DOSSIER THÉMATIQUE Biomarqueurs en pathologie cardiovasculaire Biomarqueurs de l’athérothrombose coronaire : données récentes et perspectives Biomarkers of coronary atherothrombosis: update and prospects Emmanuel Sorbets*, Laurent Delorme*, Valérie Duchatelle*, Olivier Meilhac*, Laurent Feldman* L * Département de cardiologie et Inserm U698, hôpital Bichat-ClaudeBernard, université Denis-Diderot, Paris-VII, Paris. es complications aiguës de l’athérosclérose coronaire (syndrome coronaire aigu [SCA] et mort subite) sont la première cause de mortalité dans le monde (1). Les données les plus récentes indiquent que 20 % des décès aux ÉtatsUnis sont d’origine coronarienne, soit un décès par minute (2) ! La physiopathologie des SCA fait intervenir plusieurs niveaux de vulnérabilité (vulnérabilité de la plaque d’athérosclérose, du sang circulant et du myocarde), qui concourent à la vulnérabilité globale du patient coronarien (3, 4). Des progrès majeurs dans les domaines de la prévention et de la prise en charge médicamenteuse et interventionnelle des SCA expliquent probablement que le taux global de mortalité coronarienne diminue progressivement depuis les années 1970, mais de nombreux décès surviennent encore avant que les patients aient pu bénéficier d’une prise en charge médicale. Il est donc capital de développer des stratégies de dépistage des patients à haut risque coronarien, à la fois en prévention primaire et en prévention secondaire. Jusqu’à récemment, seul le modèle de Framingham (5), qui prend en compte les principaux facteurs de risque d’athérosclérose pour prédire le risque de développer une maladie coronarienne, a été intégré dans les recommandations internationales (6). Mais, il peut se révéler insuffisant, en particulier dans les populations à risque très faible ou très élevé (7). L’utilisation de dosages de biomarqueurs circulants de l’athérosclérose s’inscrit dans une démarche d’amélioration de la performance des modèles classiques de prédiction du risque coronarien. Elle participe aussi à l’amélioration de l’évaluation du risque des patients ayant une athérosclérose coronaire avérée, au choix 8 | La Lettre du Cardiologue • n° 427 - septembre 2009 des stratégies thérapeutiques et à l’évaluation de leur l’efficacité (8). Physiopathologie des syndromes coronaires aigus et biomarqueurs du risque coronaire La plaque d’athérosclérose vulnérable est constituée d’une chape fibreuse fine, fragilisée par une infiltration macrophagique et par la libération locale de métalloprotéases matricielles, recouvrant un centre nécrotique riche en macrophages spumeux et en lipides extracellulaires, principales sources de production locale de médiateurs de l’inflammation et de formes radicalaires de l’oxygène. La rupture ou l’érosion de la chape fibreuse entraîne une adhésion/­ agrégation plaquettaire massive et la constitution rapide d’une thrombose fibrinoplaquettaire qui, lorsqu’elle est occlusive et durable, aboutit à une ischémie myocardique profonde et à la nécrose (9). Le rôle de la survenue répétée d’hémorragies intraplaque dans la croissance du centre nécrotique et dans la déstabilisation de la plaque a été récemment souligné (10). La visualisation de ces phénotypes de vulnérabilité de la plaque par des techniques d’imagerie anatomique ou fonctionnelle de haute résolution est un défi majeur qui se heurte encore à de nombreuses contraintes technologiques (11). Par ailleurs, des travaux récents suggèrent que la vulnérabilité de la plaque d’athérosclérose est un phénomène systémique (12), touchant simultanément de nombreuses plaques coronaires et extracoronaires, Résumé Malgré une diminution progressive de la mortalité coronarienne depuis les années 1970, les syndromes coronaires aigus demeurent la principale cause de mortalité dans le monde, et de nombreux décès surviennent encore avant que les patients n’aient pu bénéficier d’une prise en charge médicale. Le développement de stratégies de dépistage des patients à haut risque coronarien est donc capital. En ce sens, la découverte de nouveaux biomarqueurs circulants, témoins ou, préférentiellement, acteurs de l’athérothrombose, s’inscrit dans une démarche d’amélioration de la performance des modèles classiques de prédiction du risque coronarien, mais aussi d’optimisation des stratégies diagnostiques et thérapeutiques. Bien que des prérequis soient nécessaires avant d’envisager une utilisation à grande échelle de ces nouveaux biomarqueurs, des données récentes obtenues avec la CRP, la Lp-PLA2 ou le CD40-ligand, et les nouvelles perspectives offertes par la recherche en génomique et en protéomique suggèrent que les biomarqueurs joueront dans un proche avenir un rôle majeur dans la prise en charge du patient coronarien. dont le dépistage impliquerait la réalisation d’une imagerie du “corps entier”. Au contraire, le dosage de biomarqueurs dans le sang circulant, permet d’évaluer globalement le patient athéromateux. Reposant sur un prélèvement sanguin veineux et sur l’utilisation de kits de dosage disponibles sur le marché, cette méthode est à la fois simple, rapide, non toxique et peu onéreuse. Certains de ces biomarqueurs sont des “témoins passifs” de l’évolution de la plaque, alors que d’autres ont un rôle direct dans la progression et/ou la déstabilisation de la plaque, ces derniers étant probablement les biomarqueurs les plus pertinents du risque coronarien (8). À côté des biomarqueurs directement en rapport avec l’évolution de la plaque, d’autres apportent des renseignements sur la présence d’une inflammation ou d’une hypercoagulabilité systémique pouvant précipiter la survenue d’un SCA, ou sur la présence d’une nécrose myocardique, qui, même lorsqu’elle est minime, témoigne d’un risque élevé et oriente alors vers des traitements plus agressifs. Biomarqueur 1 Calibration, discrimination et risques relatifs Biomarqueur 3 1,00 Sensibilité 0,75 ASC = 0,75 0,50 ASC = 0,65 0,25 Biomarqueurs Athérothrombose Syndrome coronaire aigu Highlights L’analyse des méthodes d’évaluation de la performance des biomarqueurs d’athérothrombose dépasse le cadre de cette revue. Il est cependant important de rappeler qu’il n’existe pas de méthode “magique” permettant de répondre de manière univoque à l’ensemble des préoccupations diagnostiques et pronostiques du praticien (13). On attend d’un biomarqueur, ou d’un modèle prenant en compte plusieurs biomarqueurs, qu’il soit bien calibré (c’està-dire que la probabilité prédite par le biomarqueur de développer la complication soit le plus proche possible du risque observé) et discriminant (c’est-àdire qu’il permette de distinguer au mieux les patients à risque des contrôles). Le caractère discriminant d’un biomarqueur est le plus souvent déterminé par la mesure de l’aire sous la courbe (ASC) ROC (Receiver operating characteristic), encore appelée statistique c (figure 1). Cette méthode se prête plus au diagnostic d’une complication déjà Biomarqueur 2 Mots-clés Although there is a steady decrease of coronary mortality since the 70s, acute coronary syndromes remain the first cause of death worldwide and a lot of patients still die even before first medical contact. Identifying patients at high risk of coronary death is therefore of utmost importance. In this context, the discovery of new circulating biomarkers, which may be either “passive bystanders” or, preferably, true actors of atherothrombosis, may help improve the performance of classical risk prediction models and, ultimately optimize diagnostic and therapeutic strategies. Even though these new biomarkers must fulfil a number of prerequisites before being considered for large scale use, recent studies using CRP, Lp-PLA2, or CD40-ligand, as well as important breakthroughs achieved in the fields of genomics and proteomics, suggest that biomarkers will play, in a near future, a major role in the care of patients with coronary artery disease. Keywords Biomarkers Atherothrombosis Acute coronary syndrome ASC = 0,50 0,00 0,00 0,25 0,50 0,75 1,00 1–spécificité Figure 1. Courbe ROC. Dans cet exemple, 3 courbes ont été tracées, correspondant à 3 biomarqueurs différents. Chaque courbe a été construite en mesurant, pour plusieurs valeurs du biomarqueur, la sensibilité et 1–spécificité. L’aire sous la courbe (ASC ou statistique c) est un indicateur du caractère discriminant du biomarqueur. Le biomarqueur 1 (ASC = 0,75) est plus discriminant que le biomarqueur 2 (ASC = 0,65). Le biomarqueur 3 n’est pas discriminant (ASC = 0,50). La Lettre du Cardiologue • n° 427 - septembre 2009 | 9 DOSSIER THÉMATIQUE Biomarqueurs en pathologie cardiovasculaire Biomarqueurs de l’athérothrombose coronaire : données récentes et perspectives présente qu’à la prédiction d’une complication à venir. En pratique, pour un biomarqueur donné, la courbe de la relation entre sensibilité et 1–spécificité, pour différentes valeurs du biomarqueur, est tracée. L’aire sous cette courbe, qui correspond en fait à la probabilité que la valeur du biomarqueur, chez un patient à risque, soit supérieure à celle d’un contrôle, est comprise entre 0,5 (pouvoir discriminant nul) et 1 (correspondant au cas théorique où les valeurs du biomarqueur chez les patients à risque sont toutes supérieures à celles des contrôles). Le biomarqueur est d’autant plus discriminant que l’ASC est proche de 1. Cette méthode permet par ailleurs de déterminer des valeurs seuils pour chaque biomarqueur et de comparer la valeur discriminante des biomarqueurs entre eux. Mais un biomarqueur ne saurait être jugé uniquement sur sa valeur discriminante. Afin de préciser la valeur prédictive d’un biomarqueur, d’autres méthodes sont utilisées, telles que la mesure du risque relatif (RR) ou du rapport des cotes (odds-ratio), qui renseignent sur le risque, pour un patient donné, de développer une complication athérothrombotique lorsque la valeur du biomarqueur étudié dépasse une valeur seuil. Les informations apportées par les mesures de l’ASC ROC et du RR peuvent, parfois, paraître contradictoires. Elles sont en fait complémentaires. Par exemple, un biomarqueur associé à un RR de 3, mais qui n’améliore pas significativement la valeur de l’ASC ROC par Stress oxydant MPO, oxLDL, sPLA2 et Lp-PLA2 Dysfonction endothéliale Inflammation Métalloprotéases CRP, SAA, IL-6, MCP-1, TNFα, IL-18, IL-10, néoptérine MMP-1, 2- et -9 ; PAPP-A OMICS Activation plaquellaire et thrombose Génomique, transcriptomique, protéomique, métabolomique Métabolisme glucidique et hormones de la graisse viscérale sCD40L, sP-sélectine, F11R, agrégats leucoplaquettaires, microparticules, D-dimères, prothrombine F1,2, TpP, PAI-1 Lésion vasculaire infra-clinique Microalbuminurie, clairance de la créatinine, cystatine C Glycémie, HbA1c, adiponectine, fétuine-A Nécrose myocytaire troponine, HT-FABP, Albumine modifiée par l'ischémie (IMA) Facteurs angiogéniques VEGF, PLGF, HGF sICAM-1, sVCAM-1, sE-sélectine, vWF Stress hémodynamique BNP, Nt-proBNP, aldostérone Figure 2. Liste non exhaustive de biomarqueurs associés au risque d’athérothrombose. Certains de ces biomarqueurs sont discutés dans le texte. 10 | La Lettre du Cardiologue • n° 427 - septembre 2009 rapport à un modèle classique d’évaluation du risque (par exemple le score de Framingham), sera considéré comme peu discriminant, alors qu’il apporte une information pronostique potentiellement importante sur le plan individuel. En effet, un patient ayant un risque de décès ou d’infarctus du myocarde de 8 % selon le score de Framingham (donc classé à faible risque) verra ce risque passer à 24 % en cas de positivité du biomarqueur, soit une reclassification en patient à haut risque pouvant avoir des conséquences thérapeutiques directes (6). Prérequis avant de considérer l’utilisation d’un biomarqueur en pratique clinique La longue liste de biomarqueurs d’athérothrombose ayant une valeur diagnostique ou pronostique (figure 2) impose d’établir des prérequis qui, lorsqu’ils sont satisfaits, permettent d’envisager un développement clinique. Des critères de sélection ont été proposés en 2004 par le Center of Disease Control (CDC) et l’American Heart Association (AHA) [8]. Une première catégorie de critères concerne la technique de dosage du biomarqueur, qui doit être reproductible, simple, peu onéreuse et adaptée à des dosages réalisés dans des grandes populations. Par ailleurs, les valeurs normales du biomarqueur doivent être définies dans des populations contrôles de différentes origines ethniques. Une seconde catégorie de critères évalue la pertinence des méthodes biostatistiques utilisées pour étudier la performance des biomarqueurs. En particulier, il est recommandé de tester tout nouveau biomarqueur dans de grandes cohortes prospectives, et de démontrer que l’information diagnostique ou pronostique apportée par le nouveau biomarqueur améliore la performance des mesures cliniques ou des modèles de risque les plus performants (de type Framingham). Pour mémoire, une méta-analyse récente indique que le RR de mortalité cardiovasculaire à 10 ans, associé à un index de pression systolique cheville/bras inférieur à 0,90 (une mesure qui peut être réalisée en consultation sans le moindre prélèvement sanguin), est supérieur à 4 chez l’homme et à 3 chez la femme (14). Cela donne un ordre de grandeur à la performance que l’on est en droit d’exiger d’un nouveau biomarqueur. Bien qu’il soit difficile sur le plan méthodologique d’établir un rapport de causalité entre un biomarqueur et la maladie athérothrombotique, il est aussi recommandé de privilégier le développement clinique DOSSIER THÉMATIQUE de biomarqueurs ayant un lien mécanistique avec la progression et/­ou la déstabilisation de la plaque (au moins sur le plan expérimental). Enfin, et surtout, une troisième catégorie de critères rappelle qu’à l’avenir, la performance d’un biomarqueur sera jugée sur le potentiel de ce biomarqueur de modifier la stratégie thérapeutique et sur les renseignements qu’il apporte sur l’efficacité des traitements proposés. Protéine C réactive et stratification du risque coronarien La protéine C réactive (CRP) est un biomarqueur de la phase aiguë de la réaction inflammatoire. Elle est synthétisée par le foie en réponse à des cytokines pro-inflammatoires, en particulier l’interleukine 6. La CRP appartient à la famille des pentraxines et possède, sur chacun de ses 5 protomères, un site de fixation à la phosphorylcholine (ainsi qu’à de nombreux autres ligands autologues ou extrinsèques), qui lui confère un rôle actif dans la réponse immunitaire et inflammatoire. Par ailleurs, la CRP a été détectée dans des plaques d’athérosclérose coronaire de phénotype vulnérable, et aurait peut-être un rôle propre dans la progression de la plaque, mais cette hypothèse est controversée (15). Il s’agit du biomarqueur d’athérothrombose qui a été le plus étudié en prévention primaire et secondaire des complications athérothrombotiques (16). Cela fait plus de 10 ans que les grandes études prospectives menées par Ridker et al. ont démontré que la concentration sanguine de la CRP, mesurée à l’aide d’un test de haute sensibilité, est un facteur prédictif d’infarctus du myocarde (IDM), d’accident vasculaire cérébral (AVC) et d’artérite des membres inférieurs chez des sujets apparemment bien portants. Cette relation, retrouvée chez les hommes et chez les femmes, est indépendante des autres facteurs de risque d’athérothrombose, en particulier de la concentration de cholestérol LDL et de la pression artérielle, ainsi que du score de Framingham. Ces résultats expliquent que le dosage de la CRP (bas si < 1 mg/l, intermédiaire entre 1 et 3 mg/l et élevé si > 3 mg/l) ait été proposé en 2003 comme une option pour affiner le pronostic des patients à risque intermédiaire selon le modèle de Framingham (défini par un risque de décès ou d’IDM entre 10 et 20 % à 10 ans), mais avec des niveaux de recommandation (IIa) et de preuve (B) modestes, ainsi qu’avec des implications thérapeutiques incertaines (8). Une controverse persiste sur le RR d’événements cardiovasculaires associé à une concentration élevée de CRP, qui est d’environ 2,5 dans les travaux de Ridker et al., mais seulement d’environ 1,5 dans l’étude de Danesh et al., réalisée dans la cohorte de Reykjavik et validée dans une méta-analyse de 22 études contemporaines (17). Par ailleurs, l’addition de la CRP à des modèles prenant en compte les facteurs de risque classiques d’athérosclérose améliore peu le caractère discriminant de ces modèles, mesuré par l’ASC ROC, pour prédire le risque de maladie coronarienne dans des populations saines (18). Des données plus récentes indiquent en revanche que l’inclusion du dosage de la CRP et des antécédents familiaux dans le score de risque de Reynolds permet, aussi bien chez la femme que chez l’homme, de reclassifier un nombre substantiel de patients, à risque intermédiaire selon le score de Framingham, en patients à risque faible ou élevé (19). D’autres résultats provenant d’études réalisées chez des patients souffrant de SCA sans sus-décalage du segment ST (SCAST–), et pris en compte dans les recommandations les plus récentes (20), suggèrent qu’une élévation de la CRP ≥ 10 mg/l est un facteur prédictif de mortalité à long terme chez ces patients, indépendamment de la troponine (21), et que le dosage de la CRP pourrait donc être utile à la stratification du risque de ces patients. Implications thérapeutiques du dosage de la CRP après JUPITER Les principales avancées en rapport avec le dosage de la CRP concernent surtout la validation de l’hypothèse inflammatoire de l’athérothrombose apportée par 2 grandes études évaluant l’efficacité des statines en prévention secondaire et primaire. Dans PROVE IT-TIMI 22, qui a comparé l’effet de 80 mg d’atorvastatine et celui de 40 mg de pravastatine sur la survenue d’événements cliniques chez 4 162 patients ayant un SCA, une diminution de la CRP en dessous de 2 mg/l sous statines était associée à une réduction du risque de décès et d’IDM, sans lien apparent entre la baisse de la CRP et celle du cholestérol LDL, ce qui suggère pour la première fois que les statines diminueraient les événements cardiovasculaires par un effet anti-inflammatoire propre (22). Plus récemment, l’étude de prévention primaire JUPITER a établi qu’un traitement par 20 mg de rosuvastatine (comparé à un placebo) administré Références bibliographiques 1. Lopez AD, Mathers CD, Ezzati M, Jamison DT, Murray CJ. Global and regional burden of disease and risk factors, 2001: systematic analysis of population health data. Lancet 2006;367:1747-57. 2. Lloyd-Jones D, Adams R, Carnethon M et al. 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Les investigateurs de JUPITER insistent par ailleurs sur l’absence de corrélation entre les concentrations, sous rosuvastatine, de CRP et de cholestérol LDL, ainsi que sur le caractère additif de l’obtention conjointe d’une concentration de CRP < 2 mg/l et d’une concentration de cholestérol LDL < 0,7 g/l dans la réduction du risque d’événements cardiovasculaires (réduction du risque de 65 % par rapport au placebo, alors que la réduction du risque n’est que de 36 % si un seul ou aucun des deux biomarqueurs n’est abaissé en dessous des seuils) [24]. Les résultats de JUPITER ont des implications potentiellement importantes. Un calcul récent indique que, s’il fallait extrapoler les critères d’inclusion dans JUPITER à la population générale, environ 6,5 millions d’Américains deviendraient candidats à un traitement au long cours par une statine. Bien que les résultats de JUPITER plaident en faveur d’un effet anti-inflammatoire des statines et d’un effet protecteur de la rosuvastatine chez des patients dont l’élévation de la CRP serait le seul facteur de risque d’athérosclérose, ils doivent cependant être interprétés avec précaution. En effet, il aurait été intéressant de préciser si des patients dont la CRP est < 2 mg/l, voire des patients dont la concentration de CRP n’aurait pas été mesurée à l’entrée dans l’étude, ne bénéficieraient pas autant d’un traitement par rosuvastatine que les patients sélectionnés sur une CRP ≥ 2 mg/l. Par ailleurs, on ne peut formellement exclure que la stratification du risque d’événements cardiovasculaires sur la CRP obtenue sous traitement (et non sur la diminution de la CRP sous traitement) revienne en fait à sélectionner les patients dont la CRP de départ était d’emblée peu élevée (et l’est restée), et non les patients dont le statut inflammatoire aurait été favorablement modifié par la rosuvastatine. Enfin, la diminution impressionnante du RR d’événements cardiovasculaires sous rosuvastatine ne doit pas faire perdre de vue que, dans cette population à faible risque, 12 | La Lettre du Cardiologue • n° 427 - septembre 2009 la différence absolue du risque sous rosuvastatine était très faible (0,9 %, par exemple, pour le critère IDM, AVC et décès cardiovasculaire), alors que la toxicité à long terme de la rosuvastatine reste à déterminer. À cet égard, l’observation d’une plus forte incidence de diabète sous rosuvastatine (3 % versus 2,4 %) impose la prudence. Il est donc difficile, après JUPITER, de préciser la place du dosage de la CRP dans la stratégie de prise en charge des patients à risque coronarien faible. Il est cependant peu probable que de nouvelles études de prévention primaire de cette ampleur permettent de répondre définitivement à cette importante question. Nouveaux biomarqueurs d’athérothrombose La CRP ne résume pas, loin s’en faut, les avancées récentes en matière de biomarqueurs du risque coronarien. La Lp-PLA2 (Lipoprotein-associated Phospholipase A2) est un concurrent direct de la CRP en prévention primaire. Elle est sécrétée par les leucocytes et circule sous forme inactive associée aux particules de LDL. Lorsque ces particules sont oxydées, la Lp-PLA2 est activée et clive la phosphatidylcholine oxydée, à la surface des particules de LDL, en lysophosphatidylcholine et en acides gras libres, qui sont 2 médiateurs de l’inflammation et sont impliqués dans l’athérogenèse. Après ajustement à la concentration de CRP et à d’autres facteurs de risque classiques, une élévation de la Lp-PLA2 au-delà du premier quintile est associée à un risque accru d’événements coronariens (25). L’existence d’inhibiteurs pharmacologiques de la Lp-PLA2, tels que le darapladib, permet de tester l’hypothèse d’un rôle causal de la Lp-PLA2 dans la déstabilisation de la plaque. Une étude récente d’échographie endocoronaire couplée à une modalité d’histologie virtuelle suggère qu’un traitement de quelques mois par le darapladib diminue significativement le volume du centre nécrotique de la plaque d’athérosclérose coronaire chez l’homme (26). L’efficacité du darapladib sur la réduction des événements athérothrombotiques est actuellement étudiée sur plus de 15 000 patients coronariens stables dans l’essai clinique, de phase 3, STABILITY. Le dosage de la troponine s’est imposé comme un dosage de routine, recommandé par les sociétés savantes européennes et américaines, devant toute douleur thoracique suspecte de SCA (20). Une élévation de la troponine au-delà du 99e percentile a des implications non seulement pronostiques (27), mais DOSSIER THÉMATIQUE aussi thérapeutiques, notamment en ce qui concerne le choix d’un traitement par inhibiteurs de la glycoprotéine IIb-IIIa (28), ou d’un traitement invasif (29). La mise au point de dosages ultrasensibles de la troponine va sans doute conduire à un réexamen de ces données dans les années à venir (30). D’autres biomarqueurs, tels que le marqueur d’activation plaquettaire CD40-ligand (31), la myéloperoxydase neutrophilaire (32) et les marqueurs cardiomyocytaires H-FABP (Heart-type Fatty Acid Binding Protein) [33] et GDF15 (Growth-Differentiation Factor 15) [34] concurrencent la troponine, mais leur place dans la stratégie de prise en charge des SCA reste à préciser. Une multitude de publications récentes témoigne de l’intérêt croissant porté aux méthodes de mesure de l’efficacité biologique des traitements antiplaquettaires, en particulier des inhibiteurs du récepteur à l’ADP P2Y12. S’il semble bien exister une association entre une inhibition insuffisante de l’agrégation plaquettaire par le clopidogrel et la survenue d’événements cardiovasculaires et de thromboses de stent, des incertitudes persistent quant à la méthode la plus performante pour mesurer l’agrégation plaquettaire, aux valeurs seuils définissant les “mauvais répondeurs” au clopidogrel, à la place des tests rapides utilisables au lit du malade, et surtout aux implications thérapeutiques de la démonstration d’une inhibition insuffisante de l’agrégation plaquettaire (35). D’autres nouveaux biomarqueurs du risque thrombotique sont en cours d’évaluation. La TpP (Thrombus precursor Protein), par exemple, est le précurseur soluble de la fibrine insoluble du thrombus, et son dosage peut être considéré comme un marqueur de la phase finale de la coagulation et un biomarqueur potentiel du risque athérothrombotique. Dans une étude récente, une élévation de la TpP supérieure à la médiane était associée à une augmentation de 42 % du risque de décès et d’infarctus chez des patients ayant un SCA, même après ajustement à la troponine et à la CRP (36). Le peptide natriurétique de type B (BNP) et le fragment N-terminal du proBNP (NT-proBNP), habituellement utilisés pour le diagnostic d’insuffisance cardiaque, semblent avoir une valeur pronostique dans les SCA (37) et chez les coronariens stables (38). Il est surprenant de constater que, chez ces patients, le dosages des peptides natriurétiques prédit non seulement l’évolution vers l’insuffisance cardiaque mais aussi les SCA, et que cette relation serait peut-être indépendante de la fonction ventriculaire gauche (39). Mais, en l’absence de données physiopathologiques établissant le rôle éventuel des peptides natriurétiques dans l’athérogenèse, la place de leur dosage chez les patients coronariens reste à préciser. La quasi-totalité des biomarqueurs d’intérêt dans le domaine de l’athérothrombose sont des peptides synthétisés par des types cellulaires divers, impliqués plus ou moins directement dans l’athérogenèse. La CRP, par exemple, est d’origine hépatique, alors que la Lp-PLA2 est d’origine leucocytaire. Cette constatation explique que certains auteurs favorisent actuellement la recherche de biomarqueurs cellulaires de l’athérothrombose, qui témoigneraient des modifications structurelles, fonctionnelles ou moléculaires touchant les types cellulaires qui interagissent avec la paroi artérielle et participent directement au développement de la plaque d’athérosclérose. Les rôles clés des monocytes, des lymphocytes T et des plaquettes dans l’athérogenèse font de ces cellules des candidats potentiels. Des données plus récentes suggèrent que les hémorragies intra-plaque participent à la déstabilisation de la plaque en favorisant l’accumulation locale de membranes érythrocytaires riches en cholestérol et la croissance du centre nécrotique (10). Le fait que les concentrations de cholestérol (40) et d’interleukine 8 (41) dans la membrane érythrocytaire soient plus élevées chez les patients ayant fait un SCA indique que les hématies pourraient devenir un nouveau biomarqueur cellulaire d’intérêt dans le domaine de l’athérothrombose. La validation de cette approche cellulaire reste cependant limitée par la complexité des méthodes d’isolement cellulaire et d’immunomarquage (42). Perspectives : multimarqueurs, OMICS et imagerie moléculaire Étant donné la multiplicité des mécanismes biologiques impliqués dans le développement de la plaque d’athérosclérose ou dans les conséquences de l’athérothrombose sur ses organes cibles, une hypothèse séduisante est que la prise en compte de plusieurs biomarqueurs, représentant des mécanismes biologiques distincts, permettrait d’améliorer la valeur prédictive et le pouvoir discriminant de chacun de ces biomarqueurs considéré séparément. Cette hypothèse a été validée dans 2 cohortes indépendantes de patients ayant fait un SCA (figure 3), en utilisant lity in Coronary Artery Disease. N Engl J Med 2000;343:1139-47. 22. Ridker PM et al. C-reactive protein levels and outcomes after statin therapy. N Engl J Med 2005;352:20-8. 23. Ridker PM et al. Rosuvastatin to prevent vascular events in men and women with elevated C-reactive protein. N Engl J Med 2008;359:2195-207. 24. Ridker PM et al. Reduction in C-reactive protein and LDL cholesterol and cardiovascular event rates after initiation of rosuvastatin: a prospective study of the JUPITER trial. Lancet 2009;373:1175-82. 25. Packard CJ et al. Lipoprotein-associated phospholipase A2 as an independent predictor of coronary heart disease. West of Scotland Coronary Prevention Study Group. N Engl J Med 2000;343:1148-55. 26. Serruys PW et al. 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En bas de chaque barre est indiqué le nombre de patients dans cette catégorie (43). un modèle prenant en compte la CRP, la troponine I et le BNP (43) ; et, plus récemment, chez des hommes sains ou ayant une athérosclérose stable, avec, dans ce dernier le cas la démonstration que la 33. O’Donoghue M et al. Prognostic utility of heart-type fatty acid binding protein in patients with acute coronary syndromes. Circulation 2006;114:550-7. 34. Wollert KC et al. Prognostic value of growth-differentiation factor-15 in patients with non-ST-elevation acute coronary syndrome. Circulation 2007;115:962-71. 35. Gurbel PA et al. Platelet function monitoring in patients with coronary artery disease. J Am Coll Cardiol 2007;50:1822-34. 36. Mega JL et al. Thrombus precursor protein and clinical outcomes in patients with acute coronary syndromes. J Am Coll Cardiol 2008;51:2422-9. 37. De Lemos JA et al. The prognostic value of B-type natriuretic peptide in patients with acute coronary syndromes. 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Ces approches “sans a priori” se prêtent par ailleurs à la découverte de nouveaux biomarqueurs impliqués dans les complications de l’athérothrombose. Enfin, les perspectives d’application clinique de la recherche dans le domaine des biomarqueurs ne sauraient ignorer les progrès rapides des techniques d’imagerie fonctionnelle et moléculaire de la plaque d’athérosclérose, qui, dans les années à venir, permettront sans doute de localiser avec une haute résolution les plaques les plus vulnérables par des approches invasives coronaires (47) ou non invasives du “corps entier” (48). Des travaux étudiant les rapports entre l’imagerie de la plaque et les biomarqueurs circulants sont en cours. Ils préciseront le rôle de chacune de ces modalités diagnostiques dans la prise en charge moderne de l’athérothrombose. ■ Outcomes Prevention Evaluation (HOPE) study. Circulation 2006;114:201-8. 39. Bibbins-Domingo K et al. N-terminal fragment of the prohormone brain-type natriuretic peptide (NT-proBNP), cardiovascular events, and mortality in patients with stable coronary heart disease. JAMA 2007;297:169-76. 40. Tziakas DN et al. Total cholesterol content of erythrocyte membranes is increased in patients with acute coronary syndrome: a new marker of clinical instability? J Am Coll Cardiol 2007;49:2081-9. 41. Tziakas DN et al. Interleukin-8 is increased in the membrane of circulating erythrocytes in patients with acute coronary syndrome. Eur Heart J 2008;29:2713-22. 42. Caligiuri G et al. Reduced immunoregulatory CD31+ T cells in the blood of atherosclerotic mice with plaque thrombosis. Arterioscler Thromb Vasc Biol 2005;25: 1659-64. 43. Sabatine MS et al. Multimarker approach to risk stratification in non-ST elevation acute coronary syndromes: simul- 14 | La Lettre du Cardiologue • n° 427 - septembre 2009 taneous assessment of troponin I, C-reactive protein, and B-type natriuretic peptide. 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