uniquement l'hypothèse de calculs rationnels. Nous essayons d'intégrer les différentes composantes de la rationalité : la
logique économique mais aussi les logiques sociales, et les contraintes qui pèsent sur elles, y compris du point de vue
technique...
L’ équipe ITUS est implantée dans une école d'ingénieurs... comment cela influe-t-il sur vos pratiques ?
En tant qu’enseignants-chercheurs, nous sommes confrontés quotidiennement à de futurs ingénieurs qui ont déjà une
culture scientifique de très bon niveau mais qui ne sont pas initiés aux sciences sociales. Ils en ont parfois une vision très
dégradée, parfois au contraire idéalisée, mais tout aussi fausse. Nous sommes confrontés aussi à nos collègues des
sciences dures qui revendiquent parfois le monopole de la scientificité et peuvent se montrer un peu condescendants
vis-à-vis des sciences sociales. Nous avons donc au quotidien à faire nos preuves par notre rayonnement et nos
productions scientifiques, la qualité de nos enseignements, et nos capacités à travailler avec nos collègues des sciences
exactes pour apporter nos compétences sur les dimensions non techniques de la technique... En d'autres termes, nous
sommes habitués à faire preuve de communication, et à devoir défendre nos positions. Ce n’est pas toujours confortable,
mais ça nous impose de nous remettre en question et de rester constamment au contact des préoccupations de nos
partenaires. On évite ainsi l’enfermement disciplinaire et les routines scientifiques.
Quand on jargonne dans nos disciplines, on se coupe de la relation avec les techniciens, les ingénieurs et les citoyens,
c'est anti-productif. Nous devons éviter ce travers, sans pour autant se couper de nos problématiques et de nos
méthodes. On doit faire l'effort de dialoguer avec les autres sciences, avec les professionnels, la société civile, les
citoyens et tout simplement avec les gens auprès desquels nous travaillons, les usagers. Notre déontologie nous impose
de communiquer avec eux, d’expliquer, de négocier et de leur faire un retour de notre travail. Pour être compréhensibles
dans nos enseignements, comme auprès des publics de techniciens et plus largement auprès des citoyens, nous ne
partons pas de nos épistémologies, qui n’intéressent que nous, mais des objets techniques, c'est-à-dire des dispositifs
qui parlent à tout le monde. Les publics sont motivés pour en parler, les considèrent comme familiers, rassurants,
l’échange avec le chercheur se banalise. Et spontanément, le dispositif technique apparaît dans les deux dimensions qui
le caractérisent et qui nous intéressent : sa fabrique et sa pratique. C'est en partant des dispositifs techniques et en
engageant les gens dans une réflexion sur ceux-ci, que l'on arrive très simplement à expliquer nos approches : les
dispositifs techniques existent parce qu'ils sont dans la société, pour la société, et qu’ils en constituent les supports et les
environnements. La société, à travers ses institutions, ses acteurs et ses populations, commande les objets techniques,
les fabrique, les finance, les utilise, les déforme, les détourne, les casse, et les répare. C’est pourquoi ils sont l'objet de
politiques, de stratégies et d’enjeux forts concernant nos mode de vie et le développement de nos villes. Pensez à ce
que mobilise un projet de tramway par exemple. Cette approche, intégrant logiques techniques et logiques sociales nous
permet de resituer l'action technique dans la société urbaine, et de montrer aux futurs ingénieurs leur rôle au-delà de la
technique, qui est un rôle social et politique.
Quand on se penche ainsi sur les dispositifs en expliquant comment nous les observons, nos relations avec les
professionnels sont facilitées et nous sommes en situation de travailler ensemble. Nous sommes alors réellement
intégrés à la réflexion, il ne s'agit pas de faire de la figuration parce qu'il faut un sociologue autour de la table. Je veux
dire par là que notre approche multidisciplinaire, qui se focalise sur les dispositifs techniques, la ville concrète, les objets
et les comportements du quotidien est fédératrice parce que nous sommes à l’écoute des difficultés que rencontrent les
opérateurs, les décideurs et les usagers. Elle permet d'associer aussi bien les élus, les techniciens, les profanes, les
associations, les habitants, et finalement toute la société urbaine.
Comment appelez-vous vos enseignements comme ils sont, par nature, multidisciplinaires ?
Tout dépend du Département et du cycle dans lequel on intervient. En ce qui me concerne, j’enseigne dans le
Département GCU (Génie Civil et Urbanisme) de l’INSA. Sur le modèle anglo-saxon, mais aussi parce que je suis issu
de cette formation à Lyon 2, notre pôle d’enseignement s’intitule « études urbaines ». Pour les étudiants, c'est parlant. A
l’intérieur nous avons des modules d’urbanisme et de sociologie, mais ces enseignements ne sont pas cloisonnés, et au
contraire donnent lieu à des projets transversaux, des ateliers en 3ème et 4ème année, et un projet d’aménagement
urbain en 5ème année. Dans la nomenclature du Conseil National des Universités (CNU), nous appartenons
majoritairement, mais pas seulement, à la section 24 « Aménagement de l'espace et urbanisme » qui est elle-même une
section où se croisent architectes, géographes, ingénieurs, politistes, et sociologues. La question de la technique reste
notre dénominateur commun, mais l’urbanisme est un affichage important pour nous, en termes d’enseignement ou de
relations internationales. Mais l'urbanisme n’est pas une science et en recherche nous devons nous référer à d’autres
disciplines qui nourrissent notre approche de l'urbanisme.
Dans vos travaux de recherche, comment abordez-vous les notions d'usage et de comportement ?