La Carte de la Moldavie de l`Empereur Napoleon Ier

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MISCELLANEA – Jean Michel Cantacuzène: “ Ex libris ”
Ex libris
LA CARTE DE LA MOLDAVIE DE L'EMPEREUR NAPOLEON Ier
Jean Michel CANTACUZÈNE
Rezumat: Prietenul revistei noastre, vechiul nostru colaborator, neobositul bibliofil care este domnul Jean
Michel Cantacuzène îşi continuă seria de prezentări de cărţi şi alte feluri de materiale vechi. De data
aceasta, este vorba despre o inedită hartă a Moldovei.
(bibliofilie; Moldova; materiale cartografice; Napoleon ; frontiere europene)
Le 1er août 1989 le quotidien "Le Monde" publiait, en couleurs, la carte
géographique signée (en bleu) par Staline et (en rouge) par Ribbbentrop, carte
annexée au traité frontalier et d'amitié entre l'Allemagne et l' URSS, faisant suite
au protocole secret du pacte de non agression germano-soviétique du 23 août
1939. Il s'agit de la carte originale retrouvée et publiée par la revue berlinoise 'Osteuropa'
de mai 1989.
Nous présentons ici un document qui, pour la Roumanie, a une signification
symbolique comparable, mais plus ancien de quelque 130 ans: il s'agit de la carte de la
Moldavie sur laquelle a travaillé l'Empereur Napoléon Ier à la veille de la cession au Tsar
russe par les Turcs de la moitié Est de la Moldavie, entre Prut et Dniestr. On peut tout
d'abord rappeler que la succession des évènements internationaux dramatiques qui a débuté
en 1939 avec le pacte germano-soviétique, ne fut que le strict remake de ce qui avait eu
lieu quelque 130 ans plus tôt:
1)
23 aôut 1939 pacte germano-soviétique (partie secrète: intétêt russe pour la Bessarabie et les Pays baltes)
à comparer avec:
12 octobre 1808 convention franco-russe d'Erfurt (partie secrète: intérêt russe sur la Moldo-Valachie et la Finlande)
2)
26 juin 1940 ultimatum soviétique aux Roumains, notamment moldaves, de ces terres, d'évacuer la 'Bessarabie'
à comparer avec:
28 mai 1812 Traité de Bucarest où la Turquie 'cède' la 'Bessarabie' à la Russie: le Prut séparera les deux Empires!
3)
22 juin 1941 invasion de l'URSS par l'armada allemande
à comparer avec:
24 juin 1812 invasion de la Russie par l'armada française
4)
3 février 1943 capitulation allemande de Stalingrad
à comparer avec:
29 novembre 1812 débacle française à la Bérézina
5)
début mai 1945 les troupes russes entrent à Berlin
à comparer avec:
fin mars 1814 les troupes russes entrent à Paris
6) Dans les deux cas les Roumains mettent des dizaines d'années à se libérer des Russes, tandis que les Empires vaincus
se refont rapidement une bonne santé.
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MISCELLANEA – Jean Michel Cantacuzène: “ Ex libris ”
Cette carte que nous avons
acquise provient de la vente aux
enchères qui eut lieu le mercredi 4
decembre 1991 à l'Hôtel Drouot à
Paris, d'un ensemble "d'importants
souvenirs hitoriques de l'Empereur
Napoleon Ier, provenant de
l'ancienne collection du General
Bertrand, Grand Maréchal du
Palais, et de ses descedants". La
carte constituait le lot Nr. 153 de
cette vente.
Henry - Gatien Général
comte Bertrand (1773-1844) avait
été nommé Grand Maréchal du
Fig. 1. Editée à Vienne en 1811, la carte de la Moldavie va des Carpates
au Dniestr et est assez précise pour les reliefs. Elle exclut tout ce qui est
Palais en 1813, a la suite de Duroc
à l’Ouest d’une ligne Cernăuţi-Siret-Suceava puisque la Bucovine avait
mortellement blessé, et avait suivi
été annexée avec ces villes, par l’Autriche en 1775
l'Empereur en exil à l'Île de SainteHélène, restant avec lui jusqu' à son dernier soupir rendu
le 5 mai 1821 au petit matin. Devenu exécuteur
testamentaire de Napoleon, Bertrand eut à veiller à la
répartition de l'héritage et des objets laissés par
l'Empereur à Sainte-Hélène, gardant pour lui les divers
objets non revendiqués par d'autres, dont de nombreuses
cartes dont Napoleon s'était entouré en exil. C'est ainsi
que la Carte de la Moldavie s'est retrouvée en la
possession puis dans la succession du Général Bertrand,
symbole de la fidélité au malheur et du plus grand
dévouement; du reste, son tombeau et celui de Duroc se
trouvent aux Invalides à Paris, aux côtés du tombeau de
Napoléon.
Esquissons ici l'histoire qui a amené cette carte
dans le "cabinet topographique de S. M. l'Empereur et
Roi" dirigé par le baron Louis-Albert Bacler d'Albe
(1762-1824), peintre et ingénieur géographe, remarqué
dans la campagne d'Italie, nommé Général de Brigade en
1803.
Comme œuvres, il a laissé 54 cartes des batailles
d'Italie, des paysages gravés, et des peintures représentant
Fig. 2 – Le Maréchal Henry-Gatien
les batailles d'Arcole et d'Austerlitz.
Bertrand, dont les héritiers ont
Au lendemain de la révolution française, les récemment mis aux enchères publiques
cette carte de la Moldavie, est le
provinces roumaines étaient saisies d'une immense symbole de la fidélité au malheur et du
espérance vis-à-vis de la France de Bonaparte. En 1802 plus grand dévouement à Napoléon. A
ce titre le Marechal Bertrand est
des appels, en français, aux sympathies du Ier Consul enterré aux côtés de l’Empereur, sous
furent élaborés par des grands boyards, moldaves et le Dôme des Invalides à Paris
valaques, et adressés à Paris par des voies sures; ils
demandaient, par exemple, l'autorisation de se constituer en Républiques. Mais la pensée
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du grand homme était distraite par des desseins autrement grandioses…Il savait à peine du
reste ce qu'étaient les 'Moldo-Valaques', et
sa réponse du 20 juillet 1802 fut: "faire
écrire à ces individus qu'ils me fassent
connaître ce que je pourrais faire pour leur
service". En fait, la période napoléonienne,
loin d'apporter aux Provinces roumaines le
soulagement
espéré,
marquera
leur
déchéance absolue, agrémentée de la perte
d'un morceau de leur territoire. Car, pour
leur malheur, ces Provinces du bas Danube
sont situées au point triple où se produisent
- avec violence - les frottements entre trois
des quatre Empires que Napoléon trouvera
Fig. 3 - La carte de la Moldavie est classée sous la
sur son chemin: l'Autriche, la Turquie, la
rubrique "Turquie" dans le "Cabinet Topographique
Russie. De chacun de ces Empires il fera
de Sa Majesté l'Empereur et Roi". Le document collé
sur grosse toile rose mesure 49 x 55 cm et est réduite au
alternativement des ennemis et des alliés,
1/750. 000è parle cartographe autrichien F. Fried (1 km
pour contrer l'ennemi majeur et permanent,
=1, 33mm)
l'Angleterre. Les Provinces moldo-valaques
serviront de miroir-aux-alouettes propre à introduire
la zizanie entre les continentaux qui tenteraient de
s'allier aux Anglais: c'est la recommandation d'un
rapport de 1801, puis de Talleyrand en 1805,
d'octroyer les Principautés à l'Autriche, afin de
l'opposer à la Russie …sur le dos de…la Turquie.
En janvier 1804, se rendant compte de l'influence
russe dans les Principautés (où l'on ne peut depuis
1802 changer le “Hospodar” sans l'aval de la
Russie), Bonaparte se proclame le seul véritable
ami de…la Porte ottomane; mais, peut-être,
songeait-il aussi à Constantinople…Ayant nommé
le 2 mai 1806, comme Ambassadeur à
Constantinople, son compatriote le Général
Sébastiani, il lui donne comme instruction de
renforcer l'emprise absolue de la Porte sur les deux
Principautés, et d'arriver à ce que la France soit
traitée comme la nation la plus favorisée. Arrivé le
9 août sur place, Sébastiani réussit (bien qu'il s'en
défende) à faire destituer dès le 24 août - soit 3 ans
avant la fin de leur mandat - les deux “Hospodars”
'pro-russes', C. Ipsilanti de Valachie et A. Moruzi Fig. 4 - Horace-François-Bastien, comte de
maréchal de France et homme
de Moldavie, qui, pour une fois, réussissaient assez Sébastiani,
politique français. En mission diplomatique en
bien. Faisant mettre à leur place des 'pro-français', il Turquie et en Egypte, il alla se distinguer à
à la Moskowa, dans la campagne de
déclenche la colère du Tsar russe qui décide Smolensk,
Saxe
d'envahir les Principautés: le Général Michelson
passe le Dniestr à la tête de 65.000 hommes le 23 novembre 1806; c'est une nouvelle
guerre "russo-turque" que la désinvolture de Napoléon venait de provoquer sur le sol des
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Roumains, les anéantissant ainsi un peu plus pendant les 6 ans que va durer cette guerre.
Soudain, changement de décor, changement d'alliances: à la fin de mai 1807, le Sultan
Sélim III est détroné par les janissaires et les religieux; les Ministres pro-français sont
massacrés. Le temps d'avoir une franche et nette victoire sur les Russes en Prusse orientale,
à Friedland, le 14 juin 1807, et Napoléon, à présent en position de force, abandonne l'allié
turc trop décadent, se rapproche du Tsar Alexandre Ier et le rencontre le 24 juin sur Niemen
(paix de Tilsitt) où ils s'accorderont des sphères d'influence à chacun: l'Empire d'Occident
à la France, l'Empire d'Orient à la Russie. Napoléon n'accepte pas (pas encore…) que la
Russie s'attribue les Provinces roumaines. Mais un an plus tard, après la défaite des
français en Espagne (Andalousie, 22 juillet 1808), Napoléon doit lâcher du lest à la réunion
qu'il organise avec grand faste, pour le Tsar et les Rois ses vassaux, à Erfurt en Allemagne
à partir du 27 septembre 1808: dans la convention secrète signée avec le Tsar, Napoléon
est obligé dans l'article 8, de "reconnaître la réunion de la Moldavie et de la Valachie à
l'Empire russe". La Finlande connaîtra le même sort, mais Napoléon refusera de concéder
Constantinople à la Russie, tandis que le Tsar Alexandre Ier n'accordera pas la main de sa
sœur Catherine à Napoléon…
En attendant que se produise un nouveau revirement ("On dit que Napoléon était
perfide, il n'était que changeant" a écrit Stendhal qui avait beaucoup servi l'Empereur,
jusques et y compris dans la retraite de Russie), l'Empereur commençait à vouloir
connaître plus sérieusement ces Provinces Danubiennes que sa diplomatie utilisait tant et
plus, alors qu'il n'en
connaîssait pas grand
chose
aux
plans
militaire, géographique
et économique. En
octobre 1806 Napoléon
fait
envoyer
deux
officiers, Jaubert et
Falkowsky,
pour
examiner la qualité des
fortifications
aux
frontières, le long du
Dniestr et du basDanube: leur rapport
est très pessimiste sur
la qualité des défenses
turques…Après la paix
de Tilsitt, il fait
envoyer
dans
les Fig. 5 - La boutique de Charles Picquet, géographe graveur du Quai de la Monnaie
Quai de Conti, face à l'Académie) a importé cette carte, "made in
Provinces le Capitaine (aujourd'hui
Austria" pour le compte du Cabinet topographique de l'Empereur. On notera que le
Aubert de l'Etat Major Delta du Danube est en Roumanie
de la Grande Armée:
celui-ci en revient avec un rapport statistique hostile aux Turcs et optimiste sur le
développement de ces Provinces qui deviendraient prospères si elles étaient bien
administrées (air connu…toujours actuel...); il y a toutefois dans le rapport Aubert des
faux-sens amusants, comme cette unité de longueur locale qui serait la distance parcourue
en une heure à dos de chameau (sic!). Ce qui manque surtout à Napoléon, ce sont des
cartes sûres et detaillées de ces provinces si convoitées; il charge donc le chef de son
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Bureau topograhique, le Géneral Bacler d'Albe, de s'occuper de ce problème; pour le
moment il n'y a rien sur le marché, et il lance la confection de telles cartes des Provinces
moldo-valaques, mais en zone d'hostilités ce n'est pas chose aisée.
Sur ces entrefaites, l'Autriche tentait de se venger de sa défaite d'Austerlitz et
attaquait au dépourvu les Français en Bavière, au début de 1809: cela s'acheva par la
victoire française à Wagram, un peu au Nord de Vienne (6 juillet 1809), et une paix très
dure fut imposée à l'Autriche dont la capitale fut occupée. “Cerise sur le gâteau” de paix
autrichien, la main de Marie-Louise, fille de l'Empereur d'Autriche était accordée à
l'Empereur des Français, au moment même où le Tsar de Russie lui refusait celle de sa
sœur. Le mariage eut lieu en France, avec la présence du Pape, le 1er avril 1810, et
Napoléon devenait ainsi le petit neveu par alliance de Marie-Antoinette et de Louis XVI,
souverains français guillotinés.
A l'alliance franco-turque, Napoléon avait substitué à Tilsitt l'alliance francorusse, à laquelle il substituait à présent l'alliance franco-autrichienne. La question qu'on
se posait maintenant: verrait-on bientôt une guerre entre la France et la Russie? A quoi le
Consul de France à Bucarest répondait aux Turcs en 1811: "Il n'est donné à personne de
deviner les profondes et sublimes combinaisons de l'Empereur, mais tous ses sujets ainsi
que tous les amis de la France doivent s'abandonner à son génie et à sa protection". Du
reste que faire d'autre, quand on sait que nombre de ses proches ont vainement essayé de le
dissuader d'attaquer la Russie ? Il fait demander à l'Autriche si l'occupation par les Russes
des Provinces moldo-valaques ne leur serait pas un motif suffisant pour se lancer dans une
Fig. 6 - Zone de Iassy agrandie mettant en évidence le relief et les localités telles qu'elles existaient il y
a deux siècles, et des noms souvent déformés ou fantaisistes
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guerre contre la Russie… Les Français qui sont maitenant à Vienne chez eux, peuvent y
acquérir cette carte très détaillée de la Moldavie pour le compte du cabinet topographique
de l'Empereur, et Bacler d'Albe est en train d'établir les cartes de la future campagne et de
réunir, d'un peu partout, le materiel cartographique qui est acheminé sur Dantzig.
Du côté russe, devant ces bruits de bottes, on essaye de se dépétrer de cette guerre
russo-turque qui n'en finit pas depuis bientôt 6 ans, et qui mobilise 40.000 hommes dans
l'Armée de Moldavie; les Autrichiens ne voudraient-ils pas de ces Provinces moldovalaques ? demandent les Russes; ils pourraient les occuper pour le compte des
Autrichiens…Koutouzov qui commande dans ces malheureuses provinces depuis 1811 ("je
leur ai laissé leurs yeux pour pleurer", précise-t-il), admet enfin, en novembre 1811, de ne
réclamer “que” la Moldavie jusqu'au Siret. En avril de 1812 et vu l'imminence de
l'invasion française, le Tsar s'énerve de ne voir toujours pas la paix signée avec les Turcs: il
envoie l'Amiral Tchitchagov pour remplacer Koutouzov à Bucarest. Apprenant l'arrivée de
son remplaçant qui est à Iassy le 11 mai, Koutouzov se dépèche de signer les préliminaires
de paix avec les Turcs, en acceptant de n'annexer “que” la partie entre Prut et Dniestr et
qu'ils nommeront "Bessarabie". Les Turcs, ignorant les préparatifs des Français qui ont lieu
dans le Nord de l'Europe, sautent sur l'occasion offerte si légèrement par Koutouzov et
s'empressent de signer cette paix qui ne leur coûte “que” la moitié de la Moldavie; la
signature a lieu le 28 mai à Bucarest, dans la maison de Manouc-Bey (Hanul-lui-Manuc) ;
le Sultan ratifie aussitôt et Koutouzov file chez le Tsar qui le fait aussitôt Prince en
reconnaissance d'avoir si bien reglé l'affaire moldave et d'avoir dégagé l'armée à temps.
Le Tsar Alexandre ratifie à Vilnius la paix de Bucarest le 23 juin 1812, c'est-à-dire
la veille du jour où, à 75 km de là, Napoléon passe le Niémen à Kaunas, en sifflotant
“Malbrough s'en va-t-en guerre” (sic) …Une armada de quelque 700.000 soldats le suit
(dont la moitié de Français), qui connaîtra, 5 mois plus tard, le plus grand désastre de tous
les temps, du fait de l'hiver russe dont Koutouzov aura su tirer parti. On sait que jusqu'aux
abords de Moscou, Napoléon n'a pas pu livrer grande bataille; ce n'est qu'à Borodino sur la
Moscova que Koutouzov le 7 septembre, arrive à rassembler 140.000 hommes et à livrer
bataille pour arrêter les Français qui sont ici à 130.000; les Français y ont perdu 35.000
hommes dont 43 généraux; les Russes y ont perdu 58.000 hommes, dont le prince de
Mecklembourg, le prince Bagration et aussi un Moldave d'origine, le major-général
Grégoire Cantacuzène; personne ne gagna la bataille et Napoléon continua sa marche sur
Moscou. Tandis que les Français craignaient à chaque instant l'irruption sur leur flanc droit
de l'Armée de Moldavie rendue disponible par la paix de Bucarest, l'Amiral Tchitchagov
paraissait musarder avec son Armée du Danube comme il l'appelait (un certain nombre de
moldo-valaques semblent s'y être engagés, comme p. ex. Ion Odobescu, père de l'écrivain).
Il commence par organiser la Bessarabie où il nomme Scarlat Sturdza comme Gouverneur;
ensuite il propose de prendre l'ennemi à revers…en marchant sur Constantinople! Après il
demande des renforts, prélevés sur des troupes déjà postées sur la Bérézina! Enfin il part le
25 août en tournée à Giurgiu et Brăila. Alors, pour le décider à filer vers le Nord où les
Français avancaient sur Moscou, les autorités russes prennent l'Amiral par la ruse: "on
m'annonce qu'un Corps considérable d'Autrichiens et de Français se rassemblait en
Galicie pour pénétrer en Moldavie…cette nouvelle est confirmée de Jassy... " (en fait
c'étaient les 30.000 Autrichiens qui venaient se mettre un peu à l'abri dans leur Galicie, leur
réserve de 30.000 hommes se trouvant juste à côté, en Transylvanie). Alors, Tchitchagov
se décide à faire converger sur Iassy tous ses généraux agréablement éparpillés parmi les
moldo-valaques; puis il s'aperçoit que Koutouzov (qu'il ne peut sentir) a emmené toutes les
cartes de la Volhynie et que le Général commandant la forteresse de Holting (sic) sur le
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Dniestr n'a pas préparé de pont! Bref tout est bon pour lui faire rater le rendez-vous avec
les Français, tant à l'aller vers Moscou qu'au retour vers Vilnius et Kaunus, en
Lituanie…Mais Koutouzov veille et ralentit par tous les moyens la progression des
envahisseurs: il réussit par diverses méthodes à leur faire perdre un long mois à Moscou,
(notamment en incendiant la Ville!) le temps que l'hiver arrive… La suite dramatique est
bien connue: tandisque les Français rentrent sans avoir pu défaire l'armée russe
insaisissable, les premières neiges qui tombent le 7 novembre, surprennent l'Armée en
retraite avant Smolensk et, par des gels épouvantables, les Français qui ont Koutousov par
derrière, doivent accélérer pour sortir du pays avant que Tchitchagov et son Armée de
Moldavie ne les bloquent du côté de Minsk, tandis que Koutouzov les attaquerait à revers.
C'est pourtant ce qui arriva: Tchitchagov était déjà avec 16.000 hommes dans la région de
Minsk avant les Français; il avait mis la rivière Bérézina entre ses troupes et Napoléon, et
s'était posté à la sortie du seul pont de la région où arriveraient nécéssairement les Français,
à Borisov; mais Tchitchagov rata son rendez-vous avec Napoléon et avec l'Histoire.
Napoléon fit semblant de se battre pour le pont de Borisov, et de faire construire un
nouveau pont en aval à la vue des troupes de Tchitchagov; en réalité les fameux
pontonniers du Général Eblé confectionnaient à 5 km en amont de Borisov et hors de la
vue des Russes, deux ponts solides par où passa effectivement, les 26 et 27 novembre, le
gros des restes de la Grande Armée, tandis que Tchitchagov attendait calmement à 10 km
en aval que les Français traversent par là, et que Koutouzov vienne le renforcer. Cela finit
par arriver, en même temps que la catastrophe: les trainards, les bléssés, les femmes et
l'intendance, bref des dizaines de milliers de malheureux arrivaient poussés par Koutouzov
et se firent prendre sur le pont à Borisov entre des tirs croisés, tandis qu' Eblé avait reçu
l'ordre de détruire tous les ponts pour couper la route au gros des troupes russes…ce qu'il
fit le plus tard possible, mais un épouvantable carnage avec des noyades dans l'eau glacée
eut quand même lieu…Il ne restait plus à Tchitchagov qu'a poursuivre les traînards de ce
qui restait de l'Armée française. Très critiqué à la fin de cette campagne, où il avait été
utilisé à contre-emploi, il préféra s'exiler; il se fit naturaliser Anglais et mourut à Paris en
1849.
Tel est donc le contexte dans lequel Napoléon Ier avait cette carte de la Moldavie en
allemand, carte qui est ensuite allée s'enfouir dans les affaires de son fidèle Aide-de-camp
qui fut aussi l’exécuteur testamentaire de l’Empereur, dont il avait partagé l’exil à SainteHélène, où il recueillit son dernier souffle avant de lui fermer les yeux. De là, elle a été
exhumée au bout de 180 ans.
Un épilogue peut être donné à l'histoire de cette carte d'origine viennoise. Pendant
la terrible année 1812, la carte des Pays roumains, dont la confection avait été lancée par
Bacler d'Albe quelques années plus tôt, a fini par aboutir: une carte très détaillée, centrée
sur les 4 provinces roumaines de Valachie, Bessarabie, Moldavie et Transylvanie, a été
éditée par les Postes Impériales à la date de 1812 avec le titre suivant: "Carte de la Russie
d'Europe (sic) dressée par E. Lapie, capitane de Ière classe au Corps Impérial des
Ingénieurs géographes. Gravée et publiée par P. A. P. Tardieu, graveur des postes
Impériales, Place del' Esplanade. 1812" L'intitulé est suprenant…: lapsus? erreur
d'impression? déphasage des cartographes qui ne savaient plus où se situer par rapport aux
zig zags des sublimes combinaisons de l'Empereur ? Toujours est-il que sa reproduction
figure dans l'ouvrage: La Bessarabie, par Antony Babel, librairie Alcan, Paris, 1926, sans
autre explication.
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MISCELLANEA – Jean Michel Cantacuzène: “ Ex libris ”
Légendes des figures:
FIG I: La carte de la Moldavie est classée sous la rubrique "Turquie" dans le "Cabinet Topographique de Sa Majesté
l'Empereur et Roi". Le document collé sur grosse toile rose mesure 49 x 55 cm et est réduite au 1/750. 000è parle cartographe
autrichien F. Fried (1 km =1, 33mm)
FIG II: Editée à Vienne en 1811, cette carte est assez précise pour les reliefs et va du
Dniestr jusqu'aux Carpates, en excluant tout ce qui est à l'Est d'une ligne Cernauti-SiretSuceava puisque la Bucovine avait été annexée avec ces villes en 1775 par l'Autriche.
FIG III: La boutique de Charles Picquet, géographe graveur du Quai de la Monnaie (aujourd'hui Quai de Conti face à
l'Académie) a importé cette carte, "made in Austria" pour le compte du Cabinet topographique de l'Empereur. On notera que le
Delta du Danube est en Roumélie.
FIG IV:
Agrandissement de la zone de Iassy, mettant en évidence le relief et les localités telles qu'elles existaient il y a 2
siècles, et des noms souvent déformés ou fantaisistes.
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BIBLOS 11-12 – p. 47
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