Suspicion de déficit immunitaire héréditaire : quelle démarche diagnostique ?

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Médecine
& enfance
STAFFS
Présentation de C. Picard, Centre d’étude des
déficits immunitaires, hôpital Necker-Enfants
Malades, Paris, lors du staff du service de
pédiatrie de l’hôpital Antoine-Béclère, Clamart
Rédaction : C. Faber
Suspicion de déficit immunitaire
héréditaire : quelle démarche
diagnostique ?
Un déficit immunitaire héréditaire doit toujours être évoqué chez un enfant présentant des infections sévères ou récurrentes. Le bilan de dépistage standard
de première intention, qui repose sur des examens de routine réalisables en
ville, permet d’orienter rapidement le diagnostic étiologique et de cibler les explorations de seconde intention. A ce jour, environ 120 déficits immunitaires
héréditaires ont été décrits et une centaine de gènes identifiés. La fréquence
globale de ces maladies est estimée à 1/5 000 naissances.
SIGNES CLINIQUES
D’ALERTE
La recherche d’un déficit immunitaire
héréditaire (DIH) s’impose chez les enfants présentant plus de huit otites par
an avant l’âge de quatre ans et plus de
quatre au-delà, ou plus de deux pneumonies ou sinusites par an quel que soit
l’âge. Un DIH doit aussi être suspecté
devant des infections sévères à germes
encapsulés (pneumocoque, Haemophilus, Neisseria : un épisode de sepsis ou
de méningite suffit pour penser à un
DIH), des infections à bactéries pyogènes récurrentes, des infections récurrentes avec le même type de pathogène
ou des infections inhabituelles ou d’évolution inhabituelle.
Si les infections récurrentes des voies
respiratoires constituent souvent le premier des signes d’alerte, une cassure de
la courbe staturopondérale et/ou une
diarrhée persistante peuvent aussi être
au premier plan. D’autres signes non infectieux justifient également la recherche d’un DIH, comme des manifestations auto-immunes ou un syndrome
lymphoprolifératif. Enfin, la découverte
d’antécédents de DIH ou de signes cliniques similaires dans la famille de ces
patients est importante pour l’orientation diagnostique.
L’interprétation des signes cliniques
d’alerte doit être modérée dans cerjanvier 2009
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taines situations, à savoir lorsque l’enfant présente des infections ORL ou urinaires isolées ou uniquement des infections virales respiratoires, qu’il a une
croissance staturopondérale normale
ou qu’il est gardé en collectivité.
L’examen clinique se focalise sur la
croissance staturopondérale, les aires
ganglionnaires, le foie, la rate, ainsi que
sur la sphère ORL, à la recherche de lésions des tympans, d’une hypertrophie
des amygdales, d’un muguet (muguet
récidivant même en dehors des cures
d’antibiothérapie), d’une obstruction
nasale. L’examen pulmonaire est, bien
sûr, essentiel. L’examen de la peau recherche un eczéma et des cicatrices anciennes (stigmates d’infections cutanées
récidivantes) ou importantes (BCG).
EXAMENS DE PREMIÈRE
INTENTION
La numération formule sanguine (NFS)
fournit des informations importantes,
notamment sur la formule leucocytaire.
Chez le jeune enfant, la numération des
lymphocytes doit toujours être interprétée en valeur absolue et en fonction de
l’âge. Une lymphopénie inférieure à
3 000/mm3 chez un enfant de moins de
trois mois est un signe de déficit immunitaire jusqu’à preuve du contraire. Une
neutropénie isolée inférieure à
500/mm3 peut être responsable d’épi-
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sodes infectieux. La NFS peut aussi
mettre en évidence une anémie (microcytaire ou non), une thrombopénie ou
une thrombocytose.
Le dosage pondéral des immunoglobulines sériques (IgA, IgG, IgM) est le
deuxième examen clé du bilan initial
des DIH. Il doit être interprété en fonction de l’âge, en sachant que les normes
varient selon les laboratoires. Les résultats de cet examen sont difficilement interprétables avant l’âge de quatre mois
du fait du transfert des IgG de la mère à
l’enfant : à cette période de la vie, les
IgG maternels constituent l’essentiel
des IgG. La baisse progressive du taux
de ces immunoglobulines est moins rapide chez les bébés allaités au sein, car
les IgG passent dans le lait maternel.
Les sous-classes d’IgG peuvent être dosées à partir de l’âge de dix-huit mois.
Bas à la naissance, le taux d’IgA augmente progressivement durant les premières années de la vie.
Les sérologies postvaccinales et postinfectieuses permettent d’évaluer la capa-
cité de production des deux types d’anticorps spécifiques :
les anticorps antiprotidiques produits
après une infection ou une vaccination.
Leur synthèse nécessite une coopération entre les lymphocytes T et B ;
les anticorps polysaccharidiques produits après une infection par un germe
encapsulé (pneumocoque, méningocoque, Haemophilus) ou une vaccination par un vaccin non conjugué (antipneumocoque, antiméningocoque).
Leur production ne dépend que des
lymphocytes B. Ces derniers étant immatures chez les enfants de moins de
deux ans, elle ne peut être évaluée
qu’après cet âge. Les allohémagglutinines de groupe sanguin, autres anticorps polysaccharidiques, sont dirigées
contre les antigènes des groupes sanguins A ou B et ne peuvent pas être évaluées chez les patients du groupe AB.
EXAMENS DE DEUXIÈME
INTENTION
Des investigations supplémentaires sont
nécessaires en cas d’anomalies du bilan
de première intention et, si celui-ci est
normal, quand l’enfant a des infections
sévères et/ou récurrentes et qu’il existe
un retentissement important sur la
croissance. Les examens à demander en
deuxième intention dépendent du type
de DIH suspecté sur la base de l’anamnèse, de l’examen clinique et des résultats des examens de première ligne.
ÉTUDE DES LYMPHOCYTES
Le phénotypage lymphocytaire explore la
répartition des populations lymphocytaires. Cet examen quantitatif est réalisé à l’aide de différents marqueurs : la
molécule CD3, spécifique des lymphocytes T, et, pour leurs deux sous-populations, les CD4+ (lymphocytes T auxiliaires) et CD8+ (lymphocytes T cytotoxiques) ; les molécules CD19 et CD20,
spécifiques des lymphocytes B ; les molécules CD16 et CD56, spécifiques des
cellules NK (natural killer).
La fonction des lymphocytes T peut être
étudiée par le test de transformation
lymphoblastique (TTL). Cet examen
mesure la capacité de prolifération des
lymphocytes T vis-à-vis de mitogènes
(phytohémagglutinine, anti-CD3) ou
d’antigènes vaccinaux (anatoxine tétanique, poliovirus, tuberculine…) ou infectieux (candidine, VZV, HSV…). Une
sensibilisation préalable n’est nécessaire que pour les proliférations en réponse aux antigènes. Ces proliférations
peuvent être négatives si l’enfant n’a
pas été soumis à l’antigène dans les
deux années qui précèdent.
AUTRES EXPLORATIONS
Les fonctions des phagocytes sont éva-
luées par l’étude du chimiotactisme
(étude du mouvement et de l’adhésion)
et par le test de réduction au nitrobleu
de tétranozium (NBT) ou le test de chimioluminescence FACS DHR (étude de
l’explosion oxydative des phagocytes).
Les voies du complément sont explorées
par le dosage du CH50 (voie classique)
et de l’AP50 (voie alterne).
Les corps de Jolly, évocateurs d’une hyposplénie ou d’une asplénie, sont faciles
à identifier sur le frottis sanguin.
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EN PRATIQUE
LE BILAN DE PREMIÈRE INTENTION
EST ANORMAL
Quelles anomalies ?
Les examens de première intention peuvent mettre en évidence :
des sérologies basses de façon isolée :
revacciner l’enfant et le recontrôler
après trois à six semaines ;
une lymphopénie isolée : refaire la
NFS après quelques jours afin de vérifier si l’anomalie persiste ou se normalise ;
des lymphocytes normaux ou bas
avec une diminution des IgG et des sérologies basses.
Dans tous les cas de figure, le bilan doit
être complété par un phénotypage lymphocytaire (T, B, NK) et des TTL.
Résultats des explorations
de deuxième intention
Lymphocytes T normaux, lymphocytes
B normaux ou bas et proliférations lymphocytaires normales : c’est un déficit de
l’immunité humorale. Les déficits humoraux sont un défaut de production d’anticorps. Ils représentent environ 70 % des
DIH. Les premiers signes apparaissent
après six mois de vie. Avant cet âge, l’enfant est protégé par les IgG maternelles.
Ces déficits sont caractérisés par la survenue d’infections essentiellement pulmonaires et ORL, le plus souvent dues à des
bactéries pyogènes (pneumocoque, staphylocoque…). Des atteintes articulaires
infectieuses peuvent être observées. Le
retard de croissance staturopondérale est
un signe inconstant. La NFS est généralement normale, et le diagnostic se fait sur
le dosage pondéral des immunoglobulines et sur les sérologies vaccinales et
postinfectieuses.
Absence de lymphocytes B : c’est une
agammaglobulinémie ou maladie de
Bruton. Ce déficit de l’immunité humorale lié à l’X se révèle classiquement vers
l’âge de dix mois chez des enfants souffrant d’infections ORL (otites 70 % ; sinusites 59 %), pulmonaires (pneumopathies 62 %) et parfois digestives (giardiase). Le diagnostic est suspecté rapi-
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dement devant des IgG inférieures à 2 à
3 g/l, des IgA et IgM effondrées et, surtout, des sérologies vaccinales et postinfectieuses négatives. Le gène responsable, BTK, joue un rôle important dans
la différenciation des lymphocytes B.
La prise en charge des déficits de l’immunité humorale repose sur le traitement des infections évolutives par antibiotiques et l’administration d’immunoglobulines en perfusion ou par voie
sous-cutanée toutes les trois semaines.
Lymphocytes T normaux ou bas et
proliférations T basses : c’est un déficit
combiné. La clinique et les signes associés permettent d’évoquer l’une ou
l’autre des nombreuses maladies que
comportent ces déficits.
Absence de lymphocytes T : c’est un
déficit immunitaire combiné sévère
(DICS), dont il existe quinze formes génétiques différentes.
Compte tenu de leur extrême gravité,
les déficits immunitaires combinés doivent être diagnostiqués rapidement. Les
premiers signes apparaissent beaucoup
plus précocement que ceux des DIH humoraux, en général avant l’âge de trois
mois dans le cadre des DICS. Les enfants atteints présentent des infections
bactériennes de tous types, à germes
« classiques », mais aussi à germes opportunistes (pneumocystoses…) et intracellulaires, des infections fongiques
(candidoses…), des infections virales
(para-influenzae, adénovirus, cytomégalovirus, virus respiratoire syncytial)
ainsi que des bécégites graves. Ces infections peuvent toucher tous les organes. La NFS (lymphopénie inférieure
à 3000 mm3) permet d’évoquer le diagnostic. Le bilan doit comporter une radiographie thoracique, qui montre un
syndrome interstitiel et l’absence de
thymus. La prise en charge des patients
s’effectue en centre spécialisé. A l’heure
actuelle, la greffe de cellules souches
hématopoïétiques est le traitement de
ces déficits immunitaires.
LE BILAN DE PREMIÈRE INTENTION
EST NORMAL
En cas d’infections bactériennes
sévères à germes encapsulés
La recherche des corps de Jolly permet d’éliminer une asplénie ou une
hyposplénie. L’asplénie/hyposplénie
peut être induite par un traitement (chimiothérapie, radiothérapie) ou congénitale. Elle entraîne une sensibilité aux
germes encapsulés, associée dans certains cas à un syndrome malformatif, à
une cardiopathie. Il faut également
penser à ce diagnostic devant une malrotation hétérotaxie thoracoabdominale (syndrome d’Ivermark).
L’exploration des voies classique et
alterne du complément recherche un
déficit d’une des sous-unités du complément. Les infections à Neisseria orientent vers un défaut d’une des sous-unités membranaires du complexe d’attaque du complément (C5 à C9) ou de
la properdine ; les infections bactériennes récurrentes orientent vers un
défaut en C2, C3, C4 ou en facteurs I ou
H. Les déficits du complément se compliquent d’infections le plus souvent invasives, dues à des germes encapsulés.
Une auto-immunité peut être associée.
Le dosage des allohémagglutinines
permet de diagnostiquer un déficit de
l’immunité humorale chez les patients
incapables de répondre aux anticorps
polysaccharidiques.
L’étude des sous-classes d’IgG est utile
pour révéler un déficit en sous-classes
d’IgG qui peut être masqué par un dosage
pondéral des immunoglobulines normal.
En cas d’infections bactériennes
et/ou fongiques récurrentes
L’étude des fonctions phagocytaires
recherche une granulomatose septique
chronique (NBT) ou un défaut d’adhésion leucocytaire (chimiotactisme). Les
déficits de la phagocytose se traduisent
par des infections essentiellement bac-
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tériennes, parfois fongiques, et plutôt
tissulaires (abcès cérébraux, pulmonaires, hépatiques). La présence de granulomes oriente vers une granulomatose septique chronique (1/200 000 naissances), qui peut être liée à l’X (forme la
plus fréquente) ou autosomique récessive. Le défaut d’adhésion leucocytaire
s’accompagne d’une hyperleucocytose à
polynucléaires neutrophiles. Cette maladie rare est autosomique récessive.
Le dosage des IgE permet de diagnostiquer un syndrome d’hyperIgE ou syndrome de Job ou de Buckley. Cette maladie se manifeste par des infections
respiratoires plutôt bactériennes (Staphylococcus aureus) ou fongiques (aspergillose), des anomalies dentaires et
une dysmorphie apparaissant au cours
de la vie.
Si le bilan immunologique complémentaire est normal chez un enfant qui
a des infections sévères et/ou récurrentes à un type de pathogène, il faut
rechercher un déficit de l’immunité innée.
CONCLUSION
L’exploration des infections idiopathiques de l’enfant conduit à identifier
des DIH déjà connus, mais aussi de nouveaux DIH. En cas de normalité des examens immunologiques, le diagnostic de
déficit immunitaire ne doit pas être
écarté, car la définition de ces maladies
est avant tout clinique et les examens
actuels n’explorent qu’une partie du
système immunitaire. Au moindre doute, il ne faut pas hésiter à prendre un
avis spécialisé.
Références
PICARD C., FILIPE-SANTOS O., CHAPGIER A., VON BERNUTH
H., VOGT G., CASANOVA J.L. : « Prédisposition génétique et infections de l’enfant », Arch Pédiatr., 2006 ; 13 : 1342-6.
PICARD C. : « Immunité et défenses anti-infectieuses », Rev.
Prat., 2007 ; 57 : 1639-44.
PICARD C. : « Comment explorer un déficit immunitaire héréditaire ? », Rev. Prat., 2007 ; 57 : 1671-6.
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