
Le Courrier des addictions (14) – n ° 4 – octobre-novembre-décembre 2012
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tout aussi critique vis-à-vis de l’utilisation des
traitements substitutifs à la nicotine dans le
cadre d’une réduction des risques : “proposer
aux fumeurs de réduire leur risque en utilisant
des substituts nicotiniques tout en continuant à
fumer est illusoire et dangereux. Il est de ce fait
condamnable”.
Autre référence : les Entretiens du Carla,
consensus d’experts organisés par le laboratoire
Pierre Fabre, dont un des buts est de rédiger
des recommandations de bonne pratique. Le
rapport sur le tabac est particulièrement bien
documenté (www. entretiens-du-carla.com/pu-
blication.php?pub=tabac). La question2 posée
aux experts et la recommandation préconisée
sont claires : “Peut-on envisager l’usage de subs-
tituts nicotiniques dans le but d’une diminution
de la consommation de tabac ayant pour objec-
tif une préparation à l’arrêt ultérieur?… Dans
le cadre d’une préparation à l’arrêt, chez les fu-
meurs insuffisamment motivés, ne pouvant pas
ou ne voulant pas un arrêt brutal, l’usage des
substituts nicotiniques participe à une augmen-
tation de la confiance du fumeur...” De tout cela,
nous pouvons en conclure qu’il ne s’agit pas de
rejeter, par principe, toute idée de réduction
des risques en matière de tabac, que l’efficacité
d’une diminution de consommation sur la santé
est indéniable et l’utilisation pour cela de trai-
tements substitutifs à la nicotine pas utopique.
L’étude de Benovitz et al. (9), par exemple, le
montre.
En France, la conférence d’experts de l’OFT
sur “Arrêt du tabac chez les patients atteints
d’affections psychiatriques” (2008) conclut,
tout en nuances, sur la faisabilité et l’intérêt
de cette stratégie thérapeutique dans une po-
pulation particulièrement difficile : “Si l’arrêt
forcé en milieu hospitalier est bien accepté, les
conséquences sur l’arrêt à long terme du tabac
sont faibles en absence de prise en charge
adaptée à la sortie des unités de psychiatrie.
En l’absence de prise en charge, la plupart des
patients reprennent leur tabagisme à la sortie
des unités de psychiatrie. L’intérêt d’un arrêt
définitif du tabac doit cependant être systé-
matiquement souligné, et la recherche sur l’ar-
rêt du tabac des patients atteints de maladies
psychiatriques doit être développée.”
Ces nuances atténuent le pessimisme que
pourraient induire les arguments toujours
mis en avant, comme par exemple l’effet bo-
lus-autotitration. Le groupe de travail sur “La
réduction du risque tabagique” en 2002 (10)
rappelle également les limites scientifiques de
cette technique : “Pour qu’une réduction du
nombre de cigarettes fumées par jour se tra-
duise par une ‘diminution de risque’, il faut
que cette réduction soit suffisamment impor-
tante, se fasse sur une durée suffisamment
longue, n’entraîne pas de modification de la
façon de fumer et n’obère pas d’éventuelles ten-
tatives de sevrage”. Pourtant, nous en avons ,
pour ainsi dire, “expérimenté”, l'intérêt.
Étude épidémiologique à
l’hôpital de sarreguemines
Jusqu’à présent, seuls les aspects théoriques
d’une approche moderne et pragmatique de la
dépendance tabagique et d’une tentative (illu-
soire ?) de prise en charge par une réduction
des risques avec usage de traitement subs-
titutif à la nicotine ont été abordés. On peut
pressentir des analogies entre les dépendances
aux opiacés et à la nicotine : fort pouvoir ad-
dictogène de ces produits, faible efficacité des
sevrages... Pourquoi, dès lors, ne pas envisager
un rapprochement entre ces deux substances
par le concept de réduction des risques par
traitement substitutif ? L’intérêt dans la dépen-
dance à l’héroïne est indéniable. Qu’en est-il
dans le tabagisme ? Une situation “expérimen-
tale” singulière nous permettrait peut-être un
début de réponse.
Le service hospitalier de soins en addictolo-
gie, lieu de cette “expérience”, est dévolu à des
personnes dépendantes aux stupéfiants (le
plus souvent héroïne) qui nécessitent un envi-
ronnement hospitalier dédié. En l’occurence,
“L’Étape”, qui compte 6 lits, est située dans un
centre hospitalier spécialisé. Sa vétusté était
telle qu’un déménagement s’imposait dans une
structure particulière du CHS de Sarregue-
mines, temporairement, le temps de faire les
travaux nécessaires. Mais de multiples contin-
gences ont fait durer cette “période transitoire”
du 1er juin 2006 au 1er février 2010. Or, au
cours de ces 4 années, une modification légis-
lative majeure allait nous permettre de nous
focaliser sur l’addiction au tabac : le décret n°
2006-1386 du 15 novembre 2006 fixant les
conditions d’application de l’interdiction de
fumer dans les locaux à usage collectif, rentré
en vigueur le 1er février 2007, en tout cas dans
les hôpitaux. Nous avons décidé de l’appliquer
aussitôt avec toute sa rigueur, précisément le
1er février 2007, notamment dans le service de
soins hospitaliers pour toxicomanes.
Une étude de la littérature montrait à l’époque
qu’il était moins utopique qu’il n’y paraissait de
proposer des soins contre le tabagisme à une
population souffrant d’autres addictions. Hurt
(11) le rappelait déjà en 1993 : “Il y a de plus
en plus d’expériences qui intègrent le diagnostic
et le traitement de la dépendance à la nicotine
dans celui des autres dépendances chimiques.
Little-Hill-Alina Lodge fut le premier, en
1985 (Delaney, 1988). D’autres programmes,
dans des centres comme the Veterans Medical
Center (Minneapolis), le Halterman Center
(Londres, Ohio), l’hôpital Parkwood (Atlanta),
le centre de réhabilitation à Aliquippa (Penn-
sylvanie), la clinique de Cleveland, le collège
médical de Virginie et l’université de médecine
du Texas (Houston) ont tenté cette intégration
avec des degrés variables de succès (Hoffmann
et Slade, 1993)… Il n’y a aucune méthode
infaillible pour réussir.” La prudence nous a
incités, toutefois, à ne pas exiger une absti-
nence totale (et involontaire) et à préférer les
inconvénients de la possibilité de fumer, mais
à l’extérieur du bâtiment. Il s’agissait alors de
faire un choix de traitement, dès lors qu’une
limitation de consommation était imposée.
Nous avons opté pour une mise à disposition
à volonté de traitements substitutifs à la nico-
tine transdermiques et bien sûr un accompa-
gnement “éducatif”.
Ainsi, était posée la situation expérimentale :
– une première période, du 1er juin 2006 au 31
janvier 2007, durant laquelle les patients dé-
pendants continuaient à fumer comme à l’ac-
coutumée, hormis la nécessité de le faire dans
une pièce dédiée, un “fumoir”. Et une deu-
xième période, du 1er février 2007 au 1er février
2010, soit 3 ans, au cours de laquelle l’interdic-
tion de fumer était imposée. Il était proposé à
chaque patient un sevrage tabagique avec mise
à disposition de patchs fournis par la pharma-
cie et des plages de sorties étaient définies afin
de satisfaire le besoin de fumer. Dans les faits,
ces contraintes ont conduit à une consomma-
tion moyenne de 10 cigarettes par jour et par
malade au cours de leur séjour. C’est peu par
rapport aux consommations habituelles de ces
patients mais les “ruptures de contrat” entraî-
nant la sortie du patient, par non-respect de la
loi anti-tabac ont été moindres que redoutées.
En outre, la durée moyenne de séjour n’a pas
diminué malgré les restrictions à l’usage du
tabac.
MéTHODOLOGIE
Nous avons donc deux échantillons de pa-
tients, soignés pour des troubles addictifs par
stupéfiants, qui ont séjourné dans la même
structure, pendant le temps, court des soins
nécessaires (10 jours), mais ont été soumis à
deux règlements différents en ce qui concerne
l’usage du tabac. La population A disposait en
quelque sorte d’un accès libre au tabac, quasi
identique à celui qui existe à l’extérieur. La
population B s’est vue imposer, dans les faits,
une restriction à une consommation moyenne
de 10 cigarettes par jour, quelle que soit sa
consommation à l’extérieur, à des moments
précis de la journée et jamais la nuit. Les
patients ont bénéficié d’un “conseil minimal”
et d’un accès libre à un traitement par subs-
titution nicotinique par dispositifs transder-
miques, après évaluation médicale minimale.
Le but de cette étude comparative était d’éva-
luer les consommations de tabac, avant, pen-
dant et après le séjour, à 1 an, de ces deux
populations. Avec l’hypothèse que la “B”, qui
avait fait, involontairement, l’expérience de
la réduction de ses consommations de ciga-
rettes, était capable de la maintenir au fil du
temps. Si ses détracteurs et les partisans de
l’autotitration pure avaient raison, les consom-
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