Les antagonistes de récepteurs de l’angiotensine dans le traitement

M
I S E A U P O I N T
L
es recommandations de la Société européenne de car-
diologie pour le traitement de l’insuffisance cardiaque
ch ronique publiées en 2001 réservaient une place limi-
tée à l’utilisation des antagonistes des récepteurs de l’angioten-
sine II (ARB) pour le traitement de l’insuffisance cardiaque ch ro-
nique ( 1 ) . Ces re c o m m a n d a tions ont été publiées après la
présentation des études ELITE II et Val-HeFT (2, 3).
ELITE II comparait le losartan à la dose de 50 mg et le captopril
à la dose de 150 mg. Il s’agissait d’une étude de supériorité, mais
elle n’a pas démontré de bénéfice supplémentaire en faveur du
losartan. L’étude Val-HeFT a comparé le valsartan à la dose de
320 mg sur un traitement de base par inhibiteur de l’enzyme de
conversion. Les conclusions de cette deuxième étude étaient en
faveur d’une réduction de l’un des critères primaires combinant
la mortalité et les hospitalisations pour insuffisance card i a q u e,
mais non de la mortali seule. De plus, chez les patients qui
étaient traités par un IEC et un bêtabl o q u a n t , une interaction néga-
tive sur la mortalité est apparue lors de l’administration de val-
sartan. Dans ce contexte historique, les recommandations euro-
péennes indiquaient que l’on pourrait envisager l’utilisation des
ARB chez les patients qui ne supportent pas les inhibiteurs de
l’enzyme de conversion pour l’amélioration symptomatique et la
réduction des hospitalisations. Elles insistaient sur le fait qu’il
n’était pas clairement établi que les ARB sont aussi efficaces que
les inhibiteurs de l’enzyme de conversion pour la réduction de la
mortalité et elles pointaient la possibilité d’une interaction néga-
tive avec les bêtabloquants.
Ces incertitudes expliquent qu’il n’y ait pas eu, en France, d’au-
torisation de mise sur le marcpour les sartans dans le traite-
ment de l’insuffisance cardiaque chronique. Depuis cette publi-
c a t i o n , les études contrôlées et randomisées impliquant des
antagonistes des récepteurs de l’angiotensine se sont multipliées.
Dans linsuffisance cardiaque ch ro n i q u e , les progra m m e s
C H A R M - A d ded et CHARM-Altern at ive ont été présentés en
2003 chez les patients traités par inhibiteurs de l’enzyme de
c o nve rsion (CHARM-Added) ou des patients intolérants aux IEC
(CHARM-Alternative) (4, 5). Dans le domaine de l’infarctus du
myo c a r de avec insuffisance cardiaque ou dy s fonction ve n t ri -
c u l a i re ga u che ont été publiées successivement les études
La Lettre du Cardiologue - n° 375 - mai 2004
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Les antagonistes de récepteurs
de l’angiotensine
II
dans le traitement
de l’insuffisance cardiaque chronique :
faut-il revoir les recommandations ?
A n g i o t e n s i n - I I receptor blockers in heart failure: new developments
M. Komajda*
*Institut de cardiologie, groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière.
La place des antagonistes des récepteurs de l’angioten-
sine II (ARA) était jusqu’à présent non re c o n n ue par
une AMM. La publ i c ation de nouvelles études dans l’in-
s u f fisance cardiaque ch ronique (CHARM-Altern at ive
et CHARM-Added) comme dans le postinfa rc t u s
(OPTIMAAL,VALIANT) devrait conduire à revoir la
place de cette classe.
Les récentes études permettent de dire que les ARA sont
un bon substitut aux IEC en cas d’intolérance à cette
d e r n i è re classe pour réduire la morbimortalité dans l’in-
suffisance cardiaque chronique.
Dans le postinfa rctus avec insuffisance cardiaque ou
dy s fonction VG, les ARA ne sont pas inféri e u rs aux IEC
et constituent également une bonne alternative en cas
d’intolérance.
L’ a s s o c i ation aux IEC dans linsuffisance card i a q u e
ch ronique réduit les hospitalisations pour IC et, d a n s
une étude, la mortalité cardiovasculaire.
L’ i n t e raction négat ive suggérée par les études ELITE II
et Val-HeFT n’a pas été confi re par les études suiva n t e s .
M o t s - c l é s :I n s u ffis ance cardiaque - A n giotensine -
Pronostic - Infarctus du myocarde.
Key wo rd s : H e a r t fa i l u re - A n giotensin - Prognosis -
Myocardial infarction.
P o i n t s f o r t s
La Lettre du Cardiologue - n° 375 - mai 2004
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OPTIMAAL en 2002 et VALIANT en 2003 (6, 7). Actuellement,
nous disposons donc d’un ensemble d’études incluant près de
35 000 patients, dont près de 20 000 ont été exposés à un sartan,
ce qui permet de mieux préciser la place potentielle des antago-
nistes des récepteurs de l’angiotensine.
La présentation des deux études CHARM-Added et CHARM-
Alternative dans la dysfonction ventriculaire gauche symptoma-
tique apporte de nouvelles informations. Les deux essais ont, en
effet, démontré une réduction de la mortalité cardiovasculaire et
du taux d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque ainsi que
d’un certain nombre d’autres objectifs secondaires cardiovascu-
laires, en faveur du candésartan prescrit à une dose allant jusqu’à
32 mg/jour.
L’étude OPTIMAAL dans le postinfarctus avec insuffisance car-
diaque a comparé 50 mg de losartan à 50 mg trois fois par jour de
c ap t o p r il. Lobjectif pri m a i r e n’a pas montré de supéri o rit é en
faveur de l’ARB. Il était prévu de tester l’hypothèse de non-infé-
riorité. Les résultats observés n’ont pas permis de confirmer qu’il
n’y avait pas de non-infériorité de l’ARB par rapport au captopril.
L’étude VALIANT a comporté trois bras, l’un qui comparait le
valsartan à une dose maximale de 320 mg au captopril à une dose
maximale de 150 mg par jour,et un troisième bras qui associait
le valsartan à une dose maximale de 160 mg au captopril à la dose
de 150 mg par jour. L’objectif primaire était la mortalité toutes
causes et les comparaisons étaient faites par rapport au bras cap-
topril.
Il n’y a pas eu de différence de mortalité entre les trois bras. En
revanche, le bras valsartan seul a fait “jeu égal” avec le groupe
de patients traités par inhibiteurs de l’enzyme de conve r s i o n , l ’ i n-
t e rvalle de confiance restant dans les limites prédéfinies pour
caractériser une non-infériorité. Cette non-infériorité a été obser-
vée non seulement sur la mortalité mais également sur le critère
composite d’événements cardiovasculaires mortels ou non mor-
tels. Il y a eu de façon significative un accroissement des effets
s e c o n d a i res dans le groupe comportant la double associat i o n ,
notamment des phénomènes d’hypotension artérielle et d’insuf-
fisance rénale.
Les données actuellement disponibles permettent donc de dire
q u e , dans l’insuffisance cardiaque ch ro n i q u e , une étude a été
n é g at ive (ELITE II), une autre a été fa i ble ment positive sur la
morbidité (Val-HeFT) et deux autres ont été très positives sur la
morbimortalité cardiovasculaire (CHARM-Added et CHARM-
A l t e rn at ive). Dans l’infa r ctus du myo c a rde avec insuffisance car-
d i a q u e, on peut opposer les résultats négatifs d’OPTIMAAL à
ceux de non-inféri o rité de VALIANT dans la comparaison dire c t e
d’un ARB et d’un IEC.
Il est toujours très difficile de comparer les résultats d’études qui
ont inclus des patients aux profils différents ou exposés à un trai-
tement de base variable. Les essais concernant les ARB n’échap-
pent pas à cette règle (tableau I),notamment en ce qui concerne
le taux de prescription de bêtabloquants.
Quoi qu’il en soit, l’ensemble des études désormais disponibles
permet de tirer des conclusions :
le risque d’interaction négative avec le traitement bêtabloquant
suggéré par Val-HeFT n’a pas été confirmé dans les études ulté-
rieures (OPTIMAAL, CHARM, VALIANT) ;
les résultats récents permettent de penser que les antagonistes
des récepteurs de l’angiotensine sont une bonne alternative aux
inhibiteurs de l’enzyme de conversion chez les patients sympto-
m atiques intolérants à l’IEC pour améliorer non seulement la
morbidité mais également la mortalité.
Une récente méta-analyse portant sur les études consacrées à l’in-
suffisance cardiaque suggère que la réduction de mortalité obte-
nue par les ARB chez les patients intolérants aux IEC est au moins
de même grandeur que celle obtenue avec les IEC dans les études
précédentes (21 % contre 17 %) (8). Chez les patients chez les-
quels l’ARB est donen supplément de l’IEC, il n’y a, p a r
c o n t re, pas d’effet signifi c atif sur la mort a l i t é , mais un effet signi-
ficatif sur la réduction des hospitalisations pour insuffisance car-
diaque. Une autre méta-analyse a raffiné l’impact du traitement
par ARB selon la pre s c ription ou non d’un bêtabloquant (9). C e t t e
méta-analyse confirme que, globalement, l’addition d’un ARB à
un IEC avec présence ou non d’un bêtabloquant n’induit pas de
diminution de la mortalité, mais réduit significativement le cri-
tère composite morbimortalité. Les auteurs ont analysé l’effet du
t r aitement bêtabloquant et ont conclu que l’effet de l’ARB en
addition à un IEC était surtout marqué chez les patients non trai-
tés par bêtabloquant. Cela a conduit à concl u re qu’il est utile d’as-
socier les ARB aux IEC chez les patients qui ne supportent pas
un traitement bêtabloquant.
Dans l’infarctus du myocarde avec des signes d’insuffisance car-
diaque, on peut raisonnablement conclure que les ARB sont une
bonne altern at i ve aux IEC chez les patients qui ne les tolère n t
pas. Il est par contre difficile de recommander en première inten-
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Tableau I. Principales études de morbimortalité avec les ARB.
Étude Moyenne d’âgeSuivi (mois) Mortalité annuelle Utilisation de bêtabloquants Dose quotidienne
ELITE II* 71,5 18,3 10,6 23 41
Val-HeFT* 62,5 23 10,2 34 254
CHARM-Added* 64 41 9,4 90 24
CHARM-Alternative* 66,3 33,7 10,3 54,5 23
OPTIMAAL** 67,4 31 5,9 79 45
VALIANT** 65 24,7 9,6 70 247/116
* Études dans l’insuffisance cardiaque chronique.
** Étude dans le postinfarctus.
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tion l’utilisation des ARB dans cette indication compte tenu de
la différence de prix entre les IEC et les ARB, d’une part, et du
nombre de patients inclus dans les essais randomisés avec cha-
cune des deux classes (100 000 ve rsus 34 000), d ’ a u t r e part.
Un des points les plus intriguants pour expliquer les différences
observées avec les essais cliniques utilisant les ARB est le pro-
blème de la dose. Il est frappant de constater que ELITE II et
OPTIMAAL, deux études qui n’ont pas atteint leur objectif, ont
utilisé des doses maximales de losartan de 50 mg. Cette dose est
considérée comme modeste à des doses utilisées dans les
autres essais (320 mg pour le valsartan, 32 mg pour le candésar-
tan). À l’inve rs e, dans dautres études employant le losart a n
(RENAAL et LIFE) à la dose de 100 mg par jour,un effet béné-
fique a été observé par rapport au traitement comparateur dans
une population d’insuffisants naux, d’une part , et dans une
p o p u l a tion d’hy p e rtendus avec hy p e rt rophie ve n t ri c u l a i re ga u ch e,
d’autre part. Ce problème du dosage des antagonistes des récep-
teurs de l’angiotensine reste donc ouvert, et une réponse devrait
ê t re ap p o rtée par l’essai HEAAL, qui compare l’efficacité de
50 mg de losartan à celle de 100 mg sur une population impor-
tante d’insuffisants cardiaques.
CONCLUSION
On peut considérer que, à la lueur d’essais thérapeutiques récents,
la place des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine dans
l’insuffisance cardiaque chronique et dans le postinfarctus avec
insuffisance cardiaque ou dysfonction ventriculaire gauche s’est
affirmée. Ces médicaments sont une bonne alternative aux IEC
lorsque ceux-ci ne peuvent pas être utilisés. De plus, la combi-
naison IEC-ARB apporte un avantage supplémentaire en termes
de morbidité, en particulier en ce qui concerne le taux d’hospi-
t a l i s ati ons pour insuffisance card i a q u e . La modulation du sys-
tème rénine-angiotensine apparaît donc comme un élément c
pour améliorer le pronostic de l’insuffisance cardiaque ou celui
de patients ayant un infarctus du myocarde avec signes d’insuf-
fisance cardiaque.
Les craintes concernant une interaction négative des ARB avec
les bêtabloquants n’ont pas été confirmées. Les résultats diver-
gents de certaines études soulèvent la question de la dose opti-
male des ARB à utiliser pour obtenir un effet significatif en cli-
nique.
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M
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