thématique D Tolérance en transplantation

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D OSSIER
thématique
Tolérance en
transplantation
d’organe
Coordinateur : A. Le Moine,
Institut d’immunologie médicale,
Université Libre de Bruxelles,
Gosselies,
département de néphrologie,
hôpital Érasme, Bruxelles, Belgique
( La question de la tolérance en transplantation : mythe ou réalité ?
A. Le Moine (page 86)
" Induction de tolérance : de la délétion à la régulation
F.S. Benghiat, A. Le Moine
( Transplantation d’îlots et tolérance - C. Beuneu (page 96)
( L’induction de tolérance en greffe d’organe : bientôt une réalité ?
V. Donckier, R.Troisi, A. Le Moine (page 106)
( Mesure de l’alloréactivité au moyen des tétramères de complexes
majeurs d’histocompatibilité - D. Klestadt (page 113)
Induction de tolérance :
de la délétion à la régulation
"
F.S. Benghiat*, A. Le Moine*
efficacité du système immunitaire repose sur son aptitude à
distinguer le soi du non-soi. En équilibre, il maintient l’intégrité des structures propres à l’individu (soi) tout en
éliminant les intrus (non-soi) tels que
des pathogènes infectieux. Lors de la
greffe d’un organe génétiquement différent (allogénique), le système immunitaire du receveur réagit vigoureusement
contre le tissu étranger, ce qui mène au
rejet de celui-ci. Cet obstacle est
contourné par l’administration de traitements immunosuppresseurs. Malheureusement, plusieurs inconvénients
limitent leur utilisation. D’une part, ces
traitements altèrent l’ensemble des
réponses immunitaires, augmentant le
risque relatif d’infections mortelles et
de cancers. D’autre part, malgré une
immunosuppression importante, ils ne
L’
* Institut d’immunologie médicale, Université Libre
de Bruxelles, B-6041 Gosselies, Belgique.
90
semblent pas abolir la survenue du rejet
chronique. La situation idéale serait que
le système immunitaire considère l’allogreffe et ses alloantigènes comme faisant partie intégrante du soi (un soi
étendu), évitant de la sorte la prise chronique d’immunosuppresseurs et permettant qu’un état de tolérance active
et spécifique garantisse la survie de
l’organe tout au long de la vie.
ALLOANTIGÈNES
ET REJET D’ALLOGREFFE
Le rejet d’allogreffe (allo en grec signifiant “autre”) résulte de la reconnaissance
par l’hôte d’antigènes de transplantation. Ces alloantigènes sont subdivisés
en deux grandes catégories. D’une part,
les antigènes du complexe majeur d’histocompatibilité – CMH ou Human
Leucocyte Antigen (HLA) – de classe I
et de classe II et, d’autre part, les antigènes mineurs. La principale fonction
des CMH de classe I et de classe II est
Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 2 - avril-mai-juin 2005
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de fixer des peptides antigéniques et de
les présenter aux lymphocytes T. Leur
topographie, la nature du peptide présenté ainsi que le type de lymphocytes
“répondeurs” dépendent du type de
CMH considéré. Les CMH de classe I
(HLA-A, -B et -C) sont présents de
façon constitutive sur toutes les cellules,
alors que les CMH de classe II (HLADR, -DP et -DQ), à l’état de base, ne
sont exprimés qu’à la surface des cellules présentatrices d’antigènes (CPA),
à savoir les cellules dendritiques (DC),
monocytes, macrophages et lymphocytes B. Lors de situations pathologiques (ischémie-reperfusion du greffon
par exemple), certaines cytokines peuvent induire l’expression de CMH de
classe II [interférons (IFN)α, β, γ ou
l’interleukine (IL)4] à la surface de nouveaux types cellulaires (cellules endothéliales…) ou augmenter l’expression
du CMH de classe I (IFNγ) et, dès lors,
augmenter la présentation d’antigènes
aux lymphocytes et la réactivité antidonneur. Les CMH de classe I présentent des peptides intracellulaires
(comme des peptides viraux ou tumoraux) aux lymphocytes T CD8+ alors
que les CMH de classe II présentent aux
lymphocytes T CD4+ des peptides provenant de protéines extracellulaires
préalablement phagocytées et apprêtées. Il s’ensuit une activation du lymphocyte et l’induction d’une réponse
immunitaire de rejet. Il existe deux
voies de reconnaissance des alloantigènes par les lymphocytes CD4+ de
l’hôte (figure 1) : soit sous forme de
peptides allogéniques apprêtés et présentés dans un CMH de classe II du
receveur (voie indirecte), soit sous
forme intacte sur les cellules du donneur (voie directe). Après transplantation, les CPA du donneur résidant dans
le greffon migrent vers les tissus lymphoïdes avoisinants pour activer directement les lymphocytes alloréactifs
(rejet aigu). Avec le temps, les CPA du
donneur disparaissent et la voie indirecte
de reconnaissance des alloantigènes
devient prédominante. De nombreux
auteurs considèrent cette voie de reconnaissance comme étant à la base du rejet
chronique. Bien qu’il existe une multitude de voies menant au rejet d’allogreffe, il existe cependant des patients
qui acceptent à long terme une allogreffe fonctionnelle avec des doses
infimes, voire sans immunosuppresseur.
Comment explique-t-on cet état de tolérance
“spontanée” ? Quels qu’en soient les mécanismes, ces observations sont néanmoins
rassurantes, dans le sens qu’elles démontrent qu’il est possible de tolérer des alloantigènes. Tentons de récapituler les mécanismes impliqués dans la tolérance au soi
et, ensuite, d’imaginer comment ceux-ci
pourraient s’appliquer aux allogreffes.
LA TOLÉRANCE NATURELLE AU SOI
On distingue au moins deux grands
mécanismes impliqués dans la tolérance
au soi.
La tolérance centrale
ou la sélection thymique
Le thymus joue un rôle primordial dans
la maturation des lymphocytes T et dans
les phénomènes de tolérance au soi.
Lorsqu’ils arrivent dans le thymus, les
précurseurs des lymphocytes T (thymocytes) réarrangent tout d’abord les
gènes de leur récepteur T (TCR) afin de
l’exprimer à leur surface. Les possibilités
de combinaison de ces réarrangements
sont telles qu’elles donnent lieu à un
répertoire très diversifié de thymocytes
exprimant chacun un TCR particulier.
Ensuite, les thymocytes subissent deux
sélections successives, l’une positive,
l’autre négative, au terme desquelles
leur maturation sera achevée (figure 2).
La sélection positive permet aux seuls
thymocytes qui expriment un TCR
reconnaissant les molécules du CMH du
soi de survivre et de poursuivre leur
maturation. Cette étape confère aux
lymphocytes T la particularité d’être
restreints au CMH du soi, c’est-à-dire
qu’ils sont capables de distinguer les
Voie directe
Voie indirecte
CD4
CD4
CD8
CD8
Récepteur T
Récepteur T
CMH
de classe II
Récepteur T
CMH
CMH de classe II
de
classe I
Peptide allogénique
CMH
de classe I
Cellule
du
greffon
CPA du donneur
CPA du receveur
Donneur
Receveur
CPA : cellule présentatrice d’antigène ; CMH : complexe majeur d’histocompatibilité.
Figure 1. Présentation directe et indirecte des alloantigènes.
) Voie directe : présentation du CMH de classe I ou II du donneur sous forme intacte aux lymphocytes CD8+ et CD4+ de l’hôte, respectivement.
) Voie indirecte : les protéines allogéniques sont phagocytées par les CPA de l’hôte ; elles sont
ensuite apprêtées et présentées sous forme de peptides dans un CMH soit de classe I, soit de
classe II du receveur aux lymphocytes CD8+ et CD4+ respectivement.
91
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Sélection négative
Sélection positive
thématique
Thymocyte
TCR restreint
au CMH du soi CMH du soi
Sélection positive
Cellule thymique
épithéliale
TCR de faible
affinité
TCR d'affinité
intermédiaire
TCR non restreint
Mort par négligence
TCR de forte
affinité
Peptide
du soi
Maturation
en lymphocyte T
effecteur
Maturation
en lymphocyte T
régulateur
CD4+CD25+
Sélection négative
Mort par apoptose
Figure 2. La sélection thymique.
peptides du soi de peptides étrangers, à
condition qu’ils soient présentés dans
un CMH du soi. En présence d’un CMH
allogénique, les lymphocytes perdent
tous leurs repères et considèrent le complexe CMH-peptide comme étranger et
de forte affinité. Lors de la sélection
négative, les cellules épithéliales thymiques présentent aux thymocytes des
antigènes du soi et induisent la mort des
thymocytes autoréactifs qui présentent
une trop forte affinité pour ces antigènes. L’expression d’un panel minimum d’antigènes du soi par les cellules
épithéliales thymiques est sous contrôle
du promoteur AIRE (auto-immune
regulator). Son défaut est responsable
de syndromes auto-immuns. In fine, ne
sortent du thymus que des lymphocytes
de faible affinité pour les antigènes du
soi. Cependant, si leur seuil d’activation
est suffisamment abaissé, ils représentent une menace “autoréactive”. C’est
pourquoi d’autres mécanismes en périphérie sont indispensables pour prévenir l’apparition de maladies autoimmunes.
La tolérance périphérique
Différents mécanismes participent à la
tolérance périphérique, comme la délétion des lymphocytes T, leur anergie ou
leur régulation par des cellules spécialisées. Des découvertes récentes ont
confirmé l’existence de lymphocytes
appelés régulateurs (T reg). On en distingue de différents types. Les Treg
naturels CD4+ sont générés dans le thymus. Ils possèdent d’emblée des propriétés régulatrices et expriment de
manière constitutive la chaîne α du
récepteur à l’interleukine (IL)-2, le
CD25. Les T reg induits sont, quant à
eux, générés en périphérie à partir des
lymphocytes CD4+ naïfs. D’autres cellules régulatrices ont également été
décrites dans les compartiments CD8+,
CD4negCD8neg (doubles négatives) et des
natural killers.
Les lymphocytes T régulateurs
naturels. Les T reg naturels sont des
émigrants thymiques dont le TCR présente une haute affinité pour les antigènes du soi, cependant insuffisante
"
92
pour provoquer leur délétion (figure 2).
Ces T reg CD4+CD25+ représentent 5 à
10 % des lymphocytes CD4+ périphériques. Leur rôle physiologique complexe est de garantir l’homéostasie de
l’ensemble des réponses immunes, y
compris l’autoréactivité, mais aussi
l’hypersensibilité (atopie). Ainsi, leur
absence (thymectomie pendant la période
néonatale) ou leur dysfonctionnement
sont responsables du développement de
syndromes auto-immuns chez la souris
et chez l’homme (colite inflammatoire,
diabète, thyroïdite, sclérose en plaques,
etc.). Le CD25 (récepteur de haute affinité pour l’IL-2) est une molécule
essentielle pour la génération, la survie
et la fonction des T reg. Les souris déficientes pour l’IL-2 ou pour le récepteur
à l’IL-2 possèdent très peu de T reg et
présentent également des désordres
lymphoprolifératifs et auto-immunitaires par défaut d’homéostasie. Les
T reg ne produisent pas d’IL-2, mais
utilisent l’IL-2 provenant des autres
lymphocytes T. Outre le CD25, ils
expriment d’autres marqueurs moléculaires comme le CD45RB, le CTLA-4
(cytotoxic T-lymphocyte antigen 4), le
GITR (glucocorticoid-induced tumornecrosis factor [TNF]-receptor), le
CD122 (chaîne β du récepteur à l’IL-2)
ou le CD62L (L-sélectine). Cependant,
toutes ces molécules sont également
exprimées sur les lymphocytes nouvellement activés, ce qui rend l’isolation de
ces T reg difficile. Récemment, on a
découvert le facteur de transcription
foxp3 qui, en plus d’être exprimé de
manière spécifique par les T reg, représente un facteur crucial dans leur développement et leur fonctionnement. La
mutation du gène foxp3 provoque l’apparition d’un syndrome inflammatoire
auto-immun chez la souris (scurfy syndrome) ainsi que chez l’homme (syndrome IPEX – immunodysregulation,
polyendocrinopathy and enteropathy,
X-linked). De plus, l’introduction du
gène foxp3 dans un lymphocyte naïf
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CD4+CD25- lui confère un phénotype
de T reg (suppression de la production
d’IL-2, surexpression de CD25, CTLA4 et GITR) et des propriétés régulatrices
qu’il ne possédait pas auparavant. In
vitro, les T reg inhibent la prolifération
des lymphocytes effecteurs par un
mécanisme contact-dépendant qui utilise
le CTLA-4. Le CTLA-4 interviendrait
d’une part dans l’activation des T reg,
qui résulte de l’engagement du TCR et
d’un signal de costimulation médié par
le CTLA-4. D’autre part, le CTLA-4 à
la surface des T reg interagirait avec son
ligand (CD80 ou CD86) présent sur les
cellules dendritiques pour induire la
production de l’enzyme indolamine 2,3dioxygénase (IDO). Cette enzyme
métabolise le tryptophane du milieu
extracellulaire en kynurénine. Le
manque de tryptophane empêche les
lymphocytes activés de proliférer, et la
présence de kynurénine les rend plus
sensibles à l’apoptose. Finalement, le
CTLA-4 au contact de son ligand à la
surface des lymphocytes répondeurs
pourrait induire directement un signal
de désactivation.
" Les T reg induits. Contrairement aux
T reg naturels, l’activité suppressive des
T reg induits est cytokine-dépendante,
et on les classe en fonction du profil de
cytokines qu’ils produisent. On distingue ainsi la population T regulatory 1
(Tr1), producteur d’IL-10, et les T helper 3 (Th3), producteurs de transforming growth factor (TGF)β. Les
T reg induits sont générés en périphérie
à partir de lymphocytes T naïfs. Ceux-ci,
lors d’une stimulation inadéquate soutenue, deviendraient régulateurs (par
exemple lors de la présentation d’antigènes par une CPA immature, déficiente
en molécule de costimulation). Cette
transformation pourrait être facilitée par
la présence de molécules telles que le
TGFβ, connu pour augmenter le seuil
d’activation des lymphocytes naïfs et
pour induire l’expression de foxp3.
LA TOLÉRANCE EN TRANSPLANTATION
On parle de tolérance centrale ou “délétionnelle”, ou encore “récessive”, lorsqu’une greffe de moelle est effectuée
afin d’induire un chimérisme hématopoïétique. En effet, une fois acceptées
par le receveur, les cellules souches
allogéniques ainsi que celles du receveur vont donner naissance aux différentes lignées hématopoïétiques,
notamment les thymocytes et les cellules chargées de médier la sélection
négative des précurseurs alloréactifs
dans le thymus. Les thymocytes dirigés
contre les antigènes du donneur seront
éliminés dans le thymus de la même
manière que les thymocytes de trop
forte affinité pour les antigènes du soi.
L’induction d’une telle tolérance est
lourde, car elle nécessite le plus souvent
un traitement myéloablatif.
La tolérance périphérique résulte de
l’utilisation d’anticorps interférant avec
l’activation ou la prolifération lymphocytaire, ce qui a pour effet d’anergiser
ou d’induire l’apoptose des cellules
répondant à l’alloantigène. Pour que
cette tolérance se maintienne, des
mécanismes actifs de régulation sont
nécessaires pour lutter contre de nouveaux émigrants thymiques alloréactifs. De nombreux travaux de transplantation expérimentale montrent que les
A
T reg sont capables de réguler des lymphocytes alloréactifs. Les T reg induits
ont été décrits comme responsables du
maintien de la tolérance d’allogreffe
chez la souris après un traitement
immunosuppresseur transitoire. Des
expériences de transfert de ces T reg
induits ont mis en évidence leur capacité
à transformer des lymphocytes T CD4+
naïfs (de souris non greffées) en lymphocytes tolérants et régulateurs à leur
tour (infectious tolerance), qui permettent à une souris n’ayant jamais vu l’alloantigène de le tolérer sans immunosuppresseur et de manière spécifique
(figure 3). De plus, ils sont capables
de rendre tolérants des lymphocytes
naïfs spécifiques à un antigène tiers
à condition qu’il soit présenté par
la même CPA (linked suppression)
(figure 4).
Des expériences convaincantes démontrent également que le devenir de l’allogreffe dépend de la balance entre les
T reg et les lymphocytes T effecteurs du
rejet (T eff), la tolérance résultant d’une
suprématie des T reg (figure 5). Dans la
plupart des cas, le rapport naturel
T reg/T eff pour un alloantigène considéré favorise in fine l’agression du greffon. Dès lors, pour prévenir cette agression et induire la tolérance au tissu allogénique, il faudrait diminuer le répertoire alloréactif et, parallèlement, aug-
B
C
Greffe "A"
A
A
Souris naïve
recevant les splénocytes
de la souris tolérante
Souris tolérante à "A"
après immunosuppression
transitoire
Souris tolérante à "A"
sans immunosuppression
A Souris rendue tolérante vis-à-vis de l’alloantigène "A".
B Transfert des splénocytes de la souris rendue tolérante à une souris n’ayant jamais vu l’alloantigène.
C Tolérance de l’alloantigène "A" sans immunosuppresseur.
Figure 3. “Infectious tolerance”.
93
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Greffe "B"
A
A
A
Greffe "B" rejetée
Souris tolérante à "A"
après immunosuppression
transitoire
C
Greffe "A x B"
A
Greffe "B"
A
AxB
B
B
Souris tolérante à "B"
CMH "A"
CMH "A"
T reg
AxB
Souris tolérante à "A x B"
Souris tolérante à "A"
après immunosuppression
transitoire
T reg
CPA
A
A
CMH "B"
T reg
CPA
AxB
CPA
B
T eff
CMH "B"
A Une souris rendue tolérante spécifiquement vis-à-vis de l’alloantigène "A" rejette l’alloantigène tiers "B".
B Dans les mêmes conditions, l’alloantigène tiers "B" est accepté, à condition qu’il soit présenté par la même
cellule présentatrice d’antigène (CPA) que l’antigène tolérisé "A".
CPA : cellule présentatrice d’antigène ; CMH : complexe majeur d’histocompatibilité.
Figure 4. “Linked suppression”.
T reg
menter le nombre de T reg. Une manière serait d’apparier des CMH de classe
II entre donneur et receveur de telle
sorte que les antigènes tiers soient tolérés par linked suppression. Une autre
manière consiste en l’utilisation d’anticorps monoclonaux soit bloquant, soit
induisant de la déplétion. Ces derniers
ont pour cible différentes molécules
impliquées dans l’activation lymphocytaire, telles que les molécules associées
au TCR (CD3, CD4 ou CD8), les molécules de costimulation (CD28, CD40L)
ou certaines molécules d’adhésion. Cela
empêche l’activation des lymphocytes
alloréactifs effecteurs et, parallèlement,
permettrait l’apparition de T reg induits.
Cependant, des données récentes ont
montré que ces molécules ne seraient
pas totalement inoffensives vis-à-vis
des T reg. Le blocage du CD28, par
exemple, a des effets équivoques
puisque, indirectement, le CD28 est
indispensable à la génération thymique
et à la survie en périphérie des T reg
naturels. En effet, en l’absence de
CD28, les lymphocytes T conventionnels ne sont plus activés, la production
d’IL-2 est dès lors compromise et le
nombre de T reg s’en trouve réduit.
T eff
Rejet
Appariement
des CMH
T reg
Immunothérapie
T eff
T eff
T reg
Tolérance
CMH : complexe majeur d’histocompatibilité.
Figure 5. La balance entre les lymphocytes T effecteurs (T eff) et les lymphocytes T régulateurs (T reg).
94
Les T reg naturels jouent, eux aussi, un
rôle dans la suppression de la réponse
allogénique. Leur implication a d’abord
été démontrée dans des modèles de
transfert chez des animaux lymphopéniques où le cotransfert d’une grande
quantité de CD4+CD25+ provenant
d’animaux naïfs retarde l’apparition de
la maladie du greffon contre l’hôte
(GVH) ou de la maladie de l’hôte contre
le greffon (HVG). Ensuite, dans des
modèles d’acceptation spontanée d’allogreffes – sans adjonction d’immunosuppresseurs – chez des receveurs
immunocompétents, la déplétion des
T reg naturels par l’injection d’anticorps anti-CD25 induit une augmentation des réponses allogéniques de type
Th1 et Th2 qui mènent au rejet de ces
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greffes. Ces expériences soulèvent des
questions concernant l’utilisation en clinique de médicaments tels que la ciclosporine, l’anticorps monoclonal antiCD25 ou le CTLA-4-Ig dans les protocoles d’induction de tolérance. En effet,
ces traitements, qui visent à éliminer
les lymphocytes effecteurs activés,
pourraient également avoir une action
néfaste sur ces T reg naturellement présents chez le receveur.
LES LYMPHOCYTES RÉGULATEURS
EN CLINIQUE
Les résultats des recherches menées sur
les T reg ouvrent des perspectives
enthousiasmantes en vue de leur utilisation en clinique. À des fins pronostiques, le profil des T reg allospécifiques circulants pourrait constituer un
marqueur fiable de la réponse antidonneur. Cela permettrait dès lors d’identifier les patients qui bénéficieraient sans
danger d’une réduction de leur traitement immunosuppresseur. Comme outil
thérapeutique, leur administration ou
leur potentialisation pourraient constituer un traitement des maladies autoimmunes, allergiques ou du rejet d’allogreffe, alors que leur inhibition pourrait
être bénéfique pour l’accroissement des
réponses aux vaccins anti-infectieux ou
antitumoraux. Toutefois, plusieurs éléments limitent leur utilisation : d’une
part, la spécificité antigénique de ces
lymphocytes demeure inconnue ; un
manque total de spécificité antigénique
des T reg équivaudrait à un traitement
immunosuppresseur classique dépourvu
de restriction antigénique. D’autre part,
les modèles expérimentaux indiquent
que des quantités très importantes de
T reg sont nécessaires à l’obtention
d’un effet suppresseur, alors que la dis-
ponibilité de ces cellules dans la circulation périphérique est très faible.
Pour remédier à ce dernier problème, il
existe différentes méthodes d’expansion
ex vivo des T reg qui combinent l’activation de leur TCR, l’apport de signaux
de costimulation et de facteurs de croissance spécifiques. Selon que l’activation de leur TCR est antigène-spécifique
(utilisation de tétramère de CMH présentant l’antigène ou de CPA pulsées
avec l’antigène) ou polyclonale (utilisation d’anticorps anti-CD3), les T reg
générés seront respectivement spécifiques ou non de l’antigène. En greffe
de moelle, deux études cliniques de
phase I sont actuellement en cours pour
déterminer l’effet de l’injection concomitante de T reg polyclonaux ayant subi
une expansion dans l’apparition de la
maladie du greffon contre l’hôte.
P
E N
O U R
S A V O I R
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CONCLUSION
La compréhension des phénomènes de
tolérance se limitait il y a peu aux mécanismes passifs tels que la délétion ou
l’anergie des lymphocytes effecteurs.
L’identification de cellules régulatrices
des réponses auto-immunes et alloimmunes a permis aux chercheurs d’entrevoir de nouvelles stratégies thérapeutiques qui conduisent aujourd’hui à
leurs premiers pas en clinique. Mais la
recherche des mécanismes impliqués
dans la tolérance est loin d’être finie.
Nous manquons en clinique, d’une part,
d’approches pronostiques pour juger
d’un état de tolérance et, d’autre
part, d’arguments thérapeutiques pour
supprimer de manière spécifique les
différentes voies menant au rejet
d’allogreffe tout en préservant les
mécanismes régulateurs naturellement
présents chez le receveur.
$
95
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Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 2 - avril-mai-juin 2005
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