La Lettre du Neurologue - n° 7 - vol. VI - septembre 2002 273
Le Conseil d’État poursuit l’examen de cette situation indivi-
duelle sur deux points.
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●La veuve estimait qu’aurait pu être envisagé un traitement
autre que les transfusions sanguines. Le Conseil d’État puise
alors dans le rapport d’expertise : “ En raison de la gravité de
l’anémie, le recours aux transfusions sanguines s’est imposé
comme le seul traitement susceptible de sauvegarder la vie du
malade. ”
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●La veuve reprochait que, le jour J, on ne lui ait pas demandé
personnellement son avis. Le Conseil d’État répond que le
patient étant en mesure d’exprimer sa volonté, les médecins
n’ont pas commis de faute en s’abstenant de consulter person-
nellement l’épouse.
Il existe bien une hiérarchie entre le respect de la volonté, cette
volonté reposant sur des convictions religieuses, et la nécessité
de sauver la vie. Mais cette hiérarchie n’est pas systématique,
et il doit chaque fois, au cas par cas, être justifié des conditions
qui permettent d’enfreindre la volonté exprimée. En l’occur-
rence, il s’agissait, dit le Conseil d’État, “ d’accomplir un acte
indispensable à la survie du patient et proportionné à son état ”.
Or, si le Conseil d’État refuse cette hiérarchie générale, la
solution qu’il retient laisse largement prévaloir le devoir du
médecin.
En effet, la situation est exemplaire sur deux points : le patient
avait exprimé son refus d’être transfusé à plusieurs reprises et
en connaissance de cause, alors même qu’il savait que ses jours
étaient comptés ; les transfusions, sans doute adaptées sur le
plan scientifique, ont permis tout au plus de retarder l’échéance
inéluctable de huit jours. C’est dire la prévalence qui est don-
née à la notion de sauver la vie, entendue comme sauver un
jour de vie. Dans nombre de cas, les praticiens sont confrontés
à ces situations de refus de soin, alors qu’il ne s’agit pas de
sauver un ou quelques jours de vie, mais une vie, parce qu’on
se trouve confronté à une situation cruciale imposant une trans-
fusion en urgence. Le refus des transfusions a sans doute été
exprimé, mais lors de cette affirmation, la personne n’était pas
placée devant la perspective d’une mort inéluctable, et l’on
peut penser que cette affirmation aurait peut-être été différente
si la question était, grâce à quelques transfusions, de passer un
cap et de permettre de vivre durablement. Ainsi les médecins
doivent-ils argumenter, mais en tenant compte des signes forts
donnés par le Conseil d’État.
UN DÉBAT ÉVOLUTIF
Un tel arrêt ne peut, quelle que soit la fermeté de la solution
retenue, trancher définitivement la question, question qui com-
porte tant d’implications personnelles, relationnelles, morales.
Mais, même sur le plan juridique, le débat n’est pas clos. Deux
évolutions se dessinent:
– La première est jurisprudentielle et européenne. On peut
en effet penser que cette affaire, ou une autre proche, sera sou-
mise à la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour, qui
siège à Strasbourg, a pour mission d’appliquer un texte, la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme,
texte qui est marqué par une conception très individualiste des
droits de l’homme. La Cour a montré à plusieurs reprises
qu’elle savait tempérer le contenu de la Convention pour tenir
compte des enjeux sociaux. Mais, à partir du moment où le
débat est posé devant la Cour de Strasbourg, il change un peu
de nature, l’accent étant mis sur l’aspect individuel des droits
et, en l’occurrence, le respect de la liberté de religion. Dans
d’autres domaines, la Cour a déjà eu à rappeler que cette
liberté de religion n’était pas sans limite, et qu’elle devait être
conciliée avec d’autres règles sociales. Il n’est pas interdit de
penser que la Cour, tout en maintenant la solution, apporte à
son tour une adaptation à la motivation. Réponse dans quelques
années, si un recours est formé.
– La seconde est législative et franco-française. Elle résulte
de deux dispositions nouvelles issues de la loi du 4 mars 2002
sur “ les droits des malades et la qualité du système de santé ”.
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●La personne de confiance
Il s’agit tout d’abord du nouvel article L. 1111-6 du code de la
Santé publique, qui reconnaît l’existence d’une “ personne de
confiance ” :
“Toute personne majeure peut désigner une personne de
confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin trai-
tant, et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors
d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information néces-
saire à cette fin. Cette désignation est faite par écrit. Elle est
révocable à tout moment. Si le malade le souhaite, la personne
de confiance l’accompagne dans ses démarches et assiste aux
entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions.”
La loi précise qu’à l’occasion d’une hospitalisation, il doit être
proposé au malade de désigner cette personne de confiance.
Ainsi cette personne doit-elle être associée à la prise de déci-
sion. Il faut rester prudent dans l’application de ce texte qui ne
substitue pas un consentement à un autre. Le seul consente-
ment à prendre en compte est celui exprimé par le patient lui-
même. Si ce consentement ne peut être reçu, le médecin, après
avoir recueilli l’avis de ce tiers de confiance, prendra la déci-
sion lui paraissant adaptée, sur le plan scientifique mais aussi
sur le plan de la dignité.
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●Le refus de soin
Il s’agit ensuite du nouvel article L. 1111-4 du code de la santé
publique, qui redéfinit le consentement aux soins:
“Toute personne prend, compte tenu des informations et pré-
conisations des professionnels de santé, les décisions concer-
nant sa santé. ”
“Le médecin doit respecter la volonté de la personne après
l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté
de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met
sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la
convaincre d’accepter les soins indispensables. ”
“Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué
sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce
consentement peut être retiré à tout moment. ”
Cet article n’institue pas une rupture. Il confirme une analyse
dominante et développe les dispositions générales inscrites
dans le code civil, à l’article 16-3 : “ Il ne peut être porté