ALVIS HERMANIS Sonia DE TATIANA TOLSTAIA 62e FESTIVAL D’AVIGNON SALLE BENOÎT-XII 56789 SALLE BENOÎT-XII • 15h durée 1h40 • spectacle en russe surtitré en français • première en France mise en scène Alvis Hermanis avec Gundars Aboliņš, Jevgeņijs Isajevs –ne décor et costumes Kristı–ne Jurja –ns son Andris Jara –nis Strazdı–ts lumières Krišja –nis Liniņš chef régie plateau Ja –rova régie plateau Linda Zaha production Elı–na Adamaite Spectacle créé le 11 avril 2006 au Nouveau Théâtre de Riga, Lettonie production Jaunais Rı̄gas Teātris (Riga) avec l’aide de l’Onda pour les surtitres Les dates de Sonia après le Festival d’Avignon 22 et 23 septembre au BITEF Festival de Belgrade Entretien avec Alvis Hermanis Êtes-vous déjà venu à Avignon ? Alvis Hermanis : Je suis venu une fois, mais en 2003, l’année de l’annulation du Festival ! Je ne fais pas partie des metteurs en scène d’Europe de l’Est, assez nombreux, qui ont été révélés à Avignon, grâce au programme Theorem. En Lettonie, je dirige depuis dix ans une structure d’État, et je n’ai eu besoin ni de subventions ni de reconnaissance de la part des programmes d’aides mis en place en Europe. J’ai été nommé en 1998 directeur artistique du Nouveau Théâtre de Riga, et c’est une position qui me permet d’être largement autonome. La situation est très différente en Lituanie où les jeunes metteurs en scène travaillent hors des structures d’État et ont donc vraiment besoin des aides occidentales pour monter leurs spectacles et être reconnus. Quel est le contexte du théâtre en Lettonie ? Nous sommes de proches voisins de la Lituanie mais la situation théâtrale est différente. En Lettonie, le théâtre vit plutôt mieux, mais il est marqué par deux influences majeures, allemande et russe. Riga est une vieille ville allemande qui s’est en partie russifiée à la fin du XIXe siècle. Aussi, historiquement, Riga a toujours balancé entre ces deux influences, d’ailleurs plus complémentaires que contradictoires. Aussi bien Wagner que Tchekhov ont vécu et travaillé à Riga. Nous essayons de proposer une forme de cocktail à base de ces deux ingrédients, forts l’un et l’autre. Ma formation personnelle est fondée sur l’enseignement russe, suivant un héritage très stanislavskien. Mais depuis quelques années, je travaille de plus en plus dans des théâtres allemands où je suis régulièrement invité avec ma compagnie. En Allemagne, le théâtre est un art très intellectualisé, d’une grande perfection scénographique et visuelle. Le théâtre russe est au contraire davantage fondé sur l’émotion, le jeu des acteurs, l’accumulation des décors et des objets, bien plus trash et désordonné que la tradition germanique. Sonia est un bon exemple de cette synthèse, nous avons tenté de retenir les côtés positifs de chaque influence. Le spectacle est à la fois rigoureux et émouvant. C’est un texte russe qui parle de la Russie de la dernière guerre mais l’organisation de l’espace et la mise en scène peut également être considérée comme proche de recherches typiquement allemandes. Quels genres de spectacles avez-vous montés jusqu’à présent ? J’ai commencé par être acteur, formé au Conservatoire de Riga. J’ai également une formation de mime. J’ai étudié la pantomime classique d’Etienne Decroux, de Jean-Louis Barrault et du mime Marceau. Je suis autant intéressé par le théâtre de répertoire que par le théâtre sans texte. Le cinéma muet a une grande influence sur mon travail. Dans Sonia, tout ce qui est vrai est important, ce qu’on mange, ce qu’on cuisine, ce qu’on cherche, ce qu’on finit par se dire… Il y a également une grande part de rêve et de vie imaginée autant qu’imaginaire. Sonia rêve un monde qu’elle se créé, et les enfants qu’elle borde dans leur lit ne sont que des poupées dérisoires… L’acteur Gundars Aboliņš qui joue le personnage féminin est un obsessionnel du détail vrai. De même, les décorateurs ont minutieusement reconstitué un intérieur russe du Leningrad des années 40. Ils ont énormément chiné là-bas, rapportant de nombreux objets qui sont dans le spectacle et des photos d’intérieurs qui ont permis d’élaborer un décor extrêmement réaliste. Mais le contexte politique de ces années, en URSS, ne semble pas essentiel au spectacle. La guerre y est davantage une atmosphère qu’un événement réaliste et vraiment menaçant… Je ne me suis jamais intéressé au contexte politique, dans aucun de mes spectacles. C’est une chose que je rejette, peut-être instinctivement, du moins assez violemment. Sans doute est-ce lié à mon passé, venant d’une république soviétique. Je ne ressens pas du tout politiquement les événements. Historiquement oui, mais jamais à travers une interprétation ou une lecture politiques. Je crois que pour nous la politique ne peut pas être vraiment sérieuse, elle s’est trop discréditée elle-même. Sonia est une nouvelle littéraire connue en Russie ? Tatiana Tolstaia, est une auteure contemporaine. Le Nouveau Théâtre de Riga doit présenter des classiques mais peut également explorer des auteurs et textes plus contemporains. Tatiana Tolstaia doit avoir autour de 60 ans, mais je dirais qu’elle appartient à cette génération de la “bonne littérature psychologique” russe. Elle s’inscrit dans la tradition de Tolstoï lui-même. J’ai parfois monté des spectacles à partir de textes beaucoup plus modernes et expérimentaux, comme The Ice, Collective Reading of the Book with the Help of Imagination in Riga, d’après un roman de Vladimir Sorokine, La Glace. Dans le cas de Sonia, j’ai sans doute un peu forcé la main par rapport au texte original de Tatiana Tolstaia, et je pense qu’elle n’avait jamais imaginé que Sonia pourrait être jouée par… un homme, et qu’ainsi le couple présent dans la nouvelle pourrait être interprété par deux hommes… Le couple d’acteurs est assez détonnant ! Cela n’a rien à voir avec la transsexualité mais davantage avec une tradition de la pantomime et du burlesque muet où parfois les femmes étaient jouées par des hommes. Cette femme naïve, grosse, un peu idiote, mais au grand cœur et à l’imagination débordante, pouvait parfaitement être interprétée par un homme car sa pesanteur, son poids, son ancrage dans le monde sont essentiels. L’acteur masculin, massif, muet, concret, attentif aux détails, s’est imposé naturellement. Il offre ce décalage dont la représentation de Sonia a besoin, tout en étant éthiquement, techniquement et fantasmatiquement parfait pour ce rôle. Quant à l’autre acteur Jevgeņijs Isajevs, ce n’en est tout simplement pas un ! Je recherchais un amateur, un homme de la rue, et finalement c’est un des jeunes techniciens du Nouveau Théâtre de Riga, qui arrivait alors d’un orphelinat, qui s’est imposé pour le rôle. C’était mon idée, confier tout le texte de la pièce à un non professionnel et le rôle féminin muet à un vrai acteur… Je voulais vraiment quelqu’un d’innocent, une sorte de Kaspar Hauser. L’important était de faire sentir un fort contraste entre les deux personnages, les deux acteurs, tout en les maintenant dans des registres proches : comme deux clowns, le triste et le joyeux, le muet et le parlant… Sonia est aussi une sorte de mélodrame… C’est ce qu’on pourrait appeler un “mélodrame absolu”. La guerre et la mort enveloppent tout, surtout les pensées du personnage féminin et les paroles du personnage masculin. L’idée qui sous-tend le spectacle reste que Sonia est totalement manipulée par la vie, par cet homme qui lui raconte des histoires, jusqu’au jour où elle le pense mort au front. Elle est alors prête à tout sacrifier pour lui, jusqu’à la folie. C’est à ce niveau que le mélodrame est le plus poignant, cette femme naïve est le jouet des autres et de l’Histoire, mais elle veut croire malgré tout en son amour et son destin. Le spectacle parvient à croiser les registres de jeu : le mélo, l’hyperréalisme, le burlesque, le mime, le naturalisme. C’est un travail important que je pratique avec le Nouveau Théâtre et qui, dans Sonia, est au cœur de l’esprit du jeu. La mise en scène ne choisit pas un registre aux dépens des autres mais tente de les multiplier. C’est très stimulant pour les acteurs et pour moi-même. La réalité en est le meilleur exemple, elle n’est faite que d’histoires tragiques et drôles. Je suis d’un certain côté assez traditionnel. Je pense que les spectateurs peuvent pleurer et rire en même temps. C’est la leçon de Chaplin et des grands burlesques à laquelle le théâtre est fidèle, le seul art qui le soit sans doute vraiment. Car la scène est l’espace de l’éphémère. C’est pourquoi c’est un art si mélancolique, il est définitivement ancré dans l’Europe d’autrefois même s’il peut raconter des histoires d’aujourd’hui. Propos recueillis par Antoine de Baecque en février 2008 Alvis Hermanis Alvis Hermanis dirige le Nouveau Théâtre de Riga, en Lettonie, depuis bientôt 10 ans. À 42 ans, il est à la tête de cette institution d’État, pourvue d’une troupe permanente de 25 comédiens, dont une partie de la programmation est consacrée au répertoire classique, surtout des auteurs allemands et russes. Par ailleurs, il monte des textes plus contemporains, comme Sonia de l’auteure russe Tatiana Tolstaia ; il met également en scène des spectacles inspirés d’éléments de la vie concrète, tel Long Life, sans doute sa création la plus connue, ayant bénéficié d’une importante tournée internationale, pièce qui propose des séries de variations mélancoliques autour de la vie des vieillards et de leur vision du monde si particulière. Les spectacles d’Alvis Hermanis et du Nouveau Théâtre de Riga sont le plus souvent des créations personnelles et collectives avec les acteurs, nées de différentes sources d’inspiration, de leur propre expérience, de la littérature, comme La Glace de Vladimir Sorokine ou encore l’album de Simon and Garfunkel, The Sound of Silence. Le théâtre d’Alvis Hermanis illustre une forme inventive de synthèse entre deux filiations contradictoires : la dramaturgie germanique, architecturée, pensée, abstraite, raisonnée, et l’espace du jeu russe, décalé, éclaté, désordonné, parfois encombré d’une certaine folie. Le travail d’Alvis Hermanis avec ses acteurs, point essentiel de sa démarche, semble constamment tendu entre ces deux lignes. Tatiana Tolstaia est née en 1951 à Saint-Pétersbourg. Elle est issue d’une famille marquée par une riche tradition littéraire. Après des études à l’université d’État de Leningrad, elle s’installe à Moscou où elle travaille dans une maison d’édition avant de se consacrer entièrement à l’écriture. En tant que journaliste, Tatiana Tolstaia a écrit sur la littérature mais aussi sur les événements actuels en Russie. Aujourd’hui, elle vit et travaille entre les États-Unis, où elle enseigne à l’université, et la Russie. Elle est reconnue comme l’un des plus grands écrivains russes actuels. et 7 juillet • 11h30 • ÉCOLE D’ART Dialogues avec le public avec Alvis Hermanis animé par Antoine de Baecque Pour vous présenter les spectacles de cette édition, plus de mille cinq cents personnes, artistes, techniciens et équipes d’organisation ont uni leurs efforts, leur enthousiasme pendant plusieurs mois. Parmi ces personnes, plus de la moitié, techniciens et artistes salariés par le Festival ou les compagnies françaises, relèvent du régime spécifique d’intermittent du spectacle.