La faiblesse de leur chiffre fut fatal à Marie Stuart, Marie-Antoinette et au prince de Rohan,
lorsqu’ils tentèrent de comploter.
On sait qu’à cause de la non-utilisation du chiffre, des batailles ont été perdues. Le général
Bardin écrit que l’usage du chiffre a disparu en 1814 et que Berthier expédiait les ordres pour
ajouter les garnisons de l’étranger à l’armée et qu’il le faisait en clair. Il va même jusqu’à
dire : “Peut-être, le sort de la France et la face de l’Europe ont ils dépendu de la désuétude de
la cryptographie !”6
Soljenitsyne, dans des lignes poignantes, explique pourquoi la bataille de Tannenberg a été
une hécatombe prévisible : le colonel d’État-major Vorotyntsev écrivit au Grand Quartier
Général et il expliqua la situation au lieutenant-général. À la carte encollée de Vorotyntsev, on
ajouta deux feuillets ; cela se fit en présence de Filimonov, dans le bureau des “opérations”.
Vorotyntsev demanda le chiffre des radiotélégrammes pour le 1er corps ; Filimonov fronça les
sourcils : “Quel chiffre ? Nous ne chiffrons pas”7. Si, dans son ouvrage La guerre de 14-18,
l’historien allemand Werner Beumelburg ne mentionne pas le chiffre dans le chapitre consacré
à Tannenberg, Ludendorff et Hoffmann le font dans leurs mémoires.
Le chiffre accompagne les campagnes militaires comme les trois Parques. Elles commencent,
se déroulent et se terminent avec lui. Le 11 novembre 1918, il aura le dernier mot. Un
contrôleur honoraire de la police est alors un témoin privilégié des pourparlers de Rethondes,
puisqu’il voyage en tant qu’attaché au bureau des services spéciaux du G.Q.G, dans le train qui
conduit les plénipotentiaires allemands. Il consigne toutes ses observations du 6 au 11
novembre 1918. “Le matin du 10 novembre, les deux trains se trouvent toujours immobiles et
parallèles. Deux nouveaux officiers de l’armée impériale surviennent bientôt, deux lieutenants
chiffreurs Rohde et Pistch ainsi que leur chef, le major Brinnkramm (sic ! Ce ne sont pas des
noms chiffrés ! ). Les plénipotentiaires doivent être mis au courant de ce qui se passe en
Allemagne. Une dépêche du Maréchal Hindenburg venant de lui être remise, la délégation
allemande demande le temps nécessaire pour la faire déchiffrer. Le repas du soir est le plus
triste de tous. La fièvre monte à nouveau. Nous ne dormons plus. 11 novembre 1918 ! Vers
2h15 les parlementaires, le col de leur manteau relevé, gagnent le train du Maréchal. 5h10 :
l’Armistice a été signé !”
En 80 ans, le chiffre a connu une véritable mutation, tant dans les moyens de
chiffrement, que dans le profil des chiffreurs. La Première Guerre mondiale va exploiter cette
discipline d’autant plus intensément que le progrès met de nouveaux outils à la disposition des
belligérants : le téléphone, la télégraphie sans fil, la radio, les écoutes et la radiogoniométrie.
La multiplication des messages favorisée par la technique, l’étendue et la mobilité du front,
obligent alors à communiquer en langage secret. Par la suite, on est ainsi passé du chiffre
manuel “crayon-papier” de la Première Guerre aux machines de la Seconde Guerre, d’Enigma,
Red, Purple, à la KL7 à rotors de l’OTAN puis, plus tard, à Myosotis, pour arriver au chiffre
électronique intégré dans les moyens de communication et les terminaux.
Chiffre et information
La cryptologie est un morceau du puzzle du renseignement :
Le renseignement convoque un idéal d’exhaustivité des connaissances, qui s’affirme
au XIXe siècle : il cesse d’être exclusivement militaire pour englober la totalité de l’espace
politique. N’étant limité en pratique que par les moyens qui peuvent y être mis en œuvre, il
s’étend des techniques de guerre (ordre de bataille, capacités et mode d’emploi des systèmes
d’armes, codes, chiffres et communications, théorie et pratique de la tactique et de la stratégie
des forces adverses), à l’ensemble des informations concernant les États actuellement ou
potentiellement ennemis, leurs dirigeants et leurs objectifs, mais aussi les opposants
intérieurs, réels ou supposés, les leurs comme les nôtres8.
Le secret que cache un message chiffré s’emboîte comme une poupée russe dans
l’autre secret qu’est le renseignement dans sa globalité.
Une sculpture, symbolisant la cryptologie, se dresse à l’entrée du siège de la CIA à Langley.
Des centaines de lettres y sont gravées, reproduisant un message chiffré. Seuls l’artiste,