Les antagonistes de récepteurs de l’angiotensine dans le traitement

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Les antagonistes de récepteurs
de l’angiotensine II dans le traitement
de l’insuffisance cardiaque chronique :
faut-il revoir les recommandations ?
A n g i o t e n s i n - II receptor blockers in heart failure: new developments
● M. Komajda*
Points forts
■ La place des antagonistes des récepteurs de l’angioten-
sine II (ARA) était jusqu’à présent non reconnue par
une AMM. La publ i c ation de nouvelles études dans l’insuffisance cardiaque ch ronique (CHARM-Altern at ive
et CHARM-Added) comme dans le postinfa rc t u s
(OPTIMAAL,VALIANT) devrait conduire à revoir la
place de cette classe.
■ Les récentes études permettent de dire que les ARA sont
un bon substitut aux IEC en cas d’intolérance à cette
dern i è reclasse pour réduire la morbimortalité dans l’insuffisance cardiaque chronique.
■ Dans
le postinfa rctus avec insuffisance cardiaque ou
dy s fonction VG, les ARA ne sont pas inféri e u rsaux IEC
et constituent également une bonne alternative en cas
d’intolérance.
■ L’ a s s o c i ation
aux IEC dans l’insuffisance cardiaque
ch ronique réduit les hospitalisations pour IC et, dans
une étude, la mortalité cardiovasculaire.
■ L’ i n t e raction
négat ive suggérée par les études ELITE II
et Val-HeFT n’a pas été confi rmée par les études suivantes.
Mots-clés : I n s u ffisance cardiaque - A n giotensine Pronostic - Infarctus du myocarde.
Key wo rd s : Heart fa i l u re - A n giotensin - Prognosis Myocardial infarction.
* Institut de cardiologie, groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière.
La Lettre du Cardiologue - n° 375 - mai 2004
es recommandations de la Société européenne de cardiologie pour le traitement de l’insuffisance cardiaque
ch ronique publiées en 2001 réservaient une place limitée à l’utilisation des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARB) pour le traitement de l’insuffisance cardiaque ch ronique (1). Ces recommandations ont été publiées après la
présentation des études ELITE II et Val-HeFT (2, 3).
ELITE II comparait le losartan à la dose de 50 mg et le captopril
à la dose de 150 mg. Il s’agissait d’une étude de supériorité, mais
elle n’a pas démontré de bénéfice supplémentaire en faveur du
losartan. L’étude Val-HeFT a comparé le valsartan à la dose de
320 mg sur un traitement de base par inhibiteur de l’enzyme de
conversion. Les conclusions de cette deuxième étude étaient en
faveur d’une réduction de l’un des critères primaires combinant
la mortalité et les hospitalisations pour insuffisance card i a q u e,
mais non de la mortalité seule. De plus, chez les patients qui
étaient traités par un IEC et un bêtabl o q u a n t , une interaction négative sur la mortalité est apparue lors de l’administration de valsartan. Dans ce contexte historique, les recommandations européennes indiquaient que l’on pourrait envisager l’utilisation des
ARB chez les patients qui ne supportent pas les inhibiteurs de
l’enzyme de conversion pour l’amélioration symptomatique et la
réduction des hospitalisations. Elles insistaient sur le fait qu’il
n’était pas clairement établi que les ARB sont aussi efficaces que
les inhibiteurs de l’enzyme de conversion pour la réduction de la
mortalité et elles pointaient la possibilité d’une interaction négative avec les bêtabloquants.
Ces incertitudes expliquent qu’il n’y ait pas eu, en France, d’autorisation de mise sur le marché pour les sartans dans le traitement de l’insuffisance cardiaque chronique. Depuis cette publication, les études contrôlées et randomisées impliquant des
antagonistes des récepteurs de l’angiotensine se sont multipliées.
Dans l’insuffisance cardiaque ch ro n i q u e, les progra m m e s
CHARM-Added et CHARM-Altern at ive ont été présentés en
2003 chez les patients traités par inhibiteurs de l’enzyme de
conve rsion (CHARM-Added) ou des patients intolérants aux IEC
(CHARM-Alternative) (4, 5). Dans le domaine de l’infarctus du
myocarde avec insuffisance cardiaque ou dy s fonction ve n t ric u l a i re ga u che ont été publiées successivement les études
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Tableau I. Principales études de morbimortalité avec les ARB.
Étude
ELITE II*
Val-HeFT*
CHARM-Added*
CHARM-Alternative*
OPTIMAAL**
VALIANT**
Moyenne d’âge
71,5
62,5
64
66,3
67,4
65
Suivi (mois)
18,3
23
41
33,7
31
24,7
Mortalité annuelle
10,6
10,2
9,4
10,3
5,9
9,6
Utilisation de bêtabloquants
23
34
90
54,5
79
70
Dose quotidienne
41
254
24
23
45
247/116
* Études dans l’insuffisance cardiaque chronique.
** Étude dans le postinfarctus.
OPTIMAAL en 2002 et VALIANT en 2003 (6, 7). Actuellement,
nous disposons donc d’un ensemble d’études incluant près de
35 000 patients, dont près de 20 000 ont été exposés à un sartan,
ce qui permet de mieux préciser la place potentielle des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine.
La présentation des deux études CHARM-Added et CHARMAlternative dans la dysfonction ventriculaire gauche symptomatique apporte de nouvelles informations. Les deux essais ont, en
effet, démontré une réduction de la mortalité cardiovasculaire et
du taux d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque ainsi que
d’un certain nombre d’autres objectifs secondaires cardiovasculaires, en faveur du candésartan prescrit à une dose allant jusqu’à
32 mg/jour.
L’étude OPTIMAAL dans le postinfarctus avec insuffisance cardiaque a comparé 50 mg de losartan à 50 mg trois fois par jour de
captopril. L’objectif pri m a i re n’a pas montré de supéri o rité en
faveur de l’ARB. Il était prévu de tester l’hypothèse de non-infériorité. Les résultats observés n’ont pas permis de confirmer qu’il
n’y avait pas de non-infériorité de l’ARB par rapport au captopril.
L’étude VALIANT a comporté trois bras, l’un qui comparait le
valsartan à une dose maximale de 320 mg au captopril à une dose
maximale de 150 mg par jour, et un troisième bras qui associait
le valsartan à une dose maximale de 160 mg au captopril à la dose
de 150 mg par jour. L’objectif primaire était la mortalité toutes
causes et les comparaisons étaient faites par rapport au bras captopril.
Il n’y a pas eu de différence de mortalité entre les trois bras. En
revanche, le bras valsartan seul a fait “jeu égal” avec le groupe
de patients traités par inhibiteurs de l’enzyme de conversion, l ’ i nt e rvalle de confiance restant dans les limites prédéfinies pour
caractériser une non-infériorité. Cette non-infériorité a été observée non seulement sur la mortalité mais également sur le critère
composite d’événements cardiovasculaires mortels ou non mortels. Il y a eu de façon significative un accroissement des effets
s e c o n d a i res dans le groupe comportant la double association,
notamment des phénomènes d’hypotension artérielle et d’insuffisance rénale.
Les données actuellement disponibles permettent donc de dire
que, dans l’insuffisance cardiaque chronique, une étude a été
négative (ELITE II), une autre a été fa i blement positive sur la
morbidité (Val-HeFT) et deux autres ont été très positives sur la
morbimortalité cardiovasculaire (CHARM-Added et CHARM30
A l t e rn at ive). Dans l’infarctus du myo c a rde avec insuffisance card i a q u e, on peut opposer les résultats négatifs d’OPTIMAAL à
ceux de non-inféri o rité de VALIANT dans la comparaison dire c t e
d’un ARB et d’un IEC.
Il est toujours très difficile de comparer les résultats d’études qui
ont inclus des patients aux profils différents ou exposés à un traitement de base variable. Les essais concernant les ARB n’échappent pas à cette règle (tableau I), notamment en ce qui concerne
le taux de prescription de bêtabloquants.
Quoi qu’il en soit, l’ensemble des études désormais disponibles
permet de tirer des conclusions :
● le risque d’interaction négative avec le traitement bêtabloquant
suggéré par Val-HeFT n’a pas été confirmé dans les études ultérieures (OPTIMAAL, CHARM, VALIANT) ;
● les résultats récents permettent de penser que les antagonistes
des récepteurs de l’angiotensine sont une bonne alternative aux
inhibiteurs de l’enzyme de conversion chez les patients symptom atiques intolérants à l’IEC pour améliorer non seulement la
morbidité mais également la mortalité.
Une récente méta-analyse portant sur les études consacrées à l’insuffisance cardiaque suggère que la réduction de mortalité obtenue par les ARB chez les patients intolérants aux IEC est au moins
de même grandeur que celle obtenue avec les IEC dans les études
précédentes (21 % contre 17 %) (8). Chez les patients chez lesquels l’ARB est donné en supplément de l’IEC, il n’y a, par
c o n t re, pas d’effet signifi c atif sur la mortalité, mais un effet significatif sur la réduction des hospitalisations pour insuffisance cardiaque. Une autre méta-analyse a raffiné l’impact du traitement
par ARB selon la pre s c ription ou non d’un bêtabloquant (9). Cette
méta-analyse confirme que, globalement, l’addition d’un ARB à
un IEC avec présence ou non d’un bêtabloquant n’induit pas de
diminution de la mortalité, mais réduit significativement le critère composite morbimortalité. Les auteurs ont analysé l’effet du
traitement bêtabloquant et ont conclu que l’effet de l’ARB en
addition à un IEC était surtout marqué chez les patients non traités par bêtabloquant. Cela a conduit à concl u re qu’il est utile d’associer les ARB aux IEC chez les patients qui ne supportent pas
un traitement bêtabloquant.
Dans l’infarctus du myocarde avec des signes d’insuffisance cardiaque, on peut raisonnablement conclure que les ARB sont une
bonne altern ative aux IEC chez les patients qui ne les tolère n t
pas. Il est par contre difficile de recommander en première intenLa Lettre du Cardiologue - n° 375 - mai 2004
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tion l’utilisation des ARB dans cette indication compte tenu de
la différence de prix entre les IEC et les ARB, d’une part, et du
nombre de patients inclus dans les essais randomisés avec chacune des deux classes (100 000 ve rsus 34 000), d’autre part.
Un des points les plus intriguants pour expliquer les différences
observées avec les essais cliniques utilisant les ARB est le problème de la dose. Il est frappant de constater que ELITE II et
OPTIMAAL, deux études qui n’ont pas atteint leur objectif, ont
utilisé des doses maximales de losartan de 50 mg. Cette dose est
considérée comme modeste à côté des doses utilisées dans les
autres essais (320 mg pour le valsartan, 32 mg pour le candésartan). À l’inve rs e, dans d’autres études employant le losart a n
(RENAAL et LIFE) à la dose de 100 mg par jour, un effet bénéfique a été observé par rapport au traitement comparateur dans
une population d’insuffisants rénaux, d’une part, et dans une
population d’hy p e rtendus avec hy p e rt rophie ve n t ri c u l a i rega u ch e,
d’autre part. Ce problème du dosage des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine reste donc ouvert, et une réponse devrait
ê t re ap p o rtée par l’essai HEAAL, qui compare l’efficacité de
50 mg de losartan à celle de 100 mg sur une population importante d’insuffisants cardiaques.
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de patients ayant un infarctus du myocarde avec signes d’insuffisance cardiaque.
Les craintes concernant une interaction négative des ARB avec
les bêtabloquants n’ont pas été confirmées. Les résultats divergents de certaines études soulèvent la question de la dose optimale des ARB à utiliser pour obtenir un effet significatif en clinique.
■
Bibliographie
1. Remme WJ, Swedberg K. Guidelines for the diagnosis and treatment of chronic heart failure. Eur Heart J 2001;22:1527-60.
2. Pitt B, Poole Wilson PA, Segal R et al. On Behalf of the ELITE II investigators.
Effect of losartan compared with captopril on mortality in patients with symptomatic heart failure: randomised trial. The Losartan Heart Failure Survival Study
ELITE II. Lancet 2000;355:1582-7.
3. Cohn JN, Tognoni G. A randomised trial of the angiotensin receptor blocker
valsartan in chronic heart failure. N Engl J Med 2001;345:1667-75.
4. Granger CB, Mc Murray JJ, Yusuf S et al. Effects of candesartan in patients
with chronic heart failure and reduced left ventricular systolic function and intolerant to ACE inhibitors. The CHARM-Alternative Trial. Lancet 2003;362:772-6.
5. Mc Murray JJ, Ostergren J, Swedberg K et al. Effects of candesartan in patients
with chronic heart failure and reduced left ve n t ricular systolic function treated
with an ACE inhibitor: the CHARM-Added trial. Lancet 2003;362:767-71.
CONCLUSION
On peut considérer que, à la lueur d’essais thérapeutiques récents,
la place des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine dans
l’insuffisance cardiaque chronique et dans le postinfarctus avec
insuffisance cardiaque ou dysfonction ventriculaire gauche s’est
affirmée. Ces médicaments sont une bonne alternative aux IEC
lorsque ceux-ci ne peuvent pas être utilisés. De plus, la combinaison IEC-ARB apporte un avantage supplémentaire en termes
de morbidité, en particulier en ce qui concerne le taux d’hospit a l i s ations pour insuffisance cardiaque. La modulation du système rénine-angiotensine apparaît donc comme un élément clé
pour améliorer le pronostic de l’insuffisance cardiaque ou celui
6. Dickstein K, Kjekshus J. Effects of losartan and captopril on mortality and
morbidity in high risk patients after acute myocardial infarction. The OPTIMAAL
randomised trial. Lancet 2002;360:752-60.
7. Pfeffer MA, Mc Murray JJ, Velazquez EJ et al. Valsartan, captopril or both in
myocardial infarction complicated by heart failure, left ventricular dysfunction or
both. N Engl J Med 2003;349:1893-906.
8. Coletta AP, Cleland JGF, Freemantle N. Clinical trials update from the
European Society of Cardiology. Eur J Heart Failure 2003;5:697-704.
9. Dimopoulos C, Salukhe TV, Coats AJS et al. Metaanalysis of mortality and
morbidity effects of angiotensin receptor blockers in patients in chronic heart failure already receiving an ACE inhibitor alone or with a betablocker. Int J Cardiol
2004;93:105-11.
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