DOSSIER Épidémiologie de l'infection par HPV Papillomavirus et immunodépression Papillomavirus and immunodepression F. Denis*, K. Ardaens** U ne revue de la littérature tend à conforter l’hypothèse selon laquelle les immunodépressions congénitales ou acquises sont susceptibles de favoriser les infections à papillomavirus humains (HPV), de dégrader la clairance virale, et de contribuer à l’évolution vers des lésions précancéreuses et cancéreuses. Mais la conclusion de ces publications, y compris celles faisant le bilan de méta-analyses, n'est pas toujours univoque. Cet article résume les résultats de ces différents travaux, que l’immunodépression soit due à l’administration de traitements immunosuppressifs lors de greffe ou de transplantation, ou à une infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Infections à HPV chez les greffés/transplantés * Service de bactériologievirologie-hygiène, hôpital Dupuytren, 2, avenue MartinLuther-King, 87042 Limoges Cedex. ** 1, rue Philippe-de-Girard, 59113 Seclin. Chez les patientes allogreffées, le risque de survenue de lésions du col de l’utérus de haut grade est élevé, notamment chez celles ayant reçu un traitement immunosuppressif prolongé (risque relatif : 4,6) [1]. Chez les transplantés, les infections à HPV à tropisme cutané induisant des verrues planes ou vulgaires sont les plus fréquentes et touchent la majorité des patients. Après plusieurs années, ces infections peuvent conduire à une dissémination profuse des verrues. Le risque de carcinome cutané est environ 100 fois plus élevé chez les transplantés que dans la population générale. Mais le rôle des HPV dans les carcinomes cutanés au sein de cette population reste discuté (2, 3). Chez les transplantés, les infections à HPV à tropisme muqueux ont donné lieu à un certain nombre d’études, parfois anciennes et non randomisées. Globalement, l’incidence des cancers touchant la sphère génitale (col utérin, vulve) est élevée chez les femmes transplantées (4, 5). Les travaux ont surtout concerné des femmes ayant bénéficié d’une greffe rénale. Une étude réalisée à Édimbourg (6) fait état d’anomalies en colposcopie chez 53 % des femmes allogreffées rénales contre 29 % chez les femmes contrôles, avec un surrisque significatif de néoplasie intraépithéliale cervicale (CIN1, CIN2 et CIN3) de 49 % contre 10 %. Ce surrisque était de 10 % contre 0 % pour les seuls CIN3. Une autre étude, réalisée en Inde (7), comparant dans des groupes appariés des femmes ayant eu une greffe rénale et des femmes saines a montré que le risque relatif de néoplasie intraépithéliale cervicale était de 6,1 et celui d’infection par un HPV-16 de 1,3. Enfin, chez les transplantés rénaux, des prévalences de 47% pour l’infection anale par un HPV et de 20% pour les néoplasies intraépithéliales anales ont été rapportées. Le risque relatif pour le cancer anal dans cette population était de 10 en comparaison avec un groupe témoin (8). Infections à HPV et à VIH Pour certains auteurs, l’infection à HPV favoriserait la séroconversion à VIH, du moins en Afrique (9). La survenue de manifestations cutanées comparables à celles observées dans l’épidermodysplasie verruciforme a été décrite chez des patients infectés par le VIH. Plusieurs cas d’éruption disséminée de verrues planes au cours du syndrome de reconstitution immunitaire ont été rapportés. L’incidence des cancers cutanés dans cette population paraît toutefois bien moins élevée que chez les transplantés. Pratiquement tous les auteurs s’accordent à reconnaître que l’infection par le VIH est associée à une prévalence plus élevée d’infections par un ou plusieurs HPV à haut risque oncogène (HPV-HR). Par ailleurs, chez les femmes infectées par le VIH, les HPV-HR autres que l’HPV-16 sont retrouvés en plus grande proportion dans les lésions de haut grade et dans les cancers que chez les femmes non infectées par le VIH (10). 12 | La Lettre du Gynécologue • n° 362 - mai 2011 LG 2011-05 bonne version.indd 12 17/05/11 16:41 Mots-clés Résumé Épidémiologie Papillomavirus humain (HPV) Risque Transplantation Virus de l’immunodéficience humaine (VIH) »» Le risque d’infection par des HPV, de néoplasie intraépithéliale et de cancer de la sphère ano-génitale est important chez les patients transplantés. »» L’infection par le VIH est associée à une prévalence plus élevée d’infection par un ou plusieurs HPV de haut risque oncogène, de néoplasie intraépithéliale cervicale, de cancer du col de l’utérus chez les femmes et de cancer anal chez l’homme homosexuel. »» Les traitements antirétroviraux prescrits lors de VIH ne permettent pas de faire régresser les lésions dues aux HPV. »» Le risque de cancer à HPV chez les patients immunodéprimés doit inciter à une surveillance plus fréquente, voire, pour les candidats à la greffe, à la vaccination sans rationnel d’âge ou de sexe le plus tôt possible avant la greffe. Références bibliographiques 1. Savani BN, Stratton P, Shenoy A, Kozanas E, Goodman S. Increased risk of cervical dysplasia in long-term survivors of allogenic stein cell transplantation: implications for screening and HPV vaccination. Biol Blood Marrow Transplant 2008;14:1072-5. 2. Schmook T, Nindl I, Ulrich C, Meyer T, Sterry W, Stockfleth E. Viral warts in organ transplant recipients: new aspects in therapy. Br J Dermatol 2003;149:S20-4. 3. Segondy M. Papillomavirus et immunodépression. MT Pédiatrie 2010;13:70-9. 4. Penn I. Tumors after renal and cardiac transplantation. Hematol Oncol Clin North Am 1993;7:431-45. 5. Paternoster DM, Cester M, Resente C et al. Human papillomavirus infection and cervical intraepithelial neoplasia in transplanted patients. Transplant Proc 2008;40:1877-80. 6. Alloub MI, Barr BB, Mc Laren KM, Smith IW, Bunney MH, Smart GL. Human papillomavirus infection and cervical intraepithelial neoplasia in women with renal allografts. Br Med J 1989;298:153-6. 7. 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Bull Epidemiol Hebd 2010;14-15:127-8. Accessible sur : www.invs.sante.fr/beh/2010/14_15/ beh_14_15.pdf. La prévalence des néoplasies intraépithéliales cervicales est significativement plus élevée chez la femme séropositive. Les dysplasies cervicales seraient 10 à 11 fois plus fréquentes chez les femmes VIH positives par rapport aux femmes VIH négatives et toucheraient 15 à 40 % des femmes VIH positives (11). L’incidence des cancers du col de l’utérus serait 6 à 8 fois plus élevée chez les femmes VIH positives que chez celles VIH négatives (11). D’ailleurs, le cancer du col, qui est la néoplasie la plus fréquente chez la femme infectée par le VIH, est un événement classant le sujet touché par le VIH dans la catégorie la plus sévère, ou classe C, correspondant à la définition du syndrome d’immunodéficience acquise (sida) selon la classification des Centers of Diseases Control (CDC) [3]. Par comparaison, les lésions dysplasiques modérées ou sévères ou le carcinome in situ sont un critère de classification en catégorie B. Globalement, le risque de cancer anal chez l’homosexuel masculin est multiplié par un facteur de l’ordre de 40 par rapport à la population générale, mais des chiffres encore plus élevés ont aussi été avancés (11). Chez les homosexuels masculins, la séropositivité VIH multiplie par 2 le risque de cancer anal. La majorité des études ne démontre pas de régression des néoplasies intraépithéliales cervicales ou anales après l’instauration du traitement antirétroviral et la restauration immunitaire qui en résulte. Conclusion Il existe chez les patients immunodéprimés un surrisque de développer des lésions liées à des HPV Keywords Epidemiology Human papillomavirus (HPV) Risk Transplantation Human immodeficiency virus (HIV) à tropisme cutané et muqueux par rapport aux sujets immunocompétents. L’immunodépression retrouvée chez les patients greffés, transplantés, ou infectés par le VIH favorise les infections à HPV-HR, leur persistance, et l’évolution vers des lésions précancéreuses et cancéreuses anales et génitales. En ce qui concerne la prophylaxie HPV de ces populations, les candidats à la greffe et les patients susceptibles de subir un traitement immunosuppressif devraient donc pouvoir bénéficier d’une recommandation vaccinale sans rationnel d’âge ou de sexe, et ce d’autant plus que, selon les dossiers d’autorisation de mise sur le marché (AMM) de ces vaccins, ils peuvent être administrés dès l’âge de 9 ans et sont immunogènes, y compris chez les garçons. Cette vaccination devrait être réalisée en prégreffe le plus tôt possible. Le calendrier vaccinal 2010 mentionne que chez "les jeunes filles devant bénéficier d’une greffe, la vaccination contre les HPV peut être proposée avant l’âge de 14 ans en restant dans la tranche d’âge définie par l’AMM des vaccins disponibles" (12). Le surrisque important d’infections chroniques, de lésions précancéreuses et de cancers induits par les HPV dans ces populations justifie cette vaccination, même si l’on peut s’attendre à une certaine diminution de l’immunogénicité et de l’efficacité des vaccins par rapport aux sujets immunocompétents. Cela explique la position du Haut Conseil de la santé publique (CHSP), qui recommande également que "les jeunes filles devant bénéficier d’une greffe… puissent bénéficier d’un suivi annuel des taux d’anticorps vaccinaux". Les sujets infectés par le VIH sont très souvent déjà infectés, voire poly-infectés par les HPV, et le gain à attendre de la vaccination est moindre. Chez les patients VIH positifs, l’immunogénicité du vaccin HPV a été démontrée avec une bonne tolérance et des études d’efficacité sont en cours. Dans tous les cas, le surrisque de cancer à HPV doit inciter à une surveillance plus fréquente des lésions précancéreuses à HPV chez les patients greffés, transplantés, sous traitement immunosuppressif, ou infectés par le VIH. ■ 14 | La Lettre du Gynécologue • n° 362 - mai 2011 LG 2011-05 bonne version.indd 14 17/05/11 16:41