r e v u e d e p r e ss e Coordinateur : N. Milpied ANTICORPS ANTI-PEG, UN PARADOXE THÉRAPEUTIQUE… Anticorps anti-PEG, un paradoxe thérapeutique… Anti-CD40 et lymphome : pas tout à fait “juste un autre monoclonal” La splénomégalie myéloïde : du nouveau ? Trisomie 8 et LAM : une place pour l’allogreffe ? 124 Cacher les épitopes sous le PEG pour augmenter encore la durée de vie des drogues, quelle bonne idée, mais le système immunitaire n’est-il pas un peu plus coriace à duper ? La pégylation des drogues, c’est-à-dire leur conjugaison à du polyéthylène glycol, est une technique développée en vue d’augmenter la demi-vie de molécules actives mais aussi de les masquer au système immunitaire, en diminuant par là même le développement d’anticorps susceptibles de neutraliser leur action et/ou d’accélérer leur destruction. Cette méthode, dont J.K. Armstrong et al. rappellent dans cette étude qu’elle a été développée dès la fin des années 1970, est appliquée à de nombreuses protéines thérapeutiques, dont l’asparaginase. La réputation de mauvais antigène du PEG a pourtant été mise en défaut dès le début des années 1980, et l’obtention d’anticorps antiPEG dans des modèles animaux a permis de confirmer que le système immunitaire pouvait tout à fait le considérer comme immunogène. Chez l’homme, des IgM anti-PEG ont été historiquement rapportées chez 0,2 % des patients d’une cohorte de donneurs de sang en bonne santé ainsi que chez des sujets allergiques. Plus récemment, la présence de ces anticorps, d’isotype IgG ou IgM, a été observée avec une bien plus grande fréquence, de l’ordre de 25 % chez des donneurs de sang. Dans ce travail, l’idée était de rechercher si une perte d’efficacité de la PEG-asparaginase administrée à des enfants atteints de leucémie aiguë lymphoblastique (LAL), corrélée à une clairance rapide de la molécule, pouvait être liée à l’apparition d’anticorps anti-PEG. Les patients sélectionnés étaient 44 enfants inclus dans les protocoles ALL-BFM 2000 et ALL-BFMREZ 2002, pour lesquels des échantillons de sérums étaient disponibles et analysables rétrospectivement. Vingt-huit de ces enfants avaient reçu de la PEG-asparaginase et 16 de l’asparaginase non modifiée. L’activité asparaginase a été mesurée dans tous les sérums, sélectionnés pour représenter environ 50 % de patients avec une activité mesurable et 50 % avec une activité non détectable. Deux méthodes ont été développées pour rechercher les anticorps anti-PEG : une technique d’agglutination d’hématies recouvertes de PEG et une technique en cytométrie de flux utilisant des billes de PEG puis un double marquage permettant d’identifier concomitamment les IgG et les IgM fixées sur les anticorps ayant potentiellement reconnu le PEG. En parallèle, la présence d’anticorps antiasparaginase était également recherchée. Les résultats, très bien détaillés, montrent une nette corrélation entre la présence d’anticorps anti-PEG et une disparition de l’activité asparaginase dans le groupe des enfants ayant reçu de la PEG-asparaginase. Ce traitement avait néanmoins, dans ce groupe, et en l’absence d’anticorps anti-PEG, conduit à des activités asparaginase sériques bien supérieures à celles observées dans l’autre groupe. Cependant, le développement d’anticorps antiPEG dans un sous-groupe de ces patients, et en l’absence de toute manifestation clinique d’allergie, était indiscutablement associé à une diminution rapide de l’activité de la drogue. Les auteurs insistent donc sur l’importance d’un suivi de l’activité enzymatique pendant le traitement, et recommandent de plus la recherche d’anticorps anti-PEG, suivie en cas de positivité d’un ajustement thérapeutique ou de l’utilisation d’une autre drogue. Leur hypothèse physiopathologique est que les patients “positifs” l’étaient peut-être déjà avant l’administration de PEG-asparaginase. Ils relatent à la fin de l’article l’historique de leur travail, commencé alors qu’ils cherchaient à masquer les antigènes érythrocytaires avec du PEG dans l’idée de fabriquer un “sang universel”. Ce sont les tests réalisés avec des sérums de donneurs de sang qui leur avaient initialement permis de trouver une forte proportion de sujets présentant spontanément des anticorps anti-PEG. Ils attribuent cette immunisation à la présence accrue de PEG dans les cosmétiques, les médicaments ou certains aliments. Une attitude générale avant tout traitement par un composé pégylé serait donc de rechercher des anticorps préexistants, et, en cas de positivité, de monitorer soigneusement l’activité du médicament. M.C. Béné, Nancy ❏ Armstrong JK, Hempel G, Koling S et al. Antibody against poly(ethylene glycol) adversely affects PEGasparaginase therapy in acute lymphoblastic leukemia patients. Cancer 2007;110:103-11. Correspondances en Onco-hématologie - Vol. II - n° 3 - juillet-août-septembre 2007 Revue de presse ANTI-CD40 ET LYMPHOME : PAS TOUT À FAIT “JUSTE UN AUTRE MONOCLONAL” Le ciblage ne se limite plus aux cellules tumorales mais vise maintenant d’autres acteurs de la défense antitumorale… L’immunothérapie par anticorps monoclonaux, humanisés de préférence, et envisagée par les immunologistes dès les balbutiements de cette “biotechnologie”, est devenue une telle réalité au XXIe siècle que l’on pense presque immédiatement ciblage et destruction des cellules exprimant l’épitope visé. C’est cependant une autre histoire que raconte l’utilisation d’anti-CD40 à visée thérapeutique, notamment dans les lymphomes. L’article analysé ici rapporte des résultats expérimentaux chez la souris, mais oriente d’emblée le raisonnement vers d’autres pistes. En effet, des anticorps anti-CD40 agonistes ont été étudiés depuis la fin des années 1990. Leur capacité à mimer l’effet de CD154, le ligand de ce récepteur de la famille du TNF, a permis d’obtenir la maturation de cellules dendritiques, telle qu’elle s’exerce in vivo lors de l’engagement du CD40 qu’elles expriment. Cette maturation, comme in vivo, a permis d’obtenir des réponses cytotoxiques, par la génération de CTL CD8+, capables notamment de détruire des cellules tumorales. L’utilisation thérapeutique de tels anti-CD40 dans l’optique d’une stimulation des réponses cytotoxiques antitumorales par l’intermédiaire de la maturation des dendritiques présentes localement a ainsi fait son chemin. La maturation dendritique induite par l’engagement de CD40 est d’autre part caractérisée par l’expression à la surface des cellules dendritiques de molécules de costimulation importantes également pour l’expansion et la survie de CD8+ cytotoxiques. Dans l’article analysé ici, les auteurs se sont penchés sur le rôle apparemment clé joué par le couple CD27/CD70 (respectivement sur les lymphocytes CD8 et sur les cellules dendritiques) dans ce contexte. Le modèle murin utilisé est celui d’un lymphome induit par l’injection de cinquante millions de cellules BCL1. Les souris inoculées ont ensuite reçu de l’anti-CD40 puis des anticorps dirigés contre les autres molécules de costimulation, IBBL ou CD70. Les meilleures réponses ont été observées avec l’anti-CD40 seul, cela confortant l’importance de la mise en jeu des autres voies de costimulation et, notamment, de celle impliquant le couple CD27/CD70. Pour confirmer cette hypothèse, d’autres souris inoculées par les cellules tumorales ont ensuite reçu un anti-CD27 agoniste. L’éradication tumorale observée était similaire à celle notée avec un anti-CD40. Ces résultats suggèrent donc que : ✔ l’activité d’anticorps monoclonaux agonistes de CD40 passe par l’expansion et la maturation de cellules dendritiques locales ; ✔ cette maturation est essentiellement caractérisée par l’expression de CD70, ligand de CD27 exprimé par les CD8 spécifiques de la tumeur ; ✔ l’activation des CD8+CD27+ peut aussi être obtenue directement, sans maturation des dendritiques, avec un anti-CD27 agoniste. Il est intéressant de noter que, bien que les cellules BCL1 expriment CD27, leur inoculation, ainsi que celle d’anti-CD27, à des souris SCID incapables de montrer une réponse immunitaire cognitive, ne conduit à aucune réduction tumorale. On est donc bien, dans ce système de monoclonaux agonistes, dans le paradigme d’une stimulation des réponses immunitaires antitumorales plus que dans celui d’un ciblage d’épitopes cibles. Un autre monde… meilleur peut-être ? MCB ❏ French RR, Taraban VY, Crowther GR et al. Eradication of lymphoma by CD8 T cells following anti-CD40 monoclonal antibody therapy is critically dependent on CD27 costimulation. Blood 2007;109:4810-5. LA SPLÉNOMÉGALIE MYÉLOÏDE : DU NOUVEAU ? Il s’agit d’une étude, menée chez la souris, émanant du groupe de William Vainchenker, de l’unité Inserm 790 de Villejuif (1). Dans cet essai, l’hypothèse de départ était que le bortézomib inhiberait l’activation de NF-κB, avec comme conséquence une diminution de la sécrétion de TGF-β1 et de l’OPG, ce qui induirait la réduction de la fibrose et de l’ostéosclérose dans un modèle murin de myélofibrose avec métaplasie myéloïde, le modèle TPOhigh. Dans ce modèle murin, la fibrose et l’ostéosclérose extensive sont considérées comme secondaires à un processus réactif provoqué par des médiateurs inflammatoires Correspondances en Onco-hématologie - Vol. II - n° 3 - juillet-août-septembre 2007 comportant le TGF-β et l’ostéoprotégérine, médiateurs sécrétés par la prolifération clonale de mégacaryocytes, de monocytes et de cellules dérivées du stroma (Chagraoui H et al., Blood 2002;100:3495-503, et Chagraoui H et al., Blood 2003;101:2983-9). Il a été montré que l’activation de NF-κB dans les monocytes de patients porteurs d’une myélofibrose primitive conduit à une production d’IL-1 qui induit elle-même la production de TGF-β. La voie NF-κB est également activée dans les mégacaryocytes et dans les cellules CD34 positives circulantes chez des patients porteurs d’une myélofibrose primitive. L’ensemble de ces éléments, couplé au fait que le bortézomib est un inhibiteur de NF-κB, a justifié la recherche dont les résultats sont proposés ici. Dans ce modèle, après 4 semaines de traitement, le bortézomib a diminué les taux de TGF-β1 au niveau médullaire, et réduit significativement le développement de la fibrose splénique et médullaire. Après 12 semaines de traitement, on a également observé une réduction du développement de l’ostéosclérose en relation avec une inhibition de la synthèse d’ostéoprotégérine. Point tout à fait intéressant, l’administration de bortézomib a significativement amélioré la survie des souris TPOhigh. La conclusion est que le bortézomib apparaît comme un traitement prometteur pour les patients porteurs d’une myélofibrose avec métaplasie myéloïde de la rate. Commentaire. Bien qu’il existe quelques limitations du modèle, par exemple le fait que les souris TPOhigh meurent plus de problèmes de myéloprolifération que de problèmes d’ostéosclérose et que le bortézomib peut avoir joué un rôle sur la myéloprolifération, il n’en demeure pas moins que l’impact sur les médiateurs de l’ostéosclérose et de la myélofibrose est réel. Cela ouvre des perspectives de prise en charge thérapeutique de patients porteurs d’une maladie pour laquelle, jusqu’à présent, il n’existe pas de traitement curatif simple, l’attitude thérapeutique se bornant la plupart du temps à une simple palliation. Un tel article, émanant d’une équipe française particulièrement renommée dans l’étude du processus myéloprolifératif, est tout à fait important à considérer et doit faire réfléchir 125 r e v u e quant à la réalisation d’essais prospectifs futurs incorporant cette drogue dans le cadre du traitement des splénomégalies myéloïdes. Le seul traitement “curatif” de la splénomégalie myéloïde serait la réalisation d’une allogreffe de moelle. Il n’entre pas dans le propos de cette revue de presse de discuter le bien-fondé de cette affirmation. Acceptons-la. Un article récent mérite d’être signalé à cet égard (2). La mutation V617F du gène JAK2 est retrouvée chez 50 % environ des patients présentant une métaplasie myéloïde avec myélofibrose (Levine RL et al., Cancer Cell 2007;7:387-97). L’équipe de transplantation de moelle de l’hôpital universitaire de Essen, en Allemagne, a réalisé une étude rétrospective portant sur l’analyse de la mutation du gène JAK2 et de son évolution chez des patients subissant une allogreffe de cellules souches hématopoïétiques pour métaplasie myéloïde de la rate avec myélofibrose. Cette étude a porté sur 25 patients ayant reçu des greffes de moelle pour deux d’entre eux et de cellules souches du sang périphérique pour les 23 autres, greffes provenant de frères et sœurs dans 14 cas et d’un donneur non familial dans les 11 cas restants. L’ADN qui servait à l’étude de la mutation JAK2 était obtenu du sang périphérique ou de la moelle prélevés chez le donneur et chez le receveur avant et après la greffe. Une méthode d’amplification par technique de PCR de JAK2 a été réalisée en utilisant des primers spécifiques. C’est la méthode TAQMAN qui a été utilisée pour faire une quantification du signal. Avant la greffe, la mutation était mise en évidence chez 15 patients (60 %) ; la concentration médiane à ce moment-là était de 19,2 ng (1,8 à 91,2). Après la greffe, les patients qui étaient auparavant positifs ont été surveillés, et les résultats de la recherche de la mutation de JAK2 ont été corrélés au chimérisme. Trois patients se sont révélés être positifs pour la mutation de JAK2 après la greffe, et tous trois avaient simultanément un chimérisme mixte en analyse PCR. Deux de ces patients sont décédés de rechute de la maladie ; le troisième patient, qui a également rechuté, a été traité par une réduction de l’immunosuppression, un peu de 126 d e chimiothérapie et des injections des lymphocytes du donneur. Il a alors présenté une réaction aiguë du greffon contre l’hôte, avec, au cours du suivi, une réduction progressive de la quantification de la mutation JAK2, jusqu’à une négativation totale. Commentaire. Il s’agit d’une étude intéressante car elle montre qu’il est possible d’envisager une quantification par PCR du signal JAK2, et que cette quantification pourrait servir de marqueur de l’efficacité d’un traitement – ici la transplantation de moelle, ailleurs d’autres traitements. Certes, dans le cas particulier de la greffe de moelle, l’analyse du chimérisme s’est trouvée être assez parallèle à celle de l’existence de la mutation. Cependant, un patient présentait un chimérisme mixte, sans mise en évidence de la mutation de JAK2. Ce patient était porteur d’une grave réaction chronique du greffon contre l’hôte, dont il est malheureusement décédé. Ainsi, la splénomégalie myéloïde fait l’objet d’une intense recherche à la fois physiopathogénique et thérapeutique. Des espoirs sont permis quant à une prise en charge thérapeutique plus intéressante qu’elle ne l’est à l’heure actuelle. N. Milpied, Bordeaux 1. Wagner-Ballon O, Pisani DF, Gastinn T et al. Proteasome inhibitor bortezomib impairs both myelofibrosis and osteosclerosis induced by high thrombopoietin levels in mice. Blood 2007;110:345-53. 2. Steckel NK, Koldehoff M, Ditschkowski M et al. Use of the activating gene mutation of the thyrosine kinase (VAL617Phe) JAK2 as a minimal residual disease marker in patients with myelofibrosis and myeloid metaplasia after allogeneic stem cell transplantation. Transplantation 2007;83:1518-20. TRISOMIE 8 ET LAM : UNE PLACE POUR L’ALLOGREFFE ? La trisomie 8 est l’anomalie génétique la plus courante dans les leucémies aiguës myéloïdes (LAM). Cependant, la valeur pronostique de celle-ci et la stratégie thérapeutique à proposer restent des données non résolues à ce jour. L’intergroupe allemand a donc étudié la valeur pronostique de cette anomalie, en dehors des cytogénétiques complexes, à travers une méta- p r e ss e analyse de leurs différents protocoles menées entre 1993 et 2002. Cette méta-analyse a porté sur 131 patients analysables (âge moyen : 50 ans [18-60]) ayant une trisomie 8 isolée ou associée à une seule autre anomalie cytogénétique (exclusion des complexes ≥ 3 anomalies), en excluant l’association aux cytogénétiques dites favorables (t[15,17] ; t[8,21], inv[16], t[16,16]) ou les anomalies 11q23. Tous les patients ont reçu une double induction. Soixante pour cent ont eu une consolidation par fortes doses d’AraC, 14 % ont été autogreffés et 26 % allogreffés. Soixante-cinq pour cent des patients (85/131) ont obtenu une RC, 21 % étaient résistants et il y eu 14 % de décès précoces. La survie médiane était de 3,6 ans. À 3 ans, la survie (3yOS) est à 29 % et la survie sans rechute à 32 %. Il n’existe pas de différence entre la trisomie isolée et celle associée à une autre anomalie. Le schéma de traitement de consolidation n’influence pas la survie globale, mais la probabilité de rechute est significativement beaucoup moins importante dans le groupe “allogreffe” (27 % versus 69 %). Les facteurs pronostiques identifiés (âge < ou > 45 ans, maladie extramédullaire [MEXM] et pourcentage de métaphases portant l’anomalie clonale [PMAC] < ou > 80 %) permettent d’identifier trois groupes de risque : ✔ haut risque (3yOS = 13 %) : âge > 45 ans, et ± MEXM ± PMAC > 80 % ; ✔ faible risque (3yOS = 55 %) : âge < 45 ans, pas de MEXM, PMAC < 80 % ; ✔ intermédiaire (3yOS = 36 %) : les autres cas. Commentaires. Malgré quelques critiques opposables (faible nombre de patients, peu de données moléculaires en dehors de FLT3), cette méta-analyse (composée de protocoles homogènes) apporte quelques informations intéressantes sur la valeur pronostique de la trisomie 8 dans une LAM et le bénéfice potentiel de l’allogreffe. Par ailleurs, le PMAC apparaît comme un facteur important et rappelle que l’obtention optimale de matériel cellulaire pour analyse génétique est un objectif à ne jamais oublier. E. Raffoux, Paris ❏ Schaich M, Schlenk RF, Al-Ali HK et al, Prognosis of acute myeloid leukemia patients up to 60 years of age exhibiting trisomy 8 within a non-complex karyotype: individual patient data-based meta-analysis of the German Acute Myeloid Leukemia Intergroup. Haematologica 2007;92:763-70. Correspondances en Onco-hématologie - Vol. II - n° 3 - juillet-août-septembre 2007