Suspicion de déficit immunitaire héréditaire : quelle démarche diagnostique ?

Médecine
& enfance
STAFFS
janvier 2009
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SIGNES CLINIQUES
D’ALERTE
La recherche d’un déficit immunitaire
héréditaire (DIH) s’impose chez les en-
fants présentant plus de huit otites par
an avant l’âge de quatre ans et plus de
quatre au-delà, ou plus de deux pneu-
monies ou sinusites par an quel que soit
l’âge. Un DIH doit aussi être suspecté
devant des infections sévères à germes
encapsulés (pneumocoque, Haemophi-
lus, Neisseria : un épisode de sepsis ou
de méningite suffit pour penser à un
DIH), des infections à bactéries pyo-
gènes récurrentes, des infections récur-
rentes avec le même type de pathogène
ou des infections inhabituelles ou d’évo-
lution inhabituelle.
Si les infections récurrentes des voies
respiratoires constituent souvent le pre-
mier des signes d’alerte, une cassure de
la courbe staturopondérale et/ou une
diarrhée persistante peuvent aussi être
au premier plan. D’autres signes non in-
fectieux justifient également la re-
cherche d’un DIH, comme des manifes-
tations auto-immunes ou un syndrome
lymphoprolifératif. Enfin, la découverte
d’antécédents de DIH ou de signes cli-
niques similaires dans la famille de ces
patients est importante pour l’orienta-
tion diagnostique.
L’interprétation des signes cliniques
d’alerte doit être modérée dans cer-
taines situations, à savoir lorsque l’en-
fant présente des infections ORL ou uri-
naires isolées ou uniquement des infec-
tions virales respiratoires, qu’il a une
croissance staturopondérale normale
ou qu’il est gardé en collectivité.
L’examen clinique se focalise sur la
croissance staturopondérale, les aires
ganglionnaires, le foie, la rate, ainsi que
sur la sphère ORL, à la recherche de lé-
sions des tympans, d’une hypertrophie
des amygdales, d’un muguet (muguet
récidivant même en dehors des cures
d’antibiothérapie), d’une obstruction
nasale. L’examen pulmonaire est, bien
sûr, essentiel. L’examen de la peau re-
cherche un eczéma et des cicatrices an-
ciennes (stigmates d’infections cutanées
récidivantes) ou importantes (BCG).
EXAMENS DE PREMIÈRE
INTENTION
La numération formule sanguine
(NFS)
fournit des informations importantes,
notamment sur la formule leucocytaire.
Chez le jeune enfant, la numération des
lymphocytes doit toujours être interpré-
tée en valeur absolue et en fonction de
l’âge. Une lymphopénie inférieure à
3000/mm
3
chez un enfant de moins de
trois mois est un signe de déficit immu-
nitaire jusqu’à preuve du contraire. Une
neutropénie isolée inférieure à
500/mm
3
peut être responsable d’épi-
Suspicion de déficit immunitaire
héréditaire : quelle démarche
diagnostique ?
Présentation de C. Picard, Centre d’étude des
déficits immunitaires, hôpital Necker-Enfants
Malades, Paris, lors du staff du service de
pédiatrie de l’hôpital Antoine-Béclère, Clamart
Rédaction : C. Faber
Un déficit immunitaire héréditaire doit toujours être évoqué chez un enfant pré-
sentant des infections sévères ou récurrentes. Le bilan de dépistage standard
de première intention, qui repose sur des examens de routine réalisables en
ville, permet d’orienter rapidement le diagnostic étiologique et de cibler les ex-
plorations de seconde intention. A ce jour, environ 120 déficits immunitaires
héréditaires ont été décrits et une centaine de gènes identifiés. La fréquence
globale de ces maladies est estimée à 1/5000 naissances.
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nécessaires en cas d’anomalies du bilan
de première intention et, si celui-ci est
normal, quand l’enfant a des infections
sévères et/ou récurrentes et qu’il existe
un retentissement important sur la
croissance. Les examens à demander en
deuxième intention dépendent du type
de DIH suspecté sur la base de l’anam-
nèse, de l’examen clinique et des résul-
tats des examens de première ligne.
ÉTUDE DES LYMPHOCYTES
Le phénotypage lymphocytaire
explore la
répartition des populations lymphocy-
taires. Cet examen quantitatif est réali-
sé à l’aide de différents marqueurs : la
molécule CD3, spécifique des lympho-
cytes T, et, pour leurs deux sous-popu-
lations, les CD4+ (lymphocytes T auxi-
liaires) et CD8+ (lymphocytes T cyto-
toxiques) ; les molécules CD19 et CD20,
spécifiques des lymphocytes B ; les mo-
lécules CD16 et CD56, spécifiques des
cellules NK (natural killer).
La fonction des lymphocytes T
peut être
étudiée par le test de transformation
lymphoblastique (TTL). Cet examen
mesure la capacité de prolifération des
lymphocytes T vis-à-vis de mitogènes
(phytohémagglutinine, anti-CD3) ou
d’antigènes vaccinaux (anatoxine téta-
nique, poliovirus, tuberculine…) ou in-
fectieux (candidine, VZV, HSV…). Une
sensibilisation préalable n’est nécessai-
re que pour les proliférations en répon-
se aux antigènes. Ces proliférations
peuvent être négatives si l’enfant n’a
pas été soumis à l’antigène dans les
deux années qui précèdent.
AUTRES EXPLORATIONS
Les fonctions des phagocytes
sont éva-
luées par l’étude du chimiotactisme
(étude du mouvement et de l’adhésion)
et par le test de réduction au nitrobleu
de tétranozium (NBT) ou le test de chi-
mioluminescence FACS DHR (étude de
l’explosion oxydative des phagocytes).
Les voies du complément
sont explorées
par le dosage du CH50 (voie classique)
et de l’AP50 (voie alterne).
Les corps de Jolly,
évocateurs d’une hy-
posplénie ou d’une asplénie, sont faciles
à identifier sur le frottis sanguin.
sodes infectieux. La NFS peut aussi
mettre en évidence une anémie (micro-
cytaire ou non), une thrombopénie ou
une thrombocytose.
Le dosage pondéral des immunoglobu-
lines sériques
(IgA, IgG, IgM) est le
deuxième examen clé du bilan initial
des DIH. Il doit être interprété en fonc-
tion de l’âge, en sachant que les normes
varient selon les laboratoires. Les résul-
tats de cet examen sont difficilement in-
terprétables avant l’âge de quatre mois
du fait du transfert des IgG de la mère à
l’enfant : à cette période de la vie, les
IgG maternels constituent l’essentiel
des IgG. La baisse progressive du taux
de ces immunoglobulines est moins ra-
pide chez les bébés allaités au sein, car
les IgG passent dans le lait maternel.
Les sous-classes d’IgG peuvent être do-
sées à partir de l’âge de dix-huit mois.
Bas à la naissance, le taux d’IgA aug-
mente progressivement durant les pre-
mières années de la vie.
Les sérologies postvaccinales et postin-
fectieuses
permettent d’évaluer la capa-
cité de production des deux types d’an-
ticorps spécifiques :
les anticorps antiprotidiques produits
après une infection ou une vaccination.
Leur synthèse nécessite une coopéra-
tion entre les lymphocytes T et B ;
les anticorps polysaccharidiques pro-
duits après une infection par un germe
encapsulé (pneumocoque, méningo-
coque, Haemophilus) ou une vaccina-
tion par un vaccin non conjugué (anti-
pneumocoque, antiméningocoque).
Leur production ne dépend que des
lymphocytes B. Ces derniers étant im-
matures chez les enfants de moins de
deux ans, elle ne peut être évaluée
qu’après cet âge. Les allohémaggluti-
nines de groupe sanguin, autres anti-
corps polysaccharidiques, sont dirigées
contre les antigènes des groupes san-
guins A ou B et ne peuvent pas être éva-
luées chez les patients du groupe AB.
EXAMENS DE DEUXIÈME
INTENTION
Des investigations supplémentaires sont
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EN PRATIQUE
LE BILAN DE PREMIÈRE INTENTION
EST ANORMAL
Quelles anomalies ?
Les examens de première intention peu-
vent mettre en évidence :
des sérologies basses de façon isolée :
revacciner l’enfant et le recontrôler
après trois à six semaines ;
une lymphopénie isolée : refaire la
NFS après quelques jours afin de véri-
fier si l’anomalie persiste ou se normali-
se ;
des lymphocytes normaux ou bas
avec une diminution des IgG et des sé-
rologies basses.
Dans tous les cas de figure, le bilan doit
être complété par un phénotypage lym-
phocytaire (T, B, NK) et des TTL.
Résultats des explorations
de deuxième intention
Lymphocytes T normaux, lymphocytes
B normaux ou bas et proliférations lym-
phocytaires normales : c’est un déficit de
l’immunité humorale. Les déficits humo-
raux sont un défaut de production d’anti-
corps. Ils représentent environ 70 % des
DIH. Les premiers signes apparaissent
après six mois de vie. Avant cet âge, l’en-
fant est protégé par les IgG maternelles.
Ces déficits sont caractérisés par la surve-
nue d’infections essentiellement pulmo-
naires et ORL, le plus souvent dues à des
bactéries pyogènes (pneumocoque, sta-
phylocoque…). Des atteintes articulaires
infectieuses peuvent être observées. Le
retard de croissance staturopondérale est
un signe inconstant. La NFS est générale-
ment normale, et le diagnostic se fait sur
le dosage pondéral des immunoglobu-
lines et sur les sérologies vaccinales et
postinfectieuses.
Absence de lymphocytes B : c’est une
agammaglobulinémie ou maladie de
Bruton. Ce déficit de l’immunité humo-
rale lié à l’X se révèle classiquement vers
l’âge de dix mois chez des enfants souf-
frant d’infections ORL (otites 70 % ; si-
nusites 59 %), pulmonaires (pneumopa-
thies 62 %) et parfois digestives (giar-
diase). Le diagnostic est suspecté rapi-
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LE BILAN DE PREMIÈRE INTENTION
EST NORMAL
En cas d’infections bactériennes
sévères à germes encapsulés
La recherche des corps de Jolly per-
met d’éliminer une asplénie ou une
hyposplénie. L’asplénie/hyposplénie
peut être induite par un traitement (chi-
miothérapie, radiothérapie) ou congé-
nitale. Elle entraîne une sensibilité aux
germes encapsulés, associée dans cer-
tains cas à un syndrome malformatif, à
une cardiopathie. Il faut également
penser à ce diagnostic devant une mal-
rotation hétérotaxie thoracoabdomina-
le (syndrome d’Ivermark).
L’exploration des voies classique et
alterne du complément recherche un
déficit d’une des sous-unités du complé-
ment. Les infections à Neisseria orien-
tent vers un défaut d’une des sous-uni-
tés membranaires du complexe d’at-
taque du complément (C5 à C9) ou de
la properdine ; les infections bacté-
riennes récurrentes orientent vers un
défaut en C2, C3, C4 ou en facteurs I ou
H. Les déficits du complément se com-
pliquent d’infections le plus souvent in-
vasives, dues à des germes encapsulés.
Une auto-immunité peut être associée.
Le dosage des allohémagglutinines
permet de diagnostiquer un déficit de
l’immunité humorale chez les patients
incapables de répondre aux anticorps
polysaccharidiques.
L’étude des sous-classes d’IgG est utile
pour révéler un déficit en sous-classes
d’IgG qui peut être masqué par un dosage
pondéral des immunoglobulines normal.
En cas d’infections bactériennes
et/ou fongiques récurrentes
L’étude des fonctions phagocytaires
recherche une granulomatose septique
chronique (NBT) ou un défaut d’adhé-
sion leucocytaire (chimiotactisme). Les
déficits de la phagocytose se traduisent
par des infections essentiellement bac-
dement devant des IgG inférieures à 2 à
3 g/l, des IgA et IgM effondrées et, sur-
tout, des sérologies vaccinales et postin-
fectieuses négatives. Le gène respon-
sable, BTK, joue un rôle important dans
la différenciation des lymphocytes B.
La prise en charge des déficits de l’im-
munité humorale repose sur le traite-
ment des infections évolutives par anti-
biotiques et l’administration d’immuno-
globulines en perfusion ou par voie
sous-cutanée toutes les trois semaines.
Lymphocytes T normaux ou bas et
proliférations T basses : c’est un déficit
combiné. La clinique et les signes asso-
ciés permettent d’évoquer l’une ou
l’autre des nombreuses maladies que
comportent ces déficits.
Absence de lymphocytes T : c’est un
déficit immunitaire combiné sévère
(DICS), dont il existe quinze formes gé-
nétiques différentes.
Compte tenu de leur extrême gravité,
les déficits immunitaires combinés doi-
vent être diagnostiqués rapidement. Les
premiers signes apparaissent beaucoup
plus précocement que ceux des DIH hu-
moraux, en général avant l’âge de trois
mois dans le cadre des DICS. Les en-
fants atteints présentent des infections
bactériennes de tous types, à germes
« classiques », mais aussi à germes op-
portunistes (pneumocystoses…) et in-
tracellulaires, des infections fongiques
(candidoses…), des infections virales
(para-influenzae, adénovirus, cytomé-
galovirus, virus respiratoire syncytial)
ainsi que des bécégites graves. Ces in-
fections peuvent toucher tous les or-
ganes. La NFS (lymphopénie inférieure
à 3000 mm
3
) permet d’évoquer le dia-
gnostic. Le bilan doit comporter une ra-
diographie thoracique, qui montre un
syndrome interstitiel et l’absence de
thymus. La prise en charge des patients
s’effectue en centre spécialisé. A l’heure
actuelle, la greffe de cellules souches
hématopoïétiques est le traitement de
ces déficits immunitaires.
tériennes, parfois fongiques, et plutôt
tissulaires (abcès cérébraux, pulmo-
naires, hépatiques). La présence de gra-
nulomes oriente vers une granulomato-
se septique chronique (1/200000 nais-
sances), qui peut être liée à l’X (forme la
plus fréquente) ou autosomique récessi-
ve. Le défaut d’adhésion leucocytaire
s’accompagne d’une hyperleucocytose à
polynucléaires neutrophiles. Cette ma-
ladie rare est autosomique récessive.
Le dosage des IgE permet de diagnos-
tiquer un syndrome d’hyperIgE ou syn-
drome de Job ou de Buckley. Cette ma-
ladie se manifeste par des infections
respiratoires plutôt bactériennes (Sta-
phylococcus aureus) ou fongiques (as-
pergillose), des anomalies dentaires et
une dysmorphie apparaissant au cours
de la vie.
Si le bilan immunologique complé-
mentaire est normal chez un enfant qui
a des infections sévères et/ou récur-
rentes à un type de pathogène, il faut
rechercher un déficit de l’immunité in-
née.
CONCLUSION
L’exploration des infections idiopa-
thiques de l’enfant conduit à identifier
des DIH déjà connus, mais aussi de nou-
veaux DIH. En cas de normalité des exa-
mens immunologiques, le diagnostic de
déficit immunitaire ne doit pas être
écarté, car la définition de ces maladies
est avant tout clinique et les examens
actuels n’explorent qu’une partie du
système immunitaire. Au moindre dou-
te, il ne faut pas hésiter à prendre un
avis spécialisé.
Références
PICARD C., FILIPE-SANTOS O., CHAPGIER A., VON BERNUTH
H., VOGT G., CASANOVA J.L. : « Prédisposition génétique et in-
fections de l’enfant », Arch Pédiatr., 2006 ; 13 : 1342-6.
PICARD C. : « Immunité et défenses anti-infectieuses », Rev.
Prat., 2007 ; 57 : 1639-44.
PICARD C. : « Comment explorer un déficit immunitaire hérédi-
taire ? », Rev. Prat., 2007 ; 57 : 1671-6.
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