VI E P R O F E S S I O N N E L L E Un jour de vie, c’est la vie ! ● G. Devers* rrêt important rendu par le Conseil d’État le 26 octobre 2001 à propos de la question fort délicate des refus de transfusion opposés par les Témoins de Jéhovah. En l’espèce, l’équipe médicale était passée outre. La cour administrative d’appel de Paris, le 15 juin 1998, lui avait donné raison. Le Conseil d’État confirme, mais avec une motivation différente. Enfin, la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades contient une formule qui, inévitablement, rouvrira le débat. La question des refus de transfusion opposés par les Témoins de Jéhovah revient régulièrement dans la pratique des services. Elle pose une question plus large, celle de la libre acceptation des soins, et conduit à examiner les limites d’une règle cruciale : la liberté d’accepter les soins inclut le droit de les refuser. La décision rendue par le Conseil d’État le 26 octobre 2001 est d’autant plus intéressante que les faits sont particulièrement clairs. A L’AFFIRMATION D’UN REFUS Un homme âgé de 44 ans est hospitalisé le 2 janvier 1991 dans un établissement privé de l’Ouest parisien en raison d’une insuffisance rénale aiguë. Son état s’aggrave, et il est transféré le 22 janvier 1991 à l’hôpital Tenon. À compter du 28 janvier apparaît une grave anémie justifiant des transfusions sanguines. Ces transfusions sont pratiquées durant la période du 28 janvier au 6 février 1991, date du décès. Les transfusions, légitimes sur le plan scientifique, ont prorogé la vie du patient de quelques jours. De même est tout aussi certaine la volonté du patient, Témoin de Jéhovah, de refuser toute transfusion sanguine. Conscient de la gravité de son état, cet homme indique à l’équipe médicale son refus d’être transfusé et le confirme par une lettre à la direction de l’établissement le 12 janvier 1991. Cette lettre est transmise à l’équipe de l’hôpital Tenon. Ce patient déclare à l’équipe médicale qu’il refuse que lui soient administrés des produits sanguins, même dans l’hypothèse où ce traitement constituerait le seul moyen de sauver sa vie. Un nouveau refus est manifesté le 23 janvier 1991 devant un médecin de l’hôpital, en présence de l’épouse et d’une infirmière, alors même que le patient est informé du fait que cette décision compromet ses chances de survie. * Avocat au Barreau de Lyon. 272 À la suite du décès, l’épouse engage un recours en responsabilité contre l’AP-HP, estimant que l’attitude de l’équipe est fautive, et que cette faute ouvre droit à une indemnisation de 100 000 francs à titre de dommages et intérêts, pour le préjudice moral lié au non-respect de la volonté du patient. La question financière est annexe. C’est la question de principe qui est posée. Le tribunal administratif de Paris rejette ce recours, et ce rejet est confirmé par la cour administrative d’appel de Paris du 9 juin 1998 : “ L’obligation faite au médecin de toujours respecter la volonté du malade en état de l’exprimer trouve sa limite dans l’obligation qu’a également le médecin, conformément à la finalité de son activité, de protéger la santé, c’est-à-dire en dernier ressort la vie elle-même de l’individu. ” La cour administrative d’appel de Paris retient une hiérarchie parmi les valeurs : la volonté de la personne, reposant sur une croyance religieuse, est estimable et doit être respectée ; mais ce respect s’efface devant une valeur supérieure qui est le devoir du médecin de sauver la vie humaine. La famille forme un pourvoi, et l’affaire vient devant le Conseil d’État, qui rend son arrêt le 26 octobre 2001. L’issue est la même : la requête de la veuve est rejetée. Mais l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel est censuré, le Conseil d’État retenant une autre motivation. PAS DE SOLUTION GÉNÉRALE Le Conseil d’État reproche à la cour administrative d’appel de Paris d’avoir fixé une règle générale : “ En entendant faire prévaloir de façon générale l’obligation pour le médecin de sauver la vie sur celle de respecter la volonté du malade, la cour a commis une erreur de droit. ” Ainsi, le Conseil d’État estime que, sur une question aussi grave, on ne peut raisonner par a priori, mais seulement au cas par cas, la juridiction devant justifier que la gravité de la situation permet de dépasser la volonté exprimée du patient : “ Compte tenu de la situation extrême dans laquelle Monsieur X se trouvait, les médecins qui le soignaient ont choisi, dans le seul but de tenter de le sauver, d’accomplir un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état. Dans ces conditions, et quelle que fût par ailleurs leur obligation de respecter sa volonté fondée sur ses convictions religieuses, ils n’ont pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. ” La Lettre du Neurologue - n° 7 - vol. VI - septembre 2002 Le Conseil d’État poursuit l’examen de cette situation individuelle sur deux points. ● La veuve estimait qu’aurait pu être envisagé un traitement autre que les transfusions sanguines. Le Conseil d’État puise alors dans le rapport d’expertise : “ En raison de la gravité de l’anémie, le recours aux transfusions sanguines s’est imposé comme le seul traitement susceptible de sauvegarder la vie du malade. ” ● La veuve reprochait que, le jour J, on ne lui ait pas demandé personnellement son avis. Le Conseil d’État répond que le patient étant en mesure d’exprimer sa volonté, les médecins n’ont pas commis de faute en s’abstenant de consulter personnellement l’épouse. Il existe bien une hiérarchie entre le respect de la volonté, cette volonté reposant sur des convictions religieuses, et la nécessité de sauver la vie. Mais cette hiérarchie n’est pas systématique, et il doit chaque fois, au cas par cas, être justifié des conditions qui permettent d’enfreindre la volonté exprimée. En l’occurrence, il s’agissait, dit le Conseil d’État, “ d’accomplir un acte indispensable à la survie du patient et proportionné à son état ”. Or, si le Conseil d’État refuse cette hiérarchie générale, la solution qu’il retient laisse largement prévaloir le devoir du médecin. En effet, la situation est exemplaire sur deux points : le patient avait exprimé son refus d’être transfusé à plusieurs reprises et en connaissance de cause, alors même qu’il savait que ses jours étaient comptés ; les transfusions, sans doute adaptées sur le plan scientifique, ont permis tout au plus de retarder l’échéance inéluctable de huit jours. C’est dire la prévalence qui est donnée à la notion de sauver la vie, entendue comme sauver un jour de vie. Dans nombre de cas, les praticiens sont confrontés à ces situations de refus de soin, alors qu’il ne s’agit pas de sauver un ou quelques jours de vie, mais une vie, parce qu’on se trouve confronté à une situation cruciale imposant une transfusion en urgence. Le refus des transfusions a sans doute été exprimé, mais lors de cette affirmation, la personne n’était pas placée devant la perspective d’une mort inéluctable, et l’on peut penser que cette affirmation aurait peut-être été différente si la question était, grâce à quelques transfusions, de passer un cap et de permettre de vivre durablement. Ainsi les médecins doivent-ils argumenter, mais en tenant compte des signes forts donnés par le Conseil d’État. UN DÉBAT ÉVOLUTIF Un tel arrêt ne peut, quelle que soit la fermeté de la solution retenue, trancher définitivement la question, question qui comporte tant d’implications personnelles, relationnelles, morales. Mais, même sur le plan juridique, le débat n’est pas clos. Deux évolutions se dessinent : – La première est jurisprudentielle et européenne. On peut en effet penser que cette affaire, ou une autre proche, sera soumise à la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour, qui siège à Strasbourg, a pour mission d’appliquer un texte, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, texte qui est marqué par une conception très individualiste des La Lettre du Neurologue - n° 7 - vol. VI - septembre 2002 droits de l’homme. La Cour a montré à plusieurs reprises qu’elle savait tempérer le contenu de la Convention pour tenir compte des enjeux sociaux. Mais, à partir du moment où le débat est posé devant la Cour de Strasbourg, il change un peu de nature, l’accent étant mis sur l’aspect individuel des droits et, en l’occurrence, le respect de la liberté de religion. Dans d’autres domaines, la Cour a déjà eu à rappeler que cette liberté de religion n’était pas sans limite, et qu’elle devait être conciliée avec d’autres règles sociales. Il n’est pas interdit de penser que la Cour, tout en maintenant la solution, apporte à son tour une adaptation à la motivation. Réponse dans quelques années, si un recours est formé. – La seconde est législative et franco-française. Elle résulte de deux dispositions nouvelles issues de la loi du 4 mars 2002 sur “ les droits des malades et la qualité du système de santé ”. ● La personne de confiance Il s’agit tout d’abord du nouvel article L. 1111-6 du code de la Santé publique, qui reconnaît l’existence d’une “ personne de confiance ” : “ Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant, et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. Cette désignation est faite par écrit. Elle est révocable à tout moment. Si le malade le souhaite, la personne de confiance l’accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions. ” La loi précise qu’à l’occasion d’une hospitalisation, il doit être proposé au malade de désigner cette personne de confiance. Ainsi cette personne doit-elle être associée à la prise de décision. Il faut rester prudent dans l’application de ce texte qui ne substitue pas un consentement à un autre. Le seul consentement à prendre en compte est celui exprimé par le patient luimême. Si ce consentement ne peut être reçu, le médecin, après avoir recueilli l’avis de ce tiers de confiance, prendra la décision lui paraissant adaptée, sur le plan scientifique mais aussi sur le plan de la dignité. ● Le refus de soin Il s’agit ensuite du nouvel article L. 1111-4 du code de la santé publique, qui redéfinit le consentement aux soins : “ Toute personne prend, compte tenu des informations et préconisations des professionnels de santé, les décisions concernant sa santé. ” “ Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. ” “ Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. ” Cet article n’institue pas une rupture. Il confirme une analyse dominante et développe les dispositions générales inscrites dans le code civil, à l’article 16-3 : “ Il ne peut être porté 273 VI E P R O F E S atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. ” Il n’en reste pas moins que le troisième alinéa de ce nouvel article 1111-4 est d’une rédaction telle qu’il n’est pas possible de le considérer comme un simple rappel de la règle. En outre, cet article prend place au sein d’une législation qui proclame les droits des malades, avec une philosophie d’ensemble qui n’est pas seulement de rééquilibrer la relation médicale, mais bien de reconnaître des droits aux malades. S I O N N E L L E La loi définit des exceptions au principe du consentement, notamment pour permettre les soins sous contrainte en psychiatrie. Aussi, on entend déjà l’argument : au nom de quel principe peut-on créer une exception jurisprudentielle, alors que la loi n’a pas prévu de dérogation légale ? On peut envisager une réponse : la loi n’a pu remettre en cause le principe selon lequel un jour de vie, c’est la vie. Et, à supposer qu’il y ait un débat déontologique, y a-t-il place pour une responsabilité juridique, dès lors que sauver la vie ne constitue pas un préjudice ? Sauver la vie, comme sauver un jour de vie. ■ © Gastroentérologie (16), n° 5, mai 2002. A nnoncez-vous ! 2002 87 ● HAUTE-VIENNE NEUROPSYCHIATRE 50 / 50 + EEG en prévision cessation d’activité aimerait transmettre à confrère profil approchant dossiers cliniques et EEG (2 Minihuit Alvar) VILLE UNIVERSITAIRE CENTRE TÉL. : 06 74 19 97 84 entre 19 et 20 h. 76 ● SEINE-MARITIME LE CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL ELBEUF / LOUVIERS près de Rouen RECHERCHE UN PRATICIEN HOSPITALIER EN NEUROLOGIE À PLEIN TEMPS Poste à pourvoir à l’automne 2002 MÉDECIN ENVIRONNEMENT NEUROLOGIE GÉRIATRIE H/F Laboratoire pharmaceutique international, leader dans le traitement de la maladie d’Alzheimer, recherche dans le cadre de son expansion, un Médecin Environnement Neurologie Gériatrie. Sous la responsabilité du Directeur Médical, vous prenez en charge l’ensemble des projets d’environnement du Laboratoire. En étroite collaboration avec les leaders d’opinion, vous mettez en place et vous gérez les actions visant à améliorer le dépistage et la prise en charge des patients atteints de démence. 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