Conduite à tenir devant une végétation volumineuse M

La Lettre du Cardiologue - n° 352 - février 2002
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embolie systémique est une complication redoutable
de l’endocardite infectieuse. Elle est en rapport avec
la migration d’un fragment de végétation dans la
circulation sanguine et peut être responsable de séquelles sévères,
notamment cérébrales. La survenue d’une embolie au cours d’une
endocardite, particulièrement une embolie cérébrale, est égale-
ment un facteur reconnu de mauvais pronostic. Ainsi, la prédic-
tion du risque embolique devant la présence d’une végétation est
un objectif d’une importance considérable.
L’échographie joue un rôle important dans l’évaluation et la sur-
veillance des endocardites infectieuses, et son impact a encore
grandi depuis l’apport de la voie transœsophagienne. Cependant,
sa valeur prédictive de la survenue d’un accident embolique n’est
pas universellement reconnue, si bien que la conduite à tenir
devant une végétation volumineuse reste discutée.
RISQUE EMBOLIQUE ET ENDOCARDITE
INFECTIEUSE
L’incidence des embolies systémiques dans l’endocardite est dis-
cutée, avec des estimations allant de 10 à 50 % des endocardites
infectieuses. Dans notre expérience, sur une série de 178 endo-
cardites confirmées (1), l’incidence des embolies observées est
de 37 %, parmi lesquelles 21 % sont des embolies silencieuses,
justifiant un dépistage systématique par scanner.
Il est important de différencier par ailleurs les embolies surve-
nues avant traitement de celles survenues après l’instauration du
traitement antibiotique ; si nous avons vu que l’incidence totale
des accidents emboliques est de l’ordre de 35 % , les accidents
survenant après le début du traitement sont plus rares [13 % dans
la série de Steckelberg (2), 21 % dans la série de Rohmann (3),
9% dans notre série].
CONSÉQUENCES CLINIQUES D’UNE EMBOLIE
SYSTÉMIQUE
Les conséquences cliniques de l’embolie dépendent bien sûr du
siège de cette embolie ; la figure 1 montre la répartition des embo-
lies dans notre expérience. Les embolies cérébrales sont les plus
graves, mais aussi les plus fréquentes ; elles peuvent être asymp-
tomatiques et découvertes lors d’un scanner cérébral systéma-
tique. Elles peuvent au contraire être responsables d’accidents
cérébraux gravissimes, parfois inauguraux, source de séquelles
parfois importantes. Par ordre de fréquence viennent ensuite les
embolies spléniques, pulmonaires et rénales, alors que les autres
localisations emboliques sont plus rares (embolie périphérique,
mésentérique, coronaire) (figure 2).
MISE AU POINT
Conduite à tenir
devant une végétation volumineuse
G. Habib*
* Service de cardiologie B, hôpital La Timone, 13005 Marseille.
Les embolies, particulièrement cérébrales, sont une des
complications majeures des végétations endocardi-
tiques, et sont associées à un pronostic péjoratif.
L’incidence des embolies est de l’ordre de 35 % des
endocardites, dont 20 % sont des embolies cliniquement
silencieuses.
La fréquence des embolies décroît dans les 15 jours qui
suivent l’instauration du traitement antibiotique ; l’in-
cidence des embolies sous traitement est de l’ordre de
10 à 15 %.
Le risque embolique est d’autant plus important que la
végétation est longue et mobile ; les végétations de plus
de 15 mm et très mobiles sont associées à un risque
embolique majeur.
En cas d’indication chirurgicale hémodynamique,
embolique ou bactériologique, la présence d’une volu-
mineuse végétation incite à une chirurgie plus précoce.
En cas de volumineuse végétation isolée, la chirurgie
est discutée au cas par cas, mais peut être proposée dans
le cas des végétations les plus mobiles et les plus volu-
mineuses, de taille supérieure à 15 mm.
Mots-clés : Endocardite - Végétation - Embolie.
Points forts
L
RELATION ENTRE VÉGÉTATION ET RISQUE
EMBOLIQUE
L’existence d’une relation entre la présence et la taille d’une végé-
tation et le risque d’embolie de cette végétation a fait l’objet de
nombreux travaux dont les résultats sont contradictoires :
Mugge (4), dans une étude prospective incluant 105 patients, a
montré que ceux qui présentaient des végétations de taille supé-
rieure à 10 mm avaient un risque embolique plus important que
ceux dont les végétations étaient plus petites, cette différence
étant surtout significative lorsque la végétation était située en
position mitrale. Des résultats similaires ont été observés par San-
filippo (5) et Rohmann (3).
À l’inverse, d’autres études n’ont pas retrouvé une telle relation.
Lutas (6) et Steckelberg (2) n’ont pas trouvé de relation entre la
taille de la végétation et le risque embolique. Toutefois, il s’agit
d’études anciennes n’utilisant que l’échographie transthoracique,
et on peut penser que l’incidence réelle des végétations et surtout
leur taille ont pu être sous-estimées dans ces études. D’autres
études plus récentes, utilisant cette fois l’échographie transœso-
phagienne (7), n’ont à nouveau pas confirmé l’existence d’une
relation entre risque embolique et végétation. Les explications
possibles de ces divergences sont l’inclusion ou non des embo-
lies silencieuses, le nombre souvent faible de patients étudiés,
voire l’absence de standardisation des critères diagnostiques uti-
lisés pour le diagnostic d’endocardite (tableau I).
Dans notre étude (1), une relation statistique forte a été retrou-
vée entre taille des végétations et risque embolique : sur les
178 endocardites étudiées, 37 % d’accidents emboliques ont été
observés. En analyse univariée, les facteurs significativement liés
à un risque embolique plus élevé sont la présence, la taille et la
mobilité de la végétation, les végétations du cœur droit, et les
endocardites à staphylocoque.
En analyse multivariée, les seuls paramètres indépendamment et
significativement liés à un risque embolique majoré sont la mobi-
lité et la longueur de la végétation. En revanche, le siège aortique
ou mitral de la végétation n’est pas discriminant. La figure 3
montre que le risque embolique croît progressivement avec la
taille de la végétation. Ce risque est significatif lorsque la végé-
tation est de taille supérieure à 10 mm, mais c’est surtout au-delà
de 15 mm que ce risque paraît très important [25 événements
emboliques sur 30 patients présentant une végétation mobile de
plus de 15 mm (83 %)].
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MISE AU POINT
Figure 1. Siège des embolies au cours de 178 cas d’endocardite (expé-
rience marseillaise).
2a 2b
Figure 2. Embolie coronaire au 5ejour d’une endocardite mitrale ; 2a : aspect de
nécrose antérieure aiguë à l’ECG ; 2b : coronarographie en urgence montrant une
occlusion de l’interventriculaire antérieure (IVA) moyenne.
Tableau I. Corrélation entre la taille de la végétation et le risque embolique.
Auteur Relation entre embolie Patients (n) Embolies (%) Échographie Végétations détectées (%) Embolies sous
et taille de la végétation traitement (%)
Lutas et al. (6) Négative 77 22 ETT 56 ND
Mugge et al. (4) Positive 105 31 ETO biplan 91 19
Jaffe et al. (8) Négative 70 43 ETT 78 16
Sanfilippo et al. (5) Positive 204 33 ETT 75 ND
Steckelberg et al. (2) Négative 207 13 ETT 38 13
Rohmann et al. (3) Positive 118 26 ETO 42 21
Heinle et al. (10) Négative 41 49 ETT 73 49
Werner et al. (9) Positive > 20 mm 106 35 ETO monoplan 92 ND
De Castro et al. (7) Négative 57 44 ETO 80 44
Notre étude (1) Positive 178 37 ETO multiplan 75 9
AUTRES FACTEURS DE RISQUE EMBOLIQUE
Il est vraisemblable, voire certain, que d’autres facteurs que la
taille de la végétation elle-même interviennent dans le risque
embolique. La présence d’anticorps antiphospholipides, les para-
mètres de la coagulation et l’activation des cellules endothéliales
sont des facteurs dont il a été montré récemment qu’ils étaient
significativement associés à une majoration du risque embolique
d’une végétation (11). Une approche thérapeutique médicale
potentielle pour réduire le risque embolique serait l’utilisation de
l’aspirine. Après des travaux expérimentaux prometteurs, les
études cliniques n’ont malheureusement pas confirmé l’effica-
cité d’un tel traitement dans l’endocardite (12).
D’autres facteurs, bactériologiques ceux-là, sont vraisemblable-
ment aussi liés au risque embolique ; par exemple, les endocar-
dites à Candida et à staphylocoque auraient un risque embolique
plus marqué. Le risque embolique d’autres germes est plus dis-
cuté ; dans notre expérience, les endocardites à Streptococcus
bovisauraient un risque embolique plus élevé que les autres strep-
tocoques (13).
Enfin, les endocardites du cœur droit s’accompagneraient d’une
incidence plus élevée d’accidents emboliques que celles du cœur
gauche.
QUE FAIRE EN PRATIQUE
En résumé, malgré quelques études divergentes, et bien que l’ap-
préciation du risque individuel pour un patient reste difficile, le
risque embolique semble clairement lié à la présence et à la taille
de la végétation ; ce risque apparaît particulièrement net pour les
végétations de plus de 15 mm, et, dans certaines études, pour les
végétations en position mitrale.
Ce risque est d’autant plus important que le patient n’est pas
encore traité : le taux d’embolies sous traitement est relativement
faible, de l’ordre de 10 %, et diminue encore après deux semaines
de traitement, l’essentiel du risque embolique se situant dans les
jours qui suivent le diagnostic d’endocardite et la mise en évi-
dence de la végétation. Néanmoins, si le risque de survenue d’une
embolie sous traitement est faible, il existe réellement et reste lié
à la taille et à la mobilité des végétations.
Faut-il pour autant envisager systématiquement une chirurgie de
principe devant une végétation volumineuse isolée ? Probable-
ment pas. En fait, les études précédentes ont permis de conclure
que le risque embolique était lié à la taille de la végétation, mais
aucune n’a spécifiquement montré qu’il était réduit par la
chirurgie pratiquée dans ce contexte. Bien que la chirurgie
précoce ait fait la preuve de son intérêt dans l’endocardite
infectieuse aiguë, la décision d’intervenir reste difficile et à
discuter au cas par cas chez les patients concernés.
Deux situations peuvent finalement être envisagées
en pratique :
La présence d’une végétation volumineuse est associée à
une autre indication chirurgicale, hémodynamique, bactério-
logique, embolique : dans ces cas, la présence d’une végétation
“menaçante” est un argument supplémentaire pour intervenir
chirurgicalement, et certainement pour opérer tôt. Dans les cas
d’indication “limite”, quand une discussion médico-chirurgicale
n’emporte pas la décision, par exemple devant une fuite valvu-
laire volumineuse sans signe d’insuffisance cardiaque, l’existence
d’une volumineuse végétation mobile doit là aussi faire pencher
en faveur d’une indication chirurgicale.
La volumineuse végétation est isolée, sans embolie clinique,
sans insuffisance cardiaque, sans fuite valvulaire massive et sans
abcès. C’est la situation la plus difficile : elle doit être discutée
au cas par cas. Le réflexe oculo-chirurgical conduisant à opérer
toute volumineuse végétation doit être évité. Si la végétation est
réellement isolée, après s’être assuré qu’elle n’a pas été respon-
sable d’une embolie silencieuse, par exemple splénique, l’atti-
tude retenue est loin d’être univoque dans la littérature ; la nôtre
est de proposer une chirurgie rapide à ces patients, quel que soit
le siège aortique ou mitral de la végétation, dès lors que celle-ci
est très volumineuse (> 15 mm) et très mobile.
Devant une végétation volumineuse, il paraît logique d’avancer
la date de la chirurgie chez les patients pour lesquels il existe en
outre une autre indication chirurgicale “classique” (embolique,
hémodynamique, infectieuse). Devant une végétation volumi-
neuse isolée, la chirurgie prophylactique doit être réservée aux
végétations mitrales ou aortiques très mobiles et de taille supé-
rieure à 15 mm.
Bibliographie
1. Di Salvo G, Habib G, Pergola V et al. Echocardiography predicts embolic
events in infective endocarditis. J Am Coll Cardiol 2001 ; 37 : 1069-76.
2.Steckelberg JM, Murphy JG, Ballard D et al. Emboli in infective endocarditis :
the prognostic value of echocardiography. Ann Intern Med 1991 ; 114 : 635-40.
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MISE AU POINT
Figure 3. Taux d’événements emboliques selon la taille de la végétation.
CONCLUSION
1. Quelles sont la fréquence et les localisations préférentielles des embolies dans l’endocardite ?
2. Quels sont les critères échographiques permettant de prédire la survenue d’une embolie ?
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3. Rohmann S, Erbel R, Gorge G et al. Clinical relevance of vegetation localiza-
tion by transoesophageal echocardiography in infective endocarditis. Eur Heart
J 1992 ; 13 : 446-52.
4. Mugge A, Daniel WG, Gunter F et al. Echocardiography in infective endocar-
ditis : reassessment of prognostic implications of vegetation size determined by
the transthoracic and the transoesophageal approach. J Am Coll Cardiol 1989 ;
14 : 631-8.
5. Sanfilippo AJ, Picard MH, Newell JB et al. Echocardiographic assessment of
patients with infectious endocarditis : prediction of risk for complications. J Am
Coll Cardiol 1991 ; 18 : 1191-9.
6. Lutas EM, Roberts RB, Devereux RB et al. Relation between the presence of
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ditis. Am Heart J 1986 ; 112 : 107-13.
7.De Castro S, Magni G, Beni S et al. Role of transthoracic and transesophageal
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Coll Cardiol 1990 ; 15 : 1227-33.
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11. Shapiro S, Kupferwasser LI. Echocardiography predicts embolic events in
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12. Chan KL, Dumesnil JG, Cujec B, Sanfilippo AJ. A prospective study to assess
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13. Pergola V, Di Salvo G, Habib G et al. Comparison of clinical and echocar-
diographic characteristics of Streptococcus bovis endocarditis with that caused
by other pathogens. Am J Cardiol (sous presse).
MISE AU POINT
AUTOQUESTIONNAIRE
AUTOQUESTIONNAIRE
FMC
RÉPONSES
RÉPONSES
FMC
1. L’incidence des embolies dans l’endocardite est de l’ordre de 35 %, dont 20 % sont silencieuses. Cette incidence décroît sous traitement
antibiotique ; les localisations préférentielles sont cérébrales et spléniques.
2. De nombreux facteurs ont été incriminés : la taille de la végétation, sa mobilité, sa texture, son évolution sous traitement, sa localisation
mitrale plutôt qu’aortique ; en pratique, les paramètres échographiques les plus prédictifs sont la taille et la mobilité de la végétation, le risque
embolique étant le plus important en cas de végétation très mobile, de plus de 15 mm.
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