La vigilance à l`égard des « dérives thérapeutiques », c`est notre

Ethique du kinésiologue (Congrès pour les 25 ans de l’IBK, 10 et 11 septembre 2011)
Myriam van der Brempt 1
La vigilance à l’égard des « dérives thérapeutiques », c’est notre affaire
1
Myriam van der Brempt
Kinésiologue et docteur en philosophie
Mon propos concerne la dimension éthique de la pratique du kinésiologue. Très vaste
question que celle de l’éthique, à vrai dire, même si on la restreint au domaine
thérapeutique…
Peut-être faut-il commencer par définir ce qu’on entend par « éthique ».
Classiquement, ce mot se finit par rapport à « morale » et à « déontologie ». D’ailleurs,
dans le Petit Robert (2007), aux entrées « déontologie », « éthique » et « morale », on peut
lire toutes sortes de choses sur les valeurs, les règles, les devoirs, le bien et le mal, ce qui n’est
pas étonnant, mais on observe aussi que la rubrique « déontologie » se termine par « Voir
aussi éthique », que l’entrée « morale » est émaillée en plusieurs endroits de « Voir éthique »
ou « Voir déontologie » et que sous « éthique », on lit « Voir morale » et on cite en exemple
la formule « éthique et déontologie ». Le fait est qu’une certaine confusion flotte autour de ces
trois termes et si elle est entretenue par le dictionnaire lui-même, il est sans doute assez
naturel qu’elle s’insinue aussi dans nos esprits.
Pour tenter quand même de les distinguer, retenons que la déontologie, selon le Petit
Robert toujours, est l’« ensemble des devoirs qu’impose à des professionnels l’exercice de
leur métier ». La déontologie d’une profession limite donc bien son champ d’application à
l’exercice de cette profession elle-même et elle est définie par cette profession, et non par une
autorité extérieure. La déontologie serait donc la morale spécifique d’une profession. En effet,
la morale tout court, c’est plutôt l’ensemble des devoirs, des obligations et des interdits que la
société impose, pour la vie sociale en général.
Mais il y a des connotations négatives liées au terme « morale ». Dans notre société
contemporaine pluraliste, les discours moraux sont très mal reçus. Comme disait Léo Ferré,
« ce qu’il y a d’encombrant dans la Morale, c’est que c’est toujours la Morale des Autres
2
. »
Et effectivement, nous n’admettons plus du tout que qui que ce soit prétende pouvoir dire ce
qui est bien et ce qui est mal au nom de tous.
Notre époque a plutôt adopté dès lors la notion d’« éthique ». Certes, il y a peut-être
une tendance à mettre l’éthique à toutes les sauces, mais quand on parle de réflexion ou de
débat éthique, on vise une délibération dans laquelle les personnes directement concernées
sont parties prenantes et dans laquelle on cherche à éviter d’énoncer une obligation ou un
interdit arbitraire, parce qu’on veut que la décision soit justifiée par des éléments rationnels.
1
Ce texte a fait l’objet d’une conférence dans le cadre du Congrès pour les 25 ans de l’Institut Belge de
Kinésiologie (IBK, Rixensart, Belgique), qui a eu lieu les 10 et 11 septembre 2011.
2
Cité dans M.-Fr. Bernier, Ethique et déontologie du journalisme, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval,
2004, p. 43.
Ethique du kinésiologue (Congrès pour les 25 ans de l’IBK, 10 et 11 septembre 2011)
Myriam van der Brempt 2
Or, pour que notre sensibilité contemporaine se sente respectée, il faut que la réflexion sur le
bien et le mal s’engage sur cette double base. Voidonc dans quel sens j’emploie ici le mot
« éthique ».
Mon point de vue sur l’éthique en kinésiologie
Le champ de l’éthique est néanmoins très vaste et j’ai envie de vous dire tout de suite,
en commençant, ce qui m’intéresse, moi, -dedans. Car c’est cela qui va constituer le fil
rouge de mon exposé : ce qui m’intéresse, c’est d’augmenter, de faire progresser, de faire
évoluer la qualité de mon travail de kinésiologue. Et en fait, comme dans tous les domaines
qui touchent à l’humain, de près ou de loin, la dimension éthique affecte radicalement (même
si pas uniquement) cette qualité.
Dans le métier du kinésiologue, l’éthique est déterminante pour assurer tant le respect
du client que le respect de soi-même, et pour délimiter le domaine d’intervention légitime du
kinésiologue ; c’est l’éthique aussi qui colore l’attitude du praticien en kinésiologie, de la
qualité de sa présence à son rapport à l’argent, en passant par son écoute, sa façon d’accueillir
et de parler, son rapport au corps et au toucher, et j’en passe. Mais il ne suffit pas de dire
« l’éthique, c’est très important », pour que la pratique du kinésiologue soit éthiquement
valable il ne suffit pas que j’affirme que c’est très important pour moi pour que ma pratique
soit, du coup, éthiquement bonne. Et c’est ici que cela se complique : comment faire, en
matière d’éthique, pour aller au-delà des bonnes intentions (ou des intentions bonnes) ? « Oh !
Moi, je veille particulièrement à respecter le client. » Oui, mais comment fais-je ? Comment
puis-je m’assurer que ce que je fais produit bien, pour le client, du respect ? Et comment fais-
je pour me remettre en question ? Comment, dans ma propre pratique, puis-je arriver à faire
des choix éthiquement fondés ?
Il y a des difficultés supplémentaires. La première, c’est que la kinésiologie n’est pas,
à ce jour, une profession reconnue, c’est-à-dire qu’elle n’est pas une profession définie par la
loi ; ou encore, elle n’est pas une profession protégée, comme on dit, c’est-à-dire protégée
contre les abus, contre les impostures, contre les dérives possibles. Il n’y a pas de code
déontologique officiel de la kinésiologie, qui décrirait la bonne conduite à tenir, du point de
vue éthique, en tant que kinésiologue professionnel. Il n’existe donc pas, à ce jour, de balises
éthiques officielles pour ce métier.
La seconde difficulté supplémentaire, c’est que la kinésiologie fait partie de ces
nombreuses formes thérapeutiques récentes et non conventionnelles
3
, qu’il est si facile de
disqualifier en soulignant qu’elles ne sont « pas scientifiques ». En d’autres mots, la seconde
difficulté, c’est qu’il y a dans notre culture aujourd’hui une voie qui est perçue comme
3
Par opposition à la médecine occidentale allopathique, que j’appellerai la médecine conventionnelle. Voir, pour
ce choix terminologique et sa justification, Baudouin LABRIQUE, Quand les thérapeutes dérapent, Bruxelles,
éd. Renaissance du livre, coll. « Espace vital », 2011, p. 25.
Ethique du kinésiologue (Congrès pour les 25 ans de l’IBK, 10 et 11 septembre 2011)
Myriam van der Brempt 3
menant assurément à la vérité : la voie de la science. Hors de la science, pas de vérité. Cela ne
veut pas toujours dire qu’en dehors de la science, les choses soient sans valeur, mais cela
signifie en tout cas que ce qui n’est pas scientifique, on ne sait pas si c’est vrai. Or, cela a des
conséquences pour notre réflexion sur l’éthique. Le kinésiologue travaille sur la base d’une
discipline qui n’est pas démontrée scientifiquement. Il ne peut donc pas prétendre que ce
qu’affirme la kinésiologie est vrai. Mais alors, si le discours de la kinésiologie était faux ou
partiellement faux ? Comment le kinésiologue peut-il justifier éthiquement de prendre de tels
risques, alors qu’il entraîne avec lui ses clients, c’est-à-dire souvent des personnes déjà
fragilisées ?
Ce contexte expose le kinésiologue à toutes sortes de critiques théoriques et de
soupçons sur la validité de sa pratique. Il y aurait beaucoup à dire sur la mauvaise qualité, en
général, de ces critiques et de ces soupçons. Leurs auteurs amalgament tout, confondent les
fondements théoriques de la kinésiologie et les choix subjectifs d’un praticien, généralisent les
propos d’un client malmené par un kinésiologue et l’étendent à toute la discipline, et
manifestent à tout moment que leur connaissance des branches de kinésiologie est
extraordinairement sommaire, et approximative jusqu’à la fausseté. Bref, leurs arguments sont
la plupart du temps très faciles à contester. Je le regrette beaucoup, car je pense que le
véritable esprit critique et la remise en question sont indispensables pour évoluer, alors que les
critiques ridicules que l’on peut lire à l’égard de la kinésiologie ont peut-être pour effet de la
déconsidérer aux yeux d’un certain « grand public », mais en tout cas elles ne permettent pas
aux praticiens de la kinésiologie d’accroître la qualité de leur travail, car elles ne livrent pas
de quoi les pousser à se mettre en question. Et ça, c’est vraiment dommage.
C’est pourquoi je ne passerai pas plus de temps ici à parler de ces critiques. Je vais
plutôt développer un autre point de vue, qui s’annonce d’ailleurs dans le titre que j’ai donné à
mon exposé : « La vigilance à l’égard des ‘dérives thérapeutiques’, c’est notre affaire ».
N’attendons pas que d’autres nous critiquent pour nous mettre à réfléchir sur notre pratique et
ne croyons pas que si aucune critique sérieuse ne nous parvient, c’est que nous sommes
complètement « dans le bon » et que nous pouvons nous reposer sur nos lauriers.
L’idée que je voudrais développer aujourd’hui avec vous est celle-ci : je pense que
quelque bonne (vraie, juste) que puisse être la discipline dont un thérapeute se réclame, la
qualité (notamment éthique) de son travail dépend de la manière dont il la pratique. Dans les
termes de notre sujet précis d’aujourd’hui : si bonne (vraie, juste) que soit la kinésiologie, la
qualité éthique du travail d’un kinésiologue dépend radicalement de la manière dont il la
pratique.
Il y a dès lors d’emblée deux aspects à traiter, et il ne faut pas les mélanger, sous peine
de produire à notre tour des amalgames contestables. Le premier concerne la qualité de la
discipline thérapeutique elle-même, la qualité de la kinésiologie et cela nous entraîne à
examiner si ce que la kinésiologie dit peut être considéré comme bon, vrai, juste. Le second
concerne la manière dont le praticien travaille avec cette discipline. C’est ce second aspect qui
Ethique du kinésiologue (Congrès pour les 25 ans de l’IBK, 10 et 11 septembre 2011)
Myriam van der Brempt 4
nous intéresse surtout, mais comme les deux sont liés, je vous propose de réfléchir d’abord au
rapport de la kinésiologie à la vérité.
La kinésiologie est-elle bonne, vraie, juste ?
Je m’empresse d’ajouter qu’en sortant d’ici, vous n’aurez pas la réponse oui/non à
cette question... C’est une manière d’y réfléchir que je vous propose ; à vous ensuite, et à moi
bien sûr, de poursuivre cette réflexion et de développer une vigilance.
On peut tout de suite éliminer deux choses du débat sur la vérité. D’une part, comme
toutes les disciplines vivantes, la kinésiologie comprend différents domaines, différentes
branches, comme on dit, à l’intérieur desquelles il y a du plus et du moins développé, du plus
et du moins démontré, du plus et du moins évident, du plus et du moins convaincant, du plus
et du moins documenté, argumenté, raisonné, etc. La rité du discours de la kinésiologie ne
tient pas à cela. On est aujourd’hui en un point d’un parcours qui évolue. Ce qui est confus
actuellement peut être clarifié demain ou plus tard. On ne condamnera pas la kinésiologie,
comme aucune autre discipline, parce qu’elle ne serait pas « complète
4
». Que serait-ce,
d’ailleurs, qu’être « complet », dans ce sens- ? Et qui pourrait en juger ?
Dans le même ordre d’idées, il y a la question des erreurs qui sont sans doute présentes
ici et là dans les théories kinésiologiques. Je dis « sans doute présentes », car qui n’en commet
pas ? La médecine conventionnelle, qui recommandait de coucher les bébés sur le ventre, il
n’y a pas si longtemps, ne commettait-elle pas une erreur, fatale à un certain nombre
d’enfants, dans le domaine de la prévention de la mort subite du nourrisson ? On ne
condamnera pas la médecine toute entière sur la base de cette erreur, ni de toutes les autres
qu’elle a commises et commettra encore. La seule obligation morale, à cet égard, est de
corriger radicalement l’erreur dès qu’on en a pris conscience (et donc d’être ouvert à cette
prise de conscience, prêt à se mettre en question). Les enjeux éthiques liés au statut de vérité
de la kinésiologie ne sont donc pas là non plus.
Il nous faut aborder autrement la question de la vérité. Pour estimer qu’une chose est
vraie, comment faire ? À quoi reconnaît-on que quelque chose est vrai ?
Les philosophes de la tradition occidentale y ont beaucoup réfléchi, eux dont le but est
de dire ce qui est vrai : non pas quant au comment ça marche, comme la science, mais plus
radicalement quant au pourquoi ça marche comme ça marche, c’est-à-dire quant à la raison
qui fait que ça doit être comme c’est, donc que c’est comme ça, c’est-à-dire que… c’est vrai.
Dans la tradition philosophique occidentale, il y a deux conceptions de la vérité :
4
Il y a certes un seuil minimal en deçà duquel une recherche peut être estimée vraiment trop rudimentaire pour
constituer une discipline à part entière, mais il est clair que la kinésiologie a dépassé ce cas de figure depuis
longtemps.
Ethique du kinésiologue (Congrès pour les 25 ans de l’IBK, 10 et 11 septembre 2011)
Myriam van der Brempt 5
La vérité comme adaequatio rei et intellectus, selon la formule latine consacrée, c’est-à-dire
la vérité comme « adéquation entre la chose (rei), la réalité et l’intelligence (intellectus), la
pensée ». C’est ce qu’on appelle la conception objective de la vérité : elle repose sur une
confrontation entre la réalité et ce que l’intelligence humaine peut en penser ou en dire.
Quand cette confrontation fait voir une adéquation entre les deux, la vérité est atteinte. Elle est
donc en principe observable, démontrable et partageable.
La vérité comme intuitio, c’est-à-dire bien sûr comme « intuition », au sens d’une
connaissance directe et immédiate, qui ne nécessite pas le recours au raisonnement. On parle
ici de pensée intuitive et non de cet autre sens du mot intuition, qui renvoie à la perception
extra sensorielle. Il s’agit de la conception subjective de la vérité : elle se présente avec
l’évidence d’un flash, et comme une certitude intérieure, subjective, non partageable.
La science, pour déployer son discours largement considéré comme vrai sur la réalité,
s’appuie sur la conception objective de la vérité. À l’origine, la question de la science était :
que peut-on affirmer de vrai sur comment est la réalité ? Répondre à cette question revient en
effet à tenir un discours scientifique fiable. Pour y parvenir, les chercheurs ont élaboré toute
une méthodologie permettant de confronter « rei » et « intellectus » et d’en vérifier de façon
sûre l’« adaequatio ».
Aujourd’hui, on ne pose plus la question, on y répond : est vrai ce qui réussit l’épreuve
de la méthodologie mise au point par la science pour vérifier l’adéquation entre la chose et
l’idée qu’on en a. Les succès extraordinaires remportés par la démarche scientifique depuis
quelques siècles et le pouvoir (le crédit, la crédibilité) que cela a donné à la science dans
l’opinion publique ont peu à peu eu pour conséquence de faire considérer que nest vrai que
ce qui réussit l’épreuve de la méthodologie scientifique. Tout est non vrai (donc non fiable,
douteux, à rejeter, car risqué, peut-être dangereux, etc.) jusqu’à preuve (scientifique) du
contraire. Tout ce qui n’est pas passé au tamis de la méthodologie scientifique consacrée est a
priori critiquable, contestable, voire condamnable.
Et c’est bien sur ce genre de généralisation abusive que s’appuient les scientifiques qui
discréditent des disciplines comme la kinésiologie en déclarant tout simplement qu’elles ne
sont pas scientifiques : « pas scientifique » ne signifie plus seulement « pas scientifiquement
prouvé », mais signifie « pas sérieux », « pas digne de foi », « pas vrai ».
Or, ce rapport de la science à la vérité perd de vue divers éléments, et s lors cette
conception, à mes yeux, manque de rigueur pour plusieurs raisons :
Tout d’abord, elle disqualifie l’intuition comme source possible de vérité. On comprend
bien pourquoi la science en est arrivée : l’intuition est beaucoup plus difficile à cerner, elle
est fugace, donc ses mécanismes sont plus difficiles à percevoir, à modéliser ; son caractère
subjectif la rend beaucoup plus difficile à partager, donc elle ne permet pas nécessairement de
se mettre d’accord à plusieurs, etc. La vérité comme adéquation entre la chose et l’intelligence
1 / 11 100%

La vigilance à l`égard des « dérives thérapeutiques », c`est notre

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !