. Une augmentation locale
des pressions intracrâniennes, par extension de l’inflammation de
l’oreille moyenne, pourrait favoriser la formation de la hernie (1).
D’autres auteurs ont suggéré que le tissu cérébro-méningé serait
aspiré par les pressions négatives de l’oreille moyenne (2).
Trois causes peuvent provoquer la formation d’une hernie
méningo-encéphalique au cours de l’otite chronique, et éventuellement s’associer. L’étiologie iatrogène constitue la cause
principale, bien qu’elle soit probablement sous-estimée dans la
littérature (comptes-rendus opératoires non disponibles ; inter10
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ventions anciennes, jusqu’à 45 ans auparavant) ; pour Aristegui
et al. (3), elle serait à l’origine de 64 % des hernies, contre 10 %
pour l’otite chronique. L’utilisation des fraises coupantes au
contact du tegmen et de la coagulation monopolaire au contact
de la dure-mère ainsi que l’absence de tomodensitométrie préopératoire permettant de visualiser une éventuelle procidence du
tegmen favorisent la survenue des brèches osseuse et duremérienne au cours de l’intervention. Deux théories sont avancées
pour expliquer cette survenue au cours du processus otitique, en
particulier cholestéatomateux (4) :
– la pression du cholestéatome sur les parois osseuses provoque
une ischémie locale et une résorption osseuse ;
–le tissu inflammatoire de l’oreille moyenne libère des substances
enzymatiques qui provoquent une dégradation tissulaire. Enfin,
la troisième cause de hernie méningo-encéphalique est la présence de granulations arachnoïdiennes aberrantes à la surface de
la dure-mère, dont l’augmentation progressive de taille sous la
pression du LCR provoque une érosion osseuse sous-jacente. Ces
granulations, qui sont probablement à l’origine des brèches spontanées, peuvent s’associer au processus inflammatoire de l’oreille
moyenne, favorisant la formation d’une hernie.
L’incidence des complications neurologiques révélatrices de la
hernie, comme dans le cas de Madame E., est variable en fonction des séries, mais reste non négligeable. Dans une des plus
importantes séries de la littérature (31 cas), Jackson et al. (5) rapportent trois cas de méningite et un cas d’épilepsie. Sur quinze
patients opérés dans notre service entre 1985 et 1998, cinq présentaient une complication neurologique révélatrice de la hernie :
quatre méningites uniques ou récidivantes, associées dans trois
cas à une épilepsie généralisée ou temporale, et un hématome
temporal (6). La survenue d’une otorrhée cérébrospinale ou la
découverte d’une masse battante rétrotympanique ou occupant
une cavité d’évidement sont des présentations cliniques typiques
mais rares. Le mode de révélation le plus fréquemment décrit
dans la littérature est la découverte fortuite de la hernie au cours
d’une mastoïdectomie pour otite chronique, obligeant alors à
modifier l’attitude chirurgicale initialement prévue. Ces découvertes fortuites ne devraient plus exister si l’on réalise systématiquement un examen tomodensitométrique (TDM) de l’oreille
moyenne avant tout geste mastoïdien.
En effet, le TDM en coupes coronales permet, dans presque
tous les cas, de visualiser les brèches du tegmen, d’en déterminer le nombre, la localisation, et de suspecter une hernie associée
lorsqu’il existe une opacité dans les cavités de l’oreille moyenne
au contact de la brèche osseuse. L’imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM) confirme alors le diagnostic de hernie,
celle-ci se présentant sous la forme d’une masse de même signal
que le parenchyme cérébral sus-jacent sur toutes les séquences
et en continuité avec lui, avec interruption de la dure-mère. L’IRM
permet également de distinguer la hernie du tissu inflammatoire
ou d’un cholestéatome, et de diagnostiquer les complications
intracrâniennes (abcès temporal, pachyméningite).
La technique chirurgicale de choix pour la fermeture d’une brèche
du tegmen associée à une hernie méningo-encéphalique est la voie
sus-pétreuse, car elle permet le placement méticuleux des greffons osseux et dure-mérien, dont la taille doit être légèrement supé.../...
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rieure à celle de la brèche. Ces greffons sont maintenus par de la
colle biologique, mais surtout par la pression du lobe temporal
sus-jacent, ce qui explique le faible taux de récidives. Différents
matériaux peuvent être utilisés pour fermer la brèche osseuse, l’os
étant le plus sûr en raison de sa rigidité. Les matériaux synthétiques sont actuellement abandonnés, car ils étaient responsables
d’infections, d’extrusions et de récidives de la hernie. Le tissu hernié doit être réséqué, car il s’agit d’un tissu non fonctionnel, éventuellement infecté ou associé à des débris de cholestéatome, et qui
peut être la source d’un abcès intracérébral ou de crises d’épilepsie. Aucune complication consécutive à cette résection n’est rapportée dans la littérature. En cas d’otite chronique évolutive ou de
hernie volumineuse, une mastoïdectomie est associée à la voie
sus-pétreuse, soit, le plus souvent, dans le même temps opératoire,
soit en deux temps en cas d’infection sévère des cavités de l’oreille
moyenne. La voie sus-pétreuse est alors reportée, et n’est effectuée que quelques semaines après l’éradication du processus infectieux mastoïdien. Peu de complications consécutives à cette chirurgie sont rapportées dans la littérature : trois cas d’épilepsie
temporaire et deux accidents ischémiques transitoires sur 38 interventions pour Jackson et al. (5).
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1. Paparella MM, Meyerhoff WL, Oliviera CA. Mastoiditis and brain hernia
(mastoiditis cerebri). Laryngoscope 1978 ; 88 : 1097-106.
2. Kemink JL, Graham MD, Kartush JM. Spontaneous encephalocele of temporal bone. Arch Otol Head Neck Surg 1986 ; 112 : 558-61.
3. Aristegui M, Falcioni M, Saleh E et al. Meningoencephalic herniation into
the middle ear : a report of 27 cases. Laryngoscope 1995 ; 105 : 513-8.
4. Sterkers JM, Sterkers O. Cholestéatome et os, extensions pétreuses. Acta
Otorhino Laryngol Belg 1980 ; 34, 85-97.
5. Jackson CG, Pappas DG, Manolidis S et al. Brain herniation into the
middle ear and mastoid : concepts in diagnosis and surgical management. Am
J Otol 1997 ; 18 : 198-206.
6. Mosnier I, El Fiky L, Shahidi A, Sterkers O. Brain herniation and chronic otitis
media : diagnosis and surgical management. Clin Otolaryngo (à paraître).
La hernie méningo-encéphalique reste une complication rare
de l’otite chronique, parfois révélée tardivement par une
complication neurologique sévère, et encore trop souvent
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découverte en peropératoire. Une meilleure prise en charge diagnostique et thérapeutique est nécessaire, avec la réalisation
systématique, avant toute chirurgie mastoïdienne, d’un examen
tomodensitométrique de l’oreille moyenne, qui permet de visualiser une brèche et de suspecter une hernie, dont le diagnostic
sera confirmé par l’IRM. La fermeture de la brèche doit être
réalisée par une voie sus-pétreuse, éventuellement associée à
une mastoïdectomie en un temps ou en deux temps en cas
d’infection sévère des cavités de l’oreille moyenne. L’utilisation de fraises diamantées au contact du tegmen et de la
coagulation bipolaire devrait permettre d’éviter les brèches
iatrogènes, qui restent la principale cause des hernies méningoencéphaliques.
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CONCLUSION
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!
À découper ou à photocopier
Tarif 2000
Merci d’écrire nom et adresse en lettres majuscules
❏ Collectivité .................................................................................
à l’attention de ..............................................................................
❏ Particulier ou étudiant
Dr, M., Mme, Mlle ...........................................................................
Prénom ..........................................................................................
Pratique : ❏ hospitalière
❏ libérale
FRANCE / DOM-TOM / EUROPE
ÉTRANGER (autre qu’EUROPE)
❐ 580 F collectivités (88,42 €)
❐ 700 F collectivités
(127 $)
❐ 460 F particuliers
(70,12 €)
❐ 580 F particuliers
(105 $)
❐ 290 F étudiants
(44,21 €)
❐ 410 F étudiants
(75 $)
joindre la photocopie de la carte
❏ autre...........................
POUR RECEVOIR LA RELIURE
......................................................................................................
❐ 70 F avec un abonnement ou un réabonnement
(10,67 €, 13 $)
❐ 140 F par reliure supplémentaire (franco de port et d’emballage) (21,34 €, 26 $)
Code postal ...................................................................................
MODE DE PAIEMENT
Ville ................................................................................................
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Pays................................................................................................
ou Eurocard Mastercard
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Tél..................................................................................................
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