LIBRAIRIE ANCIENNE ROGER SIBLOT INSTITUTION D’UN PRINCE OU TRAITÉ DES QUALITÉS, DES VERTUS ET DES DEVOIRS D’UN SOUVERAIN C’est dans une très belle reliure d’époque que se présente ce singulier et très intéressant ouvrage écrit par l’abbé Duguet, Institution d’un prince ou Traité des qualités, des vertus et des devoirs d’un souverain, et publié en 1739. L’homme Théologien et moraliste, Jacques Duguet (1649-1733) était le fils d’un avocat du roi au présidial de la ville de Montbrison. Il fit ses études au collège de l’Oratoire de Montbrison et rejoignit la Congrégation en 1667. Il fut ensuite envoyé à Troyes pour y enseigner la philosophie puis à Paris où il fut ordonné prêtre. A partir de ce moment, il commença à donner des conférences sur l’histoire ecclésiastique, de 1678 à 1679, qui contribuèrent à faire sa réputation. Suite au décret pris par l’Oratoire visant la proscription du cartésianisme et du jansénisme, Duguet quitta la congrégation en raison de son attachement au jansénisme, en particulier. Il se retira alors à Bruxelles auprès d’Arnaud, « l’oracle de tout ce parti ». Pendant cette période, Duguet « dirigeait la conscience de plusieurs dames du monde » notamment Mme d’Aguesseau, la mère du chancelier (GDU, t. 6, p. 1362). Mais il rentra rapidement en France où il vécut alors en retraite totale, à Troyes encore, mais aussi en Hollande. Cet isolement lui fut, en quelque sorte, imposé en raison du parti qu’il avait pris dans les affaires de l’Eglise. En effet, bien que l’un des plus modéré du parti, Duguet montrait un attachement très fort à la cause de Jansénius et Quesnel. Duguet fut un auteur particulièrement fécond, mais dont le travail a souvent été sousestimé des ecclésiastiques. Cependant, il effectua quelques séjours à l’abbaye de la Trappe où il rencontra Saint-Simon qui ne tarissait pas d’éloge sur lui : « J’en fus charmé (…) Tout lui fournissait de quoi dire et instruire ; mais si naturellement, si aisément ; avec une simplicité si éloquente et des termes si justes et si exacts, si propres, qu’on était également enlevé des grâces de sa conversation et en même temps épouvanté de l’étendue de ses connaissances » (GDU, t. 6, p.1362). Lorsque Duguet décéda en 1733, il était alors reconnu et « estimé, pour ses connaissances et ses vertus, de ceux mêmes qui ne partageaient pas ses prétentions » (Michaud, t. 1, p.463). On a d’ailleurs comparé sa morale à celle de Nicole et « la grâce et l’élégance du style » de ses écrits à Fénelon (Vapereau, p.670). André, l’ancien bibliothécaire de d’Aguesseau lui consacra d’ailleurs un livre, L’Esprit de M. Duguet, ou précis de la moralité chrétienne, tiré de ses ouvrages en 1764. Il laissa ainsi de nombreux ouvrages sur le thème de la moralité chrétienne, de la religion et de l’exégèse des textes sacrés, notamment le Traité de la prière publique (1707), Règles pour l’intelligence des Saintes Écritures (1716), Explication du mystère de la Passion (1728), ou encore Traité des principes de la foi chrétienne (1736). L’ouvrage L’institution d’un prince fut composée par l’abbé Duguet pour le duc de Savoie, depuis roi de Sardaigne. En effet, Victor-Amedée, duc de Savoie, avait rétabli dans la ville de Tamiers, une ancienne maison où il entreprit une réforme semblable à celle de la Trappe réalisée en 1660 par Armand Jean Le Bouthillier de Rancé, qui visait au retour à la fidélité de la Règle de saint Benoît. Pour conduire la réforme de Tamiers, l’abbé de Trappe envoya un de ses religieux, le père Arsène de Parasa, envers qui le duc de Savoie développa une confiance absolue. Le duc le consultait très souvent, notamment sur des questions d’éducation de son fils, le Prince de Piémont, et la manière d’en faire un bon souverain. En effet, le duc de Savoie souhaitait que le Prince de Piémont règne sur l’Espagne. Il fallait donc lui procurer l’enseignement nécessaire pour qu’il soit à même de comprendre les obligations d’un prince et qu’il soit capable de régner sur une si grande monarchie. Ami de Duguet, l’abbé de Tamiers connaissait son savoir et son talent et fut rapidement persuadé que Duguet serait le mieux indiqué pour cette tâche. Ainsi, l’abbé de Tamiers lui proposa de rédiger un « Traité des devoirs d’un grand Prince » à l’usage du Prince de Piémont. Ce traité ne devait donc pas s’adresser à un futur prince, dont il faudrait assurer l’éducation dès l’enfance, mais à « prince tout formé, et en état de gouverner par lui-même ». Dans un premier temps, Duguet refusa la proposition de son ami, puis finit par l’accepter mais à la condition que son nom n’apparaisse pas et que l’ouvrage soit publié sous le nom de l’abbé de Tamiers. Contraint, ce dernier accepta et prétendit que le livre était de la main de l’un de ses amis, mais à la condition que Duguet rédige tout de même la lettre au duc de Savoie qui devait accompagner l’envoi de l’ouvrage. Le duc de Savoie fut très satisfait de l’ouvrage et voulut savoir qui en était l’auteur, mais l’abbé de Tamiers refusa toujours de divulguer son identité. L’ironie du sort voulut que Duguet se rendit plusieurs fois à Tamiers et y rencontra le duc de Savoie. L’éditeur du livre de Duguet ayant retrouvé les deux lettres adressées au duc de Savoie et au Prince de Piémont, les a jointes à la présente édition. Duguet propose dans ce livre un véritable guide sur l’art et la manière d’être un bon Prince, un bon souverain. Celui-ci s’adresse bien entendu en premier lieu au Prince de Piémont, mais la forme impersonnelle et générale de sa rédaction en fait un ouvrage qui pourrait être utilisé par n’importe quel prince. Dans une première partie, l’auteur décrit les qualités et les défauts qu’un prince se doit ou non de posséder pour être « en état de régner ». Par exemple, il ne doit jamais oublier d’où il tient son pouvoir, rester humble et se rappeler qu’il appartient à la République et qu’il doit « représenter la conduite de Dieu par la sienne ». Le Prince devra également toujours prendre garde à bien connaître les hommes pour se prémunir notamment contre la flatterie. Et Duguet consacre divers développements sur la manière de reconnaître les flatteurs et les écarter. Puis dans une seconde partie, après avoir expliqué au Prince comme il devait être, Duguet va lui enseigner ce qu’il doit faire, quelle devra être sa conduite une fois qu’il règnera. Il s’agit alors d’examiner quels sont les devoirs du Prince. Duguet se limite ici aux seuls devoirs ayant un rapport avec le gouvernement temporel. Ainsi, le prince doit aimer son peuple, il doit rendre la justice, il doit gouverner avec sagesse, il doit être vertueux pour donner l’exemple à son peuple, etc. Et là encore, l’auteur décline avec précision et clarté les différents moyens pour le prince de mettre en œuvre les actions qui lui incombent. Enfin, Duguet explique ensuite que le prince doit être un bon chrétien car il est le chef d’une « société fidèle et chrétienne ». Il s’agit très certainement de la première édition dans ce format, publiée pour la première fois, à titre posthume. Ainsi, la préface de l’éditeur relate qu’une première impression eût lieu, mais que l’abbé Duguet fit ce qu’il pût pour faire disparaître cette copie. Quérard cite une édition de 1729, chez le même éditeur que la nôtre, mais également une édition londonienne de 1739 (Quérard, 2, p. 653). Brunet ne cite que notre édition : Leyde, 1739 (Brunet, t. 6, 423) INSTITUTION D’UN PRINCE OU TRAITÉ DES QUALITÉS, DES VERTUS ET DES DEVOIRS D’UN SOUVERAIN [Abbé Duguet] Réf. 000549 – Prix : 350 € À Leide, chez Verbeek, 1739 4 volumes in-12 – reliure de l’époque plein veau brun. Dos à cinq nerfs, ornés et dorés. Filets dorés en marge des plats et sur les champs. Pièces de titre rouges. Pièces de tomaison rouges ornées et dorées. Tranches dorées. Coiffes frottées. Un petit manque sur les coiffes de tête. Légers frottements sur les plats. Mors frottés, un peu fendus sur le t.1 au niveau de la coiffe de tête. Intérieur frais avec quelques rousseurs. Deux signets dans chacun des volumes. Malgré les imperfections signalées, très beaux exemplaires. À NOTER Un ex-libris dans chacun des volumes au nom de Bourlon de Rouvre avec la devise « in robore robur ». L’ex-libris est signé Agry, aux armes, d’azur à 1 fasce d’argent chargée de 3 besants de gueules, accompagné de 3 roses d’or : 2 chef et 1 en pointe. L’ex-libris est celui de Charles Bourlon de Rouvre, industriel et homme politique d’origine troyenne (1850-1924. Député de la Haute-Marne, il fut président de l’Institut Colonial.