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La Lettre du Gynécologue • n° 340 - mars 2009 | 15
GYNÉCO ET SOCIÉTÉ
Références
bibliographiques
on apprécie particulièrement l’approche prospective,
car c’est la plus appropriée pour déterminer les effets
d’une exposition. Auparavant, les mêmes auteurs
avaient montré que, en France, chez les femmes
exposées au tabagisme de leurs conjoints, approxi-
mativement 7 cas de cancer du poumon sur 1 000
étaient imputables à l’ETS (4).
Les chiffres concernant l’impact sanitaire de ce taba-
gisme, obtenus en calculant les risques attribuables,
sont-ils fiables ? La réponse est “oui” en théorie, mais
“non” en pratique, car ces chiffres sont sous-estimés.
Cela tient principalement à l’imprécision dans l’esti-
mation de l’exposition des individus à l’ETS.
Sur le plan pratique, l’exactitude de l’estimation
du nombre de malades et de décès imputables à
l’ETS repose sur la qualité des données de santé et
d’exposition nécessaires à l’évaluation du RA ou
du RAP. Alors que l’évaluation du nombre de cas
de maladie ou de décès est assez sûre, car elle est
fondée sur des définitions standardisées, éventuel-
lement des statistiques administratives, l’évaluation
de l’exposition à l’ETS est sous-estimée. On dit que
l’estimation du nombre de cas et de décès est assez
fiable, car certaines conditions de santé telles que la
BPCO peuvent être sous-diagnostiquées et notées
seulement comme causes secondaires de morta-
lité. Pour apprécier l’exposition des individus, des
hypothèses ont été émises dans les études mention-
nées ci-dessus, ce qui a engendré une estimation par
défaut. L’évaluation exhaustive de l’exposition doit
prendre en compte la multitude d’endroits où les
individus peuvent être exposés (domicile, travail,
transports…) ainsi que le nombre, la durée et la
concentration des différentes expositions, ce qui est
difficile à faire en pratique. À ce jour, l’exposition à
l’ETS a été évaluée en utilisant des questionnaires
épidémiologiques, validés par rapport à des obser-
vations objectives. Le recueil de l’information par
questionnaire présente des limites. L’évaluation
de l’exposition précoce à l’ETS par questionnaire,
pourtant essentielle dans le cas des maladies dont
le développement est long, est particulièrement
problématique, car elle est fondée sur le souvenir
qu’en ont les individus et, de ce fait, soumise au biais
de rappel. Par ailleurs, les effets du tabagisme passif
sur les adultes sont plus difficiles à établir que ceux
sur les enfants, notamment parce que, sur leur lieu
de travail, par exemple, ils sont davantage exposés
à des influences nocives sur les voies respiratoires.
La quantité, la durée et la concentration de chaque
exposition sont compliquées à renseigner. Les doses
subies sont inconnues. Des marqueurs biologiques
d’exposition existent (la cotinine, entre autres),
mais ils n’ont de valeur que dans le cas d’exposi-
tions récentes. Ainsi, l’exposition des individus a
été largement sous-estimée. En outre, les chiffres
obtenus se limitent aux principales conséquences
sanitaires de l’ETS. Ils ne tiennent pas compte des
individus décédés des suites du tabagisme passif
précoce, des adultes morts dans d’autres conditions
connues pour leurs liens avec le tabagisme actif, ni du
taux de morbidité significatif et grave, qu’il s’agisse
de maladies aiguës ou chroniques, engendré par le
tabagisme passif. De ce fait, l’impact sanitaire global
de l’exposition à l’ETS est loin d’être évalué. Toutes
ces réserves doivent nous inciter à mieux recueillir
les données d’exposition et de santé afin de calculer
de façon certaine le nombre de malades et de décès
qui lui sont imputables.
Au final, les tentatives d’estimation du RA à l’ETS
dans la population générale sont peu nombreuses
et ne permettent pas de tirer de conclusions en
raison de plusieurs problèmes méthodologiques.
Par exemple, l’exposition des non-fumeurs y est
estimée par défaut, et cela en dépit du fait qu’un
nombre important de personnes la subit, car elle
reste, dans beaucoup de pays, un phénomène omni-
présent au travail et dans les lieux publics fermés.
Enfin, les pathologies connues comme étant liées à
l’ETS ont été davantage privilégiées lors des estima-
tions. Son impact sanitaire reste donc sous-estimé.
L’absence de chiffres ne doit cependant pas nous faire
oublier que ses effets néfastes potentiels restent
dans l’ensemble considérables et, surtout, qu’ils sont
évitables. ■
Tableau II. Nombre de décès annuels estimés attribuables au tabagisme environnemental chez
les non-fumeurs en France et dans l’Europe des 25. D’après “Lifting the smokescreen: 10 reasons
for a smoke-free Europe”, de la Smoke Free Partnership.
Exposition au domicile Exposition au travail Total
Adultes
< 65 ans
Adultes
> 65 ans Tous
Tous les
lieux de
travail
Hôtels,
restaurants,
etc.
France
• Cancer du poumon
• Maladie cardiaque
ischémique
• AVC
• BPCO
56
101
53
11
62
366
317
43
117
467
370
53
35
43
22
7
2
3
1
0
152
510
392
60
Total 220 787 1 007 107 6 1 114
Europe des 25
• Cancer du poumon
• Maladie cardiaque
ischémique
• Attaque
• BPCO
403
1 781
729
155
629
6 977
4 954
815
1 032
8 758
5 683
970
521
1 481
596
201
16
48
19
6
1 553
10 239
6 279
1 171
Total 3 068 13 375 16 443 2 799 89 19 242
1. Jaakkola MS, Jaakkola JJ.
Impact of smoke-free work-
place legislation on expo-
sures and health: possibilities
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44.