Encore mal diagnostiqués
I
l est apparu que les troubles
bipolaires de l’humeur, pa-
tation et l’accélération psycho-
motrice peuvent coexister avec
l’humeur triste et la dévalorisa-
tion de soi, et certains patients
maniaques souffrent d’une fatigue
extrême avec déferlement de la
pensée). A partir des travaux ef-
fectués dans les années 1970, on
distingue les formes unipolaires
(récurrence des épisodes dépres-
sifs) et les formes bipolaires (sur-
venue d’épisodes dépressifs et
maniaques chez un même indi-
vidu). Les troubles bipolaires ont
été eux-mêmes subdivisés, et le
DSM IV (1994) reconnaît les
troubles bipolaires I, les troubles
bipolaires II (épisodes hypoma-
niaques) et les cyclothymies.
Des pièges diagnostiques
Des recherches sont actuellement
menées pour mieux caractériser
les différentes formes cliniques
pouvant induire les pièges dia-
gnostiques. Ainsi qu’il ressort
d’une étude épidémioclinique ré-
cente, EPIMAN II-Mille, la manie
mixte (coexistence de la manie
avec au moins deux symptômes
dépressifs associés) n’est ni la
forme extrême ni le stade terminal
de la manie. Elle se conçoit comme
une intrusion de la manie chez un
sujet avec des traits dépressifs per-
manents. Par comparaison avec la
manie pure, la manie mixte est dé-
finie par une moindre représenta-
tion des symptômes maniaques ty-
piques, par des troubles anxieux
et par des manifestations psycho-
tiques (dans 50 % des cas). Dans
le sous-groupe des manies psy-
chotiques non congruentes (sans
rapport compréhensible avec l’al-
tération de l’humeur), on retrouve
des phénomènes pathologiques
intercritiques, les idées délirantes,
les hallucinations auditives, le
comportement agressif, le rôle
du tempérament irritable, la
confusion fréquente avec le dia-
gnostic de schizophrénie ou des
troubles schizo-affectifs. Pour le
Pr J.-M. Azorin (Marseille), le fait
que tous les signes de la schizo-
phrénie peuvent être retrouvés
dans les états d’altérations de l’hu-
meur incite à jouer d’abord la carte
des médicaments thymorégula-
teurs. Quant aux manies psycho-
tiques congruentes, elles sont ca-
ractérisées par des idées délirantes
de grandeur, une grande distrac-
tibilité, le rôle du tempérament hy-
perthymique, les diagnostics an-
térieurs de troubles anxieux et de
troubles de la personnalité. Les dé-
lires sont considérés par certains
psychiatres comme une sorte de
“défense” contre les altérations de
l’humeur.
Par ailleurs, certaines études
confirment le poids de la vul-
nérabilité génétique dans les
troubles bipolaires et une impor-
tante comorbidité avec d’autres
troubles : 60 % des patients ont
un trouble addictif (principale-
ment l’alcoolisme) et la fréquence
du trouble panique et du trouble
obsessionnel compulsif est multi-
pliée par 20 par rapport à la po-
pulation générale. Comme le rap-
pelle le Pr J.-F. Allilaire (Paris), les
jeunes atteints d’un trouble bipo-
laire doivent faire l’objet d’une
surveillance particulière vu un
risque plus élevé (50 %) dû à
l’abus de “substances” (alcool,
psychotropes), en sachant qu’il est
difficile de maintenir le sevrage
sans traiter le trouble bipolaire.
Il faut savoir que des erreurs
de diagnostic sont possibles dans
toutes les phases du trouble
bipolaire. En phase maniaque
sévère, la présence d’éléments
psychotiques associés à une mé-
diocrité du jugement et une
Les troubles maniacodépressifs bipolaires nécessitent le traite-
ment des épisodes aigus et la prévention des récurrences, avec
la perspective de diminuer leur retentissement sur la vie fami-
liale et sociale et de réduire le risque de suicide. La prise en
charge est actuellement insuffisante.
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Troubles bipolaires de l’humeur
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Professions Santé Infirmier Infirmière - No42 - décembre 2002
thologie chronique, englobent
une large variété des formes syn-
dromes cliniques, ce qui induit des
pièges diagnostiques. Ainsi, les
masques trompeurs des troubles
anxieux des personnalités patho-
logiques ou des symptômes psy-
chotiques peuvent être à l’origine
d’un retard de diagnostic et de trai-
tement approprié.
Des troubles récurrents
Les troubles bipolaires sont pra-
tiquement toujours récurrents au
cours de l’existence, et suscitent
de plus en plus l’intérêt des psy-
chiatres, comme en témoigne le
nombre croissant des communi-
cations dédiées à ce sujet lors des
congrès. Le trouble bipolaire I dé-
bute souvent à l’adolescence ou
chez l’adulte jeune, et sa préva-
lence sur la vie est estimée à 1 %.
Cela dit, une étude zurichoise a
rapporté un taux de 5,5 % en in-
cluant l’ensemble des troubles, y
compris des catégories de l’hy-
pomanie (manie modérée) et des
tableaux atypiques. En fait, de
nombreux patients qui sont at-
teints d’une grande instabilité de
l’humeur (mise en évidence par
l’agenda de l’humeur) ne se re-
connaissent pas comme malades.
Bref, à l’heure actuelle, on assiste
à un élargissement du spectre bi-
polaire et à une nouvelle noso-
graphie des troubles de l’humeur.
Pour E. Kraepelin (1921), le ca-
ractère endogène et la récurrence
des accès constituaient les prin-
cipales caractéristiques de la psy-
chose maniacodépressive, définie
par la présence simultanée de la
manie et de la dépression (l’exal-
expérience de déréalisation en-
traînent la difficulté à faire la dis-
tinction entre manie et psychose.
Parmi les éléments en faveur de la
manie, citons l’hyperactivité, l’in-
stabilité, la manie précédant les
éléments psychotiques, la pro-
éminence des symptômes thy-
miques. L’hypomanie se différen-
cie des moments d’hyperactivité
“normaux” par le caractère récur-
rent du changement brutal de l’hu-
meur, et disproportionné par rap-
port à l’événement déclenchant,
par la colère associée, par la per-
turbation du jugement social. En
phase dépressive, l’errance dia-
gnostique est liée à la pauvreté de
l’“insight” (capacité de prise de
conscience du patient des phases
hypomaniaques). La prescription
d’un antidépresseur sans détection
du trouble bipolaire comporte le
risque de virage de l’humeur ou
d’une aggravation inattendue. Cer-
tains spécialistes s’interrogent sur
l’implication de l’usage excessif des
antidépresseurs dans l’évolution
de la maladie vers la mixité.
Le traitement des troubles bipo-
laires fait appel aux thymorégula-
teurs : le lithium, la carbamazépine,
le valproate de sodium, la valpro-
mide et le dernier arrivé sur le
marché, le divalproate de sodium.
Toutefois, les récentes recomman-
dations américaines proposent
également l’emploi des antipsy-
chotiques atypiques comme l’olan-
zapine ou la rispéridone.
Une prise en charge élargie
La prise en charge du patient bi-
polaire ne se limite pas aux mé-
dicaments. Elle comprend la pro-
position d’une psychothérapie ou
de l’apprentissage des techniques
de gestion du stress et des règles
de l’hygiène de vie. Sans oublier
l’information de l’entourage sur
les signes annonciateurs d’une re-
chute maniaque, les risques liés
àla maladie (répercussions so-
cioprofessionnelles, conduites à
risque, alcoolisation, suicide) et
les effets secondaires possibles
des traitements. L’authentification
de la maladie bipolaire du patient
et les explications données au
conjoint du patient sont capitales
pour prévenir ses réactions d’in-
tolérance. Car le conjoint souffre
(dans 93 % des cas) du compor-
tement maniaque (tension inté-
rieure, agressivité, mise en cause
de la vulnérabilité d’autrui, accu-
sation du fonctionnement fami-
lial, attitudes d’opposition, com-
portement déraisonnable) et a
besoin lui-même d’être soutenu
par les soignants.
L.C.
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Troubles bipolaires de l’humeur
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Professions Santé Infirmier Infirmière - No42 - décembre 2002
La syphilis
revient en force
La syphilis est de retour en France et
les autorités sanitaires ont décidé
d’étendre la campagne de dépistage
menée depuis cet été à Paris aux
villes de province. Celle-ci sera surtout
ciblée sur les gays et les bisexuels mas-
culins, principales victimes de la ré-
surgence de cette MST qui avait qua-
siment disparu depuis dix ans. Une
recrudescence de la syphilis et des
autres MST est aussi enregistrée dans
les grandes métropoles étrangères.
Cela est attribué au relâchement de la
prévention et à la reprise de conduites
sexuelles à risques, sans préservatif. A
Paris, 155 cas de syphilis évolutive
chez des personnes n’ayant pas de
symptôme décelable ont été détectés
selon les résultats rendus publics.
Pas d’aspirine
pour les moins de 16 ans
En cas de fièvre chez un enfant de
moins de 16 ans, l’Agence française de
sécurité sanitaire des produits de santé
(AFSSAPS) recommande d’employer
en première intention du paracétamol
et non de l’aspirine. En effet, cette der-
nière a été associée à un risque minime
de survenue d’un syndrome de Reye,
une pathologie rare touchant le foie et
le cerveau. Aux États-Unis, un lien a
été démontré au début des années
1980, entre la prise d’aspirine au cours
d’un épisode viral aigu et la survenue
d’un syndrome de Reye, essentielle-
ment chez l’enfant.
Les maladies
inflammatoires chroniques
de l’intestin moins rares
Les maladies inflammatoires chro-
niques de l’intestin (MICI), regroupant
la maladie de Crohn et la rectocolite
hémorragique, ne sont plus aussi rares.
Considérées comme des affections
orphelines, elles ne bénéficient pas
d’un traitement curatif adapté. Face au
nombre croissant de malades, l’Asso-
ciation François-Aupetit s’est lancée
dans une vaste campagne d’informa-
tion et de sensibilisation.
Brèves...
Facteurs
sociodémographiques
et facteurs de risques
Le ratio du trouble bipolaire
est d’une femme pour un
homme. Il existe certaines dif-
férences : les formes à cycles ra-
pides seraient plus fréquentes
chez les femmes.
L’âge moyen de début serait
de 21 ans selon l’étude ECA.
Mais la maladie peut apparaître
à n’importe quel moment de la
vie. On constate un rajeunisse-
ment de l’âge du début.
Le trouble est plus fréquent
en zone urbaine que rurale et
moins fréquent chez les gens
mariés n’ayant jamais divorcé.
Il n’y a pas d’influence ni
d’origine ethnique, ni d’appar-
tenance sociale.
Des études soulignent les
facteurs de risque socio-envi-
ronnementaux, psycho-affec-
tifs et surtout biologiques. La
vulnérabilité du terrain géné-
tique semble démontrée.
Dans plus de la moitié des
cas, le trouble bipolaire est as-
socié à au moins une autre en-
tité diagnostique, principale-
ment l’alcoolisme et l’abus
de substances (consommation
6,6 fois supérieure à la popula-
tion générale).
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