Gènéthique - n°18 juin 2001
Lettre d’information et d’analyse sur l’actualité scientifique N°18 : juin 2001
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La révision des lois de bioéthique : le projet du gouvernement 1
Le Conseil des ministres a
adopté le 20 juin dernier le
projet de loi sur la révision
des lois de bioéthique de
1994. Voici les principaux
sujets abordés :
Caractéristiques génétiques
Le principal objet du projet
de loi est de « créer une
disposition spécifique dans le
code civil interdisant toute
discrimination à raison des
caractéristiques génétiques. Le
code pénal et le code du
travail sont modifiés en
conséquence. En outre,
l'examen des caractéristiques
génétiques d'une personne
décédée ne pourra se faire en
cas d'opposition expressément
manifestée par celle-ci de son
vivant.»
Dons d’organes
Il modifie également les
dispositions du code de la
santé publique et du code
pénal concernant le don et
l’utilisation des éléments et
produits du corps humain et
il complète les procédures de
recueil du consentement.
« Pour les personnes cédées
s'appliquera le régime du
consentement présumé, sauf
en cas de nécessité absolue de
santé publique. Par ailleurs,
moyennant de strictes
conditions
d’encadrement (…) le projet
élargit le champ des donneurs
vivants à toute personne
majeure et capable, ayant
avec le receveur un lien étroit
et stable. »
Procréation-embryologie
Le projet de loi regroupe
l’ensemble des modifications
et nouvelles dispositions
législatives se rapportant à la
procréation et à
l’embryologie. Les plus
notables sont les suivantes :
- « Pour la première fois,
l’interdiction du clonage
reproductif est clairement
exprimée à la fois dans le
code civil et dans le code de
la santé publique ».
- « Les recherches sur
l’embryon in vitro et les
cellules totipotentes qui
peuvent en être issues sont
désormais possibles, à la
condition d’être menées sur
des embryons congelés
surnuméraires sans projet
parental, d’avoir une finalité
médicale, que les deux
membres du couple y aient
expressément consenti et que
les protocoles qui sous-
tendent ces recherches aient
été dûment autorisés par les
ministres en charge de la
santé et de la recherche. »
Le clonage thérapeutique
n’est donc pas autorisé car
suite à l’avis rendu par le
Conseil d’Etat le 14 juin
dernier, le Premier ministre a
décidé de retirer du projet de
loi le chapitre prévoyant la
possibilité de recourir au
clonage thérapeutique.
- Enfin, une "Agence de la
procréation, de l’embryologie
et de la génétique humaines"
(APEGH) est créée pour
assurer l’encadrement
Gènéthique - n°18 juin 2001
scientifique et éclairer la
décision des ministres.
L’ambition de ce projet de loi
est de « mieux garantir le
droit des personnes malades
(…). Elle est aussi d’améliorer
la qualité des soins qui peut
leur être donnée, en
actualisant la loi en fonction
des progrès récents de la
science et de la technique »
et en mettant en cohérence
les progrès de la recherche et
le contrôle déontologique et
scientifique.
1- Extraits du communiqué
diffusé par
le service de presse du
Premier ministre.
Le statut ontologique de la cellule-souche embryonnaire - P. Caspar
L’œuf : un individu ?
La question du statut de
l’œuf fécondé se réduit
aujourd’hui à cette simple
interrogation : est-il un
individu ? C’est un point sur
lequel tout le monde est
d’accord, hormis certains
cercles néothomistes qui
persistent à poser le problème
dans le cadre aristotélicien de
la préparation de la matière à
la réception de la forme.
L’équation est assez simple :
si l’œuf humain est un
individu, il est une personne
(en acte premier de
subsistance) ; s’il n’est pas un
individu, il n’est pas une
personne. La question se
ramène donc à celle-ci :
Qu’entend-on par individu ?
Un courant dominant, qui
s’inspire principalement de la
littérature anglo-saxonne
retient comme critère
d’individuation la non-
divisibilité. Est individu ce qui
ne peut se diviser. Par
conséquent, l’œuf fécondé
n’est pas un individu, puisqu’il
peut se diviser en jumeaux.
Cette approche présente le
désavantage de ne tenir
aucunement compte de
plusieurs données biologiques
fondamentales, comme la
singularité du génome, les
mécanismes très fins de la
fécondation, qui révèlent que
dès le contact entre les
gamètes l’œuf se comporte
comme un organisme,
l’expression avant la nidation
des molécules HLA-G, qui
bloqueront le conflit
immunitaire entre la mère et
le fœtus...
En somme, le critère anglo-
saxon d’individuation est tout
à fait insatisfaisant sur le plan
biologique. A y regarder de
plus près, il n’est rien d’autre
qu’un recopiage de la
définition leibnizienne de
l’individu. Dans son
Discours
de Métaphysique
, publié en
1686, Leibniz écrit «
qu’on ne
divise pas une substance en
deux, ni qu’on ne fait pas de
deux une
» (paragraphe IX).
Or, pour Leibniz, la substance
ou l’individu chez lui, les
deux termes sont
interchangeables dont il est
question est une réalité
immatérielle, la monade.
Disons les choses autrement :
en appliquant ce critère
d’individuation aux phénomènes
et aux réalités biologiques, les
bioéthiciens anglo-saxons
commettent un contre-sens.
Il reste que la définition d’un
principe d’individuation n’est
pas du ressort de la raison
scientifique. La biologie
travaille sur des organismes
individuels en utilisant une
méthodologie propre, elle ne
définit pas ce qu’est un
individu. Ce travail est du
ressort de la métaphysique. La
difficulté n’est donc pas de
recourir à la métaphysique
pour définir un principe
d’individuation, elle est de le
faire avec rigueur et en pleine
connaissance de cause.
Unum et aliquid
Conscients de ces impasses,
nous avons proposé de
formuler autrement le principe
métaphysique d’individuation
en tirant parti d’une
particularité de la définition
médiévale de l’individu. Selon
cette approche, l’individu se
définit par deux propriétés
transcendantales de l’
esse
:
l’
unum
qui exprime son unité
ontologique et l’
aliquid
par
lequel il est distinct de tout
autre. Ce principe est
pleinement suffisant pour
penser l’individualité de l’œuf
fécondé, quelle que soit son
espèce biologique. Ces
préliminaires étant rappelés,
nous pouvons revenir à la
Gènéthique - n°18 juin 2001
question du statut ontologique
de la cellule-souche
embryonnaire : cette cellule
est-elle un individu ?
La relation au tout
Pour répondre à cette
questions, la seule
considération des deux
propriétés transcendantales de
l’
esse
ne suffit pas. Si l’on
s’en tenait à ces seuls
critères, un blastomère, un
œuf fécondé, un lymphocyte
immortalisé en culture, un
neurone seraient des individus.
Or, il existe un point de vue
sous lequel ces différentes
cellules sont fondamentalement
différentes. Certaines d’entre
elles sont capables de donner
naissance au tout de
l’organisme parfaitement
constitué, alors que d’autres
en sont incapables. Ces
indications suggèrent qu’un
troisième élément doit être
introduit pour penser
l’individualité du vivant d’une
manière tout à fait adéquate,
à savoir la relation au tout.
En tant qu’elle est une cellule
constitutive de la blastula
(sphère creuse de la morula),
la cellule-souche embryonnaire
n’est pas un individu au sens
strict. Elle est une partie
dépourvue d’autonomie par
rapport à ce tout qu’est
l’embryon à ce stade. C’est la
blastula et non le blastomère
(cellule résultant de la division
de l’œuf fécondé) qui est en
puissance active du tout. En
d’autres termes, l’unité du
blastomère est relative en ce
sens qu’elle est tributaire de
celle de l’embryon. C’est ce
qui se manifeste lors d’un
avortement spontané de
l’embryon précoce : ses
blastomères meurent. En
revanche, en tant qu’elle est
séparée de la blastula - comme
c’est le cas dans le diagnostic
préimplantatoire ou dans le
processus de gémellisation -, la
cellule-souche embryonnaire est
un individu au sens strict. Son
unité est absolue elle est
unum
, sa différence est
réelle (même si elle se réduit
dans les premiers moments à
une localisation autonome),
elle est un
aliquid
-, et elle
est en puissance active du
tout, en ce sens qu’elle peut
donner naissance à l’organisme
dans son intégralité (c’est sa
totipotence).
Par contraste, les cellules
mises en culture, comme par
exemple les lymphocytes
immortalisés (par mutagenèse,
irradiation, exposition à des
agents chimiques, etc.) ne
sont pas des individus. En
effet, si elles sont à la fois
unae
et
distinctae
, elles ne
sont pas en puissance passives
du tout. On pourrait les
qualifier d’indiscernables1.
Résumons-nous : l’œuf
fécondé, la cellule-souche
embryonnaire isolée de sa
blastula d’origine et le clone
type Dolly, quelle que soit sa
finalité, reproductive ou
thérapeutique, sont des
individus. Dans l’espèce
humaine, ils doivent donc être
considérés, d’un point de vue
métaphysique, comme des
personnes en acte premier de
subsistance.
La version intégrale de cet article sera
publiée dans la revue « Nucleus »,
Brugge, juillet 2001
1- Ph. Caspar, La saisie du zygote humain par
l’esprit. Origine et postérité de l’ontogenèse
aristotélicienne, Paris-Namur, Lethielleux, Culture
et Vérité, coll. « Le Sycomore », 1987 ;
« Approche biologique et métaphysique du statut
de l’embryon », Nova et Vetera, 1993/4, 304-309 ;
Questions disputées de Médecine, de Philosophie
biologique et de Bioéthique, Volume 1, Paris,
L’Harmattan (à paraître), 2002.
L’empreinte du clone
Une des difficultés du clonage
reproductif réside dans la
faible efficacité de cette
technique liée à l’augmentation
de la mortalité des clones
avant et après la naissance.
On se souvient que plusieurs
veaux clonés avaient présenté
des malformations viscérales,
ou étaient morts de façon un
peu inexpliquée. Plus
récemment, le jeune Gaur
cloné, est mort lui aussi au
bout de quelques jours de vie,
apparemment de dysenterie. Il
semble donc exister une plus
grande fragilité de ces animaux
obtenus par clonage.
Marquage des gènes
Même si la technique qui
permet le clonage est connue
maintenant, les phénomènes
qui permettent à une cellule
adulte différentiée de relire
Gènéthique - n°16 avril 2001
depuis le début le message
génétique nécessaire au
développement d’un individu
sont encore presque inconnus.
Cette reprogrammation du
génome passe par des
phénomènes de marquage
(méthylation) qui rendent un
gène actif ou silencieux. Un
gène hyperméthylé est à priori
silencieux, un gène
hypométhylé serait exprimé.
Ce marquage est un des
moyen de réguler l’expression
des gènes selon la période du
développement et selon les
tissus. Il est aussi lié au
phénomène d’empreinte
parentale qui touche certains
gènes et met au silence une
des deux copies selon son
origine parentale. Selon les
gènes, ce sera la copie
maternelle ou paternelle qui
sera exprimée, et il existe des
maladies liées à des défauts
d’empreinte parentale. Le
statut de
méthylation/déméthylation de
ces gènes soumis à empreinte
parentale est donc réorganisé
à chaque génération.
Des chercheurs coréens ont
étudié la méthylation des
clones et ont mont que
ceux-ci ont une méthylation
anormale de leur génome par
rapport à des embryons
naturels. Ces anomalies, qui
auraient pour conséquences des
anomalies dans la régulation de
l’expression des gènes, seraient
responsables des anomalies
dans le développement des
clones. Les connaissances
récentes en matière
d’empreinte parentale
montrent qu’il s’agit d’un
phénomène complexe, puisque
la méthylation peut selon les
cas entraîner une mise au
silence, une activation du gène
ou n’avoir aucune conséquence.
Beaucoup de chemin reste donc
à faire avant de pouvoir
maîtriser le clonage dans ses
mécanismes intimes, et dans
ses conséquences sur le plan
sanitaire. La FDA a déjà
interdit la consommation
d’animaux issus du clonage.
Références
1- Nature Genetics, juin 2001
2-
Médecine /Sience, janvier 2001
3-
Médecine/Science, mai 2001
lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune.
Directeur de la publication et dacteur en chef : Jean-Marie Le Méné - Contact : Aude Dugast
adugast@genethique.org
31 rue Galande 75005 Paris - Tél/Fax : 01.53.10.08.30 - Site internet : www.genethique.org
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