“ Peut on pirater un pacemaker ou un défibrillateur ?

8 | La Lettre du Cardiologue n° 472 - février 2014
ÉDITORIAL
Peut on pirater un pacemaker
ou un défibrillateur ?
Can intracardiac defibrillators or pacemakers
behacked?
V. Algalarrondo,
C. Juin
Service de cardiologie, hôpital
Antoine-Béclère, Clamart.
Piratage des prothèses rythmologiques : réalité ou fiction ?
Lépisode 10 de la saison 2 de la série Homeland (récompensée aux Emmy Awards),
joliment intitulé “Cœurs brisés”, a été vu par environ 7 millions de personnes auxÉtats-
Unis. Pour un porteur de prothèse rythmique, l’une des séquences était particulièrement
effrayante. Le vice-président des États-Unis étreint sa poitrine et décède dans
sonbureau situé à l’intérieur d’une base hypersecrète de Washington. Le décès
estprovoqué par le piratage du stimulateur de l’homme d’État par un méchant terroriste
qui, à un continent et demi des États-Unis, envoyait des impulsions cardiaques
meurtrières et répétées, et ce avec un équipement somme toute assez conventionnel
comprenant un ordinateur (et un traître infiltré)…
Cet épisode médiatique mit sur le devant de la scène une question réelle, celle
delasécurité des équipements de santé informatiques (stimulateurs, défibrillateurs mais
aussi pompes à insuline). Il est vrai que, contrairement aux ordinateurs classiques,
lesstimulateurs cardiaques présentent plusieurs caractéristiques spécifiques : il s’agit
d’appareils implantés physiquement dans le corps du patient (donc sans possibilité
defuite), dont le fonctionnement est constant (même lors des périodes de sommeil), et
sur lesquels l’usager na pas directement de possibilité d’action (on narrête pas soi-même
son stimulateur). Or, une prothèse défaillante peut mettre la vie du patient en danger,
soit par bradycardie extrême, soit par induction d’une arythmie ventriculaire grave.
Cette question émerge alors même que la télécardiologie, qui permet de communiquer
avec les prothèses plus fréquemment et dans de nouveaux lieux (domicile du patient),
prend véritablement son essor. Si l’on suit une double logique médicale et de sécurité,
l’appareil devrait remplir plusieurs obligations, parfois contradictoires :
la sécurité au quotidien : dans le cadre d’une utilisation normale, le dispositif doit
répondre à toute demande d’information et à toute modification de sa programmation,
et ce dans des situations très diverses (contrôle programmé, bloc opératoire, urgences).
la détection, par exemple, de chocs inappropriés peut nécessiter une désactivation
temporaire des thérapies antitachycardiques ;
la défense contre une utilisation malveillante : dans ce cas, le dispositif ne doit
surtout pas répondre ni obéir aux injonctions qui lui sont lancées, par exemple l’inacti-
vation malveillante des mêmes thérapies antitachycardiques…
Bien sûr, aucun défibrillateur nest capable de faire la différence entre une demande d’accès
légitime ou malveillante. Le patient ne peut pas, lui non plus, autoriser ou interdire l’accès
à la programmation de l’appareil en dernier ressort. En effet, il peut ne pas toujours être en
capacité de donner son consentement. Deux questions majeures se posent donc : en dehors
d’un contexte cinématographique, peut-on réellement pirater une prothèse (stimulateur,
défibrillateur) ? Si oui, quelles sont les solutions envisagées pour limiter le risque ?
Extraits de l’épisode 10 de la saison 2 de Homeland
La Lettre du Cardiologue n° 472 - février 2014 | 9
ÉDITORIAL
Pirater un défibrillateur à peu de frais : la littérature
Une brève revue de la littérature permet de constater que l’intrusion dans les prothèses
rythmiques, et en particulier dans les défibrillateurs implantables, a déjà préoccupé la
communauté rythmologique. Ainsi, D. Halperin et al. rapportèrent en 2008 la première prise
de contrôle à distance d’un défibrillateur avec induction d’un choc à l’aide d’un émetteur
radio, d’un ordinateur et d’un oscilloscope(1). La procédure était décrite comme
relativement aisée car les communications entre les défibrillateurs et les programmateurs
nétaient pas particulièrement codées. Lensemble du matériel et des logiciels nécessaires à la
procédure était lui aussi facilement disponible. Toutefois, le piratage était restreint par la
fréquence utilisée par l’appareil(175 kHz), dont la courte portée limitait la distance maximale
pour communiquer avec le défibrillateur (moins de 10cm). Cette communication à très
courte distance était d’ailleurs un handicap pour le rythmologue implantant un défibrillateur,
car ilnécessitait l’emploi d’une tête de télémétrie enveloppée dans une “chaussette” stérile
pour effectuer les réglages initiaux lors de l’implantation de l’appareil.
La technologie évolue, les pirates aussi... En effet, les défibrillateurs se sont mis à
communiquer sur des gammes de fréquences médicales permettant des transmissions à plus
grande distance (une dizaine de mètres). Cette communication a permis d’une part
desepasser de la présence physique de la tête de télémétrie dans le champ opératoire lors
del’implantation ; elle fut utilisée d’autre part pour la télécardiologie qui recueille
quotidiennement les informations des prothèses et les transmet à l’équipe médicale. Usant
dece nouveau mode de transmission, Jack Barnaby, un expert en sécurité informatique,
démontra qu’il pouvait, dans un rayon de 10mètres, savoir s’il y avait un ou
desdéfibrillateurs, trouver leur numéro de série, et les pirater(2). Il insista sur le manque
deprotection pour entrer dans le système : il existait bien un identifiant et un mot de passe
mais ceux-ci s’avéraient en fait être le numéro de série et le type de modèle de l’appareil...
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ÉDITORIAL
Ces dernières informations étaient, elles aussi, faciles à découvrir, puisque les défibrillateurs
pouvaient répondre à une requête envoyée elle aussi à distance. Prenant le contrôle
d’unappareil en démonstration, il le fit “défibriller” en direct, ce qui “choqua” l’assistance.
Lematériel nécessaire pour réaliser cette procédure était, encore une fois, accessible
aucommun des mortels : un ordinateur couplé à un émetteur radio. Une nouvelle
démonstration des capacités de pirates des dispositifs médicaux de Jack Barnaby était prévue
au cours de l’été 2013 en Californie lors de la conférence “Black Hat”, mais malheureusement,
le hacker estdécédé quelques jours avant l’ouverture du congrès de... mort subite (et
prématurée puisqu’il avait 35ans). Quoi qu’il en soit, le piratage d’une prothèse est donc
possible, etrequiert un équipement peu onéreux et disponible.
La protection des prothèses : quand la science dépasse la fiction
Comment se prémunir contre ces attaques potentielles ? Dans l’idéal, les solutions doivent
être simples pour le patient et l’équipe médicale, acceptables psychologiquement et
socialement, transposables aux anciennes comme aux nouvelles versions de prothèses,
sobres en consommation d’énergie (ne réduisant pas la durée de vie d’une prothèse), et, bien
sûr, elles doivent permettre les modifications souhaitées par l’équipe médicale (programmées
ou urgentes) tout en empêchant les intrusions extérieures. Les différentes solutions étudiées
ont été récapitulées par un travail de T. Denning en 2010 (3). En raison de leur caractère
souvent contraignant, ces systèmes semblent essentiellement destinés à la protection des
hautes personnalités. À ce titre, une récente interview de Dick Cheney, 46e vice-président
des États-Unis de 2001 à 2009, nous a permis d’apprendre qu’il avait bénéficié en 2007 de
l’implantation d’un défibrillateur automatique dont la programmation avait été modifiée
pour empêcher les communications à distance. Les États-Unis interviennent alors en Irak
eten Afghanistan, et la menace d’un piratage à distance du défibrillateur semblait crédible
pour son cardiologue, le Dr. Jonathan Reiner (4).
Pour en revenir aux différents systèmes de protection, la solution du mot de passe peut
être rapidement évacuée... Un mot de passe universel “médecin” deviendrait vite public,
etlesrisques d’oubli ou de partage semblent évidents.
Certains auteurs ont proposé de faire porter un signe distinctif au patient permettant au
médecin d’entrer dans la programmation de la prothèse, comme un bracelet ou un tatouage
(standard, ou uniquement visible aux ultraviolets). Outre un refus très probable des patients
d’unteltype de solution, la perte ou la dégradation du signe en question pourrait provoquer
desdifficultés d’accès à la prothèse en urgence.
Les patients pourraient porter des bracelets restreignant ou filtrant l’accès à la prothèse.
Ces “pare-feux” peuvent restreindre l’accès uniquement aux parties préspécifiées (équipe
médicale de référence). Ils peuvent aussi être programmés pour alerter le patient (sonnerie)
ou les urgences quand une situation critique est détectée (tentative d’intrusion, arythmie
cardiaque). Ces systèmes doivent être portés en permanence et alimentés pour être
fonctionnels. On peut toutefois s’interroger sur l’utilité des sonneries quand certains patients
sont malentendants, ou sur la pertinence de prévenir un patient qu’il est en train de faire
unearythmie ventriculaire grave, que celle-ci soit spontanée ou déclenchée par un acte
demalveillance (le patient est peut-être déjà inconscient).
1. Halperin D, Heydt-Benjamin
TS, Ransford B et al. Pacema-
kers and implantable cardiac
defibrillators: software radio
attacks and zero-power defenses
[Internet]. In: Security and
Privacy, 2008. SP 2008. IEEE
Symposium on 2008:129-42
[cited 2013 Jun 14].
2. Fatal risk at heart of lax
security [Internet]. Syd Morning
Her [cited 2013 Jun 16].
3. Denning T, Borning A,
Friedman B et al. Patients,
pacemakers, and implantable
defibrillators: human values and
security for wireless implantable
medical devices [Internet].
In: Proceedings of the 28th
international conference on
Human factors in computing
systems, 2010;917-26 [cited
2013 Jun 16].
4. Cheney’s defibrillator was
modified to prevent hacking
[Internet]. CNN. [cited 2014
Feb 2] ; Available from: http://
www.cnn.com/2013/10/20/
us/dick-cheney-gupta-inter-
view/index.html
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Enfin, des solutions ne requérant aucune intervention du patient ont aussi été envisagées.
Parmi celles-ci, la levée des limites d’accès quand l’appareil détecte une situation critique
(arythmie ventriculaire, ou position allongée, instabilité hémodynamique). Quand on
connaît les difficultés rencontrées par les ingénieurs et les rythmologues pour réduire le taux
de thérapies inappropriées, on frémit à l’idée de “laisser les clés de la maison” aux mêmes
appareils et à leur sagacité...
Conclusion
Ainsi, il convient de ne pas se voiler la face : les stimulateurs et défibrillateurs modernes,
tels qu’ils sont actuellement conçus, peuvent être piratés. La distance entre un potentiel
pirate et sa victime étant d’une dizaine de mètres, réaliser un tel piratage sans être détecté
estpossible. Les porteurs de défibrillateurs semblent particulièrement exposés puisqu’ils
peuvent stimuler le cœur et lui délivrer des chocs de cardioversion. Les solutions proposées
sont encore au stade d’hypothèses de recherche, et aucune ne fédère un consensus parmi
lesmédecins et les patients. Or, si le crime est si aisé et la défense si pauvre, l’absence de
piratage effectif répertorié à ce jour peut nous interpeller. Il est vrai que ce type de crime
présuppose, outre la volonté malveillante, une bonne connaissance en électronique et en
rythmologie. Autant dire que si la possibilité technique existe, la volonté manque et ce
nouveau type de cybercrime semble particulièrement complexe en regard de possibilités plus
classiques”.... mais moins spectaculaires, et cest ce caractère spectaculaire qui explique
probablement notre intérêt pour ce nouveau type de crime. Ici, nous sortons de la sphère
médicale pour celle du polar : “Un meurtre sans ciseaux qui brillent, cest comme des
asperges sans sauce hollandaise”… (A. Hitchcock. Le crime était presque parfait,1954.)
L’auteur déclare avoir des liens
d’intérêts avec Medtronic.
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