Stratégie climat du fonds souverain norvégien (GPFG): synthèse du

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Stratégie climat du fonds souverain norvégien (GPFG): synthèse du rapport du groupe
d’experts mandaté par le Ministère des finances norvégien.
Par Héléna Charrier, directrice de projets Investissement Responsable, Département de la
stratégie de la Caisse des Dépôts.
Le Fonds souverain norvégien (GPFG) est le plus gros investisseur institutionnel du monde, avec
un volume de 890 milliards de dollars en 2014 soit environ 1 % de la capitalisation boursière
investis dans 7 000 sociétés dans 82 pays. Le gouvernement norvégien a demandé en 2014 à un
groupe d’experts d’évaluer l’opportunité d’exclure du portefeuille du Fonds, les valeurs d’entreprises
des secteurs des énergies fossiles (charbon et pétrole) responsables du réchauffement climatique.
Le groupe d’experts a remis son rapport en décembre dernier. Ses conclusions sont actuellement
présentées au parlement norvégien.
Depuis qu’ont émergé les concepts de risque carbone1 et de risque climatique2, de nombreux
investisseurs s’interrogent sur la gestion de l’exposition aux énergies fossiles de leurs portefeuilles
de placements. En effet le « scénario 2°C » défini par l’accord de Copenhague en 2009, consistant
à exprimer un niveau maximum d’émissions de CO2 mondiales, est d’ores et déjà incompatible avec
l’extraction des réserves mondiales déclarées de pétrole et de charbon. Suite à une demande
parlementaire, le ministre norvégien des finances a ainsi mandaté un groupe d’experts3 le 4 avril
2014 afin d’étudier le recours pour le fonds souverain norvégien « Government Pension Fund
Global » (GPFG) à une stratégie d’exclusion4 des producteurs de charbon et de pétrole. Il leur a été
plus précisément demandé d’évaluer :
- si l’exclusion était la stratégie ISR la plus efficace pour endiguer ces risques climatiques et
susciter le changement par rapport à l’actionnariat engagé5,
-
quels pourraient être les critères d’exclusion du GPFG pour ce type de sociétés,
-
la pertinence de son allocation6 dans les secteurs pétrole, gaz et charbon, en considérant le
risque financier de dépréciation de ces actifs7, mais également l’objectif social du fonds de
« promouvoir le changement ».
1
Le risque carbone fait référence au risque d’une appréciation du prix du carbone.
Le risque climatique est défini comme les risques financiers résultant du changement liés 1/ au durcissement des
politiques de lutte contre le changement climatique et/ou 2/ des impacts physiques de ce dernier.
3
Composé de 6 experts, et présidé par Martin Skancke, ancien directeur général de la division gestion d’actifs de GPFG
et président des PRI, le collège d’experts a travaillé avec NBIM, le Conseil d’éthique, l’investisseur institutionnel
Folketrygdfondet, des experts financiers, économistes, climatiques, ONG et des représentants industriels.
4
L’exclusion se réfère à la décision stratégique par le propriétaire d’actifs de retirer un actif de l’univers d’investissement
du fonds sur la base de critères prédéfinis et publics.
5
L’engagement décrit les activités du fonds envers les sociétés investies, incluant le dialogue actionnarial, le vote, la
proposition de résolutions etc.
6
La cession de tout ou partie des actifs relève de décisions opérationnelles des gérants (NBIM), pour des motifs
financiers ou des considérations de soutenabilité, qui ne sont pas obligatoirement rendues publiques.
2
Le rapport remis le 3 décembre 2014 s’efforce donc de répondre aux enjeux posés par la
transition énergétique pour le fonds norvégien : protéger sa valeur patrimoniale, et s’interroger
sur son rôle comme outil de nouvelle politique économique et écologique.
La Norvège est le 10ème exportateur mondial de pétrole (20% du PIB, 50% des exports, et 1/3 des
revenus de l’Etat) et le 3ème exportateur de gaz. Cette rente alimente le GPFG, premier fonds
souverain mondial dont la gestion est confiée, par le Ministère des Finances, à la banque centrale
norvégienne (NBIM).
 La politique d’investissement du GPFG
L’objet du fonds est « d’assurer la prospérité des générations présentes et futures en maximisant
son couple rendement-risque à long terme, ceci étant conditionné à un développement durable
économique, social, environnemental, sur un marché financier équilibré et sain ». Ces principes ont
conduit le fonds norvégien à employer, en précurseur, une combinaison de stratégies
d’investissement responsable (investissements thématiques, analyse et recherche ESG,
collaborations internationales pour développer des standards de marché, exclusions éthiques8,
dialogue actionnarial, intégration ESG dans la constitution des portefeuilles de titres et les filiales9),
qui doivent être désormais mobilisées pour répondre à l’enjeu du changement climatique.
 Exposition et risques perçus
Exposition directe du portefeuille du fonds norvégien aux industries carbonées en 2014 :
- Actions : NOK 255 Mds dans le secteur oil and gas (environ 29 Mds€10), soit 8% du portefeuille,
et 4.6 Mds€ dans le secteur minier
- Obligations : 6 Mds€ répartis en 28 M€ dans le secteur minier, 3,4 Mds€ dans le secteur oil and
gas et 2,4 Mds€ dans les utilities.
- Filiales : 18 Mds€ dans le secteur minier (4,5 Mds€), dans les utilities (12 Mds€), dans les
énergies renouvelables (1,6 Md€).
Les énergies carbonées seraient donc légèrement sous-pondérées par rapport à l’indice de
référence du fonds, et les ENR (3 Mds€) y seraient surpondérées.
D’après les experts, cette exposition est confrontée à deux risques mal appréciés :
-
Le risque carbone, forme de risque politique qui a trait à la probabilité d’un durcissement des
accords internationaux ou des politiques nationales sur le climat générant l’appréciation du coût
des émissions de gaz à effet de serre. Il est dépendant d’innovations technologiques et sociales
difficilement appréciables (stockage de carbone, efficacité énergétique) et de l’évolution
démographique et macroéconomique.
-
Les autres risques politiques ou de marché (substitution énergétique et efficacité énergétique
coté demande, quotas ou hausse du coût marginal de production coté offre) pouvant entraîner
une dépréciation mal anticipée11 de certains des actifs carbonés. Les experts estiment que ce
risque est insuffisamment pris en compte par le marché, car mal compris et mal révélé dans les
comptes des entreprises. Ils préviennent que sa révélation soudaine est susceptible d’entraîner
la cession des actifs carbonés vers des investisseurs moins alignés avec la politique
7
Hypothèse des « Stranded-assets » : actifs impactés par une dépréciation non anticipée ou prématurée liée à la
règlementation climatique ou à l’évolution de la demande afférente à cet enjeu. 8
Les critères examinés par un Conseil Ethique indépendant (armement nucléaire, travail des enfants, tabac et
changement climatique) donnent lieu à la définition de listes d’exclusion publiques. Le conseil a déterminé l’exclusion en
octobre 2014 de 61 sociétés, parmi les 8 000 investies, soit 2.8% de la valeur de marché du portefeuille action.
9
Depuis 2012, NBIM a cédé des participations dans 27 producteurs d’huile de palme, 16 extracteurs d’or, et 11
producteurs de charbon en raison d’un doute sur la viabilité de leurs modèles d’affaires. Une autre évaluation du risque
environnemental a engendré la cession de 27 participations dans les compagnies minières, dont 11 dans le charbon.
10
Conversion calculée en fonction de la parité NOK/€ du 11/12/2014 : 1 EUR = 9.1551 NOK
11
Des analystes de Kepler-Chevreux ont proposé une estimation à $19,3 Mds l’impact sur les actifs pétroliers à risque et
à $4,9 Mds l’impact sur les actifs à risque dans le charbon entre 2015 et 2035.
2 d’investissement du fonds, et recommandent donc de porter une vive attention à l’évolution de
la gouvernance des sociétés.
LES RECOMMANDATIONS DU GROUPE D’EXPERTS
Les experts signalent que le fonds ne doit pas constituer l’instrument premier de la Norvège pour
lutter contre le risque climatique12, car aucune des stratégies employables ne génèrera d’impact
suffisant pour atteindre un scénario 2°. Il ne peut donc se substituer à une action politique en
matière climatique. Ceci étant, le GPFG doit contribuer à la résorption de ce risque par une
action à la mesure de son influence et de ses importantes capacités, et doit prendre en
compte les conséquences inévitables du changement climatique. A ce titre, il doit constituer un
objectif stratégique pour le fonds, qui doit s’efforcer d’en assurer la prise en compte tout au long de
la chaîne de valeur d’une part et d’autre part par ses pairs institutionnels. Ceci doit passer par :
1. Le développement d’une politique d’exclusion limitée sur le changement climatique
Les experts préconisent de ne pas étendre l’approche d’exclusion « produit » du GPFG aux
secteurs pétrolier et minier car ces derniers ne peuvent être systématiquement considérés ex
ante comme non éthiques, puisque les besoins fossiles ne disparaissent pas à court et moyen
terme et que leur satisfaction conditionnent le développement13. Ce type d’exclusion pourrait
aussi avoir un impact climat et sociétal contre-productif, car elle conduirait à ce que les sociétés
carbonées soient détenues par des investisseurs à faibles exigences ou capacité d’influence
ESG que le fonds souverain norvégien.
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
Ils recommandent cependant de développer une approche d’exclusion au cas par cas, reposant
sur la manière dont chaque société conduit ses opérations, au regard de standards et bonnes
pratiques sectorielles.
Les critères d’exclusion préconisés pour le fonds sont :
- Les sociétés les plus à risque (financier, réputation, E+S+G, soutenabilité du modèle
économique) du point de vue du climat,
- celles qui ne font pas d’effort pour réduire leur empreinte carbone et être en adéquation avec les
standards ESG mondiaux (ex : qui continuent d’investir dans des solutions très carbonées sans
compensation)
- celles qui pratiquent un lobbying contre le développement de ces standards internationaux.
Dans l’appréciation de ces critères, il est nécessaire :
- de donner la priorité à la progression de l’efficacité carbone des sociétés en dynamique plutôt
qu’à une approche statique
- d’avoir une appréciation holistique (E, S et G) de l’activité des entreprises
- de tenir compte des pratiques de délocalisation environnementale des entreprises (vers des
pays à faible gouvernance et règlementation ESG) dans l’appréciation de leur performance.
12
« We believe the use of the Fund as a climate policy instrument beyond what is compatible with its role as a financial
investor would be both inappropriate and ineffective.[…] the “Santiago Principles” which Norway has supported, make it
clear that sovereign wealth funds should have financial, and not political or strategic, motivations.”
13
D’où leur présence maintenue dans les scénarios 2 degrés de l’accord de Copenhague 3 2. Un fort renforcement de la stratégie d’actionnariat sélectif et engagé
GPFG ayant un intérêt transversal à réduire les externalités négatives sur son portefeuille, cet
objectif doit primer dans sa stratégie de stock-picking et d’engagement actionnarial, qui doivent
demeurer les principaux outils du fonds. Les experts recommandent donc au fonds:
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D’analyser en interne 1/les impacts du changement climatique sur ses investissements
de long terme, et 2/ comment la problématique climat peut être intégrée dans l’analyse
des investissements. Les résultats de cette analyse devraient être publiés afin que le fonds
assume son rôle de diffusion des bonnes pratiques.
De mieux formaliser l’intégration de l’enjeu climat à la stratégie de gestion active et de
dialogue actionnarial, de développer et durcir ce dernier, et d’optimiser les synergies entre ces
deux outils (utiliser l’exclusion en escalade du dialogue actionnarial, ce qui implique que les
représentants du fonds – NBIM, le conseil éthique et le ministère- s’expriment d’une seule voix
lorsqu’ils interagissent avec une société).
De ne pas limiter l’analyse énergie-climat aux fournisseurs d’énergie mais aussi aux secteurs
consommateurs.
D’accroître la transparence14 du fonds et de son gestionnaire sur la problématique climat, et
notamment sur les critères conduisant à une cession dans le secteur des énergies fossiles, afin
que cette analyse puisse être connue des entreprises et des investisseurs.
De se prononcer en faveur d’un accord mondial sur le prix du carbone et de s’assurer que le
Ministère des Finances soit suffisamment sensibilisé et informé de la gestion du risque
climatique sur le portefeuille.
De veiller à ce que le gestionnaire NBIM applique cette stratégie, en amendant son mandat de
gestion afin notamment d’introduire le principe de réduction de l’empreinte environnementale
du portefeuille et d’accroitre le reporting de NBIM sur le risque climatique et sa gestion.
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