SYNTHÈSE Stratégie d’imagerie diagnostique dans les spondylarthrites P. Claudepierre*, G. Lenczner** L’ imagerie tient une place prépondérante dans le diagnostic des spondylarthropathies (SpA) ou spondylarthrites. Cela vient essentiellement du fait que, après les données de l’interrogatoire et de l’examen clinique, il n’existe aucun autre examen complémentaire pouvant orienter le diagnostic, si ce n’est la recherche de l’antigène HLA B27 ; or, si chacun connaît bien l’aide que peut apporter cet examen dans certaines situations, ses limites en termes de sensibilité et de spécificité nous sont également familières. Notre propos se limitera ici aux formes axiales de la maladie. Lorsque ces premiers clichés montrent une sacroiliite déjà certaine, comprenant au moins des érosions et des condensations sous-chondrales des 2 articulations, le diagnostic de spondylarthrite, et même de spondylarthrite ankylosante (SA), peut être posé (figure 1). Aucun autre examen complémentaire à visée diagnostique n’est alors nécessaire. Il en va de même lorsque, bien plus rarement, des ossifications intervertébrales typiques sont déjà visualisées (figure 2). La première étape Devant un patient ayant des manifestations axiales compatibles avec une SpA, la première étape diagnostique repose sur des radiographies du rachis, comprenant au moins la charnière thoraco-lombaire, le rachis lombaire de face et de profil et un bassin de face pour évaluer les sacro-iliaques. Les premières lésions radiologiques de la maladie sont souvent localisées au niveau des articulations sacroiliaques, et beaucoup plus rarement dans la région thoracique basse. * Service de rhumatologie ; groupe hospitalier Chenevier-Mondor, université Paris-Est, Créteil. Figure 1. Sacro-iliite radiologique (érosions et condensations sous-chondrales). Figure 2. Ossifications intervertébrales : syndesmophytes T11-T12 (bilatéraux) et T12-L1 (à droite). On note des érosions des articulations sacro-iliaques. ** Service d’imagerie médicale ; groupe hospitalier Chenevier-Mondor, université Paris-Est, Créteil. La Lettre du Rhumatologue • Suppl. 2 au n° 363 - juin 2010 | 3 SYNTHÈSE L’imagerie de deuxième intention En l’absence de toute anomalie radiographique axiale typique de la maladie, la question se pose de savoir s’il est toujours nécessaire d’aller plus loin dans la démarche d’imagerie pour affirmer le diagnostic. Les critères internationaux de spondylarthrite axiale récemment publiés par le groupe ASAS laissent une place pour un diagnostic reposant uniquement sur des données cliniques ­et/­ou d’anamnèse ­et/­ou thérapeutiques et la présence de l’antigène HLA B27. Il faut cependant noter 3 limites encore à ce stade. La première est que, avant leur application, ces critères de diagnostic précoce nécessitent d’être validés sur de larges populations en soins primaires. La seconde est que la préoccupation du médecin, à juste titre, est souvent de ne pas manquer un diagnostic différentiel, potentiellement plus urgent ou plus grave que le diagnostic évoqué. Dans le cas des spondylarthrites, il est évident que certaines rachialgies inflammatoires peuvent mener à la découverte de processus tumoraux, voire infectieux torpides, parfois infraradiologiques, et que, pour cette raison, une exploration par IRM du rachis s’impose au moindre doute. La troisième vient des choix thérapeutiques à faire. Lorsque nous en sommes à un stade tout à fait initial de la prise en charge du patient, la “sanction thérapeutique” en cas de confirmation diagnostique de spondylarthrite sera l’instauration d’AINS. Il est évident que le rhumatologue qui n’a aucun doute vis-à-vis d’un diagnostic différentiel n’a pas besoin d’une imagerie confirmant le diagnostic pour prescrire des AINS et maintenir ces traitements s’ils sont efficaces. Cependant, dans la situation où plusieurs de ces produits se sont rapidement montrés inefficaces ­et/­ou très mal tolérés, la question se pose de l’instauration d’un traitement par anti-TNFα. A B Figure 3. IRM des sacro-iliaques. A : Séquences T1 anatomiques, montrant un hyposignal de l’os sous-chondral prédominant sur les versants iliaques des articulations en rapport avec l’œdème osseux et aspect irrégulier de l’interligne articulaire. B : séquences T2 Fat Sat, révélant un œdème osseux sous-chondral des articulations du versant sacré à droite et du versant iliaque à gauche, notamment le pied de l’articulation. 4 | La Lettre du Rhumatologue • Suppl. 2 au n° 363 - juin 2010 Actuellement, ni les AMM de ces médicaments, ni les recommandations nationales et internationales n’autorisent leur prescription chez des patients ayant des radiographies normales en l’absence de toute preuve de la maladie en imagerie. Ainsi, on peut considérer que, dans cette situation, en l’état actuel des choses, il est justifié de demander une IRM afin de tenter d’objectiver des foyers inflammatoires (voire des anomalies structurales) typiques de la maladie. Il peut donc être licite, face à un patient qui se plaint de douleurs fessières d’horaire inflammatoire, de rachialgies d’horaire inflammatoire, ou des deux à la fois, et qui a néanmoins des radiographies axiales normales, de demander d’emblée une IRM, soit pour des raisons de diagnostic différentiel, soit pour discuter un traitement par anti-TNFα. Dans certains cas, il ne s’agit ni de l’une ni de l’autre raison, mais de la “pression” involontairement mise par le patient, qui ne se sentira rassuré, ou confiant dans le diagnostic de son médecin, que lorsqu’il disposera d’un examen lui apportant réellement la preuve du diagnostic. Quelle IRM demander, ou plutôt quelles zones explorer ? Avec quelles séquences ? Lorsque les symptômes du patient comprennent des douleurs fessières inflammatoires, l’IRM à demander en première intention est celle explorant les sacroiliaques avec des séquences dites “anatomiques”, en T1, et des séquences recherchant l’œdème osseux ou l’inflammation, c’est-à-dire en T2 Fat Sat ou en T1 avec injection de gadolinium. La plupart des auteurs privilégient, dans la pratique courante, pour la recherche de signaux inflammatoires, les séquences sans injection de gadolinium (STIR ou T2 Fat Sat). Quelles-sont les anomalies permettant d’établir le diagnostic de sacro-iliite en IRM chez ce patient ? Le groupe ASAS a récemment publié des critères IRM de sacro-iliite ; actuellement, seul l’hypersignal dans l’os sous-chondral est retenu, aucune importance n’étant accordée à d’autres hypersignaux qui pourraient révéler la présence de liquide intra-articulaire, d’une synovite, d’une enthésite… Cet hypersignal osseux, ou œdème osseux, doit être présent sur au moins 2 sites de l’articulation pour avoir une valeur diagnostique ou, s’il n’est présent que sur un site, il doit exister sur au moins 2 coupes consécutives (figure 3). Lorsque le patient n’a pas de douleur fessière, mais uniquement des douleurs rachidiennes inflammatoires, certaines données suggèrent que l’IRM des sacro-iliaques est là encore la plus rentable dans une perspective diagnostique. Cependant, comme nous l’avons vu plus haut, le problème du diagnostic SYNTHÈSE différentiel conduit souvent à réaliser en première intention, ou dans le même temps, une IRM du rachis thoracique et du rachis lombaire. Là encore, l’IRM comprend des séquences T1 et des séquences STIR. Il est cependant très difficile actuellement de préciser les anomalies qui sont retenues comme étant spécifiques d’une spondylarthrite, permettant donc de confirmer le diagnostic (figure 4). Ainsi, il a récemment été montré que l’inflammation d’un coin vertébral antérieur, qui pourrait correspondre à une phase préradiologique d’une lésion de Romanus, n’était en fait pas spécifique de la spondylarthrite, et pouvait se rencontrer chez des sujets sains et des patients ayant des pathologies rachidiennes dégénératives. C’est probablement la multiplicité des lésions, chez un sujet encore jeune, qui permettra d’emporter la conviction diagnostique. Surtout, d’autres éléments inflammatoires, situés sur d’autres structures (articulaires postérieurs, de l’arc postérieur, des ligaments intervertébraux, des plateaux vertébraux, des articulations costotransversaires, etc.) peuvent avoir une valeur diagnostique, celle-ci étant actuellement encore très peu évaluée. Des études en cours permettront probablement bientôt de valider des critères diagnostiques IRM d’inflammation rachidienne de la spondylarthrite. À côté de cette difficulté à définir une IRM “positive” de type spondylarthrite existe le problème inverse : le risque de se tromper en écartant le diagnostic de spondylarthrite lorsque l’IRM est négative, c’est-àdire sans anomalie inflammatoire. Certaines études IRM réalisées chez des patients atteints de SA vraie, active en axial, lors d’essais thérapeutiques, ont bien montré la possibilité de “faux négatifs” de l’IRM. Dans les formes précoces de la maladie, qui sont celles où nous avons le plus souvent besoin de l’apport de l’IRM pour le diagnostic, il est probable que ces faux négatifs sont encore plus fréquents. Cela constitue donc actuellement une limite de l’IRM comme technique de référence avant la mise en route d’un traitement anti-TNFα. Il est cependant nécessaire de disposer d’un minimum de garde-fous, et celui-ci est le moins mauvais de ceux dont nous disposons actuellement. Deux autres techniques d’imagerie peuvent être discutées : le scanner des sacro-iliaques et l’échographie doppler. Nous écartons en effet d’emblée la scintigraphie osseuse, qui a montré qu’elle était de bien peu d’intérêt diagnostique en dehors de situations très particulières, par exemple la douleur fessière inflammatoire strictement unilatérale (asymétrie de fixation des sacro-iliaques) ou certaines douleurs de la paroi thoracique antérieure (point de fixation du plastron évocateur d’une spondylarthrite). Figure 4. Atteinte rachidienne sur une séquence T2 Fat Sat (nombreux hypersignaux inflammatoires des différents listels des corps vertébraux, touchant tout le rachis dorsal). Concernant le scanner des sacro-iliaques, il reste, à l’heure de l’IRM, probablement très peu d’indications. Un doute sur certaines anomalies structurales à la radiographie, mal visualisées en T1 en IRM, et sans anomalie inflammatoire repérée en IRM, peut conduire de temps à autre à une exploration osseuse plus fine par le scanner. L’écho-doppler des enthèses paraît beaucoup plus prometteuse. Elle est en effet capable de mettre en évidence des anomalies morphologiques, et surtout des anomalies inflammatoires, des enthèses. Il pourrait être utile alors, même devant des formes axiales, d’explorer les enthèses périphériques des patients afin d’y rechercher des anomalies qui auraient une valeur diagnostique. Cependant, beaucoup de problèmes restent à résoudre dans ce domaine avant que nous puissions réellement envisager le recours à cet outil à visée diagnostique. Conclusion La clé de voûte du diagnostic de spondylarthrite reste, en 2010, l’examen clinique du patient, et avant tout un interrogatoire approfondi. Devant une forme axiale, des radiographies visualisant la charnière thoraco-lombaire, le rachis lombaire et les sacro-iliaques sont toujours de mise. Dans nombre de situations où ces clichés se révèlent normaux, il peut être utile de recourir à l’IRM des sacro-iliaques ­et/­ou du rachis thoracique et lombaire, afin d’éliminer un diagnostic différentiel plus grave, de rassurer un patient particulièrement inquiet ou de prendre la décision d’instaurer un traitement par anti-TNFα. ■ La Lettre du Rhumatologue • Suppl. 2 au n° 363 - juin 2010 | 5