METAPHYSIQUE PHENOMENOLOGIQUE, SUITE
D. Seron, « Métaphysique phénoménologique, suite », Bulletin d’analyse phénoménologique, II/2, mars 2006, p. 3-75
5
logique n’est pas : qu’est-ce qui existe ? mais : quelles existences doit-
on assumer quand on tient pour vraie telle ou telle proposition, telle
ou telle théorie ? De même qu’existence signifie désormais autant
qu’existence pour une théorie, de même il faut substituer à l’ontologie
absolue traditionnelle des ontologies relatives, qui sont toujours des
ontologies de telle ou telle théorie. En l’occurrence, pour Quine, ce
sont les quantificateurs existentiels qui expriment le fait que, dans une
théorie, on assume telles ou telles existences. C’est en ce sens que la
question de l’existence se ramène in fine à une question logique.
D’après Quine, faire de l’ontologie, cela veut dire ceci : d’abord on
considère une théorie donnée, ensuite on réduit tous les noms propres
de la théorie à des expressions quantifiées, enfin on se demande quels
objets on doit poser comme existants pour rendre vrais tous les
énoncés de la théorie. On ne s’occupe donc pas de savoir si ces objets
existent « réellement », si la théorie est « réellement » vraie. (On
trouve quelque chose de très semblable dans la phénoménologie
transcendantale de Husserl, mais avec une différence qui, justement,
change tout, et sur laquelle je reviendrai plus loin.)
Le rejet de la métaphysique s’est ainsi manifesté essentiellement,
en philosophie analytique, par une volonté de subordonner l’ontologie
à la logique – et plus précisément à cette discipline logique qu’on
appelle la sémantique logique : on s’intéresse au sens des propositions
et des théories, c’est-à-dire à leurs conditions de vérité, et ainsi la
valeur de vérité elle-même de ces propositions et de ces théories,
c’est-à-dire aussi l’existence in absoluto des objets de la théorie, n’est
pas relevante. On ne s’intéresse pas aux objets eux-mêmes, au monde,
à ce qui existe, comme dans la métaphysique au sens traditionnel,
mais on s’intéresse à des propositions, à des théories – ce en quoi on
fait de la logique. L’interrogation ontologique est alors réduite à une
interrogation sur les conditions de vérité d’une théorie dont on n’a pas
à déterminer la valeur de vérité : le philosophe se demande quelles
existences sont nécessaires pour que cette théorie soit vraie, mais il
laisse au scientifique la question de savoir si elle est vraie ou fausse, et
si on a raison ou tort de poser ces existences.
C’est précisément cela, la subordination de l’ontologie à la
logique, qui est remise en cause aujourd’hui. Les représentants de ce