L’acétate d’abiratérone : un nouvel inhibiteur de la biosynthèse des androgènes

dossier thématique
La prostate métastatique :
de la biologie à la clinique
Correspondances en Onco-Urologie - Vol. II - no 3 - juillet-août-septembre 2011
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Lacétate d’abiratérone :
un nouvel inhibiteur de la biosynthèse
des androgènes
Abiraterone acetate: a new inhibitor of androgen biosynthesis
P. Beuzeboc*
* Département
d’ oncologie médicale,
Institut Curie, Paris.
L
es traitements entraînant une déplétion ou un
blocage des androgènes constituent depuis
70 ans le standard des traitements médicaux du
cancer de la prostate avancé ; mais, inéluctablement,
une résistance à la castration survient.
Dans cette situation, l’augmentation du PSA indique
que la signalisation qui dépend du récepteur reste
activée. Sur le plan fondamental, il a été montré que
la cellule tumorale s’adaptait à la privation hormonale
périphérique en régulant positivement la biosynthèse
intratumorale des enzymes de la stéroïdogenèse, ce qui
conduit à une augmentation de la concentration des
androgènes intratumoraux, qui peut être supérieure
aux taux circulants.
Les autres altérations de cet axe de signalisation
concernent les surexpressions et les mutations du
récepteur aux androgènes (RA).
L’acétate d’abiratérone, qui bloque CYP17 (cytochrome
P450 c17) de façon irréversible (1), est un inhibiteur
sélectif de la synthèse des androgènes testiculaires,
surrénaliens mais également intratumoraux.
De la recherche fondamentale
au développement clinique
Il a fallu plus d’une quinzaine d’années pour confi rmer
l’intérêt thérapeutique du blocage de CYP17, qui
catalyse 2 réactions importantes impliquant la
17 α-hydroxylase et la C17-20-lyase (fi gure 1).
L’acétate d’abiratérone a été initialement développé
au Royaume-Uni à l’Institute of Cancer Research (2). Les
premières études d’escalade de dose pour entraîner
le maximum de suppression de la synthèse de testo-
stérone chez les patients castrés et non castrés atteints
d'un cancer de la prostate ont montré qu’une dose
répétée de 800 mg/ j pendant 12 jours chez des patients
aux fonctions gonadiques intactes permettait de
ramener la testostéronémie au taux de castration.
Néanmoins, ce niveau de suppression androgénique
nest pas maintenu, en raison d’une hypersécrétion
compensatrice de LH (3).
L’acétate d’abiratérone nentraîne pas d’insuffi sance surré-
nalienne. La synthèse de corticostérone, un cortico stéroïde
plus faible que le cortisol, est préservée. Il en résulte une
élévation de l’ACTH avec un syndrome d’hyper sécrétion
de minéralocorticoïdes caractérisé par une rétention
hydrosodée, une hypokaliémie et une hypertension.
L’utilisation d’une corticothérapie ou d’antagonistes des
minéralo corticoïdes supprime cette élévation de l’ACTH
et les signes d’hyper aldostéronisme.
Considérant l’implication des androgènes dans le déve-
loppement et la progression du cancer de la prostate,
l’équipe du Royal Marsden (4) et d’autres (5) ont vite
»
L’acétate d’abiratérone, qui bloque CYP17 de façon irréversible, est un
inhibiteur sélectif de la synthèse des androgènes. Létude de phase III
COU-AA-301 ayant montré un bénéfi ce signifi catif sur la survie
globale, il vient d’être agréé par la Food and Drug Administration
(FDA) et par l’Agence européenne des médicaments (EMEA) dans
les cancers de la prostate métastatiques résistant à la castration
et préalablement traités par 1 ou 2 lignes de chimiothérapie
(dont 1 avec le docétaxel).
Mots-clés : Cancer de prostate métastatique résistant à la castration
– Acétate d’abiratérone – Inhibiteur de CYP17.
Abiraterone acetate is a potent and selective inhibitor of CYP 17
activity, an essential step in androgen synthesis. In the COU-AA-301
phase III trial, it prolonged signifi cantly overall survival and has received
FDA and EMEA agreements for patients with metastatic castration-
resistant prostate cancer who previously received chemotherapy
(one with docetaxel).
Keywords: Metastatic castration-resistant prostate cancer – Abiraterone
acetate – CYP17 inhibitor.
RésuméSummary
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Figure1. Lacétate d’abiratérone inhibe CYP17, qui catalyse 2 réactions importantes impliquant la 17 α-hydroxylase et la C17-20-lyase.
Désoxycorticostérone Corticostérone
×10 ×40 Aldostérone ×1,5
Hypokaliémie
Hypertension
Surcharge hydrique
×5
ACTH
Prégnénolone
17OH-prégnénolone
CYP450c17
17α-hydroxylase
CYP450c17
C17,20-lyase
11-désoxycortisol Cortisol
×2×2 ×2
DHEA Androsténédione
Testostérone
< 2 ng/dl×3
< 1 ng/dl
Estradiol < 8 pg/dl
Suppression
de rénine
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Lacétate d’abiratérone : un nouvel inhibiteur de la biosynthèse des androgènes
compris l’intérêt clinique potentiel de l’abiratérone dans
le traitement du cancer de la prostate, et des essais
de phase I/II ont été lancés sous l’égide de Cougar
Biotechnology (6).
Parallèlement, les concepts fondamentaux concernant
la résistance à l’hormonothérapie évoluaient (7). Ils
insistent sur le fait que la prolifération tumorale restait
dépendante de la signalisation par le RA.
Les cellules du cancer de la prostate développent une
résistance à la castration par l’acquisition de modifi -
cations biologiques incluant une surexpression du RA
et une surexpression des enzymes impliquées dans la
synthèse des androgènes (8).
Lémergence de phénotypes hypersensibles par
amplification, surexpression ou modulation de RA
par d’autres voies de signalisation rend ces cellules
excessivement sensibles à des taux très bas d’andro-
gènes exogènes. De plus, les anti-androgènes classiques
ont des eff ets agonistes en cas de surexpression ou de
mutations du RA.
Les cancers de la prostate métastatiques sont
également capables de maintenir, chez des patients
castrés, des taux d’androgènes intratumoraux pouvant
activer les gènes cibles du RA (comme le prouve l’aug-
mentation du PSA). Cette stéroïdogenèse intracrine,
à partir des androgènes surrénaliens mais aussi du
cholestérol, permet de contourner les niveaux faibles
d’androgènes circulants. R.B. Montgomery et al. (9)
ont montré que les niveaux de testostérone et les
transcripts d’enzymes de la stéroïdogenèse étaient
plus élevés dans les métastases de patients castrés que
dans les cancers de la prostate primaires de patients
non castrés.
Études de phase I
Les résultats cliniques observés dès les essais précoces
avec l’acétate d’abiratérone ont très vite confi rmé les
espoirs suscités par cette nouvelle approche théra-
peutique (10, 11).
La première étude de phase I (12), qui a inclus
21 patients résistants à de multiples hormono-
thérapies et chimionaïfs, a permis de fixer la dose
de 1 000 mg/ j pour les essais thérapeutiques. Les
principales toxicités, liées à un hyperaldostéronisme,
ont été contrôlées par l’éplérénone, un antagoniste
du récepteur minéralocorticoïde (la spironolactone
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dossier thématique
La prostate métastatique :
de la biologie à la clinique
Figure 2. Schéma de l’étude de phase III après 1 ou 2 lignes de chimiothérapie.
1 158patients avec un cancer
de la prostate métastatique
hormonorésistant enéchec
après 1 ou2lignes dechimiothérapie
(dontaumoins1 avecdocétaxel)
Groupe A
Acétate d’abiratérone : 1 000mg/j
Prednisone : 5 mg × 2/j
Groupe B
Placebo : 4 comprimés/j
Prednisone : 5 mg x 2/j
2:1
R
Figure 3. Survie globale de l’étude de phase III après 1 ou 2 lignes de chimiothérapie.
(D’après de Bono, N Engl J Med 2011;364[21]:1995-2005.)
SG après 1seule ligne de chimiothérapie :
15,4 mois (AA) versus 11,5mois (placebo)
100
80
60
40
20
0 100 200 300 400 500 600 700
0
Jours après la randomisation
Survie globale (%)
HR= 0,646 (IC95 : 0,54-0,77) p<0,0001
Placebo + prednisone
10,9 mois (IC95 : 10,2-12,0)
Acétate dabiratérone + prednisone
14,8 mois (IC95 : 14,1-15,4)
Acétate
d’abiratérone
797 736 657 520 282 68 2
Placebo
398 355 306 210 105 30 3
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ne doit pas être utilisée, car elle peut activer le RA).
Des baisses du PSA de 30 %, 50 % et 90 % ont été
observées dans 66 %, 57 % et 29 % des cas pour une
durée allant de 69 à 578 jours. Des améliorations
cliniques (notamment des douleurs), biologiques
(PAL, LDH) et des réponses RECIST ont également
été constatées.
Dans la deuxième étude de phase I (13), les patients
pouvaient avoir reçu préalablement du kétoconazole.
Le kétoconazole est un inhibiteur faible de CYP17.
Il n’a pas non plus été observé de toxicité limitante.
Une baisse du PSA d’au moins 50 % a été observée
chez 47 % des patients traités préalablement par
kétoconazole, contre 64 % chez les sujets n’en ayant
pas reçu.
Études de phase II
Deux études de phase II ont été réalisées pour évaluer
l’effi cacité après docétaxel.
Dans l’étude anglaise, rapportée par A.H. Reid et al. (14),
47 patients ont été traités par 1 000 mg/ j d’acétate d’abi-
ratérone. Des baisses de PSA d’au moins 30 %, 50 % et
90 % ont été observées respectivement chez 68 %, 51 %
et 15 % des patients. Le temps moyen jusqu’à progres-
sion biologique était de 169 jours (IC95 : 113-281). Sur
les 27 patients qui avaient plus de 5 cellules tumorales
circulantes (CTC), 11 (41 %) ont présenté une baisse
de leur CTC.
Dans la deuxième étude (15), 58 patients ont égale-
ment été traités par 1 000 mg/j d'acétate d'abiratérone
associés à 5 mg × 2/ j de prednisone (47 % avaient
reçu du kétoconazole). Une baisse du PSA dau moins
50 % a été confi rmée chez 36 % des patients (26 %
pour ceux traités par kétoconazole et 45 % pour les
autres). Le temps médian jusqu’à progression bio-
logique était de 169 jours (IC95 : 82-200). Des baisses
de CTC ont aussi été constatées dans 34 % des cas
(10 patients sur 29).
En conclusion de ces études de phase II (16), 3 points
importants sont à retenir :
le fait que l'acétate d'abiratérone soit effi cace après
kétoconazole laisse penser quil existe un eff et sur la
synthèse intracrine d’androgènes au niveau des cellules
tumorales et pas seulement au niveau surrénalien ;
l’addition de prednisone réduit l’incidence des toxi-
cités liées aux eff ets minéralocorticoïdes et augmente
l’effi cacité (pour les patients en progression, ajouter une
corticothérapie entraîne des réponses) ;
le schéma utilisé pour les études de phase III versus
placebo associe acétate d’abiratérone 1 000 mg/ j (4 cap-
sules en une seule prise à distance du repas) et pred-
nisone 5 mg × 2/ j.
Étude de phase III
Les résultats de la première étude randomisée (2:1) de
phase III (COU-AA-301) comparant acétate d’abiratérone
(n = 797) et placebo (n = 398) après une chimiothérapie
(1 ou 2 lignes dont 1 à base de docétaxel) viennent
d’être publiés dans le New England Journal of Medicine
(fi gures 2 et 3) [17].
Un avantage significatif (HR = 0,65 ; IC95 : 0,54-0,77
[p < 0,0001]) en survie globale (SG) de l’acétate d’abi-
ratérone a été observé : 14,8 mois (IC95 : 14,1-15,4) versus
10,9 mois (IC
95
: 10,2 -12,0). La durée médiane de traite-
ment a été de 8 mois dans le bras acétate d'abiratérone
et de 4 mois dans le bras témoin. L’analyse en sous-
groupes a montré que le bénéfi ce concernait tous les
sous-groupes.
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Figure4. Étude de phase III avant chimiothérapie.
Critère de jugement principal : SG (20 % d’amélioration : 20 à 27 mois)
Cancer de la prostate
résistant à la castration :
patients, avant
chimiothérapie
Acétate d’abiratérone : 1 000 mg/j
Prednisone : 10 mg/j
(n = 780)
Placebo quotidien
Prednisone : 10 mg/j
(n=390)
1:1
(D’après Scher HI et al., co-PI.)
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Lacétate d’abiratérone : un nouvel inhibiteur de la biosynthèse des androgènes
Tous les critères de jugement secondaires de l’étude ont
été signifi cativement améliorés, qu'il s'agisse :
du temps jusqu’à progression : 10,2 mois versus
6,6 mois (HR = 0,58 ; IC95 : 0,46-0,73 [p < 0,0001]) ;
de la survie sans progression : 5,6 mois versus
3,6 mois (HR = 0,67 ; IC95 : 0,59-0,78 [p < 0,0001]) ;
du taux de réponse biologique (PSA) : 29 % versus
6 % (p < 0,001).
La tolérance a été acceptable, avec de rares toxicités de
grade 3 ou 4 : rétention hydrique (2,3 %), hypo kaliémie
(3,8 %), anomalies de la fraction ventriculaire gauche
(3,5 %), hypertension (1,3 %), désordres cardiaques
(4,1 %). Ces résultats étaient assez comparables à ceux
du bras placebo, ainsi que l’incidence d’eff ets indési-
rables conduisant à des modifi cations de dose ou à
l’interruption du traitement.
Conclusion
L’acétate d’abiratérone vient d’être agréé par la FDA et
par l’EMEA. Il est disponible en France sous forme dATU
(plus de 1 000 patients ont d’ores et déjà été traités). Il
apparaît comme un tournant dans la prise en charge
des cancers de la prostate résistants à la castration
après docétaxel, avec un rapport bénéfi ce/ risque très
favorable.
Il faudra attendre les données de la deuxième étude
de phase III chez des patients métastatiques résistants
à la castration chimionaïfs (le recrutement est clos)
pour envisager une utilisation à un stade plus précoce
(fi gure 4).
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Références
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