Lion n° 631 février 2011
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mis d’ouvrir les “temps modernes”, où les idées de droit à la vie,
à la liberté et à la propriété ont pu se développer et se concré-
tiser.
L’Occident infidèle
Si les valeurs de l’Occident se sont conjuguées et affinées au fil
des siècles, ce n’est pas selon un processus continu. Dans l’his-
toire de l’Occident, il y a eu de dramatiques ruptures, et les
Occidentaux ont fait régulièrement retour à la barbarie.
Le XXesiècle demeurera l’un des plus sombres de
l’Histoire, avec deux guerres mondiales, une succession de ré-
gimes totalitaires et une répétition de génocides et de massa-
cres. Les Occidentaux n’ont pas toujours été les seuls en cause:
le Japon, Mao, Pol Pot, se sont illustrés dans la barbarie. Mais les
dirigeants occidentaux ont été tantôt les initiateurs, tantôt les
complices ou les témoins impassibles de ces horreurs.
C’est que les valeurs de l’Occident ont leurs contre-va-
leurs et par priorité la recherche du pouvoir. Pouvoir po-
litique, pouvoir religieux, pouvoir économique: volonté d’exercer
sa domination, de montrer sa puissance et sa gloire, de s’empa-
rer des biens d’autrui, de jouir de l’impunité. C’est toute la co-
horte des vices qui dégradent l’homme pour laisser émerger ce
qui reste d’animal en lui: “L’homme est un loup pour
l’homme”, disait Hobbes. Hobbes est l’inspirateur de tous les
régimes dictatoriaux et policiers contemporains, car il faut un
État et des hommes à sa dévotion pour empêcher les hommes
de s’entre-déchirer. Mais qui limite un État doté du monopole de
la coercition et de la violence? La “société de puissance” est
l’exact opposé de la “société de confiance”: c’est la loi du plus
fort qui règne, comme dans la meute ou la horde.
Quand les Occidentaux n’honorent plus leurs valeurs de civi-
lisation, ils se déconsidèrent aux yeux du reste du monde et
deviennent la proie facile des ambitions et des fanatismes. Si les
Occidentaux abandonnent toute dignité, l’Occident
perd toute estime et tout respect. En serions-nous là au-
jourd’hui?
L’Occident indifférent
Pendant les “années folles”, l’Occident a voulu oublier le cau-
chemar de la Première Guerre mondiale puis la grande panique
de la Grande Dépression. Excellente occasion pour oublier
aussi les valeurs éthiques: le bien et le mal n’intéressent per-
sonne. Du coup, les totalitarismes de Lénine, Staline et Hitler
ont pu tranquillement se mettre en place. Une infime partie de
l’élite éclairée a eu conscience des périls et a mis ses contem-
porains en alerte: voilà la “trahison des clercs” (Benda).
D’où viennent l’indifférence, l’ignorance volontaire, à
l’égard des valeurs de l’Occident?
On peut incriminer matérialisme et relativisme. Tous deux
débouchent sur le nihilisme, sur la négation des valeurs mo-
rales et spirituelles.
Le matérialisme règne quand les hommes ne comprennent
plus que toute activité humaine, toute liberté, tout progrès, doit
s’ordonner à la dignité de la personne. Certes le progrès ma-
tériel peut aller plus vite que le progrès humain. En une géné-
ration on peut devenir riche; mais il faut parfois plus d’une
génération pour vivre riche, c’est-à-dire apprendre à maîtriser
la richesse. Conscients de ce décalage, certains voient la solu-
tion dans le ralentissement de la croissance. On entend beau-
coup de discours sur les méfaits moraux de la réussite
économique, sur les tares de la “société de consommation”,
sur l’urgence de penser au “bonheur national brut” plutôt qu’au
“produit national brut”. À entendre ces prêches, il faudrait frei-
ner le progrès pour le mettre au pas de l’homme. Cette solu-
tion est à désespérer de l’être humain, qui est au contraire
capable de hâter le pas pourvu qu’il reçoive l’éducation mo-
rale voulue. Ce n’est pas le progrès matériel qu’il faut
freiner, c’est le progrès moral qu’il faut accélérer.
L’éducation morale se fait au cœur des deux foyers de vie que
sont la famille et l’école. Elles traversent malheureusement
toutes deux une grave crise dans la plupart de nos pays “avan-
cés”. La famille a éclaté en Occident, et l’école devient ap-
prentissage de la grégarité, et préparation à la massification.
Quant au relativisme, il a atteint depuis fort longtemps la
classe intellectuelle. “Le poisson pourrit par la tête”, aurait dit
Mao. Les clercs de la folle époque étaient indifférents et in-
conscients. Nos intellectuels excellent aujourd’hui dans le re-
L’Occident était-il visé?