CHAPITRE H2 LA REPUBLIQUE FRANCAISE FACE AUX ENJEUX DU XXème SIECLE Introduction I – Quelle est l’essence de la République en France ? A) Comment la République s’est-elle enracinée en France à la fin du XIXème siècle ? 1) une République difficile à installer (1870-1880) 2) l’enracinement de la République (1880-1900) B) Comment la période noire de la Seconde Guerre mondiale a-t-elle conduit à une revitalisation de l’idée républicaine en France ? La défaite écrasante subie par la France face à l’Allemagne au printemps 1940 ne pouvant rester sans responsables, c’est la République et son « personnel politique » qui sont pointés du doigt par l’opinion mais surtout par le gouvernement établi à Vichy par le maréchal Pétain. L’Etat français qu’il organise à partir de juillet 1940 se veut en rupture complète avec l’idéal républicain et entend se fonder sur des valeurs traditionnelles issues du passé monarchique de la France. La Résistance à la présence allemande sur le territoire national, qu’elle soit extérieure ou intérieure, a pendant un certain temps du mal à se revendiquer de la République. Toutefois, progressivement, les valeurs de la République sont réaffirmées et la légalité républicaine s’incarne à travers le gouvernement provisoire (GPRF) établi à Alger à partir de 1944. Celui-ci, dans son programme, pose les jalons d’une évolution de la République (celle-ci se fait plus sociale avec l’adoption de l’Etat-providence et plus démocratique avec le droit de vote pour les femmes). En 1946, les Français confirment leur volonté de rompre avec le fonctionnement de la IIIème République mais la définition de ce que doit être la IVème République reste difficile. 1) Comment la défaite de 1940 remet-elle en cause la République ? Le souvenir de l’hécatombe de 1914-1918 a conduit au développement d’un fort pacifisme en France dans la période des années 20 et 30. La République, qui avait paru magnifiée par la victoire dans la Première Guerre mondiale, s’est trouvée à nouveau critiquée et contestée dans les années 30 par des mouvements nationalistes et xénophobes d’extrême-droite (échec du coup de force du 6 février 1934). La France entre donc à reculons dans la Seconde Guerre mondiale ce qu’illustre fort bien la période dite de la « Drôle de guerre » (septembre 1939 à mai 1940) durant laquelle aucune offensive notable n’est lancée contre l’Allemagne. En revanche, lorsque les troupes allemandes passent à l’offensive le 10 mai 1940, les armées française et alliées (Belges et Britanniques) se retrouvent rapidement piégées. En à peine plus d’un mois, le nord de la France est envahi et Paris est occupée par les troupes allemandes dès le 14 juin. Le gouvernement replié sur Bordeaux hésite entre deux attitudes : poursuivre la lutte depuis l’empire colonial ou reconnaître la défaite ? Fort de son prestige de vainqueur de Verdun, le maréchal Philippe Pétain réussit à faire prévaloir sa volonté d’un armistice rapide. Le 16 juin, il devient président du Conseil. Le 17, il demande aux Allemands la conclusion d’un armistice qui sera signé le 22 et entrera en vigueur le 25 juin (après la conclusion d’un armistice avec l’Italie). Il s’agit d’une décision qui rend l’Etat responsable de la défaite militaire et, d’une certaine manière, exonère l’armée de ses responsabilités (un armistice signe la défaite d’un pays quand une capitulation signifierait celle d’une armée). Dans cette atmosphère lourde de naufrage collectif, la « gloire » du maréchal Pétain apparaît à beaucoup comme le meilleur rempart face aux Allemands. Installé à Vichy, le gouvernement manœuvre les parlementaires pour obtenir des pouvoirs renforcés (parmi ceux qui intriguent, Pierre Laval, ancien ministre et chef de gouvernement, qui ambitionne de devenir « l’héritier » d’un Pétain très âgé). Le 10 juillet 1940, à l’exception de 80 parlementaires, députés et sénateurs accordent à Pétain les pleins pouvoirs constituants. Dans les jours qui suivent, le président de la République se retire et les chambres se mettent en vacances. La voie est libre pour Pétain et son entourage qui peuvent mettre sur pied le régime de l’Etat français qui nie l’essentiel des valeurs républicaines. La propagande de ce régime rend la République responsable de la défaite (« l’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice » dit ainsi Pétain dans un célèbre discours). La France se dote ainsi d’un régime fascisant, antiparlementaire, antidémocratique et antisémite (statut des juifs promulgué dès le 3 octobre 1940). Elle sera désormais gouvernée par un chef de l’Etat, Pétain, qui choisira librement les membres de son gouvernement. L’Etat français plonge ses racines dans la France de l’Ancien régime, une France rurale (« La terre ne ment pas ») où le collectif prime sur la personne. C’est le sens de la « Révolution nationale » prônée par Pétain : un retour aux valeurs d’avant 1789 : hormis le drapeau tricolore, les symboles républicains sont supprimés (la devise « Liberté Egalité Fraternité » est remplacée par « Travail Famille Patrie » qui exalte la soumission de l’individu à l’Etat). Punir les coupables de la défaite apparaît comme un moyen de renforcer ce nouveau régime. Très vite sont montrés du doigt ceux qui ont exercé le pouvoir dans la seconde moitié des années 30, notamment à l’époque du Front populaire. Les grèves de l’été 36, les lois sociales (congés payés, semaine des 40 heures) sont désignées comme responsables de l’impréparation des Français à se battre en 1939. Dès la fin de l’été 1940, des responsables politiques républicains comme Léon Blum sont arrêtés en attendant un procès à venir. Celui-ci s’ouvre à Riom en février 1942. Face aux accusations qui pèsent sur eux, les anciens chefs de gouvernement ou ministres (Blum, Daladier…) démontrent que la défaite n’est pas due au Front populaire mais aux erreurs des militaires qui n’ont pas su préparer à temps une guerre moderne (or, au moment de ces décisions fondamentales, Pétain avait la haute main sur l’état-major de l’armée) : à la demande des Allemands, le procès s’interrompt au bout de deux mois et ne reprend pas. A ce moment, une partie des Français qui avaient vu dans Pétain une chance pour la France se sont déjà détournés des slogans antirépublicains de la « Révolution nationale » pour résister aussi bien aux Allemands qu’au gouvernement de Vichy. 2) La Résistance, un combat pour la République ? Dans la mythologie résistancialiste créée après la guerre par les gaullistes, la Résistance naît le 18 juin 1940 avec l’appel lancé sur les ondes de la BBC par le général Charles de Gaulle. Outre que cet appel n’a pas été entendu le jour même, un certain nombre de mouvements de résistance sont nés en France sans avoir connaissance de l’existence de ce mystérieux général que pratiquement personne ne connaissait. Cependant, le contexte étant celui de l’humiliation subie en mai-juin 1940, la République n’est pas le moteur de ces premiers mouvements de résistance, le général de Gaulle le premier ne l’évoquant pas. Dans tous les cas, il s’agit d’abord de chasser les Allemands du territoire national, de poursuivre la lutte contre l’ennemi d’une manière ou d’une autre. La question des principes républicains n’est pas au cœur de cette lutte car beaucoup de ces premiers résistants, comme la population française, font confiance encore à Pétain. Ce n’est que progressivement, avec le développement d’une active politique de collaboration avec l’Allemagne, que le régime de Vichy se trouvera discrédité aux yeux de beaucoup et que la résistance mettra sur le même pied la lutte contre les Allemands et la volonté d’un rétablissement de la République. Au fur et à mesure que la Résistance s’organise et s’unifie, les buts de son action se trouvent définis et précisés. Le général de Gaulle obtient, notamment grâce à l’action de Jean Moulin, le rapprochement des différents réseaux de résistance intérieure au sein du Conseil National de la Résistance (1943). Celui-ci définit un programme (charte du CNR de mars 1944) dans lequel il affirme la volonté d’un retour aux libertés fondamentales et à la démocratie après la guerre ; c’est donc l’idéal républicain français qui réapparait. Cependant, comme la Résistance intérieure est composée principalement d’hommes de gauche ou de démocrates chrétiens, le programme du CNR prend en compte des éléments économiques et sociaux. La nouvelle République, (car il apparaît impensable qu’on en revienne à la Troisième République, système marqué par la défaite de juin 1940) se devra d’être plus sociale et solidaire. C’est sur ce programme que se fonderont les hommes qui, autour du général de Gaulle, constituent à Alger en 1944 le Gouvernement Provisoire de la République Française. 3) Une République rénovée à la Libération ? Avant même que ne commence la libération du territoire national, le GPRF entreprend une œuvre de rénovation de la République. Les principes républicains démocratiques sont réaffirmés, les femmes (au nom de leur rôle actif au sein de la Résistance) obtiennent le droit de vote (avril 1944). Dans le même temps, on prépare les conditions à la remise en marche de la démocratie dès la libération du territoire afin d’éviter que se mette en place en France une administration sous contrôle allié (AMGOT) ; le GPRF désigne ainsi des commissaires de la République chargés de gérer des régions autour de grandes villes (pour écarter les anciens préfets) ou des personnes chargées à travers de délégations municipales de prendre en main les grandes villes (par exemple, le socialiste Gaston Defferre à Marseille). Ces représentants du GPRF sont choisis parmi des résistants connus, ayant généralement effectué plusieurs voyages clandestins à Londres pendant la guerre, desquels on attend qu’ils destituent les représentants du gouvernement de Vichy (préfets, sous-préfets, chefs de la police, inspecteurs d’académie…) et désignent de nouveaux représentants de l’Etat, qu’ils reprennent en main les administrations, qu’ils organisent les premières consultations électorales (ce seront des élections municipales à l’automne 1945). Après l’arrivée du GPRF à Paris, une série de lois et d’ordonnances va mettre en place le programme issu de la charte du CNR : nationalisations d’entreprises entre 1944 et 1946 dans les secteurs industriels (Renault, Berliet), de l’énergie (donnant naissance à EDF-GDF ou aux Charbonnages de France), des transports, de la finance (banques et assurances) ; création de l’Etat-providence avec la naissance de la Sécurité sociale (1945). Toutes ces décisions créent une République plus sociale et solidaire. Il reste cependant à régler la question des institutions, question qui va faire apparaître des fractures importantes au sein du GPRF. Une première consultation est organisée auprès des Français le 21 octobre 1945. Il s’agit de savoir si on rétablit la Troisième République ou si on va créer une nouvelle République. A 96 %, les Français se prononcent pour une nouvelle République ; les députés élus au cours de la même consultation deviennent dès lors chargés de mettre au point une nouvelle constitution. Ces élections montrent donc le rejet de la Troisième République (les radicaux qui l’incarnaient sont très peu nombreux à trouver un siège à l’Assemblée constituante) mais aussi un basculement de l’électorat vers la gauche (la droite étant elle aussi assimilée à l’ancien système républicain mais supposée s’être compromise avec le régime de Vichy). Trois partis ayant joué un rôle actif dans la Résistance (les démocrates chrétiens du MRP, les socialistes de la SFIO et les communistes du PCF) sont au contraire les principaux acteurs des discussions visant à la création d’une nouvelle constitution. Cependant, des dissensions croissantes opposent ces partis au général de Gaulle qui prône un pouvoir exécutif fort (« un gouvernement qui gouverne ») quand les partis souhaitent un retour à un système parlementaire. Le 20 janvier 1946, de Gaulle démissionne avec fracas de la présidence du GPRF. Ce départ a pour conséquence l’échec du référendum destiné à approuver la première constitution (5 mai 1946). Il faut élire une seconde assemblée constituante (2 juin 1946) dont le projet est finalement approuvé par les Français le 13 octobre 1946 (mais avec un fort taux d’abstention (31 %) et sans une grande marge : 36 % de Oui contre 33 % de Non). La Quatrième République est fondée mais dès le départ c’est un régime qui n’obtient pas l’adhésion de la majorité des Français.