L
ucie, onze ans, a été hospitalisée
dans le service de pédiatrie de
l’hôpital d’Orsay en février 2008
afin d’éclaircir une symptomatologie
sans réponse depuis une année.
UNE ANNÉE DE FIÈVRE
INTERMITTENTE
Début 2007, Lucie a dix ans quand com-
mencent à se succéder chez elle des épi-
sodes de fièvre élevée (39 °C) d’une di-
zaine de jours, accompagnés d’asthénie,
d’anorexie et de perte de poids, entre-
coupés de périodes apyrétiques avec
état satisfaisant. Ces poussées fébriles
sont isolées et n’évoquent aucune pa-
thologie digestive, pulmonaire, neuro-
logique ou autre. Parmi les examens de-
mandés par son médecin traitant, la
seule anomalie trouvée est une VS éle-
vée à 45 mm à la première heure.
Lucie est vue une première fois en
consultation hospitalière en juin 2007
avec la même pauvreté séméiologique
hormis le syndrome inflammatoire mo-
déré. Une sérologie au mycoplasme,
douteuse, fait prescrire de la Josacine
®
,
mais cette thérapeutique est vite aban-
donnée. La persistance des troubles
conduit, en septembre de la même an-
tés respiratoires. Néanmoins, n’importe
quel symptôme physique peut exister
dans ce contexte. Bien entendu, toutes
ces plaintes sont déroutantes pour le
médecin, qui doit arriver à discerner
parmi elles un ou plusieurs signes cli-
niques objectifs anormaux de manière à
ne pas méconnaître une réelle patholo-
gie d’ordre somatique. De même, il faut
éviter la multiplication des examens
complémentaires inutiles, qui vont par-
fois enrichir la symptomatologie de
l’adolescent somatisant. Dans notre ob-
servation, bien qu’il eut été facile, lors
de la seconde hospitalisation, de s’arrê-
ter à nouveau à un diagnostic psychia-
trique, l’objectivation de la fièvre pous-
sait d’emblée à entamer des explora-
tions somatiques bien légitimes.
TROUBLES PSYCHIATRIQUES
ET MALADIE LUPIQUE
Le deuxième problème soulevé par cette
observation est celui de l’interprétation
du syndrome dépressif initial. On peut
se demander a posteriori si ces manifes-
tations psychiatriques n’étaient pas les
manifestations initiales de ce lupus éry-
thémateux disséminé. Effectivement, un
certain nombre de troubles psychia-
triques existent de manière réelle dans
la maladie lupique. La dépression, au
même titre que d’autres troubles de l’hu-
meur, des troubles anxieux, cognitifs et
même des troubles psychotiques peu-
vent faire partie intégrante des manifes-
tations du lupus. le syndrome dépressif
est observé, selon les auteurs, dans 16 à
52 % des lupus. Les mécanismes pou-
vant être à l’origine des troubles psy-
chiatriques sont divers. Le lupus par lui-
même peut en être la source ; c’est ce
que l’on appelle le neurolupus. Un cer-
tain nombre de troubles psychiques vont
être liés indirectement au lupus via un
infarctus cérébral, une insuffisance ré-
nale, une HTA maligne, un syndrome
des antiphospholipides, ou encore une
hémorragie intracrânienne induite par
une thrombopénie. Enfin, certains
signes psychiatriques peuvent être des
effets secondaires directs des traite-
ments corticoïdes mis en place.
Dans notre dossier, il est bien difficile,
Médecine
& enfance
décembre 2008
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voire impossible, de juger a posteriori
du lien entre l’épisode dépressif initial
et des manifestations quelques mois
plus tard très clairement liées au lupus.
CONSÉQUENCES DE L’ANNONCE
Enfin, la dernière difficulté ici est celle
des conséquences de l’annonce d’un dia-
gnostic de maladie sévère et chronique
chez une adolescente déjà en difficultés
psychologiques. Il est bien clair que l’an-
nonce a elle-même été source d’anxiété
pour Malika et a renforcé des craintes
existentielles déjà présentes. De ce fait,
la prise en charge au long cours de cette
jeune fille se doit d’être la plus globale
possible, offrant à la fois une écoute
pragmatique et empathique.
Bibliographie
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Rheumatol., 2002 ; 29 : 1536-42.
Une bonne clé pour un diagnostic délicat
J. Lerner, service pédiatrie, centre hospitalier d’Orsay
née, à l’hospitalisation de Lucie dans un
service de pédiatrie. Son état est alors ju-
gé médiocre : net amaigrissement (près
de 3 kg), asthénie et fièvre intermitten-
te. L’examen clinique est sans particula-
rité : abdomen parfaitement souple et
indolore, aucun trouble digestif, foie et
rate normaux, appareil respiratoire nor-
mal. On ne note ni toux ni sueurs ; pas
de signes méningés, ni d’arthralgie, ni
d’arthrite. Les urines sont stériles. La
courbe de croissance ne montre aucun
fléchissement. Un large screening est
pratiqué comprenant toutes les sérolo-
gies habituelles. Elles reviennent néga-
tives. Numération et ionogramme sont
normaux. Seul le bilan inflammatoire
montre une anomalie : la CRP n’est qu’à
14 mais la VS atteint 53 mm.
Signalons, dans la batterie des examens
complémentaires, l’existence à l’échogra-
phie d’une minime lame liquidienne
dans le cul-de-sac de Douglas, sans gran-
de signification, alors que fut négligée,
semble-t-il, l’étude échographique de
l’intestin grêle, dont on verra l’intérêt.
Après quelques jours d’hospitalisation,
son état s’améliorant sous Apranax
®
,
l’enfant sort avec ce traitement et le dia-
gnostic de « fièvre prolongée inexpli-
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