Groupe de liaison avec les chrétiens et les minorités au... Compte rendu de l’audition du jeudi 28 janvier 2016

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Groupe de liaison avec les chrétiens et les minorités au Moyen Orient
Compte rendu de l’audition du jeudi 28 janvier 2016
Salle Clemenceau, 9h30
Participants Sénat : M. Bruno Retailleau, président, M. Gérard Bailly, M. Michel Boutant,
M. Daniel Chasseing, Mme Catherine Deroche ; Mme Chantal Deseyne ; Mme Dominique
Estrosi Sassone ; M. Christophe-André Frassa ; Mme Christiane Kammermann; Mme
Elisabeth Lamure ; M. Jeanny Lorgeoux ; M. Charles Revet ; M. Alain Reichardt ; M.
Jean-Pierre Vial.
M. Marc Fromager directeur France d’« Aide à l’Eglise en détresse » et
M. Michel Varton directeur de l’ONG « Portes Ouvertes », accompagné de M. Rémy
Vergnon, Coordinateur Projets et Evènements et de Mme Johanna Bono, Chargée de
Plaidoyer.
M. Bruno Retailleau - Nous avons le plaisir d’accueillir deux organisations particulièrement
actives en matière de soutien aux communautés chrétiennes dans le monde : « Aide à l’Eglise
en détresse » représentée par son directeur M. Marc Fromager et « Portes Ouvertes »
représentée par son directeur M. Michel Varton, accompagné de M. Rémy Vergnon,
Coordinateur Projets et Evènements et de Mme Johanna Bono, Chargée de Plaidoyer.
Vous consacrez les uns comme les autres votre énergie depuis de très nombreuses années à la
cause de la liberté religieuse qui, faut-il le rappeler, est le fondement de la laïcité telle que
nous la concevons en France, mais qui est si peu respectée dans le monde.
AED dispose d’un « observatoire de la liberté religieuse » et « Portes Ouvertes » publie
chaque année un « Index de la persécution des chrétiens dans le monde». Il m’a semblé
particulièrement intéressant de vous entendre pour avoir un « instantané » de la situation dont
nous n’oublions naturellement pas qu’elle touche des hommes et des femmes dans ce qu’ils
ont de plus cher : leur foi, bien sûr, mais aussi leurs vies.
Les analyses de vos deux organisations portent donc sur le monde entier même si notre
groupe de liaison qui rassemble 138 sénateurs de toutes les sensibilités politiques du Sénat,
s’intéresse plus particulièrement au sort des chrétiens au Moyen Orient. Il est évident que, si
nous nous focalisons sur le sort de ces communautés, notamment, compte tenu des guerres qui
s’y déroulent, en Syrie et en Irak, nous n’oublions pas pour autant les persécutions,
l’intolérance et les discriminations qui limitent et empêchent l’expression libre de la foi de
chacun partout dans le monde. La liberté de religion est un principe fondateur des droits de
l’homme. C’est du reste la raison pour laquelle notre groupe s’intéresse aux Chrétiens et aux
minorités au Moyen Orient. Si l’on s’en réfère, en effet, aux cartes qui figurent sur les sites de
vos deux organisations la région moyen-orientale est l’une ou le degré d’intolérance est le
plus fort dans le monde.
M. Marc Fromager, directeur France d’AED - « Aide à l’église en détresse » est une
fondation pontificale. Elle est donc rattachée au Vatican et à l’ensemble de l’église catholique
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et ses 1,2 milliard de fidèles. La branche française d’AED a collecté 36 millions d’euros en
2015 qui nous permettent de financer des interventions dans 150 pays ce qui permet d’avoir
une compréhension assez fine de ce qui se passe partout dans le monde. Au niveau
international ce sont 120 millions d’euros qui sont collectés permettant de soutenir 5000
projets. Il s’agit pour nous d’attirer l’attention sur les zones géographiques il y a
discrimination contre les chrétiens et les croyants en général. Notre observatoire de la liberté
religieuse analyse les discriminations quelques soit la confession ou la religion. Notre rapport
sur la liberté religieuse dans le monde est publié sur une base bi-annuelle et porte sur 196
pays. Il ne s’intéresse donc pas uniquement à la liberté des chrétiens mais à celle de tous les
croyants. Les analyses détaillées par pays peuvent se retrouver sur notre site Internet
www.aed-france.org.
Cette approche permet de souligner que la question de la persécution des chrétiens n’était
absolument pas évoquée par les médias jusqu’à il y a une dizaine d’années. Deux points de
bascule ont permis que cette question vienne au premier plan. Le premier est l’intervention
américaine en Irak en 2003 et le second, à l’été 2014, l’apparition de l’État islamique et
l’exode des chrétiens qui s’en est suivi.
La question de la liberté religieuse pour l’ensemble des croyants est aussi une question de
cohérence. Si nous voulons que la persécution des chrétiens soit prise en compte dans les
médias il nous faut demander la liberté religieuse pour tous y compris dans des pays athées
comme la Chine, la Corée du Nord ou le Vietnam.
AED, dont le prochain rapport complet est attendu en novembre 2016, publie un extrait
portant sur les 20 pays où la situation est la plus dramatique. Ces pays sont : l’Afghanistan, la
République Centrafricaine, l’Égypte, l’Iran, l’Irak, la Libye, les Maldives, le Nigéria, le
Pakistan, l’Arabie Saoudite, la Somalie, le Soudan, la Syrie et le Yémen. Dans ces pays la
cause principale de la persécution est liée à l’extrémisme musulman. En Birmanie, en Chine,
en Érythrée, en Corée du Nord, en Azerbaïdjan et en Ouzbékistan, la persécution religieuse
est liée à l’existence de régimes autoritaires.
Le Moyen-Orient est la zone géographique la liberté religieuse est la moins respectée dans
le monde, pas seulement vis-à-vis des chrétiens, puisqu’il existe une guerre entre musulmans
qui opposent les sunnites (80% des musulmans) et les chiites. Le champion des premiers étant
l’Arabie Saoudite, désormais talonnée par le Qatar, et l’Iran est le champion des seconds.
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L’Arabie Saoudite a pour vocation, depuis plusieurs décennies, d’exporter sa version rigoriste
de l’islam. Cette version de l’islam est le wahhabisme et son produit d’exportation le
salafisme. Ce que l’on peut constater dans le monde aujourd’hui c’est une uniformisation de
l’islam, une wahhabisation, qui vient recouvrir la diversité qui existait au préalable dans des
pays comme le Maroc ou le Sénégal. Cette uniformisation conduit à une radicalisation. Ce
mouvement, largement financé par l’Arabie Saoudite, est aussi le produit d’une crise de la
modernité au sein de l’islam, d’une crise de la mondialisation qui fait que l’islam se radicalise
partout dans le monde, y compris chez nous.
Face aux sunnites, les chiites menés par l’Iran, proviennent d’une division au sein de l’islam
dont l’origine remonte à l’immédiate succession de Mahomet. Elle est le produit de l’histoire
mais atteint aujourd’hui une dimension paroxystique entre l’Arabie Saoudite et l’Iran pour
l’hégémonie au Moyen-Orient.
Le chiisme et le sunnisme sont deux manières différentes de pratiquer l’islam. La principale
différence doctrinale et théologique tient sans doute à la décision prise au sein du sunnisme de
fermeture de la recherche et de l’interprétation à partir du XIe siècle. La seconde différence
tient à l’existence d’une structure hiérarchique au sein d’un véritable clergé du chiisme alors
qu’au sein du sunnisme personne ne dirige. La troisième différence majeure est que les chiites
ont le culte du martyr, non pas celui qui va se faire exploser dans un bus pour tuer des femmes
et des enfants, mais celui qui va mourir pour ne pas renoncer à sa foi, ce qui le rapproche de
la conception chrétienne du martyr, c’est-à-dire celui qui est témoin de la résurrection du
Christ et qui va préférer mourir plutôt que d’abjurer sa foi. Cela étant, l’affrontement entre les
deux branches de l’islam n’est pas principalement la dispute théologique mais une lutte pour
l’hégémonie au Moyen-Orient.
L’Arabie Saoudite mais aussi le Qatar et l’ensemble de la péninsule sunnite essayent de se
libérer de ce qu’elle considère comme l’étau chiite et de l’axe chiite qui passe par l’Iran la
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Syrie et le Liban (Hezbollah) et par le Yémen au sud. Elle a choisi comme tactique de viser le
maillon faible, c’est-à-dire la Syrie, et de se débarrasser de Bachar al Hassad qui est un
Alaouite c’est-à-dire l’adepte d’une secte chiite.
L’autre raison de la guerre en Syrie est que le Qatar est principalement un producteur de gaz
et que son évacuation pour l’exportation vers l’Europe, qui constitue son principal client,
serait beaucoup plus aisée si un gazoduc était construit à travers la péninsule arabique, la
Syrie et qui rejoindrait ainsi les principaux terminaux d’approvisionnement en gaz à travers la
Méditerranée. Bachar va s’y opposer pour préserver les intérêts russes puisqu’il est évident
que la construction d’un tel gazoduc diminuerait de manière significative la dépendance
européenne vis-à-vis du gaz russe. Le Qatar et la Syrie sont subitement devenus ennemis et la
guerre a commencé immédiatement après cette décision d’opposition du gouvernement syrien
au projet qatari.
On voit bien que l’Arabie Saoudite et le Qatar ont intérêt à se débarrasser de la Syrie et vont
entreprendre de financer la rébellion qui est en partie syrienne mais majoritairement étrangère.
Ce sont des mercenaires étrangers qui proviennent de 90 pays différents dont la France. Il y a
environ 1700 ressortissants français qui combattent en Syrie et en Irak. Très rapidement le
gouvernement syrien va perdre le contrôle du nord-est et c’est dans cette zone grise que vont
se développer les groupes terroristes comme le front Al Nosra, affilié à Al Qaïda, et l’État
islamique qui a trouvé refuge dans cette zone et qui pendant quatre ans va être armé et financé
par l’Arabie saoudite. Cela leur permettra de se renforcer et, en 2014, de passer la frontière,
de prendre Mossoul et d’occuper, grâce à ce financement, une très large part de l’Irak et de la
Syrie.
Ce qui est plus inquiétant c’est qu’une partie des armes dont il dispose sont d’origine
occidentale, principalement provenant des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne
même si ces pays avaient pris la précaution de dire que ces armes étaient livrées à la rébellion
modérée. Le problème est que cette rébellion modérée n’existe pas ou tout au moins qu’elle a
été subjuguée par de plus radicaux qu’elle qui se sont appropriés les armes quand celles-ci ne
lui ont pas été tout simplement vendues. Le sultat est que, involontairement, ces
organisations extrémistes disposent d’armes françaises.
Pourquoi avons-nous indirectement soutenu ce projet de l’Arabie Saoudite ? Depuis cinq ans
il semble qu’il y ait un alignement de notre politique sur celle de ces pays sans doute parce
que nous avons besoin de leur vendre des armes et de leurs investissements. La France est le
troisième exportateur d’armes, l’Arabie Saoudite est le premier importateur ; cela crée des
liens. La France a également besoin que l’on rachète sa dette et que l’on investisse chez elle et
nous savons que le Qatar y met tout son cœur. Dans le conflit syrien la diplomatie française a
pris position de façon véhémente dès le début pour le remplacement du président syrien.
Trois choses ont changé depuis cet été 2015 : la première est la crise des migrants qui sont
venus à pied car le Moyen-Orient est proche de l’Europe comme on a pu s’en rendre compte.
Ces migrants sont principalement des syriens, mais pas seulement. En tout cas, ils ne sont pas
venus directement de Syrie. Ils étaient pour la plupart réfugiés dans des camps en Turquie
depuis trois ou quatre ans. Ils étaient en sécurité dans ces camps et il n’y avait aucune raison
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de les faire venir en Europe, il fallait les soutenir sur place. Nous avons assisté à un double
mouvement : d’une part, la Turquie a utilisé la crise migratoire pour faire pression sur
l’Europe dans le cadre des négociations d’adhésion. Elle a ouvert ses frontières et même
encouragé les réfugiés à partir. D’autre part, l’Allemagne, en déficit démographique, a besoin
d’une main-d’œuvre importante. Il ne s’agit donc pas au départ d’un acte de charité mais de
répondre aux intérêts de l’industrie allemande en important une main-d’œuvre qualifiée au
détriment des pays d’origine dont elle constitue la force vive.
Deuxième changement majeur, l’intervention russe, qui vient contrecarrer l’alliance avec
l’Arabie Saoudite qui fonctionnait à merveille et qui avait pour but de détruire le régime
syrien. Les Russes veulent mettre fin à la guerre et pour cela il convient de soutenir l’État
syrien et de lutter contre tous les rebelles, y compris les pseudos rebelles modérés. Le ministre
des affaires étrangères russes, Monsieur Lavrov, a indiqué que l’aviation russe n’envoyait que
des bombes modérées sur les rebelles modérés. Cela conduit à rebattre les cartes. Par ailleurs,
l’État islamique est devenu suffisamment puissant pour se retourner contre l’Arabie Saoudite
et la menacer comme pour menacer la France à travers les attentats que l’on a connus.
Ces attentats sont la troisième des choses qui ont changé depuis cet été et qui fait que la
France a désormais une attitude plus proactive pour lutter contre l’État islamique. Nous
restons encore très dépendants des Américains qui demeurent dans une position très ambiguë
puisqu’il ne cherche pas vraiment à détruire l’État islamique. Notre action est limitée par la
pénurie de bombes que nous devons commander en particulier aux Américains qui eux-
mêmes doivent largement fournir l’Arabie Saoudite qui bombarde tous les jours le Yémen.
En tout état de cause, l’élimination de l’État islamique suppose une ferme volonté de tous, y
compris de la Turquie, ce qui est loin d’être acquis aujourd’hui.
Le résultat est que la crise, au-delà de la communication, va perdurer et que ce sont les
populations, majoritairement musulmanes qui souffrent. Pour les chrétiens, c’est encore plus
problématique dans la mesure ils sont en voie de disparition pure et simple. En Irak la
population chrétienne est passée en 10 ans de 1,5 millions à moins de 200 000 et en Syrie la
moitié de la population chrétienne a quitté le pays. Si la guerre continue il n’y aura bientôt
plus de chrétiens ni en Irak ni en Syrie. C’est triste pour le christianisme mais c’est aussi triste
pour ces pays-là car, comme on le sait, avec la disparition des chrétiens ils vont totalement se
refermer sur eux-mêmes, ils vont continuer à se radicaliser et à poursuivre leur guerre
intracommunautaire. Sans la présence des chrétiens pour les départager, on est en train de
vouer ces pays à un chaos sans fin comme celui que nous avons réussi à provoquer en Libye.
M. Bruno Retailleau, président- Je remercie pour cette introduction géopolitique très
intéressante et passe à présent la parole à M. Michel Varton au nom de l’ONG « Portes
ouvertes ».
M. Michel Varton, directeur de l’ONG « Portes Ouvertes » - notre organisation est
d’origine protestante évangélique. Elle existe depuis 1996 en France. « Open Doors » a été
fondé en 1955 par un néerlandais, Ann Van Der Bijl
.
L’organisation travaille sur le terrain
1 / 14 100%

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