D Préservation de la fertilité dans le cadre du cancer du sein

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DOSSIER THÉMATIQUE
Grossesse et cancer du sein
Préservation de la fertilité
dans le cadre du cancer
du sein
Fertility preservation in breast cancer
C. Decanter*, A. Mailliez**
D
epuis décembre 2006 (décret d’application de la loi de 2004), les techniques de
préservation de la fertilité appartiennent au
domaine commun : toute patiente doit donc être
informée des risques d’infertilité liés à son traitement
ainsi que des techniques de préservation pouvant
être appliquées dans son cas. Dans le cadre précis du
cancer du sein, 2 arguments plaident en faveur de la
préservation : la toxicité des protocoles de chimiothérapie mais aussi, et peut-être surtout, la mise en
différé d’au moins 2 à 5 ans du projet de grossesse.
Ce dernier point est loin d’être négligeable quand
on sait que la moyenne d’âge au diagnostic chez les
femmes de moins de 40 ans est de 32,9 ans (1). Les
différentes techniques de préservation de la fertilité
chez la femme sont :
– la cryoconservation ovarienne ;
– la congélation d’ovoçytes ;
– la congélation d’embryons ;
– le blocage ovarien par agonistes de la GnRH.
Dans ce dossier, les indications et protocoles relevant de chacune de ces techniques seront discutées
dans le contexte bien spécifique du cancer du sein.
Cryopréservation ovarienne
* Centre de préservation de la
fertilité, service d’AMP de l’hôpital
Jeanne-de-Flandre, CHRU de Lille.
** Centre Oscar-Lambret, département de sénologie, LILLE.
Développée initialement pour les seules patientes sur
le point de recevoir un traitement castrateur, la cryopréservation ovarienne connaît maintenant des indications plus larges. Si la congélation ovarienne n’est plus
considérée comme une technique expérimentale, elle
reste néanmoins une technique en cours d’évaluation.
Dans le monde, on estime à 50 le nombre de greffes
ovariennes réalisées. Quatorze naissances, toutes issues
30 | La Lettre du Sénologue ̐ n° 55 - janvier-février-mars 2012
de greffes orthotopiques, ont été rapportées. Sept ont
été obtenues après fécondation in vitro (FIV) [2] et
1, dans le cadre d’un cancer du sein (3). Le recours à
la congélation ovarienne avant chimiothérapie pour
cancer du sein reste débattu. En effet, il existe encore
peu de données concernant la toxicité du protocole
FEC-taxotère sur la fertilité. Par ailleurs, il y a un risque
d’amputation significative du stock folliculaire lors
de toute ovariectomie chez une patiente de plus de
30 ans (4), pouvant nuire aux chances de récupération
spontanée de la fonction ovarienne après la chimiothérapie. Ce risque est à comparer avec les chances de
grossesse après greffe, encore difficiles à définir. Enfin,
les risques de réintroduire des cellules cancéreuses lors
d’une greffe ultérieure sont également à prendre en
considération, même si, en l’absence de maladie systémique, il semble que les micrométastases ovariennes
soient très rares (5). Certaines équipes réservent désormais la congélation ovarienne aux patientes célibataires
en lieu et place de la congélation ovocytaire ou aux
patientes pour lesquelles la stimulation ovarienne type
FIV n’est pas réalisable (problème de délais, chimiothérapie néo-adjuvante, patientes RH+) [6]. En France,
d’après le registre national du GRECO, seules 2 à 3 %
des cryoconservations ovariennes ont été réalisées
dans un contexte de cancer du sein.
Préservation médicamenteuse :
blocage ovarien par agonistes
de la GnRH
L’intérêt de la préservation de type médicamenteux est qu’elle peut être proposée dans toutes les
situations, y compris quand il y a urgence pour la
Points forts
Mots-clés
» La question d'une infertilité éventuelle pourrait être systématiquement examinée avant la chomiothérapie
chez les patientes ayant un cancer du sein.
» Les techniques de préservation de la fertilité pourrait être discutées chez les patientes jeunes ayant un
cancer du sein.
» La cryopréservation des ovocytes et/ou des embryons peut être proposée aux patientes jeunes ayant un
cancer du sein en cas de chimiothérapie adjuvante.
Cancer du sein
Chimiothérapie
Embryon
Ovocyte
Préservation de la
fertilité
mise en route de la chimiothérapie. Néanmoins,
l’effet protecteur des agonistes de la GnRH, bien
que démontré dans les modèles animaux (réduction
significative de l’apoptose folliculaire), reste controversé chez la femme. Une récente méta-analyse
compilant 11 études prospectives fait état d’un
effet protecteur, mais seules 3 de ces études étaient
randomisées (7). Ces résultats sont confirmés dans
une récente revue Cochrane compilant et analysant
les uniques études randomisées (8). L’une de ces
études concerne le cancer du sein et met en évidence
un meilleur taux de récupération ovarienne dans
le groupe des femmes traitées par agonistes (9).
Plusieurs hypothèses ont été avancées pour justifier
l’effet protecteur du blocage ovarien :
– diminution du recrutement folliculaire par inhibition de sécrétion de la FSH ;
– diminution de l’exposition des ovaires aux produits
toxiques de par l’hypoestrogénie et l’hypoperfusion
utéro-ovarienne qui en découle ;
– up-regulation par le GnRH de la sphingosine1-phosphate, molécule dont les effets antiapoptotiques ovariens sont prouvés en cas de
chimiothérapie et/ou de radiothérapie.
Cette dernière hypothèse semble la seule valable
à l’heure actuelle (10). Si les dernières réticences
concernant l’usage des agonistes de la GnRH dans
le cas particulier du cancer du sein se dissipent, cette
stratégie de préservation de la fertilité pourrait être
proposée dans chaque cas relevant de la chimiothérapie, y compris en situation néo-adjuvante.
Stimulation ovarienne
en vue de congélation
d’embryons ou d’ovocytes :
indications et protocoles
Très peu d’équipes dans le monde ont publié des
séries de stimulation type FIV dans le cadre du
cancer du sein. À ce jour, seules 2 équipes en France
ont établi un protocole de prise en charge de ces
patientes : l’équipe de Cochin à Paris (Pr Dominique
de Ziegler) et l’équipe de Jeanne-de-Flandre à Lille
(Dr Christine Decanter).
Congélation d’embryons
La congélation embryonnaire reste la technique qui
offre le plus de chances de grossesse : 25 à 35 % (5).
Cette technique de FIV “en urgence” (“emergency
IVF”) a été très peu proposée jusqu’alors aux femmes
atteintes d’un cancer du sein. Les premières et plus
grandes séries (80 patientes) sont rapportées par
l’équipe américaine d’Oktay et concernent de jeunes
patientes (moins de 40 ans), opérées de leur tumeur
et requises pour une chimiothérapie adjuvante. Dès
2003, l’intérêt d’une stimulation ovarienne préalable
est avancé, la FIV en cycle naturel n’offrant que peu
de chances de fertilité ultérieure avec seulement
0,6 embryon cryopréservé par patiente contre 6,6
après stimulation (11). Les patientes bénéficient de
cette stimulation dans l’intervalle, habituellement
de 6 semaines, suivant la chirurgie et précédant la
chimiothérapie. L’équipe d’Oktay traite indifféremment les patientes RH– ou RH+ contrairement au
groupe allemand FertiPROTEKT qui préconise plutôt le
recours à la congélation ovarienne pour les patientes
RH+ (6). La principale retenue concernant la stimulation vient des éventuels risques tumoraux liés à
l’élévation de l’estradiolémie, même si celle-ci est
de courte durée (environ 5 jours). Pour en limiter les
éventuelles conséquences, Oktay et al. préconisent
le recours à un antiestrogène, le tamoxifène, ou à un
antiaromatase, le létrozole, pendant la stimulation
(12, 13). Dans le même esprit, le recours aux antagonistes est préféré à l’usage des agonistes, ces derniers
pouvant en revanche servir au déclenchement pour
limiter les risques d’hyperstimulation ovarienne (5,
14). Avec les antiaromatases, les niveaux d’estradiolémie pendant la stimulation sont significativement
plus bas sans que cela nuise à la qualité du recueil
ovocytaire (13). En France, l’utilisation du létrozole
dans le cadre de stimulation ovarienne n’est pas
autorisée et est même fortement déconseillée par
le laboratoire qui le commercialise. Le recours à
l’injection intracytoplasmique de spermatozoïdes
(ICSI) est conseillé, même en l’absence d’indication,
de façon à limiter les risques d’échec de fécondation.
Aucune augmentation de l’incidence des rechutes n’a
été constatée dans une large étude comparant 79
patientes ayant bénéficié d’une stimulation en vue
de FIV à 136 patientes ayant refusé l’option (15). Le
Highlights
The eventuality of infertility
should be systematically
discussed before chemotherapy
for breast cancer.
Fertility preservation techniques
should be discussed in young
breast cancer patient.
Cryopreservation of oocytes
and/or embryo can be proposed
in young breast cancer patients
in case of adjuvant chemotherapy.
Keywords
Breast cancer
Chemotherapy
Embryo
Oocyte
Fertility preservation
La Lettre du Sénologue ̐ n° 55 - janvier-février-mars 2012 |
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DOSSIER THÉMATIQUE
Grossesse et cancer du sein
transfert d’embryons congelés se fera idéalement sans
traitement hormonal si la patiente a toujours un cycle
menstruel. En revanche, si l’aménorrhée persiste, un
traitement par estrogènes sera indispensable pour
l’implantation. L’estradiolémie sera donc très élevée…
comme lors de toute la période de grossesse (environ
10 000 pg/ml dès la fin du premier trimestre) ! La principale limite de la congélation embryonnaire réside
probablement… dans le couple lui-même ! En effet,
il s’agit là de préservation de la fertilité du couple et
non de la patiente elle-même et cette nuance se doit
d’être discutée avec les intéressées.
Congélation d’ovoçytes
Les techniques de congélation d’ovocytes matures
progressent considérablement et offrent désormais
la possibilité aux patientes sans conjoint de préserver
leur fertilité. Le processus de stimulation ovarienne
est identique à celui de la FIV. Les incertitudes et les
risques aussi ! Le taux final de grossesse est inférieur
à celui obtenu par congélation embryonnaire et est
estimé à 5 % par ovocyte congelé (5, 16). On estime
que pour donner de vraies chances de grossesse ultérieure à une patiente, il est souhaitable d’avoir pu
congeler au moins 8 ovoçytes matures. À ce jour,
près de 1 000 bébés sont nés dans le monde par le
biais d’une congélation lente ou d’une vitrification
d’ovocytes matures, sans qu’il ait été noté d’augmentation de l’incidence des malformations (17). La
technique de vitrification permettrait de meilleurs
taux de récupération après décongélation (80 %
versus 63 %) puis de fécondation des ovocytes (18).
Maturation ovoçytaire in vitro
La congélation d’ovocytes immatures ou la maturation
ovocytaire in vitro, bien qu’encore très expérimentales,
sont des alternatives séduisantes dans le contexte particulier du cancer du sein. En effet, toute patiente pourrait
être prélevée avant la chimiothérapie, même néoadjuvante, quels que soient les délais, sans stimulation
préalable (19). Néanmoins, les chances de grossesse et
de naissance sont loin d’être convaincantes dans une
population de femmes infertiles. Il semble que les résultats puissent être significativement améliorés si l’on peut
quand même stimuler a minima, ce qui revient à perdre
tous les avantages de cette méthode dite “naturelle”. Par
ailleurs, la maturation complète de l’ovoçyte dans des
conditions in vitro n’est sans doute pas sans risque pour
le conceptus futur, notamment pour ce qui concerne les
maladies d’empreintes.
Conclusion
Il est encore difficile d’établir un arbre décisionnel
concernant la préservation de la fertilité dans le
cadre très particulier du cancer du sein. Le caractère invasif de la cryoconservation ovarienne en
regard d’un risque d’infertilité post-FEC-taxotère
non majeur et de chances de grossesse après greffe
non chiffrables rend cette option peu souhaitable, hors
cas particulier. La congélation d’ovoçytes et/ou d’embryons après stimulation type FIV est une alternative
séduisante en situation adjuvante, mais reste en
cours d’évaluation du fait du faible nombre de cycles
réalisés à ce jour.
■
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