mêmes recettes que Nicolas Le Bec, ça ne me correspondrait pas. En revanche, on échange des adresses de
producteurs. On parle produits parce qu’on sait qu’on peu les transformer chacun à notre façon. Si j’ai une bonne
adresse pour de l’omble chevalier, je peux la lui donner. Il ne le cuisinera pas comme moi. Autrefois, c’était le cas. On
avait besoin de se rassurer sur une cuisine lyonnaise identifiable de partout. Aujourd’hui on veut identifier le produit et
pas la recette. Voilà ce qui a changé : ce n’est plus la recette, mais le produit. D’ailleurs, il n’est pas rare de citer le nom
du producteur sur la carte. En gros, les notes sont les mêmes, mais l’interprétation change. Si on met les produits en
avant, alors dans 40 ans on aura encore des pêcheurs pour faire de l’omble chevalier, du brochet, etc. Mais si on les
oublie pour faire une cuisine mondialiste, alors ils disparaîtront. Je pense que plus l’Europe va s’ouvrir plus les régions
vont imposer leur identité : avant on faisait « une cuisine française » (tomates en chapelure et fagots de haricots verts),
aujourd’hui on retrouve une cuisine de proximité, mais transformée.
Que devraient faire des élus qui souhaiteraient que Lyon reste une ville de gastronomie et ne perde pas cette
image ?
Il faut qu’ils viennent chez nous, ce qu’ils font d’ailleurs de plus en plus. Nous sommes les ambassadeurs de la Ville, ils
sont les ambassadeurs de nos cuisines. Mais ils ne peuvent pas en parler s’il n’y a pas de connexion entre eux et nous.
On a la chance que ce soit le cas. D’ailleurs, à Lyon, aimer bien manger est presque une condition pour être élu. La
cuisine que le public attend de nous, c’est une cuisine transparente, et c’est aussi ce qu’il attend des politiques. Il y a un
lien entre nous parce que nous sommes faits par le public. Il faut être identifiable, lisible, transparent. Avant on cuisinait
des choses épaisses avec des farces, de la crème et des sauces et, pour faire léger, on mettait un bout de cerfeuil. On
ne voyait rien, on savait pas vraiment ce qu’on mangeait, c’était compact. Ça, on n’en veut plus, ni en cuisine, ni en
politique.
Comment valoriser cette nouvelle cuisine lyonnaise ?
A Lyon, on a du mal à parler de soi. Le cinéma est né à Lyon, personne ne le sait. Si le cinéma était né à Chicago, je
peux vous dire que le monde entier le saurait. Il y a tellement de choses qui ont été faites à Lyon et qui y ont grandi sans
être valorisées. Je n’aimerai pas que cela soit aussi le cas de notre cuisine. Il faudrait tout de même qu’on commence à
citer la relève ! Mais, comme personne ne nous interroge, l’image de Lyon ne change pas à l’extérieur. C’est aux
politiques de dire qu’il y a toute cette nouvelle génération de chefs qui s’active à Lyon. S’ils ne le font pas, ils font vieillir
l’image de Lyon.
Les élus, également, ont du mal à percevoir cette transformation ?
Ils ont du mal à la relayer. Si les politiques disaient qu’il y a de la créativité à Lyon et que les jeunes chefs sont ceux
promeuvent le plus la région Rhône-Alpes en France et à l’étranger, on serait encore davantage sollicité pour exporter
notre savoir-faire lyonnais. Je travaille pour des sociétés parisienne et niçoise : c’est aussi ça Lyon, pouvoir s’exporter.
Avant on parlait de la cuisine lyonnaise, parce que les maires allaient dans les bouchons. Aujourd’hui, ils vont aussi dans
les concepts, mais le déclic ne se fait pas encore et on continue à parler recettes et pas concepts. Les journalistes
lyonnais sont en train de fausser l’image de Lyon parce qu’ils parlent toujours des même choses. Le paradoxe est que
les étrangers qui vont à la Rotonde ou chez Mathieu Vianney ont une vision de la ville telle qu’elle respire aujourd’hui,
mais pas de ce que la presse évoque sempiternellement. Du coup, cette image oblige les restaurateurs à faire perdurer
la gastronomie « folklorique », uniquement parce que les gens pensent que c’est la réalité de la cuisine lyonnaise. La
nouvelle génération n’ouvre pas que des bouchons. Pourtant, on ne parle que de cela.
Vous parlez des « concepts ». Est-ce nouveau et qu’est-ce que cela signifie ?
Oui, c’est nouveau. A l’A., je propose du bio et des produits issus du commerce équitable. Vous prenez du plaisir à boire
votre café et, en plus, vous aider les gens qui le produisent à l’autre bout de la planète. Aujourd’hui, ici, les conditions de
vie sont trop bonnes pour que la nouvelle génération descende faire la révolution dans la rue. La seule révolution que
l’on peut faire est économique. C’est en choisissant ses vêtements, ses aliments, etc., qu’on peut se faire entendre : en
mangeant, on peut changer le monde. Je prépare également un concept de « montagne », où l’on pourra manger des
produits de la région, tartiflette, etc., et également une galette lyonnaise avec une petite andouillette aux oignons confits.
Voilà ce que c’est un concept. Quelqu’un qui a compris son terroir, c’est quelqu’un qui utilise les produits de sa région,
mais à sa façon. C’est quelqu’un qui peut faire de la cuisine quasi-japonisante mais qui termine son plat avec une légère
touche de grattons lyonnais revisités. C’est une cuisine qu’on peut identifier, c’est à dire relier à un territoire. La nouvelle
génération de chefs propose du « concept lyonnais », et non des « recettes lyonnaises ».
Les chefs sont aussi, et de plus en plus, des chefs d’entreprise. Pourquoi ?
Il n’y a rien de nouveau là-dedans. Bocuse et Lacombe, par exemple, le font depuis longtemps. Ce n’est pas typique aux
chefs, mais à une cuisine d’élite qui ne permet pas de vivre. Économiquement, la grande cuisine n’est pas viable et les
chefs n’ont pas d’autre choix que celui de se diversifier et d’ouvrir des lieux plus accessibles. Il y a 20 ans, la notoriété
des chefs permettait d’ouvrir ces lieux. On pouvait avoir du Bocuse, même si on ne pouvait s’offrir Collonges. Aujourd’hui